Il doit être 3h du matin lorsque je trébuche sur le trottoir et que je me rattrape d’urgence au mur d’un bâtiment. La respiration haletante et la vue brouillée, je reste là, sur place, sans bouger. Je ne sais plus si c’est l’effet de l’alcool qui se mélange avec les cachets d’anxyolitique qui me font cet effet, toujours est-il que je me sens des plus minables. Je suis incapable de me tenir droit et il m’est maintenant impossible de mettre un pied devant l’autre. Arrêté là, contre le mur, mon corps refuse de m’obéir et c’est la panique qui commence tout doucement à prendre le dessus. Encore plus alors que les bruits de la rue semble se décupler et monter en intensité, me semblant soudainement assourdissant.

Un cri, un coup de klaxon, une portière qui claque, des éclats de rire et de voix. Tant de sons qui sont on ne peut plus normal dans une ville mais qui réveille une panique intense dans ma tête. Mon corps physique est toujours à Brisbane, mais mon esprit, lui, il est sur le terrain. Je ne vois plus la rue ni les voitures, mais le désert, les chars d’assauts et les avions militaires qui passent au-dessus de nos têtes. Je ne vois plus les gens qui se promènent joyeusement dans la rue, mais mes camarades qui courent en hurlant des ordres et qui zigzag entre les bombes, essayant d’éviter les tirs ennemis. Je n’entends plus les musiques qui proviennent des différents bars, mais les cris d’horreurs et de douleur des soldats tombés au combat et ceux qui essaient de les sauver.

Si mon esprit n’était pas parti au grand galop, me ramenant plusieurs mois en arrière et était resté sur place, j’aurais remarqué que ma respiration est de plus en plus laborieuse, que mes bras et mes jambes tremblent à tel point que je suis obligé de m’appuyer un peu plus contre le mur et que j’ai l’impression de suffoquer. Ou suis-je peut-être en train de me noyer, englouti par les sables mouvants ? Je n’en sais rien.

Quelqu’un me bouscule, ne faisant que décupler d’avantage ma peur irrationnelle, persuadé que c’est un ennemi qui m’a retrouvé. La meilleure défense c’est l’attaque, non ? Sans crier gare, je balance mon poing en avant, mes phalanges rencontrant la mâchoire d’un inconnu qui marchait simplement sur le trottoir en même temps que moi et qui n’avait rien demander à personne. Ce n’est que lorsqu’une violente douleur éclate au milieu de mon visage et que je trébuche en arrière, que je reviens totalement à Brisbane. Mes jambes refusant de me tenir d’avantage, je me retrouve bien rapidement au sol, le goût du sang se répartissant dans ma bouche alors que mon regard brouillé se pose sur l’homme qui, penché sur moi, vocifères des paroles que je ne comprends.

Allongé là, au sol, le goût du sang dans la bouche, je panique encore plus. D'avantage encore lorsque je me rends compte de la silhouette de l'inconnu se pencher au dessus de moi en vociférant des paroles que je ne parviens pas à comprendre. Là, je suis clairement en position d'infériorité et pourrait très mal finir. Ça va très mal finir, je le sais, je suis persuadé que c'est la fin maintenant. C'est dommage quand même, non ? De se dire qu'on ait survécu à des bombes et des tirs d'armes à feux pour finir comme un gros con dans une ruelle, battu à mort par les mains d'un inconnu.

Mais il n'en est rien. Un homme apparaît derrière le premier, lui parlant avec calme et l'obligeant doucement à se reculer et à cesser ses attaques qui étaient pourtant imminentes. Il ne faut pas plus de deux minutes pour qu'il s'en aille, me laissant maintenant seul avec le deuxième homme. Quel est son but à lui ? A-t-il neutralisé l'ennemi ? Ou est-il le bosse final ? Celui contre qui il faut obligatoirement se battre et contre qui il est impossible de gagner ? Lorsqu'il se penche vers moi, j'ai un mouvement de recul, le sang qui coule sur mon t-shirt ne faisant que décupler ma panique.

