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Millie lui avait confié une mission : acheter du poisson. Flora ignorait pourquoi sa colocataire avait eu la lubie de lui envoyer ce message ce matin alors qu’elle était partie de bonheur aux ateliers, mais la brune l’avait pris au pied de la lettre. Ses motivations étaient floues mais sa requête très claire, et puisqu’elle était en repos aujourd'hui elle avait décidé de profiter des quelques rayons de soleil qui filtraient au travers des nuages pour s’accorder un petit tour en vélo. L’idée semblait très bonne au premier coup d’oeil, elle le sera probablement beaucoup moins lorsqu’elle devra rapporter le sachet plastique jusque chez elle et que ce dernier tapera dans son volant sur le chemin du retour - un problème pour plus tard, peut-être une façon innovante de rendre le poisson plus tendre. Un crochet au café dans lequel elle travaille pour partager une boisson avec ses collègues, et finalement son vélo s’engage dans la rue commerçante à une allure raisonnable pour se frayer un chemin jusqu’à son objectif. et si la brune a déjà probablement mis les pieds dans les trois quarts des boutiques présentes dans cette avenue, la poissonnerie fait inévitablement partie du quart restant : elle a dû demander à celle avec qui elle partage un toit où était-elle censée trouver du poisson frais à Brisbane. Millie avait peut-être été surprise, mais ne lui en avait pas tenu rigueur en lui répondant le nom du Queen Street Mall, et voilà que ses yeux noisettes balayent à présent toutes les devantures à la recherche de celle pouvant s’apparenter à un étal de produits de la mer. Lorsque son regard est happé par une enseigne aux couleurs bleues et à l’image d’un poisson, Flora plante les freins - peut-être un peu brusquement, provoquant quelques plaintes d’un passant qui soupire en contournant sa bicyclette non sans se priver de la courroucer d’un regard. Rien qui ne l’empêche de délaisser son vélo contre une colonne, et de s’avancer vers le commerce en regrettant déjà l’odeur de café fraîchement moulu du DBD. Elle adore l’air marin, mais le parfum de dizaines de variétés différentes de poissons entassés lui donne presque un haut le coeur au moment où elle s’approche du stand. et déjà la tâche se complique. Il y a des tailles de poissons toutes plus extrêmes les unes que les autres, des gammes de prix toutes aussi changeantes, et ses yeux s'arrondissent lentement alors qu’elle réalise qu’elle n’a pas demandé plus de détails à celle l’ayant missionnée. Flora n’a plus qu’à sortir son téléphone et texter rapidement à Millie un « et je prends quoi au juste ? et dans quelle proportion ? » avant d’attendre une réponse qui risque de ne jamais venir, la forçant à se reculer discrètement pour laisser les autres clients présents la devancer. Elle recule à pas lents, invitant d’un bref sourire la jeune femme qui la regarde à passer devant elle, avant de se heurter à quelqu’un en lui marchant sur les pieds à reculons. Elle se tourne, grimaçant déjà et entamant une phrase d’excuse. « Je suis dés- » commence-t-elle avant de se figer en reconnaissant la paire d’iris qui la scrute, et sa grimace retombe alors qu’elle se retrouve face à l’aîné des Walker et son éternel sourire. Elle frémit, le regarde un instant - comme si elle voulait s’assurer ne pas l’imaginer, lui et sa superbe chemise en lin, avant de se reprendre. « Elijah- enfin, monsieur Walker, bonjour. » articule-t-elle péniblement, prise de court, misant sur son sourire pour mieux faire passer sa maladresse. Ils ne se sont plus revus depuis le jour de leur rencontre où elle a attendu à ses côtés l’arrivée du styliste avec qui il avait rendez-vous, et vraisemblablement le frère de Channing n’avait pas commandé une quelconque pièce de la maison à la suite de cet entretient - de ce qu’elle en avait entendu en bruits de couloirs, les deux hommes avaient eu du mal à trouver un terrain d’entente. Elle avait été navrée de la nouvelle, mais n’avait pas pu en savoir davantage et s’était contentée de l’accepter. « Je ne pensais pas vous revoir ici. » remarque-t-elle en prenant place à ses côtés, visiblement sur le passage de certains clients qui attendent qu’elle daigne libérer le passage. « Vous êtes venu acheter du poisson ? » smart move Constantine, il n’a pas l’air d’être sur le point d’acquérir une compagnie aérienne.

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Une nouvelle journée de travail s’achevait pour Elijah, imposteur en chef intérimaire au sein du Walker Group, qui s’empressa de quitter le somptueux bureau de son frère où il avait passé les huit dernières heures à prendre des décisions majeures tout en se demandant ce qu’il avait bien pu faire dans une vie antérieure –ou dans sa vie actuelle– pour mériter d’être là, à faire semblant d’être compétent dans un domaine où il ne connaissait rien et où rien ne l’intéressait. Dès qu’il eut quitté les bureaux de l’entreprise, il laissa échapper un soupir de soulagement d’être parvenu à traverser une nouvelle journée sans avoir causé de catastrophe, et surtout sans avoir laissé remarquer son manque de confiance, masqué derrière cet air détendu et assuré qui ne le quittait jamais et qui ne faisait jamais tarir d’éloges ses collaborateurs.

Comme il en avait pris l’habitude au moins deux fois par semaine, il prit sa voiture en direction de la poissonnerie dont il était devenu un fidèle client, en grand amateur de poisson frais qu’il était depuis tout petit. Eli faisait partie de ceux qui, en dépit d’un mode de vie solitaire, ne manquait jamais une occasion de cuisiner des plats élaborés (si l’on exceptait les quatre soirs par semaine qu’il passait au restaurant), même si c’était pour en faire la dégustation seul. Depuis ce matin, l’idée de filets de sole lui trottait dans la tête et il était bien décidé à satisfaire son envie. Il franchit la porte de l’établissement en même temps que deux autres personnes, et fut quelque peu frustré, sans s’en formaliser pour autant, de constater que les lieux étaient bondés. Un vendeur le reconnut au loin et lui adressa un signe de la main, qu’il lui retourna avec enthousiasme, avant de se plonger dans la consultation de ses e-mails, soucieux de rentabiliser les dix minutes d’attente qui se profilaient à l’horizon. Il n’eut toutefois pas le temps de lire grand-chose avant de sentir quelqu’un le heurter et ses orteils se faire écraser sans cérémonie. Surpris, il releva les yeux de son écran et ne reconnut pas tout de suite la silhouette féminine dont la maladresse venait sans doute de lui coûter quelques phalanges. Elle se retourna ensuite, et l’air surpris d’Eli s’accentua brièvement avant de céder sa place à un sourire étonnamment enthousiaste pour quelqu’un qui venait de remporter une boiterie. Un instant de silence s’installe tandis qu’ils se reconnaissent, et comme lors de leur première entrevue, Eli peine à identifier l’expression sur le visage de l’employée de Weatherton. « Flora ! Comment vous allez ? Et appelez-moi Eli – ou Elijah, si vous voulez, mais pas besoin de faire des pirouettes à la poissonnerie », plaisanta-t-il, manifestement content de la voir. Il ne peut s’empêcher de plonger le regard dans le sien, tandis que, peu à peu, la surprise de la voir se dissipe. Ils ne s’étaient, en toute logique, pas croisés depuis leur première rencontre dans le showroom de la maison Weatherton, qui avait précédé un entretien pour le moins désastreux avec l’un de leurs stylistes, qu’Eli n’avait pas tardé à éconduire, suite à quoi il n’avait plus remis les pieds dans la boutique où il aurait pourtant été enchanté de revoir l’intrigante employée qui se tenait désormais devant lui. « Je comprends, ce n’est pas un endroit habituel pour socialiser », affirma-t-il en assortissant sa réponse d’un bref clin d’œil, retrouvant tout de suite l’aisance qu’il avait ressentie à son contact lors de leur première rencontre. Et son sourire de s’élargir, légèrement goguenard, à la question pour le moins surprenante de la jeune femme. « À vrai dire, non – j’espérais me trouver une nouvelle eau de toilette, on m’a dit qu’ils excellaient dans le domaine ici », lança-t-il avant d’avoir pu s’en empêcher, avant de pincer les lèvres pour réprimer un rire, mais aussi en signe de remords. « Excusez-moi, j’ai besoin de décompresser après ma journée de travail », glissa-t-il comme pour justifier son ton impertinent. En parlant, il glissa son téléphone dans la poche de son pantalon, et reporta son regard sur Flora, dont les traits demeuraient aussi captivants que dans ses souvenirs. « Qu’est-ce que vous allez prendre ? », demanda-t-il avec une sincère curiosité, réjoui à l’idée qu’elle puisse être, elle aussi, amatrice de poisson et qu’elle ait éventuellement des idées de recette à lui partager. Ses yeux pétillaient et contrastaient avec la banalité affligeante de la question, qui aurait pu passer pour une maladroite tentative de faire la conversation si le ton n’avait pas été aussi intéressé. « Si je peux me permettre un conseil, leur sole est vraiment hors du commun. J’en achète au moins une fois par semaine », confia-t-il avec une pointe d’excitation, bien trop enthousiaste au sujet d’une banalité comme le poisson pour un adulte normalement constitué.

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Elle a l’impression d’être dans l’un de ces lieux particulièrement prisés où tous les habitués se retrouvent et échangent autour de banalités, attendant patiemment leur tour sans avoir besoin de regarder le stand face à eux pour savoir ce qu’ils vont y commander - et c’est le cas. Tous ces inconnus autour d’elle papotent avec entrain, familiers les uns avec les autres, et elle ne se sent pas du tout à sa place alors que l’odeur de poisson est si forte qu’elle la mettrait presque mal à l’aise si elle ne s’était pas reculée autant que possible. Comment ces hommes derrière l’étal peuvent passer leurs journées entières le nez au-dessus de leur marchandise, et rentrer chez eux le soir sans qu’une armée de chats errants ne les suivent en miaulant ? Impossible pour la brune de croire que l’odeur ne s'imprègne pas sur leurs vêtements, et elle déglutit en jetant un regard en coin à la découpe d’un poisson particulièrement imposant. Une enfant dans un abattoir ferait sensiblement la même tête qu’elle, et elle est ravie - enfin, pas vraiment, mais un peu quand même, lorsqu’elle se tourne pour tomber nez à nez avec une vue bien plus plaisante que celle de ce thon sur le point de faire découper en tranches. L’aîné des Walker se tient juste là, son sourire de magazine floqué sur les lèvres, et si la demoiselle est décontenancée une seconde elle se reprend toutefois rapidement pour le saluer. Jamais avec trop d’adresse, ce serait une surprise dans ce type de situation, mais Flora accueille sa présence avec autant de soulagement que d'enthousiasme. Ils se connaissent à peine, n’ont pas échangé plus d’une dizaine de minutes lors de leur entrevue à Weatherton, et pourtant son contact lui est une nouvelle fois étonnamment facile. « Flora ! Comment vous allez ? Et appelez-moi Eli – ou Elijah, si vous voulez, mais pas besoin de faire des pirouettes à la poissonnerie » Des pirouettes à la poissonnerie. La formulation l’amuse sincèrement, et son sourire se fait coupable alors qu’elle baisse brièvement le regard en échappant un rire doux. Ils ne sont certes pas dans le cadre d’une rencontre professionnelle, pour autant l’homme n’est pas un habitant lambda de Brisbane et leur différence d’âge force la brunette à faire preuve de respect pour celui qui - elle l’a appris récemment, par hasard, en parcourant la presse, est à la tête de l’empire immobilier portant son nom en attendant le rétablissement de son frère. « Elijah dans ce cas. Je vais bien merci, et vous ? » Des politesses tout ce qu’il y a de plus ordinaire, et pourtant la brune attend sa réponse avec un intérêt sincère après avoir retrouvé son regard. Celui plus profond que dans ses souvenirs, celui qu’elle doit réapprendre à apprivoiser pour le soutenir sans honte alors qu’elle y était parvenue progressivement la dernière fois. « Je comprends, ce n’est pas un endroit habituel pour socialiser » Mais que fait-il ici, d’ailleurs ? Flora se doute de la raison de sa présence mais ne peut s’empêcher de la questionner pour autant, ayant pensé et ce visiblement à tort que le grand brun avait à son service un cuisinier qui s’occupait de réaliser ses courses et ses repas. et évidemment, elle remarque l’air narquois que prend son visage face à la stupidité de sa question, son clin d’oeil menaçant de faire monter le rouge à ses joues. Qu’il se moque, elle l’aurait fait aussi. « À vrai dire, non – j’espérais me trouver une nouvelle eau de toilette, on m’a dit qu’ils excellaient dans le domaine ici » Cette fois, ses lèvres disparaissent en se pressant l’une contre l’autre pour réfréner un rire et ses yeux s’arrondissent alors qu’elle adopte un air aussi désolé qu’il est surpris, n’étant pas moins tout à fait innocent et amusé. Elle ne s’attendait pas à le voir se moquer ouvertement d’elle et encore moins avec tant de facilité, mais loin d’être froissée. « Je vois… » souffle-t-elle d’un ton qui se veut sérieux, un qu’elle appuie d’un regard lourd de jugements tout en l’écoutant poursuivre. « Excusez-moi, j’ai besoin de décompresser après ma journée de travail » Elle renonce à retenir son rire, et secoue la tête en le laissant s’échapper d’entre ses lippes. Qu’il ne se sente pas mal à l’aise d’une quelconque façon, la perche tendue était trop belle pour ne pas être saisie. « Ne le soyez pas, c’est moi. Je suis certaine que vous allez trouver votre bonheur. » conçoit-elle en le regardant, son sourire s’élargissant à mesure de ses mots, prête à lui désigner le premier poisson au hasard sur le stand en lui vantant sa fragrance. « Je vous aiderais bien à choisir lequel des derniers poissons a la côte au niveau sensoriel, mais j’ai bien peur d’avoir somnolé durant cette partie de ma formation. » D’une formation tout à fait inexistante qui plus est, soit. et aussi facilement que cela, au détour d’une plaisanterie douteuse, son regard azur ne la met plus mal à l’aise et Flora prend tout le loisir d’en apprécier les nuances comme elle l’avait fait aux ateliers.

