Ça faisait longtemps que Carina et elle ne s'étaient pas retrouvées pour un petit repas ou café à inventer des vies aux gens autour d'eux, et à papoter de leurs vies personnelles. Trop prises par leurs métiers, Leto ayant commencé à travailler à temps plein et Carina croulant sous les affaires criminelles. Elles avaient surtout communiqué par message, mais ça n'avait pas le charme de se retrouver face à face pour papoter, surtout que leurs horaires faisaient parfois traîner les conversations sur plusieurs jours.

Mais elles avaient enfin réussi à se caler un petit rendez-vous. Dans un petit salon de thé de la ville, que Leto ne connaissait pas vraiment, mais les photos de pâtisseries sur leur site avaient achevé de la convaincre. Elle avait hâte de les goûter, tout en discutant gentiment avec sa cousine. Elle n'avait plus qu'à vaincre le bus, et c'était définitivement la mauvaise heure pour travers Brisbane en transports en commun. Leto ne faisait que consulter sa montre, espérant ne pas être en retard, même si elle voyait l'avance qu'elle avait prévue disparaître peu à peu. Elle ne pouvait pas y faire grand chose, mais elle s'impatientait, tapant du pied par terre pour évacuer sa frustration.

Elle finit par arriver à destination, s'échappant avec soulagement du véhicule bondé. Elle s'empara de son téléphone pour trouver son chemin jusqu'au salon de thé, essayant de ne pas se perdre dans les rues de Spring Hill, qu'elle connaissait plutôt mal même si elle y travaillait. Elle traînait plutôt du côté de la mairie, et n'avait jamais pris le temps d'aller visiter le reste du quartier.

« Ah, Carina, je suis là ! » lança-t-elle en voyant qu'elle arrivait en dernier, presque en retard.

Elle laissa son téléphone glisser au fond de son sac, pour aller saluer sa cousine. Elles entrèrent ensuite dans le salon de thé, passant commande avant d'aller s'installer à une petite table tranquille.

« Comment tu vas depuis la dernière fois ? Tout se passe toujours bien au boulot ? »

Leto ne se lassait pas de poser cette question à Carina, guettant toujours ses réactions. Elle avait l'impression que sa cousine cachait quelque chose à propos de son travail, sans qu'elle n'ait jamais vraiment réussi à savoir quoi, alors elle la titillait pour en savoir plus, sans succès...

Comme d'habitude, les réponses de Carina concernant son travail était vagues et floues au possible. Si au début, Leto avait tendance à poser plus de questions, aujourd'hui elle se contenait de sourire et d'attendre que sa cousine soit prête à en parler. Elle espérait juste que Carina ne fasse rien d'illégal... Même si elle n'avait aucun moyen de le savoir vraiment, n'ayant même jamais croisé les collègues de la jeune femme.

« On a une augmentation des cas de violences familiales, au travail. A croire que Noël échauffe les esprits, ce qui est un peu en contradiction avec le fait que ce soit sensé être une fête familiale ! »

Trouver des familles d'accueil était plus compliqué à cette période, et il fallait aussi trouver des fonds pour les cadeaux de Noël des enfants en foyer - ils évitaient de ne s'appuyer que sur le maigre budget alloué par la ville, et qui ne permettait pas d'offrir plus qu'une paire de chaussettes à des enfants vivant des moments difficiles. Heureusement que Brisbane avait de nombreuses associations prêtes à aider.

« Du coup j'ai pris du retard pour mes prochaines recherches... Il va falloir que je me dépêche à envoyer mes mails avant les fêtes de fin d'année, parce que sinon j'aurai pas de réponses avant janvier, et ça va me paraître long ! »

Il allait surtout falloir qu'elle ait le courage d'ouvrir sa boîte mail, qui commençait à en compter beaucoup trop. Entre ses anciens camarades de promotion la sollicitant pour leurs propres recherches et quelques étudiants qui voulaient la demander en maître de thèse, plus tous les informations administratives... Elle peinait un peu à trouver le temps de tout faire dans ses journées.