Il m'est impossible à me focaliser sur les paroles de l'inconnu et si je prends le paquet de mouchoir, ce n'est que machinalement. Tremblant, je garde le paquet en main alors que mon regard, toujours autant troublé, se pose sur celui qui se présente comme étant un certain Loukas. C'est tout ce que je parviens à comprendre dans tout ce qu'il me dit.  « Je ...» il ne semble pas méchant, il ne ressemble pas à tous ces ennemis auxquels j'ai dû faire face sur le terrain. Se pourrait-il qu'il fasse parti des gentils ?  «Je ...» que je reprends, avant que la panique ne prenne réellement dessus.

La respiration qui s'accélère en même temps que les battements de mon cœur qui tape tellement fort contre ma cage thoracique que je suis persuadé qu'il va me briser les côtes de l'intérieur, la gorge serrée et la suffocation qui va avec, l'impression que je vais mourir. Je suis tout bonnement incapable de reprendre le contrôle sur ma respiration et mes pensées ne cessent de me tourmenté, refusant de voir la réalité de la chose et me poussant à continuer à m'imaginer d'être sur le champ de bataille.  « aide … moi ...» parvenais-je toutefois à articuler entre deux respirations saccadées, les larmes venant maintenant, malgré moi, se mélanger à l'angoisse qui me tord les entrailles et m'enserre la gorge.

La panique est intense, la peur que tout s’arrête est réelle. Le monde tourne de plus en plus vite alors que je suffoque et que mes poumons décident de ne plus faire leur travail correctement. Je me sens défaillir, l’angoisse me sers les tripes, elle tord mes boyaux, elle est douloureuse. Ma gorge me brûle, mes muscles sont tétanisés et ma cage thoracique est sur le point de se briser. La voix de l’inconnu me parvient de loin, ses mots semblent se répéter telle une litanie.

Plus que ses paroles, c’est son ton qui me surprend. Il est calme, lui. Très calme. Trop calme ? Je ne saurais le dire. Mais alors s’il est aussi calme, c’est qu’il doit y avoir une raison. Ou est-il juste inconscient du danger dans lequel nous nous trouvons ? Ou est-ce moi qui débloque totalement ? Je l’entends respirer et remarque que son souffle est calme. Incapable de le comprendre, je fini toutefois par me rendre compte qu’il a mis quelque chose de dur dans ma main. Mon regard se pose sur ce bonbon au creux de ma paume, puis se relève sur le visage du jeune homme et, dans un éclair de lucidité, je l’imite lorsqu’il met le bonbon dans sa bouche.

Cette explosion de saveur sur ma langue est l’élément déclencheur, celui qui me reconnecte brusquement et totalement à nouveau à la réalité. Tandis que le goût du miel se reparti dans ma bouche et que la salive imbibée de cette douceur sucrée glisse à l’intérieur de ma gorge, je parviens enfin à reprendre le contrôle sur mes poumons. Prenant une profonde inspiration, j’expire lentement et réitère l’action jusqu’à ce que les battements de mon cœur se calment. Au bout de quelques minutes, seuls quelques tremblements dans mes membres persistent encore alors que je me redresse péniblement.

«Merci » soufflais-je d’une voix rauque. C’est tout ce que je peux dire avant que ma soirée se rappelle à moi et que je déverse le contenu de mon estomac sur le trottoir. J’ai tout juste le temps de me détourner pour éviter mon sauveur et laisse mon corps se vider sans même essayer de me retenir. Le goût acide me brûle la gorge et la bouche, cachant le goût sucré du bonbon que je n’avais même pas encore fini.

« Désolé» dis-je d’une petite voix plaintive «je … » j’attends encore quelques instants, puis, dans un soupire, je me redresse et me recule pour m’asseoir sur le trottoir, m’adossant contre le mur et m’essuie la bouche avec le dos de la main. J’attends encore quelques instants puis déglutis difficilement et reporte mon attention sur l’inconnu «Merci » que je répète à nouveau « pour…ça»