« Qu’est-ce que vous allez prendre ? » Toutefois, l’homme la tire de ses pensées avec cette question trahissant un intérêt tout à fait sérieux pour la réponse qu’elle y apporterait, et la brune se reporte sur le stand tandis que son sourire perd de sa splendeur. Elle se met à réfléchir, se concentre sur son portable qu’elle a elle aussi naturellement glissé dans sa poche durant leur échange afin de se focaliser sur son interlocuteur, mais aucune vibration de l’informe d’une aide précieuse en provenance de sa colocataire. « Je… je ne sais pas, en réalité. » avoue-t-elle, peut-être avec un brin de timidité, même si l’idée de lancer un nom de poisson lu au hasard lui a traversé l’esprit - inutile de s’engager sur cette voie, ou de prétendre savoir ce qu’elle fait quand il n’en est rien. Ses yeux retrouvent les siens et l’homme poursuit, bien plus à l’aise qu’elle sur le sujet. « Si je peux me permettre un conseil, leur sole est vraiment hors du commun. J’en achète au moins une fois par semaine » Elle acquiesce, le croyant volontiers, avant de chercher du regard le produit dont il lui fait mention. « Vous aimez cuisiner ? » lance-t-elle sans réfléchir, avant de lire le prix associé à la fameuse sole et d’espérer que Millie ne lui dise pas d’en ramener un carton sans quoi son amie devrait honorer la traite de loyer seule pour le mois à venir. « Je- c’est stupide, c’est ma colocataire qui m’a envoyé ici. Et comme vous pensiez pouvoir porter plusieurs fois un costume, je pensais naïvement que le choix serait vite fait entre des sardines et de la truite. » confesse-t-elle honteusement, se reportant sur l’héritier avec une expression trahissant son égarement malgré son sourire amusé - pour ne pas être désespéré. « Elle ne m’a pas dit quoi prendre, ne répond pas au téléphone, et je ne sais pas du tout ce que je vais dire à ce monsieur de me servir. » conclut-elle en se passant nerveusement la main dans les cheveux, un air résigné sur le visage même si elle ne perd pas sa bonne humeur pour autant.

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D’une façon absolument étonnante, Eli prenait toujours le plus grand plaisir à acquérir du poisson dans l’établissement où il se trouvait actuellement, et chaque escapade dans ces lieux marqués du fumet prononcé des produits marins était synonyme de belle expérience. Il raffolait de l’atmosphère créée par la familiarité entre un commerçant et son client fidélisé, et avait pris l’habitude de repérer les commerces les plus qualitatifs parmi ceux qu’il avait eu l’occasion d’arpenter, afin de bénéficier de ce bref élan de joie que procurait un sourire familier par rapport à une salutation cordiale dans un supermarché. Ainsi, du haut de sa casquette de grand nom de l’immobilier malgré lui, Eli s’était formé un environnement formé de commerçants locaux qui avaient pris l’habitude d’apprécier de le saluer sans avoir la moindre idée de qui il était dans l’univers dont il faisait partie dès qu’il revêtait son costume d’héritier Walker. Il s’était régalé de cet anonymat vingt ans durant, et conservait l’espoir qu’il perdure le plus longtemps possible maintenant qu’il était revenu au bercail. Être Eli, l’homme certes bien habillé mais exempt d’un nom de famille, voilà l’identité qui lui convenait le mieux et qu’il aimerait ne jamais avoir à troquer contre ce nom médiatisé sans raison valable à ses yeux.

Aucun plaisir à fréquenter ses commerçants de quartier ne venait toutefois égaler celui de croiser celle qu’il n’aurait jamais cru revoir. Ceci pouvait paraître d’autant plus surprenant que leur précédente, et seule interaction ne s’était pas prolongée au-delà de quelques minutes, et n’avait pas permis de soulever le moindre sujet susceptible de rendre leur interaction inoubliable. Pourtant, elle l’avait été, inoubliable – Eli avait mis moins de vingt minutes à congédier, sans la moindre cérémonie, le styliste dont on l’avait affublé lors de satané rendez-vous chez Weatherton, et il avait d’abord cru quitter définitivement la prestigieuse maison sans l’ombre d’un regret. Puis, de la plus stupide des façons, il s’était surpris à regretter de ne plus avoir l’opportunité de recroiser l’intrigante jeune femme qui s’était vue, malgré elle, chargée de l’accueillir en attendant ce maudit Anderson. Il avait repensé à l’agréable conversation qu’ils avaient partagée, aussi brève qu’elle avait été captivante, et avait ressenti cette pointe de regret à l’idée de ne plus jamais avoir l’occasion de la réitérer. Puis, doucement, les considérations de la vie réelle avaient repris le dessus, et avaient contribué à estomper le visage angélique de Flora, dont il avait fini par conclure qu’il ferait définitivement partie de son passé. Ainsi, elle avait rejoint les autres souvenirs précieux mais non réitérables qui étaient venus marquer son parcours de vie, de ceux qui suscitaient un sourire nostalgique et le regret de ne pas avoir l’occasion de les voir se reproduire.

Et pourtant… la voilà, en chair et en os, dressée devant lui, au milieu de cette poissonnerie dont il n’avait jamais osé espérer retirer un plaisir supérieur à celui de se procurer une pièce particulièrement savoureuse. Ces yeux noisette plus pétillants que ceux d’une enfant, ce nez en trompette qui se fronçait au gré des émotions, ces lèvres rosées qui se faisaient tantôt pulpeuses, tantôt invisibles lorsqu’elles étaient pincées. Ce visage qui n’était pas celui d’une beauté fatale, qui ne lui rappelait en rien les créatures quasi divines qu’il avait déjà eu le privilège de conduire à son lit serti de draps en coton égyptien – et qui, pourtant, le faisait voyager autant qu’il lui donnait l’envie d’en faire son quotidien. Eli n’avait jamais de mal à esquisser le fameux sourire qui lui assurait un infaillible succès, pourtant, de la plus inhabituelle des façons, ce dernier peinait à masquer un émoi qu’il contenait laborieusement. Il dut, de la plus idiote des façons, réprimer un frisson lorsqu’elle l’appela par le nom qu’il l’avait lui-même invitée à utiliser. « Très bien, merci », souffla-t-il d’un air presqu’absent malgré que ses yeux ne quittèrent pas ceux de la jeune femme. Cette dernière semblait nettement plus à l’aise que lors de leur précédente entrevue – il peinait à croire que ceci avait un rapport avec son invitation à faire preuve de moins de formalité, et attribua ceci au charisme aussi subtil qu’indéniable de Flora, dont il ne parvenait toujours pas à s’expliquer le magnétisme. Elle devait sans doute faire partie de ces mystérieuses femmes qui avaient conscience de l’écart entre leur apparence et leur tempérament, et qui n’hésitaient pas à en jouer pour s’assurer de charmer leurs interlocuteurs – et quand bien même ceci eût-il été le cas, et l’eût-il remarqué, il n’en fut pas moins enchanté.

Et s’il s’était cru impossible d’être plus ravi qu’il ne l’était déjà, la répartie de Flora acheva de l’emplir d’une satisfaction presque jubilatoire qui dessina sur ses lèvres un sourire encore plus béat que celui, plus calculé, qu’il avait l’habitude d’afficher en toutes circonstances. Il laissa échapper un rire franc, séduit par le répondant de Flora. « C’est vraiment con d’avoir somnolé précisément à ce moment-là, il y a des milliers d’hommes qui auraient eu besoin de vos conseils avisés », souffla-t-il avec l’un de ses caractéristiques clins d’œil.

Alors qu’il se sentait plus à l’aise que jamais, son enthousiasme attisé tant par la marchandise marine que par la présence de Flora (et sans doute un peu plus par ce dernier facteur que le précédent), il fut presque surpris de constater que la jeune femme ne semblait pas autant dans son élément que lui, manifestement perturbée par la diversité de la sélection proposée par l’établissement. Alors qu’elle lui glissa ne pas savoir quoi prendre, il se contenta d’un sourire ni indulgent, ni goguenard – s’il avait fallu y apposer une étiquette, sans doute celle de la complicité aurait-elle été la plus adéquate. Flora sembla toutefois autant à l’aise avec les pirouettes langagières que son interlocuteur, dont le visage s’illumina aussitôt d’une mine enthousiaste. « J’adore – ça me détend, et en plus, c’est généralement meilleur que ce que j’ai l’occasion de manger ailleurs », glissa-t-il sans prétention, en dépit de l’arrogance inhérente au constat qu’il venait de faire.