« J'ai presque hâte de partir en vacances et de pouvoir juste... Déconnecter et ne plus avoir à penser à mes journées à rallonge » souffla-t-elle. « T'as des vacances bientôt ? Ou tu seras sur ton affaire même pour Noël ? »

Leto allait retrouver ses parents pour la première fois depuis longtemps, emmenant Holden avec elle en Grèce. Elle avait hâte de ce petit moment en famille, loin de l'agitation de Brisbane, et surtout de faire découvrir à son petit-ami les lieux de fouilles sur lesquels elle avait grandi.

Leto parlait sans doute beaucoup trop de son travail, pour que Carina ne s'étonne même plus des pics d'activité des services sociaux. Les périodes de vacances et de fêtes familiales étaient toujours les pires, entre le fait de se retrouver en famille sans travail ou école, et l'alcool qui pouvait être consommé dans ces périodes. Il y avait souvent une corrélation entre substances addictives et violence, malheureusement, un schéma qu'elle connaissait beaucoup trop bien après deux ans à traiter les dossiers accumulés sur son bureau.

« C'est gentil de ta part, mais j'ai déjà mon petit laïus tout prêt. Il faut juste que je personnalise mes mails et que je ne prenne pas sur moi le fait que personne ne me réponde, parce que ce sera Noël et que tout le monde sera occupé ailleurs que sur son ordinateur... »

Heureusement qu'elle serait elle aussi loin des écrans, et n'aurait normalement pas le temps ou l'envie d'aller vérifier ses mails. En espérant que tout se passe bien, pour leurs premières vacances de couple si loin de l'Australie, et surtout au milieu de ses parents, qui n'avaient pas beaucoup vu Holden à l'époque où ils vivaient encore à Brisbane.

« On part à la fin de la semaine... Milo regarde mes valises avec dédain, c'est terrible ! »

C'était une des vétérinaires de l'association de protection animale qui le récupérait le temps des vacances de Leto, n'ayant pas d'animaux chez elle et connaissant déjà Milo et son caractère affirmé. Leto n'avait plus qu'à espérer que le chat ne soit pas trop grognon le temps de son séjour en Grèce.

Le stress de la perspective de passer Noël entre ses parents et Holden se retrouva un peu mis en perspective par la confidence de Carina. Présenter son compagnon ou sa compagne pour la première fois était toujours un peu compliqué, mais les relations queer étaient encore plus compliquées à présenter, surtout dans des familles assez traditionnelles.

« Y aura le décalage horaire et tout, mais tu peux m'envoyer des messages si t'as besoin de parler. Ou que je te réconforten avec des paysages de la Grèce ou des photos de Milo faisant des bêtises chez sa cat-sitter ! »

Elle se sentait presque désolée de ne pas pouvoir être avec Carina à Noël, juste pour la soutenir du mieux qu'elle pourrait. Elle était toujours à portée de téléphone, mais serait à des milliers de kilomètres de là, et pas très présente.

« Mais je suis sûre que tout va bien se passer ! Tu leur as déjà un peu parlé de ce qu'il y avait entre Sarah et toi ? »

Parce que s'ils étaient toujours sur le fait que Carina et elle étaient juste colocataires, ça allait effectivement être un peu plus compliqué. Pas impossible pour autant, mais juste plus difficile à annoncer.

Leto étouffa un rire, pas persuadée que Carina savait comment mettre son portable en sourdine. Après tout, il fallait toujours qu'elle soit joignable pour son équipe super secrète, dont elle ne parlait jamais vraiment. Elle ne savait pas avec combien de personnes sa cousine travaillait, ou quelles étaient leurs particularités - qui aimait le café, ou qui répandait le plus de gossips quand ils se retrouvaient.

Mais elle, elle comptait bien profiter de ses vacances sans penser au travail. Ce n'était pas comme si elle pourrait répondre à questions, à des milliers de kilomètres de là, à visiter loin de toute borne wi-fi. Et ce n'était pas non plus comme si sa présence était indispensable à la mairie, de toute façon.