La discussion se reporta toutefois rapidement sur la raison de la présence de Flora dans la poissonnerie, ce qui n’eut rien pour déplaire à Elijah, dont la curiosité demeurait piquée au vif. Un éclat de rire franchit ses lèvres à l’entente de son explication, et son regard se fit à nouveau complice. Au moment où elle prononça ces paroles, il reconnut celles que lui-même avait proférées d’un ton goguenard en évoquant les propos controversés de sa mère, et il en fut aussi surpris qu’amusé. Il ne releva toutefois pas, malgré que son regard indiquât clairement que la référence n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Le sujet dévia toutefois rapidement sur la problématique, apportée de manière assez franche par Flora, de cette dernière qui ignorait quoi prendre. « Ouf… ça va représenter une grosse responsabilité pour moi si je dois vous aiguiller dans votre premier achat de poisson digne de ce nom », glissa-t-il en ricanant légèrement. À ce moment-là, une femme manifestement précipitée se fraya un chemin en direction de la sortie sans une once de délicatesse, bousculant allègrement Flora qui se retrouva projetée en direction d’Elijah. Il la rattrapa avec toute l’agilité dont il était doté, sans parvenir à empêcher le menton de la jeune femme d’effleurer son torse. Dans un réflexe protecteur, il lui attrapa l’épaule d’une main et le poignet de l’autre, et la stabilisa – bien qu’elle n’eût sans doute pas eu de difficulté majeure à le faire seule. « Quelle aventure, la poissonnerie à l’heure de pointe », souffla-t-il en étouffant un rire. Leurs regards se croisèrent à nouveau, tous deux aussi intenses qu’ils n’étaient intrigués, et il souffla brièvement par le nez avant de reprendre une distance plus acceptable. Sa bouche était sèche, tout comme sa gorge, et il déglutit avant de reprendre, sur un ton tout ce qu’il y avait de plus naturel : « Euhm- donc… oui, donc, euh… je ne vais pas vous redire de prendre de la sole, même si c’est mon péché mignon », confia-t-il presque timidement, « mais si vous voulez être sûre de contenter votre colocataire, prenez du cabillaud, ou de la lotte. » Un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres, creusant ses fossettes au passage. « Et voilà comment on passe de votre expertise en haute couture à mes conseils de poissonnier », conclut-il, l’air goguenard, mais manifestement heureux de partager ce moment improbable avec Flora.

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« Très bien, merci » Il y a ce bref instant de latence entre eux, l’un de ceux où le temps semble ralentir et les regards s’intensifier, et son sourire se fait plus doux encore à l’encontre de celui qui la surplombe d’une bonne vingtaine de centimètres. Lors de leur rencontre à Weatherton, la brune avait été réhaussée d’une paire d'escarpins dont les quelques centimètres avaient contribué à atténuer ce contraste, mais maintenant que la fine semelle de ses baskets était la seule chose qui la séparait du sol, la différence se faisait plus flagrante qu’elle ne l’aurait cru. et elle ignore si c’est ce à quoi il pense lui aussi alors qu’il lui avoue se porter comme un charme, nouvelle la rassurant un tant soit peu - même si elle n’était pas vraiment inquiète, à s’en fier à son sourire de façade à l’air bien trop sincère pour qu’il soit fictif. Il a ce visage expressif de ceux qu’on a envie de croire, ces lèvres auxquelles on veut se pendre - dans tous les sens du terme, et ce moment de flottement ne fait rien pour l’aider à détacher son attention des traits finement peints du grand brun.

Elle a pourtant pris l’habitude, en presque deux ans, de côtoyer des clients d’un certain standing au sein de la maison de haute couture. Des gens bien élevés - quoique, éloquents et maîtrisant à la quasi perfection l’interprétation des codes sociaux. Elle a été confrontée, à bien des reprises, à des hommes à l’apparence charmante et aux intentions l’étant bien moins, et s’est habituée avec l’expérience à ne pas placer trop d’espoir en eux. Pourtant, cet homme d’affaires là, a un regard différent. Absolument hypnotisant et dont les nuances n’ont d’égal, certes, mais sa bienveillance a un reflet étrangement sincère qui la déstabilise. Il ne peut pas l’être, pas autant qu’il ne s’y apparente, mais le doute persiste alors qu’elle plonge volontiers dans cet océan sans savoir nager, espérant naïvement y trouver une bouée de sauvetage. « C’est vraiment con d’avoir somnolé précisément à ce moment-là, il y a des milliers d’hommes qui auraient eu besoin de vos conseils avisés » Mais aucun rocher à l’horizon alors que sa réponse, pigmentée d’un répondant qui lui plaît et l’amuse, fait naître un nouveau sourire sur ses lèvres - plus joyeux encore que le précédent. Peut-être aurait-elle dû tendre l’oreille, certes, pour autant elle ne regrette pas le moins du monde de ne pas l’avoir fait à la réaction que cela provoque chez l’homme qui lui fait échapper un rire grâce à sa spontanéité. Il est facile de parler avec lui, la banalité de leur échange pourtant affolante, mais Flora se sent à l’aise et a l’impression de pouvoir rebondir sur n’importe quel sujet que leur conversation ne perdrait pas en intérêt ou en naturel. Il a ce charme brut qui la déstabilise, les diamants comme lui - ceux finement taillés, incarnés par le monde mondain et bourgeois, perdant d’ordinaire de cette splendeur si particulière. Mais Elijah semble avoir hérité du meilleur des deux mondes, à son honnête admiration. « Vous m’en voyez tout à fait navrée. » s’excuse-t-elle sans la moindre prétention, son sourire malicieux étirant ses lippes alors que la façon dont il lui adresse un clin d’oeil complice lui en fait imiter un par pure taquinerie. Elle est certes bien moins subtile, ne cherche pas à l’être, et s’amuse en échappant un nouveau rire au milieu du brouhaha ambiant des lieux.

Elle échappe à son regard insistant un bref instant, sûrement pour prendre une gorgée d’air d’un air tout à fait anodin, avant de le retrouver avec un soupçon - jamais trop marqué toutefois, de sérieux. Elle ne sait pas du tout quoi demander à l’homme à la voix forte qui salue ses clients avec entrain pour se faire entendre, craint de se liquéfier si l’autre lui demande de répéter en se penchant vers elle. Flora n’est pas d’un naturel trop timide, toutefois dans une telle situation la demoiselle préfère passer inaperçue et la tâche s’annonce délicate alors qu’elle a la hantise d’une question piège en se faisant servir - comment voulez vous que je vous le découpe, à quel usage le destinez vous, quoique ce soit dans cet état d’esprit. « J’adore – ça me détend, et en plus, c’est généralement meilleur que ce que j’ai l’occasion de manger ailleurs » Alors, lorsque Elijah lui confie savoir mieux cuisiner - de loin, que choisir son prochain costume, elle retrouve un tant soit peu d’espoir en permettant ainsi à son regard de s’illuminer. Elle ne pourrait jamais prétendre avec autant d’assurance - ni tout court, mieux cuisiner que qui que ce soit. Encore moins que les chefs étoilés dans lesquels un homme comme lui doit se rendre pour dîner, et si ses sourcils se haussent légèrement en surprise, cela n’est nullement dû à son assurance. Non, elle est simplement surprise que quelqu’un puisse parvenir à manier intelligemment une gazinière et des casseroles. « Vous sous-entendez savoir cuisiner des pâtes et plus encore ? Mieux que ceux dont il s’agit du métier ? » Elle pourrait se moquer, mettre en doute son savoir-faire, le taquiner quant à un art qu’elle maîtrise également et qui n’a rien de compliqué. Mais elle est tout à fait sérieuse, et cela se perçoit à la façon dont elle s’adresse à lui même si elle n’en demeure pas moins amusée - en auto-dérision. Certains ont de la chance, pense-t-elle en son fort intérieur.

Un rire monte dans la gorge de l’aîné des Walker, et la brune prend une seconde pour détailler la façon dont ses traits changent. Ses lèvres laissent éclater un sourire, ce dernier lui creusant une paire de fossettes tout à fait adorable, et Flora se retrouve à l’admirer bêtement le temps qu’il reprenne un sourire narquois et entende lui venir en aide. Elle serait presque mal à l’aise d’être la raison de cet éclat de rire, trop flattée pour oser croire en être à la source, même si le comportement à l’apparence tout à fait spontanée de l’homme l’autorise à croire qu’il est sincère. Il a toujours tellement l’impression de l’être, bon et honnête. « Ouf… ça va représenter une grosse responsabilité pour moi si je dois vous aiguiller dans votre premier achat de poisson digne de ce nom » Déstabilisée par son élégance à toute épreuve et son flegme à pouvoir être à son aise partout et peu importe les circonstances, Flora met quelques secondes à se reprendre et à se répéter les paroles qu’il vient de prononcer afin de pouvoir les comprendre. Mais avant qu’elle n’ait le temps de les analyser, une épaule la bouscule sans ménagement et la voilà projetée vers l’avant, perdant l’équilibre avant de se rattraper maladroitement - ou plutôt d’être rattrapée. Une main sur son épaule et l’autre entourant son poignet, Elijah la maintient sur ses pieds alors que son visage est inévitablement assez proche de son torse pour que son nez soit envahi par son parfum - autrement plus agréable que celui qui flotte autour d’eux. Une odeur de santal, ponctuée d’une note de vanille et d’autres sur lesquelles elle ne parvient pas à mettre de nom, quelque chose lui correspondant de la plus nette des façons sans qu’elle ne parvienne à l’expliquer. Elle déglutit, fixant un point invisible sur la chemise du brun un instant, avant de relever honteusement son regard vers le sien. « Quelle aventure, la poissonnerie à l’heure de pointe » Ses yeux noisette écarquillés par la honte se plongent dans ceux qui la scrutent, et si ce n’était pas pour les effluves qui lui parviennent Flora se jurerait avoir oublié comment respirer. « Oui… la poissonnerie à son heure de pointe. » répète-t-elle d’une voix à peine audible, la gorge soudainement sèche. Elle peine à se redresser - et cela n’a rien à voir avec la cliente pressée, ses jambes sont faibles, et elle aimerait surjouer les faits en assurant qu’elle les sent trembler une seconde sous son propre poids. « Je- je suis désolée… » bégaye-t-elle en se haïssant pour ce ton incertain, le laissant volontiers reprendre la parole. « Euhm- donc… oui, donc, euh… je ne vais pas vous redire de prendre de la sole, même si c’est mon péché mignon » Elle esquisse un sourire timide en réinstaurant péniblement une distance plus raisonnable entre eux, le contact de ses mains toujours sur sa peau, la tension fantôme toujours resserrée autour de son poignet. « mais si vous voulez être sûre de contenter votre colocataire, prenez du cabillaud, ou de la lotte. » et elle se rend compte l’avoir écouté d’une oreille, trop distraite, trop perturbée pour avoir retenu quoique ce soit des explications qu’il vient généreusement de lui offrir, et son regard rencontre à nouveau le sien sans avoir retrouvé de son assurance pour autant. « Vous disiez ? De la lotte, c’est ça ? Je- pardon, c’est moche, je ne vous ai pas écouté. » avoue-t-elle à regret en se pinçant à nouveau les lèvres, les torturant sans ménagement à force d’en mordiller l’intérieur ou de les presser l’une contre l’autre. « Je vais vous faire confiance et prendre ça. Merci beaucoup. » avoue-t-elle dans un sourire, reprenant son air doux et caractéristique après un moment de flottement.

« Et voilà comment on passe de votre expertise en haute couture à mes conseils de poissonnier » Elle échappe un rire en baissant les yeux, se passant discrètement une main dans la nuque en lui souriant lorsqu’elle le regarde à nouveau, reprenant lentement de l’assurance. « Je ne suis pas une experte en haute couture, mais vous faites un excellent poissonnier. » le taquine-t-elle avec un brin de légèreté, s’amusant déjà de sa réaction. Elle marque une pause, avant de reprendre alors que sa curiosité a été piquée dès lors qu’elle l’a reconnu en se trouvant nez à nez avec son joli minois. « Si j’avais été experte, vous seriez probablement revenu à Weatherton. J’ai entendu dire que votre entretien avec monsieur Anderson s’était.. mal passé ? » tente-t-elle avec une préoccupation sincère, l’air concerné et peut-être aussi un peu déçu. Elle ne le blâme nullement, c’est à Anderson qu’elle en veut, mais aurait aimé que Elijah trouve son bonheur au sein de la maison. « Je ne cherche pas à vous faire changer d’avis, ni à obtenir des informations dans un quelconque but. » le rassure-t-elle avec bienveillance et un sourire amusé, toujours aussi sincère. Non, elle ne va pas chercher à le faire revenir sur sa décision, mais aimerait tant qu’à faire comprendre ce qui a pu si mal se passer alors qu’elle aurait été ravie de le croiser à nouveau. Elle l’avait espéré, en réalité, aussi insignifiant que leurs échanges puissent être aux yeux de l’héritier. Il est agréable, aussi bien à l’oeil qu’au sens global du terme, et quelques pièces sur-mesure de la maison auraient tout fait pour rendre justice à sa silhouette. « Mais je me sens un peu coupable de ne rien avoir pu faire pour honorer ma promesse. » ajoute-t-elle dans un sourire désolé en le regardant. Elle lui avait après tout assuré qu’il trouverait son bonheur, et cela n’avait visiblement pas été le cas.

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Fish Party

Flora semblait dotée de cette capacité extraordinaire à lui procurer un sentiment d'aise et de familiarité, alors que le compteur de leur temps de conversation total devait indiquer fièrement une quinzaine de minutes. Nul besoin pour l'héritier de recourir à des faux-semblants ni d'afficher le masque affable qui lui avait valu tant de popularité dans le monde de requins où il évoluait, celui où la perfidie et le calcul semblaient immanquablement primer sur la sympathie et l'humanité. Nul besoin de réfléchir à ce qu'il allait lui dire, tant la spontanéité de ses propos semblaient garantir la qualité de leur échange. Nul besoin de se soucier de ce qu'elle pourrait bien penser de lui, quand bien même cette préoccupation semblait, dans un coin de son esprit charmé, paradoxalement tarauder plus que d'ordinaire celui qui n'avait pas l'habitude de se préoccuper des conséquences de ses actes, tant il avait l'habitude de ne rencontrer rien d'autre que de l'approbation et de l'enthousiasme en échange d'un culot qui aurait déjà dû lui valoir des ennuis depuis trop longtemps.

Il adorait le répondant dont elle semblait naturellement dotée, qui ne cessait de le surprendre et de l'amuser, lui qui était si habitué aux pirouettes mielleuses des hommes et femmes qu'il avait l'habitude de croiser sur son passage. À chaque fois qu'Eli, tout arrogant qu'il était, et en quête désespérée d'une joute verbale à la hauteur de ses propres traits d'esprit, avait l'occasion d'échanger avec quelqu'un qui parvenait à le tenir en haleine et à le pousser dans ses retranchements, il ressentait cet enthousiasme et cette excitation irrépressibles qui le précipitaient dans cette frénésie presque enfantines ; comme un gamin à qui l'on viendrait d'offrir un jouet inédit et étincelant. La compagnie de Flora était stimulante, et Eli savourait chaque partie de leur échange tout en se demandant avec curiosité où leur discussion allait les mener ensuite.

Et, malgré sa capacité indéniable à le mettre à l’aise et à créer l’illusion qu’ils se connaissaient bien mieux que ce n’était le cas en réalité, elle parvenait à soulever des questions qui venaient se bousculer par dizaines dans l’esprit du Walker, qui, en dépit du plaisir qu’il prenait à partager une indéniable complicité avec la jeune femme, ignorait sur quel pied danser en sa présence. Lorsqu’il la voyait réagir, il ignorait s’il décelait dans ses réponses et ses attitudes de la timidité et de l’intimidation comme au premier jour, une pure gentillesse sans arrière-pensées, un soupçon de moquerie qu’elle ne cherchait même pas à dissimuler, un petit numéro destiné à le charmer, ou au contraire une profonde ingénuité. Il n’était en rien aidé par le fait que la plupart de ces options n’étaient pas mutuellement exclusives, ce qui compliquait davantage la tâche lorsqu’il s’agissait de sonder l’esprit de la belle Flora. Des sourires qu’elle lui adressa transparaissait une innocence dépourvue de crédibilité, mais impossible de déterminer avec certitude s’ils étaient en revanche plutôt complices ou narquois. La gentillesse qui semblait si lisible sur ses traits lui donnait envie de croire qu’il s’agissait de sourires à la bienveillance immaculée ; pourtant, la lueur malicieuse qu’il voyait briller dans ses prunelles noisette semblait plutôt suggérer la piste de la plus polie des moqueries. Eli n’avait que rarement été confronté à des signaux aussi contradictoires, et il lui était pratiquement impossible de savoir sur quel pied danser ; mais cela ne le dérangea en rien, au contraire, il renonça avec la plus grande sérénité à sa tentative de déchiffrer les intentions de l’intrigante jeune femme. Ainsi, l’héritier se contenta d’accepter gracieusement les taquineries qu’elle lui destina, loin de se formaliser des notes moqueuses qu’il crut y déceler. Il se surprit même à surenchérir, alors qu’elle lui lança une petite pique sur ses aptitudes culinaires. « Bien sûr – ça ne fait aucun doute que mes spaghettis mettraient au chômage les plus grands chefs italiens », assura-t-il pompeusement, un sourire en coin venant démentir cette odieuse affirmation.

Ce petit jeu de taquineries se vit toutefois rapidement interrompu par un incident qui vint voir se heurter les deux presque inconnus. Une collision qui démarra brutalement pour se solder de manière douce, presque tendre, alors qu'Eli apposa avec autant de vivacité que de prudence ses mains sur Flora pour l'empêcher de le heurter le plein fouet. Le contact de sa peau contre la sienne sembla brûlant malgré la tiédeur de leurs corps à tous les deux, et il eut l'impression d'assouvir une envie qu'il n'avait jamais eu conscience d'avoir en sentant la douceur de la peau de Flora sous ses doigts calleux. Ses mèches châtain vinrent chatouiller le nez d'Eli l'espace d'un instant, avant que leurs regards déboussolés ne se retrouvent, ses prunelles à lui aussi rieuses qu'exemptes de la moindre trace d'embarras tandis qu'il lui souffla une plaisanterie pour dissiper la gêne qui accompagnait naturellement ce genre de moments inattendus. Pourtant, Eli était nettement plus chamboulé que ce que laissait transparaître son imperturbable sourire, et il fut déstabilisé de sentir son cœur tambouriner avec un enthousiasme inhabituel dans sa poitrine alors qu'ils reprenaient une distance plus acceptable. Flora, elle, trahissait un émoi nettement plus perceptible auquel l'héritier ne resta pas insensible, n'en déplaise à sa contenance en apparence inébranlable. Que venaient faire ces fourmillements dans le creux de son ventre, pourquoi son cœur semblait-il s'être serré alors qu'il ne ressentait aucun chagrin ? Flora marmonna des excuses, visiblement embarrassée, auxquelles Eli répondit par un sourire rassurant et un signe de la main désinvolte pour l'inviter à ne pas s'en faire. Il avait l'air d'une telle aisance, comme si rien au monde ne pouvait l'ébranler - pourtant, lorsqu'il prit la parole pour prodiguer ses meilleurs conseils en matière de poissons, l'émoi était nettement perceptible dans sa voix profonde, dont le timbre était nettement moins assuré qu'à l'accoutumée. Non pas que ceci eût la moindre importance - visiblement, son interlocutrice n'avait même pas entendu ses balbutiements poissonniers. Il ne s'en formalisa pas ; l'interaction revêtait un tel caractère surréaliste qu'il aurait été incapable d'identifier ce qui était ou non normal dans leurs échanges, pourtant, loin de l'angoisser, ce constat fut fait avec une étonnante sérénité. Il laissa échapper un petit rire en réponse à l'attendrissante et rafraîchissante franchise dont elle fit preuve à son égard - il était rare pour Elijah de s'entendre dire qu'on ne l'avait pas écouté. « Oui, de la lotte », se contenta-t-il de répondre avec bienveillance, l'amusement venant toujours retrousser les coins de sa bouche. Et Eli de hocher la tête d'un air appréciateur lorsqu'elle déclara vouloir suivre ses conseils. « Vous ne le regretterez pas », lui assura-t-il d’un ton complice et charmeur qui ne laissa en rien deviner qu’ils étaient toujours en train de causer de poisson.

Cette conversation tout entière était un paradoxe à elle toute seule – car, quand bien même ils étaient tous deux manifestement parfaitement concentrés l’un sur l’autre et happés dans la discussion, le décalage entre son intensité et sa thématique était interpellant. Les longs regards appuyés qu’ils échangeaient tout en discutant de thon et de merlu semblaient irréels, tout comme les intonations presque langoureuses des propos qu’ils échangeaient pourtant avec une apparente légèreté. Le compliment teinté de taquinerie que lui glissa Flora fit vibrer la colonne vertébrale d’Eli sur toute sa longueur, et lui arracha un nouveau sourire dont la candeur illumina son visage tout entier. « Attention, vous risquez de vexer les vrais professionnels », lui souffla-t-il, taquin, en jetant un œil faussement inquiet aux employés qui s'affairaient derrière le comptoir sans écouter un traître mot de leurs inepties.

La conversation glissa alors vers un sujet plus sensible, qui n'entama toutefois en rien la nonchalance d'Elijah. Loin de se formaliser, il laissa échapper un rire franc, rejetant brièvement la tête en arrière avant de retrouver les prunelles teintées de curiosité de son interlocutrice. « Je vois que les nouvelles vont vite… décidément, rien ne vous échappe », glissa Eli, l'air nullement embarrassé mais se permettant une complicité qu'il n'aurait certainement pas partagée avec d'autres employés de la maison Weatherton en évoquant le sujet. Il resta toutefois évasif, s'abstenant de tout commentaire et préférant écouter poursuivre Flora. Cette dernière n'eut toutefois pas le temps de parvenir au bout de ses propos qu'il secoua légèrement la tête en l'entendant évoquer un sentiment de culpabilité. Il n'en conserva pas moins son sourire goguenard, mais ses yeux laissèrent trahir l'ombre d'une douceur bienveillante, l'attitude sans son ensemble se voulant rassurante. « Ne dites pas de bêtises. Il n'y a aucune raison de vous sentir coupable, vous n'êtes en rien responsable de mon, hum… désaccord avec monsieur Anderson », s'empressa-t-il de lui assurer, concluant volontairement sa phrase d'un euphémisme plutôt que des termes plus colorés qu'il aurait pu choisir pour qualifier le fiasco qu'avait été le rendez-vous en question, mais que son éducation lui interdisait de prononcer. Il sembla hésiter, pas plus qu'une fraction de seconde cependant, avant de reprendre la parole, sur un ton légèrement plus bas. « À vrai dire -et je pèse mes mots- vous étiez bien le seul point positif de cet après-midi là », confia-t-il, l'esquisse d'un air coupable venant habiller ses traits. Il marqua une brève pause, à l'issue de laquelle cette brèche sur sa vulnérabilité et ses émotions jalousement gardées fut à nouveau soigneusement refermée. « Au cas où ce n'était pas clair, je tiens votre imbécile de collègue pour seul responsable de ce qu'il s'est passé - ou alors, peut-être que c'était moi l'imbécile, ça reste une possibilité, même si je n'y crois pas trop », plaisanta-t-il en renonçant à la bienséance à toute épreuve qui lui avait toujours été inculquée. Son ton laissait deviner que, bien qu'il ait nuancé ses propos, il était toutefois loin de se remettre en question, tant il avait été agacé par l'entrevue avec ce styliste qui n'avait fait que le couper sans écouter un traître mot de ce qu'il avait à lui dire. « C'est vraiment dommage, d'ailleurs, que le rendez-vous ait été un tel désastre. Parce que les pièces, je les aime beaucoup - je vois mon frère se pavaner dedans, ça donne tellement bien que ça en devient agaçant. » Il n’y avait toutefois aucune trace d’agacement sur ses beaux traits, qui ne semblaient rien d’autre qu’amusés. « Bref… je pense que je regrette autant que vous que ça n’ait pas été concluant. Mais me faire engueuler par un styliste, c’est très peu pour moi – j’ai déjà toute ma famille pour ça, j’ai pas besoin d’en rajouter. »

Ce fut finalement au tour d’Eli de passer commande, et, après avoir salué chaleureusement l’employée par son prénom et avoir pris des nouvelles de ses enfants, il commanda ses précieux filets de sole avant de reporter son attention sur Flora. « Prête pour le parcours du combattant jusqu’à la caisse ? Restez derrière moi, on va se faufiler un chemin dans la foule en délire », lui glissa-t-il avec complicité, s’emparant tout naturellement de sa main avant de l’entraîner dans son sillage jusqu’au fond de l’établissement, où les attendaient leurs paquets de poisson. Et, tout maître du refoulement émotionnel qu’il était, il parvint à se convaincre sans effort que le frisson qui le parcourut à cet instant était incontestablement à attribuer à la climatisation des lieux.

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fish party

Elle est douée pour cerner les autres. du moins, c’est ce qu’elle croit. Elle parvient, dans la plupart des cas, à assurer sans détour si ses interlocuteurs la prennent au sérieux ou non : s’ils rient de son joli minois, ou s’ils voient en elle une employée sérieuse et appliquée. Mais cette étincelle significative qu’elle a l’habitude de retrouver dans le regard d’autrui ne se reflète pas celui de l’héritier, et cela suffit à la déstabiliser. Pourquoi est-il différent ? L’est-il seulement, ou est-il simplement plus doué qu’elle à ce petit jeu des apparences ? Elle est incapable de dire si de la pitié, la sympathie, l’amusement tout à fait sincère ou la politesse prend le dessus, et cela lui fait marquer un temps d’arrêt en identifiant lentement les moindres nuances de bleu dans son regard. Elle ne parvient pas à lire en lui aussi facilement qu’elle y arrive avec les hommes d’affaires de son genre, ceux qui ne sont rien d’autre que des ouvrages en lettres capitales faciles à survoler, et cette sensation d'incertitude la rend inconfortable. Elle n’arrive pas à prédire ses (ré)actions, encore moins à savoir quel comportement adopter, et si elle trouve une étrange chaleur dans la banalité de leurs échanges Flora n’a toutefois aucune certitude que la réciproque soit vraie. « Bien sûr – ça ne fait aucun doute que mes spaghettis mettraient au chômage les plus grands chefs italiens » Son sourire se plisse davantage face à sa répartie, et elle s’amuse d’un rire léger. Son assurance ne sonne pas comme supérieure, tout juste judicieusement placée pour affirmer ses dires, et cela ne fait qu’attiser sa curiosité quant à ces dits talents. et puisqu’il s’en vante au point de détrôner les maîtres italiens, Elijah mériterait de lui prouver sans plus attendre être digne d’un tel titre.

Toutefois, sans avoir le temps d’insister un peu davantage sur cette plaisanterie, elle perd l’équilibre vers l’avant et a tout juste le temps de comprendre ce qui se passe que deux mains réagissent plus vite que les siennes - Elijah ajuste son équilibre, et elle se tait brusquement au contact de sa peau contre la sienne. Sa prise est ferme mais douce, respectueuse et prévenante, et elle craint qu’elle ne s’y attarde assez pour ressentir les tremblements dont elle est brièvement saisie. Flora redresse le regard pour retrouver celui qui la surplombe, et son sourire se ourle timidement pour toute réponse à la situation. Est-il à ce point paré à toutes les éventualités pour ne jamais se défaire de son inébranlable sérénité ? Elle balbutie des excuses, se pince nerveusement les lèvres avant de chasser le regard, le parfum du brun toujours emprisonné dans ses sens et la présence de ses doigts sur son poignet s’effaçant lentement. Incapable d’assimiler correctement les réponses qu’il s’applique à lui fournir par la suite, même si elle acquiesce inconsciemment de la tête, elle est contrainte de lui demander de se répéter. et comme pour amplifier son malaise, ses joues prennent de chastes nuances rosées. « Oui, de la lotte » de la lotte. Elle note l’amusement - cette fois, elle est sûre qu’il s’agit bien de cela, dans son regard et le remercie d’un énième sourire couvert de timidité. Il avait fallu d’un coup d’épaule pour que son assurance s’effrite, et il faudrait quelques minutes supplémentaires pour qu’elle remonte à la surface. « Vous ne le regretterez pas » Elle n’en doute pas, pas une seconde.

Leur conversation se poursuit, reprenant là où elle s’est arrêtée, et la brune s’efforce de reprendre une certaine contenance. Elijah rebondit à nouveau sur l’une des bêtises qu’elle lance à voix haute pour se distraire, et une nouvelle fois elle se surprend à s’apaiser un tantinet en le regardant jeter un oeil faussement alarmé autour d’eux. « Attention, vous risquez de vexer les vrais professionnels » Les vrais professionnels travaillent et ne leur prêtent pas la moindre attention, pas que cela les préoccupe vraiment. Non, en revanche ce qui intéresse la brune est d’essayer d’en savoir plus concernant ce qui a bien pu se passer pendant le rendez-vous que l’héritier a eu avec Anderson, et l'occasion de rebondir sur le sujet est idéale en plus d’être une opportunité de ne pas laisser un quelconque malaise s’installer. « Je vois que les nouvelles vont vite… décidément, rien ne vous échappe » Trouve-t-il cela déplacé ? Elle esquisse une moue se voulant désolée, mais son regard ne retombe pas pour autant. Elle ne l’interroge pas dans un but autre que celui de comprendre pour satisfaire sa curiosité personnelle, et elle espère secrètement qu’Elijah ne transforme pas la vérité pour la rendre plus douce à ses oreilles. Qu’elle soit plus ou moins flatteuse, leur échange ne quittera pas les murs de cette poissonnerie. « Vous n’êtes pas obligé de répondre, vraiment. » précise-t-elle avec transparence, avant de le laisser poursuivre en l’écoutant avec attention. Il rejette brièvement la tête en arrière, fronçant les sourcils d’un air peu préoccupé à la mention de son sentiment de culpabilité. « Ne dites pas de bêtises. Il n'y a aucune raison de vous sentir coupable, vous n'êtes en rien responsable de mon, hum… désaccord avec monsieur Anderson » Non, elle se doute ne pas être la responsable directe de leur mésentente, mais c’est davantage au nom de la maison qu’elle s’excuse. Elle ne peut prétendre connaître le Walker, mais est certaine de pouvoir assurer qu’il ne méritait pas ce qui c’est passé cet après-midi là - pas plus qu’aucun client devrait-elle dire, mais certains poussent à faire des exceptions et elle veut bien l’entendre. « À vrai dire -et je pèse mes mots- vous étiez bien le seul point positif de cet après-midi là » À cela, un air agréablement surpris se peint sur ses traits face aux paroles qu’elle aimerait être honnêtes de son interlocuteur. L’avait-elle vraiment été, ce jour-là, l’une des personnes ayant contribué à rendre sa journée plus agréable ? Ou cherchait-il simplement à flatter son égo, aussi habile soit-il pour y parvenir ? Son sourire se fait toutefois un peu plus doux, de légères crampes commençant à raidir sa mâchoire à force de réagir à tout ce qui s’échappe des lèvres de l’héritier. « Vraiment ? Une chance que j’étais dans les parages. » souffle-t-elle sans l’interrompre, ne s’attendant pas vraiment à une réponse alors qu’il continue. Elle l’écoute avec intérêt, pendue à ses lèvres sans chercher à s’en cacher alors qu’il lui apparaît si constant dans son attitude qu’elle est certaine de ne pas le perturber le moins du monde. « Au cas où ce n'était pas clair, je tiens votre imbécile de collègue pour seul responsable de ce qu'il s'est passé - ou alors, peut-être que c'était moi l'imbécile, ça reste une possibilité, même si je n'y crois pas trop » Se comporte-t-il comme cela au quotidien ? Fait-il toujours preuve d’autant de détachement à la fois complètement hypnotisant et déroutant ? Elijah a l’air déconnecté de ce qui les entoure, comme si rien ni personne ne pouvait l’atteindre ou le perturber, comme s’il était habitué à composer avec tous les aléas de la vie quels qu’ils soient. Une bousculade, des conversations inopinées, une possible remise en question… rien ne semble pouvoir le faire sourciller, et sa façade est si impeccable que Flora se demande s’il ressent quoique ce soit derrière de tels remparts. Pas que cela ne lui donne pas envie de les escalader, bien au contraire. « Je ne pense pas non plus. En toute objectivité. » lui accorde-t-elle dans un rire complice, consciente du caractère du styliste dont ils évoquent le rendez-vous - pas qu’elle avait pu se préparer à cette éventualité malgré cela. « C'est vraiment dommage, d'ailleurs, que le rendez-vous ait été un tel désastre. Parce que les pièces, je les aime beaucoup - je vois mon frère se pavaner dedans, ça donne tellement bien que ça en devient agaçant. » Il n’y a pas la moindre trace de reproche dans ses paroles, pas non plus de jalousie ou d’envie. Simplement un fait, qu’elle peut comprendre - la maison produit des pièces de haut standing, et Channing les porte bien de ce qu’elle a pu surprendre dans des books ou sur des couvertures. De par leurs grossières similitudes, Elijah ne peut que deviner un rendu tout aussi plaisant sur sa personne. « Vous pouvez peut-être vous arrangez avec lui ? Faute de trouver un styliste aimable. » suggère-t-elle courageusement sans se défaire de son sourire, même si James lui taperait derrière la tête pour tenir de tels propos à un potentiel client. Qu’il la pardonne, elle est plus douée avec les tissus qu’avec le fait de les vendre. « Bref… je pense que je regrette autant que vous que ça n’ait pas été concluant. Mais me faire engueuler par un styliste, c’est très peu pour moi – j’ai déjà toute ma famille pour ça, j’ai pas besoin d’en rajouter. » Oh. Les courbes de ses lèvres retombent peut-être un tantinet à ce détail. Rien de flagrant, encore moins de trop désolé, mais la question lui brûle soudainement le bout de la langue. Est-il en de mauvais termes avec les siens ? A-t-elle commis une gaffe en mentionnant un possible arrangement avec Channing ? Que sous-entend t-il par là ? Poser la question serait tout à fait déplacé, elle s’en abstient par conséquent, mais prend mentalement note d’une énième question qu’elle se retient de poser au grand brun. Pourquoi veut-elle en savoir autant sur lui, d’ailleurs ? « J’entends. Ils ne sont pas tous comme ça, fort heureusement, mais c’est effectivement déplorable que vous soyez mal tombé. Je n’insisterais pas, mais si jamais je peux vous préconiser des noms. » Elle est presque mal à l’aise de faire ce sous-entendu, est tout à fait capable d’entendre qu’il ne veuille pas retenter l’expérience, mais a du mal à l’accepter pour la raison qu’il lui donne. Ce ne sont pas les pièces qui lui déplaisent, mais ce mal aimable d’Anderson.

L’instant suivant, elle passe commande puis c’est au tour d’Elijah, et elle assiste à l’échange familier entre les deux habitués des lieux sans faire le moindre commentaire. Depuis combien de temps vient-il ici pour être accueilli de la sorte ? Elle ignore si la femme derrière l’étal sait qui il est à l’exception d’être un amateur de poisson, et s’amuse d’un sourire à l’idée qu’il se plaise à se comporter incognito. Beaucoup ne le feraient pas, à sa place. « Prête pour le parcours du combattant jusqu’à la caisse ? Restez derrière moi, on va se faufiler un chemin dans la foule en délire » Il revient vers elle et s’empare de sa main avec un naturel rare, ne lui laissant pas le temps de répondre avant d’entourer ses doigts des siens et d’ouvrir une brèche au milieu des autres clients. Elle a tout juste le temps de croiser son regard, de lui donner son accord d’un mouvement de tête et de le suivre en lui faisant confiance : il sait mieux qu’elle où est située la caisse. Elle frissonne, bêtement, sous le contact de leurs doigts qui s’accrochent les uns aux autres et ose y poser son regard tandis que le brun lui tourne le dos. Elijah n’a pas des mains excessivement abîmées par le temps ou le travail, mais elles n’en demeurent pas moins davantage endurcies que les siennes plus fines et fragiles. Mais malgré les apparences, le contact est plus doux qu’elle ne l’aurait prédit, et sa prise se resserre légèrement alors qu’elle se reporte sur son dos. Lorsqu’ils atteignent la caisse, elle retrouve son regard et brandit fièrement son reçu de sa main libre. « Made it. » souffle-t-elle à voix basse avant de se défaire à contre coeur de leur contact, aussi réconfortant qu’étranger, alors que son prénom est appelé par l’homme derrière le comptoir.

Peu de temps après, leurs poissons soigneusement emballés dans les bras et un passage trouvé vers la sortie, le duo s’éloigne de la foule en continuant d’échanger. Flora a frôlé l’arrêt cardiaque à l’entente du prix annoncé par le poissonnier pour deux misérables morceaux de sole, et son coeur a définitivement sursauté lorsque le paiement a été accepté par sa carte bancaire - non, elle abuse. Portant soigneusement le sac plastique, elle s’arrête près de son vélo abandonné un peu plus tôt, et tourne son regard vers Elijah. « Le plus dur est à venir… Cinq minutes pour la cuisson, c’est ça ? » cherche-t-elle à confirmer en manquant cruellement d’assurance, son regard toujours dans le sien - elle-même se surprend à parvenir à le soutenir ainsi. « C’est vraiment mauvais quand c’est trop cuit - quel est le pire, trop ou pas assez ? » Elle est sérieuse, très sérieuse qui plus est. Mais en comprenant à quel point elle peut avoir l’air désespérée, elle se pince les lèvres pour contenir un rire. Heureusement qu’elle dessine mieux qu’elle cuisine. « Merci en tout cas. Pour- euhm, pour tout ça. Les conseils, le rattrapage. » Elle cherche ses mots un instant mais les prononce avec le sourire, sincère dans ses paroles. Elle dépose son achat dans le panier de son vélo, qu’elle décolle du mur et place près d’elle avant de se reporter sur le Walker. « et bon courage pour votre dressing. Mais je ne m’inquiète pas. » Pas qu’un sac poubelle le mettrait moins en valeur, elle en est persuadée.

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Fish Party

Eli navigua le sujet sensible qu'était son entrevue catastrophique chez Weatherton avec l'aisance qui lui était propre, répondant à Flora avec la transparence et la franchise dont il avait l'habitude de faire usage. Il faut dire qu'après autant d'années passées à dire la vérité, l'honnêteté ne lui était rien de moins qu'un réflexe, et le franc-parler ne lui coûtait plus beaucoup d'efforts. Ainsi, tout en prenant la pleine mesure du caractère parfois délicat de certaines conversations, Eli s'exprimait généralement sans détours, se servant des quelques bribes de tact dont il était doté pour parfois grossièrement arrondir les angles, mais rechignant à s'encombrer de trop de fioritures lorsqu'il savait pertinemment quelle était la finalité de ses propos.

En trente-sept ans, il avait donc largué sans sourciller de nombreuses bombes diplomatiques ; aussi paraissait-il presque évident que l'expression d'Eli ne reflète en rien l'embarras manifeste de Flora, qui semblait hésitante en abordant le sujet de Weatherton. Il ne tarda pas à en comprendre la cause, lorsqu'elle lui précisa qu'il n'était pas obligé de lui répondre. Manifestement, la belle Flora s'inquiétait du caractère peut-être trop intrusif de sa question, craignant sans doute qu'Eli ne fût l'un de ces millionnaires guindés dont la susceptibilité n'avait d'égale que l'ego. Une inquiétude infondée, bien qu'absolument compréhensible, si l'on se remémorait l'air courroucé et le ton glacial avec lesquels Elijah avait quitté prématurément le fameux rendez-vous avec ce styliste. Eli avait conscience que son assurance, omniprésente tant dans sa façon de s'exprimer que celle de prendre des décisions, sans jamais un bégaiement ni un regard en arrière, lui conférait un caractère intimidant. Si l'on y rajoutait la prestance inhérente à son nom de famille, et ce je ne sais quoi qui laissait deviner au premier coup d'œil qu'il avait grandi dans l'opulence et au sein de ce cercle très fermé que constituaient les hautes sphères de la société mondaine de Brisbane, il y avait naturellement matière à penser qu'Elijah était intrinsèquement prétentieux et condescendant. Une fois ce constat fait, il n'était pas déraisonnable de supposer que l'héritier pût s'offusquer des questions potentiellement intrusives, lui qui avait grandi dans un univers où tout n'était que bienséance et où s'entassaient les formules de politesse. Mais Eli avait toujours lui-même été doté de ce côté irrévérencieux, et, loin de raffoler des courbettes qu'il avait l'habitude de rencontrer sur son passage, trouvait au contraire rafraîchissant les interactions plus réelles auxquelles il n'avait que trop rarement droit. Sans doute était-ce l'une des raisons pour lesquelles les employés de cette poissonnerie n'étaient toujours pas au courant de son identité, au-delà de son prénom qu'il s'était empressé de leur communiquer la première fois qu'ils avaient bavardé autour des filets de morue et autres encornets. Eli s'était bien gardé de leur révéler d'où il venait et pour qui il travaillait, désireux de conserver la simplicité dans leurs rapports et ravi de retrouver un semblant de normalité lorsqu'il se retrouvait entre les quatre murs de l'établissement.

Mais Flora, elle, n'ignorait en rien qui il était et combien il était un homme important derrière son contact simple et avenant. Lors de leur première rencontre, Eli avait donc été parcouru de ce familier et désagréable pressentiment qui accompagnait la plupart des occurrences où il déclinait son identité. Ce sentiment que l'on le connaissait déjà sans pourtant rien savoir à son sujet, de voir s'inverser le rapport de forces et de se sentir étrangement vulnérable face à quelqu'un dont il ignorait absolument tout et qui disposait déjà de quantité d'informations à son sujet avant même de l'avoir rencontré. Depuis trente-sept ans, Eli était une espèce de figure publique sans jamais l'avoir voulu, et il rechignait toujours autant à conserver sa place sous le projecteur braqué sur lui aussi longtemps qu'il s'en souvienne. Il avait en horreur cette sensation salissante d'être dépossédé de son intimité, de voir chacun de ses accomplissements et faux pas scrutés à la loupe par des inconnus, chacun de ses jalons consignés scrupuleusement dans la mémoire collective. En cela, New York avait été une étape déterminante dans sa vie, une renaissance à part entière : l'opportunité de démarrer avec une ardoise vierge, certes avec le confort des multiples zéros sur son compte qui n'avait certainement pas été pour lui déplaire, mais débarrassé du poids de son nom de famille, qui outre-mer n'évoquait pas grand-chose de plus qu'un feuilleton télévisé de bas étage à l'effigie d'un cow-boy texan. Parmi d'innombrables autres raisons, celles-ci avait grandement contribué à la durée colossale de son exode sur le continent américain, et Eli avait adoré grandir en tant qu'humain à part entière, loin de l'ombre projetée par l'empire familial. Cette parenthèse avait duré près de deux décennies, perturbée par moments par l'un ou l'autre snobinard fortuné qui avait eu vent de qui était sa famille en dépit des milliers de kilomètres qui l'en séparaient, mais lui assurant globalement un calme incomparable à la vie mondaine qui avait bercé son enfance et son adolescence. Maintenant qu'il était de retour au bercail, la réalité l'avait rattrapé au pas de course, et le vécu était encore plus nauséabond que dans ses souvenirs. Ceux qui étaient aussi fortunés que lui étaient horripilants, et ceux qui l'étaient moins, horriblement mielleux. Mais pas Flora.

La jeune femme savait qui il était, certes. Et il avait été saisi de cette appréhension qui lui agrippait les entrailles, presque systématiquement, et souvent sans même qu'il ne s'en rende compte. Il avait redouté les interactions supposées insoutenables qui l'attendaient chez Weatherton - et avait partiellement eu raison en ce qui concernait ce crétin de styliste. Pourtant, sa rencontre avec Flora avait été une douce mais poignante surprise, dont le souvenir l'emplissait à ce jour encore d'un doux sentiment de félicité. La maladresse et l'intimidation qu'elle avait manifestées n'avait rien eu d'inhabituel, et Eli continuait à s'étonner du nombre de personnes chez qui il suscitait ces réactions qu'il ne s'expliquait pas. Mais Flora s'était démarquée par son authenticité, la politesse délicieusement impertinente avec laquelle elle s'était adresser à lui, là où la plupart rivalisaient de pirouettes doucereuses qu'Eli abhorrait de tout son être. Sans se départir de son professionnalisme, elle s'était permise une familiarité ingénue dont elle n'avait sans doute même pas eu conscience dans le feu de l'action. Loin des faux-semblants, elle lui avait offert cet aperçu plein de charme brut sur une personnalité qu'il brûlait de découvrir davantage. Il ne l'admettrait sans doute jamais, mais il s'était surpris à rejouer dans son esprit distrait la brève discussion qu'ils avaient partagée ce jour-là, seul chez lui, ou au milieu de réunions d'équipe si ennuyeuses que son esprit se prêtait volontiers à ce genre de vagabondages. Elle laissait deviner une complexité qu'il aurait adoré explorer jusque dans ses moindres recoins, et représentait en même temps cette simplicité à laquelle il avait eu la chance de goûter pendant sa vie à New York, et qu'il rêvait de retrouver à Brisbane, ne parvenant toutefois qu'à l'effleurer du bout des doigts lors d'occasions aussi futiles que ses visites chez le poissonnier.

Puis, progressivement, le souvenir de Flora s'était atténué, et ses incursions dans l'esprit nostalgique d'Eli faites plus rares, jusqu'à en disparaître complètement. Les réunions interminables au Walker Group s'étaient écoulées sans que des distractions viennent en perturber le morne déroulement, et la vie avait repris son cours habituel, étonnamment monotone au goût d'Eli, dont le quotidien d'héritier plein aux as apportait pourtant son lot d’événements trépidants. Il en était venu à oublier son joli sourire et sa langue bien pendue dissimulée derrière une apparente timidité. Cela n’avait fait qu’accroître le plaisir de la retrouver ici par le plus grand des hasards, et son envie brûlante de profiter de chaque seconde à ses côtés pour détailler tout ce qu’il pouvait découvrir à son sujet se fit aussi pressante que lors de leur première entrevue. Ainsi, derrière des apparences assurées et posées, Eli était captivé, et son attention était si concentrée sur cette quasi inconnue que le monde autour d’eux venait à s’évanouir.

Il se hâta ainsi de la rassurer par rapport au caractère épineux de la conversation, avant d’y enjoindre autant d’éloges de sa personne que d’insultes à l’égard d’Anderson. Et fut surpris de se sentir soulagé en voyant la réassurance sur les traits de Flora. Il ne cessa pour autant de scruter minutieusement chacune de ses réactions, la voyant passer par un moment de surprise presque sceptique avant d’évoquer la chance que constituait sa présence – était-ce une pointe de cynisme qu’il perçut dans sa voix ? Eli n’en eut pas la moindre certitude, mais dans le doute, s’empressa de la rassurer à cet égard – loin de ses habitudes, lui qui était habituellement si égocentrique qu’il en oubliait trop souvent le ressenti des autres. « Ça a été autant un plaisir qu’un honneur de faire votre connaissance, croyez-moi », lui assura-t-il sans rougir, tout en lui adressant un sourire radieux. Un sourire qui se mua en rire lorsqu’elle flatta son égo en le rassurant quant au rôle qu’il avait pu jouer dans le fiasco chez Weatherton, avant de reprendre un soupçon de sérieux en poursuivant sa réponse à la question de Flora. Un vague air surpris vint se tracer sur les traits de l’héritier lorsqu’elle suggéra un arrangement avec Channing, et Eli fronça légèrement les sourcils, non sans amusement. Un amusement qui s’accrut de manière nette lorsqu’elle se permit un commentaire au sujet du styliste « Ah, non, il se sentirait bien trop important, et c’est la dernière chose dont a besoin son égo », plaisanta-t-il, pertinemment conscient que des deux frères, celui à l’égo le plus surdimensionné n’était certainement pas le cadet. « Qui plus est, il risque d’avoir le cœur brisé en voyant que les vêtements me vont mieux qu’à lui », conclut-il avec une sobriété très peu crédible. Flora conclut le sujet par une adorable proposition, à laquelle Eli ne répondit pas, se contentant d’un simple sourire entendu et d’un léger hochement de tête qui lui signifia qu’il l’avait bien entendue.

Lorsqu’ils se tinrent à l’extérieur de la boutique, enfin libérés du carcan de la foule amassée à l’intérieur, Eli agita machinalement les doigts de la main logée le long de son corps, habité par l’impression d’y sentir encore le contact de la peau de Flora. Légèrement perturbé, il baissa brièvement le regard pour le poser sur sa main, avant de retrouver les prunelles chocolat de la jeune femme, qui s’était arrêtée près d’un vélo qu’il devina être le sien. L’anxiété palpable dans sa voix à l’évocation de la cuisson du poisson ne manqua pas d’amuser à nouveau le Walker, qui voyait arriver le drame à des kilomètres. « Mmmmh… trop, ça m’a l’air encore pire que pas assez. Mais si vous voulez être sûre de ne pas vous louper, vous l’emballez dans des papillotes avec un peu de citron, des baies de poivre rose et des tomates cerise, et vous les mettez au four. 20 minutes à 200 degrés », la conseilla-t-il nonchalamment tout en fouillant la poche de sa veste en cuir dont il extirpa victorieusement son paquet de cigarettes. Il tendit poliment le paquet à Flora, sans savoir si elle fumait également, avant de prendre une cigarette lui-même et de l’allumer. Il reporta son regard sur elle et réalisa que ce qu’il croyait être une astuce facile ne semblait en réalité rien avoir fait d’autre qu’accroître sa confusion. « Vous l’emballez dans un baluchon de papier sulfurisé, ou de l’alu », précisa-t-il gentiment, avant de conclure, sourire aux lèvres : « Il y a des milliers de tutos sur TikTok, si jamais. » Il tira longuement sur sa cigarette, détournant légèrement le visage pour en souffler la fumée ailleurs que dans les narines de Flora.

Les remerciements que cette dernière formula attirèrent un sobre hochement de tête de la part de l’héritier, comme pour lui signifier que tout le plaisir avait été pour lui. Il ne lui retourna pas les remerciements en dépit des encouragements qu’elle lui offrit, avec toute la gentillesse à laquelle elle l’avait déjà habitué. C’est qu’il était à nouveau plongé dans ses pensées, dont il s’arracha au terme de quelques instants de silence. « Flora… ce que vous m’avez proposé toute à l’heure, ça n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. » Il marqua un bref temps d’arrêt, comme hésitant. « Mais plutôt que de me référer à l’un de vos collègues – j’aimerais plutôt travailler avec vous, si ça vous intéresse. » Son regard s’habilla d’une inhabituelle douceur, presque vulnérable. « Qu’en dites-vous ? Si vous êtes libre, on peut en discuter autour d’un café – ou alors, si vous préférez prendre le temps d’y réfléchir, on peut en reparler à un autre moment, à votre convenance. »

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« Ça a été autant un plaisir qu’un honneur de faire votre connaissance, croyez-moi » Il avait une simplicité déconcertante de dire les choses. De se comporter, de sourire comme si les banalités qu’elle lui adressait étaient de loin les plus intéressantes qu’il ait jamais entendues. De la faire se sentir importante avec autant de facilité que de simplicité, tout en demeurant toujours terriblement complexe derrière ses grands cils charbonneux et son regard patient. Elle voyait en lui un curieux paradoxe, un dont elle peinait à délimiter les frontières, se surprenant tantôt à boire ses paroles sans douter une seconde de leur sincérité puis à sentir son coeur se serrer la suivante en réalisant n’être qu’une interlocutrice parmi tant d’autres à qui il devait tenir de tels discours. La réputation est importante, l’égo de ceux comme lui l’est plus encore, et sans doute cherche-t-il à se dédouaner un tant soit peu de la tension ayant pris vie au sein de la maison en voyant en elle la cible idéale pour défendre son joli minois. et il a raison, parce qu'il est terriblement doué pour l’attendrir et la mettre en confiance, et que si Flora le réalise elle ne cherche pour autant pas à l’en empêcher. Elle apprécie leurs échanges, celui qu’il se donne l’air d’être, et n’a pas de raison de vouloir le démasquer à tout prix. La brune, elle vit l’instant présent avec un certain égoïsme, sans se préoccuper de ce qu’il pourrait bien attendre d’elle - peu importe que cela soit le cas ou non, elle ne peut qu’avoir à y gagner. « Ah, non, il se sentirait bien trop important, et c’est la dernière chose dont a besoin son égo » Elle suggère un arrangement avec son frère, tâtant prudemment le terrain sans avoir de certitude sur la relation qu’ils entretiennent. Les histoires de famille incarnent très souvent un sujet sensible, elle mieux que personne peut en témoigner, et le peu qu’elle avait pu lire dans la presse concernant Channing et son aîné demeurait évasif. Elijah était de retour sur le continent depuis peu après une longue absence, et l’enchaînement avec le tragique accident du cadet avait fait couper court à toutes rumeurs concernant les deux frères, si bien qu’elle n’avait pas fouiné davantage les concernant. « Qui plus est, il risque d’avoir le cœur brisé en voyant que les vêtements me vont mieux qu’à lui » Mais à en juger par le ton plaisantin qu’il utilise et l’air léger qu’il adopte, elle ose croire que leurs rapports sont bons. et c’est tout ce qu’elle leur souhaite, s’ornant à son tour d’un sourire aussi doux qu’il est amusé - le directeur du Walker Group serait-il du genre à flatter l’égo de son frère, ou à faire une moue sceptique en le voyant dans ses vêtements ? « Loin de moi l’idée de faire un quelconque malheureux dans cette histoire, c’était une suggestion. » plaisante t-elle à son tour en renonçant à cette possibilité, quoiqu’à contre-coeur. Ils s’éloignent par la suite des amateurs de poissons, regagnant l’air libre d’une démarche légère qui semble déjà tout à fait naturelle entre eux, et la brune fait son possible pour ne pas laisser son regard s’attarder trop longtemps sur celui qui l’accompagne.

Flora n’a jamais eu de muse. Elle trouve très souvent son inspiration en regardant un coucher de soleil depuis la fenêtre de sa chambre, ou en regardant la ville illuminée depuis un étage hasardeux de Weartherton. Parfois, son regard noisette s’attarde sur une personne solitaire au café où elle travaille, ou sur une jeune femme croisée au hasard dans la rue sur le chemin du retour. Elle repense, souvent, à ces petits moments qui forgent son quotidien et trouve l’inspiration en laissant ses souvenirs remonter à la surface. Lorsqu’elle ne s’en inspire pas, ce sont sur des sons ou des musiques qu’elle jette son dévolu, les interprétant à sa façon et laissant ses mains faire le reste. Mais jamais la brune n’a regardé un homme ou une femme en songeant à faire de cette personne bien spécifique une inspiration sur le long terme, et elle mentirait en assurant que le frisson qui remonte le long de son dos à cette pensée ne l’effraie pas. Qui plus est, si elle en avait toutefois un jour envisagé la possibilité, Flora aurait parié rabattre son choix sur une demoiselle. Mais de toutes les personnalités ou apparences possibles, celle d’un héritier avoisinant le mètre quatre vingt dix ne lui avait jamais traversé l’esprit. Il avait un charme certain, certes, mais la délicatesse de son physique ne sautait pas aux yeux comme on pourrait s’y attendre pour lui associer une telle fonction. « Mmmmh… trop, ça m’a l’air encore pire que pas assez. Mais si vous voulez être sûre de ne pas vous louper, vous l’emballez dans des papillotes avec un peu de citron, des baies de poivre rose et des tomates cerise, et vous les mettez au four. 20 minutes à 200 degrés » Ses mains s’attardent sur son vélo, la brune y installant aussi ingénieusement qu’elle le peut le sachet contenant son précieux poisson, son regard retrouvant par la suite celui de Elijah. Des papillotes et du poivre rose ? Elle jurerait avoir mal entendu, mais elle est trop attentive aux mots qu’il lui adresse pour en douter. Son visage se fige malgré elle quelques secondes, mais Flora juge s’être assez douée en spectacle pour la journée sans lui demander de se répéter. « Je- D’accord, je ferais ça. J’essayerais du moins. » C’est la moindre des choses qu’elle puisse faire, essayer, même si ses chances de réussite sont moindres. Sur un malentendu, la Constantine serait prête à essayer de faire brûler leur appartement pour honorer sa promesse. Pas perturbé le moins du monde, l’héritier sort de sa poche un paquet de cigarettes pour en extirper une, lui tendant par la suite au moment où elle redresse sa main pour la secouer gentiment. Elle n’est pas vraiment surprise de le voir fumer, cela colle à son look, et il ne manquerait en réalité plus qu’une jolie moto pour clôre un tableau drôlement plaisant à l’oeil. Pas que la cylindrée soit indispensable, mais soit. « Vous l’emballez dans un baluchon de papier sulfurisé, ou de l’alu. Il y a des milliers de tutos sur TikTok, si jamais. » Elle échappe un rire doux lorsqu’il mentionne le réseau de toutes les dernières tendances, secouant la tête avec négligence en détournant brièvement le regard. Si voir une clope entre ses lèvres ne la perturbe pas, elle l’imagine en revanche très mal scroller sur son téléphone des heures durant. Pas qu’elle tire un quelconque jugement, mais elle doute qu’il ait le temps pour de telles futilités - ou même qu’elles l’intéressent dans un premier temps. Mais si vous voulez tout savoir, elle aussi se considère comme l’une de ces futilités, et pourtant. « TikTok n’est-ce pas ? » Répète-t-elle avec un soupçon de malice, peut-être même de légère moquerie. Elle acquiesce malgré cela, le remerciant d’un sourire. « Si vous apprenez dans les news qu’un appartement a pris feu à Fortitude Valley, ayez une pensée pour moi. » lui demande-t-elle sans se défaire de son sourire, enfourchant son vélo en prenant plus de temps que nécessaire, faisant s’allonger les dernières minutes en sa compagnie.

Elle ignore si elle le reverra, considère avoir déjà eu de la chance de pouvoir lui adresser une nouvelle fois la parole, mais ne va pas jusqu’à espérer réitérer les faits. La brune s’hydrate brièvement les lèvres, peut-être un brin nerveuse en faisant onduler ses doigts sur les poignées de son vélo, avant de le regarder à nouveau. Mais avant qu’elle ne puisse ouvrir la bouche et lui adresser un aurevoir, l'autre la devance, l’air soudainement sérieux. « Flora… ce que vous m’avez proposé toute à l’heure, ça n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. » Elle fronce les sourcils, brusquement incapable de se souvenir de ce qu’elle a bien pu lui proposer un peu plus tôt. Il adopte un drôle d’air, comme s’il était gêné - est-ce possible ? et elle redoute ce qu’il s’apprête à lui dire. À quoi fait-il référence ? « Mais plutôt que de me référer à l’un de vos collègues – j’aimerais plutôt travailler avec vous, si ça vous intéresse. » oh. Son visage tombe lentement sous la surprise, ses yeux parcourant les siens en ayant du mal à assimiler l’information. Elle a manqué de clarté, Elijah a entraperçu ses croquis lors de leur rencontre, et voilà que le quiproquo la met soudainement mal à l’aise. Ses lèvres légèrement entrouvertes, les yeux aussi ronds que des billes, elle le laisse poursuivre sans que le moindre son ne s’échappe de sa gorge, stupidement silencieuse. « Qu’en dites-vous ? Si vous êtes libre, on peut en discuter autour d’un café – ou alors, si vous préférez prendre le temps d’y réfléchir, on peut en reparler à un autre moment, à votre convenance. » et à ça, un rire nerveux s’échappe d’entre ses lippes en un souffle. Il est sérieux, tout à fait sincère, et elle n’a brutalement aucune idée de quoi lui répondre. Oh, elle rêverait de lui confectionner une tenue. Elle poserait volontiers son ruban sur lui, s'enfermerait dans les ateliers avec son carnet après un petit passage dans la réserve de tissus, et James pourrait bien râler pendant des semaines qu’elle ne lui prêterait pas la moindre attention. Elle aimerait beaucoup à sa requête, lui rendre justice dans une tenue sur-mesure et le voir se pavaner dans une de ses créations. Elle voudrait que cela soit possible, elle aimerait tellement. « Nous nous sommes mal compris. » répond-t-elle après une pause anormalement longue, sa voix douce entre eux alors qu’elle pose sur l’héritier un regard l’étant tout autant. « Je ne suis pas styliste, ni même couturière ou quoique ce soit - je suis la cousine de James. » avoue-t-elle timidement, pinçant ses lèvres entre elles. Elle est de la famille du directeur artistique de la maison, et même si elle se persuade d’y avoir sa place grâce à son talent, elle sait très bien qu’elle n’aurait pas même le droit d’y faire le ménage si ce n’était pas le cas. et si elle n’en a pas honte, d’être là grâce à lui, elle n’en est toutefois pas particulièrement fière non plus. « Je ne travaille pas dans les ateliers. Je suis autorisée à m’y entraîner, parce que c’est mon rêve, mais vous ne pouvez pas m’embaucher comme tel - du moins, pas pour ce que vous espérez obtenir. » explique-t-elle posément en le regardant, avant d’hausser mollement les épaules et de jouer une nouvelle fois la carte de la plaisanterie pour mieux faire passer la nouvelle - c’est elle qu’elle cherche à apaiser. « Je serais vraiment, sincèrement, honorée de vous confectionner quelque chose. Mais ce serait à titre purement expérimental, et je ne vous en voudrais pas si vous le gardiez pour la période d’Halloween. » ajoute-t-elle sans le penser. Mais son dressing sera toujours aussi vide, et elle considère cela comme un crime.

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Fish Party

Leur arrivée à l’extérieur signait tout naturellement la fin de leur échange impromptu, qui n’était finalement que le fruit d’une agréable coïncidence venant se surajouter à leur but premier à tous les deux, à savoir, celui de s’acheter de quoi manger. Pourtant, Eli n’avait pas particulièrement envie de voir leurs chemins se séparer, d’autant plus que l’air ambiant était enfin suffisamment respirable pour pouvoir décemment envisager de s’éterniser plus que nécessaire. Eli en avait souvent, de ces conversations inopinées qui se déclenchaient par la force des choses. Après tout, il était d’un naturel sociable, avait le contact facile, et appréciait sincèrement avoir l’occasion de faire connaissance avec les personnes que le hasard plaçait sur son chemin. Malgré son quotidien chargé, comme l’était celui de tous les hommes d’affaire dont il faisait désormais partie, il se refusait à deviner l’un de ceux qui couraient après le temps, pressés et anxieux à l’idée de ne pas rentabiliser chaque minute de leur journée, ou de rater le prochain de leur liste bien trop chargée de rendez-vous quotidiens. De son temps, Richard Walker avait inculqué à son fils l’importance d’accorder à chacun le temps qu’il méritait, peu importe combien l’on pouvait en réalité être pressé. C’était là une leçon qu’il avait intégrée, et continuait à observer scrupuleusement, plus de trente ans après l’avoir entendue pour la première fois. Accorder à chacun de ses interlocuteurs le temps et l’attention qu’ils méritaient, et ne jamais les laisser ressentir que son temps à leurs côtés était compté. S’il venait à paraître pressé, il le considérerait comme un échec personnel. Ainsi, ce qui initialement avait été une consigne édictée rigoureusement par son père était devenu un principe bien ancré, dans lequel Eli retrouvait d’ailleurs bien du plaisir. Il avait conscience que s’il avait passé sa vie à scruter sa montre, à l’affût de quelques précieuses secondes qu’il pouvait grapiller et rentabiliser, il serait certainement passé à côté de quantité d’expériences banales en apparence, mais riches d’apprentissage pour autant. C’était là la raison pour laquelle les employés de la poissonnerie le saluaient par son prénom et lui demandaient des nouvelles de son chat – cela pouvait paraître idiot, mais ne se serait jamais produit s’il ne leur avait pas confié un jour toujours accompagner sa commande d’une portion de hareng pour Zelda. Une portion de hareng qui était désormais systématiquement intégrée à sa commande du jour, sans même qu’il n’eût à le demander. Pour rien au monde, Eli n’aurait troqué ces petites choses du quotidien contre un gain de temps, ou de rentabilité. Il chérissait ces interactions avec les employés de la poissonnerie, tout comme il chérissait celles qu’il avait eu l’occasion de partager avec quantité de personnes dont le passage dans sa vie n’avait pourtant été qu’éphémère.

La logique voulait donc que ses échanges avec Flora rejoigne tout naturellement cette longue liste de rencontres banales en apparence, mais riches en émotions malgré tout. Pourtant, quelque chose était différent. Habituellement, Eli se contentait volontiers des quelques minutes en présence des quasi inconnus qui venaient ponctuer son quotidien, considérant ces moments comme de petits présents éphémères que lui faisait le destin, mais sans chercher à les provoquer davantage. Mais avec Flora, avait cette envie irrépressible de faire durer le temps, de trouver un moyen de prolonger leur conversation, peut-être même de jeter leurs sachets de poisson à tous les deux dans une poubelle voisine en prétextant une extrême maladresse pour avoir l’occasion de refaire un tour de manège dans la boutique qui les avait faits se rencontrer aujourd’hui. Non pas que cela fût nécessaire – il n’avait heureusement pas besoin de passer pour un fou furieux et n’avait qu’à laisser la conversation continuer à lui venir si spontanément, comme c’était le cas jusqu’à présent, sans avoir à chercher de prétexte pour prolonger la discussion.

En réponse aux conseils de préparation culinaire d’Eli, ce dernier eut droit à une moue confuse, accompagnée de quelques paroles d’approbation au ton incertain de la part de Flora, et il dut se rendre à l’évidence que ce qui lui paraissait simplissime ne l’était manifestement pas pour elle. Il laissa échapper un ricanement dénué de la moindre malveillance face à son scepticisme mal dissimulé, lui suggérant une autre piste pour l’aider à mieux comprendre ce dont il parlait, mais ne s’attira que les moqueries de Flora en retour. Visiblement, les doutes de Flora ne concernaient pas que les instructions en matière de cuisine d’Elijah, mais persistaient quant à ses connaissances relatives aux réseaux sociaux. Eli ignorait l’âge de Flora – à vue de nez, il aurait estimé leur différence d’âge à une dizaines d’années, mais à cet instant précis, il eut l’impression d’être un véritable dinosaure. Lorsqu’elle fit écho à ses propos sans chercher à dissimuler le ton moqueur dans sa voix, il prit un air faussement outré, avant de répliquer avec un sourire goguenard : « Oui, sur TikTok. On ne dirait peut-être pas, mais je ne passe pas l’intégralité de mon temps à spéculer sur le marché immobilier ou à assister à des réunions. » Flora n’avait pas besoin de le savoir, mais Eli avait constitué, par la force des algorithmes, un feed constitué essentiellement de recettes culinaires, d’ébénisterie, de fjords scandinaves et de chatons maladroits. « Si votre appartement prend feu à cause de mes conseils ratés, je m’engage personnellement à ce que le Walker Group vous fournisse un nouveau toit », assura-t-il après avoir laissé échapper un nouveau petit rire face aux propos teintés de mélodrame de la jeune femme.

Les plaisanteries cédèrent leur place à un sujet quelque peu plus sérieux, et Eli vit rapidement l’amusement quitter les traits d’une Flora manifestement déconcertée par la demande qu’il venait de lui adresser. À sa confusion succéda un air désolé, et Eli ne quitta pas Flora des yeux tandis qu’elle s’affaira à lui expliquer qu’elle n’était pas celle qu’il recherchait pour le poste. Les paroles de la Constantine ne semblèrent toutefois pas affecter l’architecte, qui ne se montra nullement désarçonné par ses précisions, continuant tranquillement de fumer sa cigarette en l’écoutant attentivement. Il attendit qu’elle ait fini de parler avant de répondre, à la fois poli et taquin : « Eh bien, Flora, moi, je n’ai pas du tout l’impression qu’on se soit mal compris. » À l’issue d’une dernière bouffée tirée sur sa cigarette, il écrasa cette dernière contre une poubelle et la jeta avant de reporter son attention sur Flora, et de poursuivre, tranquillement : « J’avais saisi que vous ne faisiez pas partie de l’équipe de stylisme – je ne pouvais évidemment pas deviner vos liens de parenté avec monsieur Weatherton, mais ça ne change pas grand-chose. » Il ne sembla en effet que peu impressionné par cette information, dont la portée sur sa proposition était tout à fait inexistante. « Si je puis me permettre, je pense que même si vous n’avez pas la bonne attribution chez Weatherton, nous pourrions collaborer, tous les deux – et bien collaborer, qui plus est. » Ses yeux s’illuminèrent d’une lueur malicieuse, comme un gamin qui s’apprêterait à commettre une bêtise avec l’assurance de ne pas être attrapé. « Je me dis qu’il faut bien que mon nom et ma fortune me servent à quelque chose – en tout cas, je suis convaincu que, après les frasques de votre collègue, Weatherton serait prêt à accéder à mes requêtes, même si elles devaient ne pas être tout à fait conventionnelles. » Le sourire en coin qu’il arbora en énonçant ces paroles laissa entrevoir de quels trésors de manipulation il était capable. Il haussa sobrement les épaules, comme s’il parlait de la pluie et du beau temps, et conclut : « Mon petit doigt me souffle que, si Weatherton obtenait de moi que je devienne leur client, ils n’iraient sûrement pas prendre le risque de me reperdre en me refusant de m’attribuer les collaborateurs avec lesquels je demanderais expressément de travailler. » Il se mordit la lèvre, les yeux rieurs, et, après avoir laissé planer quelques instants de silence, souffla : « Et puis, qui sait ? Si après réflexion, vous acceptiez ma proposition, peut-être même seront-ils si contents de vous qu’ils vous proposeront un poste auquel vous aspirez réellement, plutôt que celui que vous occupez actuellement ? » Il ponctua cette réflexion d’un bref clin d’œil, et plongea à nouveau ses yeux azur dans ceux, noisette, de Flora. « Prenez votre temps, réfléchissez-y, je ne suis pas pressé – je peux encore tenir quelques semaines de plus avec mon dressing de fortune. Je vous laisse mon numéro, et vous n’avez qu’à m’appeler si jamais vous êtes intéressée, pour que je fasse le nécessaire auprès de votre hiérarchie. » Il fouilla brièvement dans la poche intérieure de sa veste et en extirpa son portefeuille, dont il sortit une carte de visite qu’il tendit à Flora. « Il n’y a pas de pression, vraiment. Si vous n’êtes pas intéressée, je me satisferai de nos rencontres impromptues à la poissonnerie. » Son sourire s’élargit, sincère et complice. « En tout cas, j’ai été enchanté de vous recroiser, Flora. Passez une belle journée – et j’espère à bientôt. » Il lui serra la main, un chouïa plus longtemps que de raison, avant de lui adresser un dernier signe de tête et de regagner sa Mercedes.

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