« Promis, je t'enverrais des photos des paysages tous les jours. Ou quand j'aurai du réseau, je sais pas vraiment si ce sera possible tous les jours. »

Ça dépendait un peu de ce que Holden et elle faisaient, et d'à quel point il reviendrait souvent au camp où ses parents habitaient durant les fouilles. Elle essaierait quand même d'y rentrer régulièrement, non pas pour l'accès à internet, mais pour pouvoir profiter un peu de ses parents, après ces longs mois sans les voir, à faire juste quelques facetime de temps en temps.

Et un peu aussi pour pouvoir récupérer les messages de Carina, et s'assurer que tout se passerait bien pour sa cousine. Les fêtes de famille, plus un coming-out et présenter sa petite-amie, ça faisait beaucoup de grosses choses d'un coup, et Leto sentait bien comment la jeune femme était nerveuse. A raison, puisque les parents Welch étaient plutôt traditionalistes et n'avaient déjà pas apprécié le coming out d'Andrea...

« Au pire, tu nous rejoindras en Grèce. Je pense que mes parents n'auront aucun mal à accueillir Sarah dans la famille ! »

Mais les Sinclair étaient déjà plus ouverts et tolérants, un peu plus "modernes" même. Ils ne voulaient que le bonheur de Leto, même s'ils ne comprenaient pas forcément son style de vie sédentaire ou son implication dans la communauté, eux qui avaient toujours vécu un peu en marge.

Il n'y avait qu'à espérer que les parents de Carina ne réagissent pas trop mal, surtout devant Sarah. Même si la jeune femme, elle, devait un peu savoir à quoi s'attendre, ayant sans doute déjà entendu parler de ses beaux-parents...

« Je leur en parle quand je les ai au téléphone, mais c'est pas tout à fait pareil. Du coup, ils sont contents de pouvoir le revoir ! »

Même si Leto n'allait sans doute pas échapper aux questions sur le mariage ou un éventuel bébé... Des sujets déjà compliqués à évoquer avec Holden, alors elle espérait que ses parents ne mettraient pas les pieds dans le plat.

« J'ai quand même super hâte de les voir, ça fait tellement longtemps... C'est nul qu'ils vivent si loin » souffla-t-elle, ses doigts tapotant sur sa tasse de café. « Mais j'aurai jamais pu vivre comme eux. J'aime bien rester dans une ville, et avoir mes habitudes, mes activités, tout ça. »

Petite, elle avait été jalouse du fait que Carina et Andrea aillent à l'école, elle qui n'avait que les cours par correspondance et quelques étudiants pour l'aider à comprendre les concepts qu'elle n'arrivait pas toujours à bien apprendre. Elle se sentait toujours un peu en décalage quand les gens parlaient de leurs expériences de l'école, de leurs amis d'enfance...

« On peut pas tout avoir dans la vie, de toute façon? J'aime ma vie ici, et je vais profiter de pouvoir les voir pendant ces vacances, même si ce sera trop court ! »

« Rigole tant que tu veux, mais me site de fouilles est loin de tout. Et mes parents préfèrent s'intéresser aux objets qu'ils trouvent qu'au réseau... »

Leto comprenait qu'ils soient plus intéressés par leur travail et leur raison d'être sur le site que de la puissance du signal wi-fi, mais en même temps, avoir du mal à les joindre la stressait aussi. Surtout quand ça durait des jours et des jours. Elle avait beau savoir qu'elle serait vite mise au courant si quelque chose de grave arrivait, elle attendait quand même avec impatience un appel ou un message pour la rassurer après ces jours sans le moindre contact.

« On te gardera une place dans la tente ! Comme ça tu pourras voir par toi-même les conditions rudimentaires et le réseau qui reste en edge pendant des heures ! »

Encore une raison de préférer vivre en ville selon Leto, qui s'était plutôt bien faite à la vie citadine. Elle aimait avoir tout à proximité et ne pas avoir à prendre la voiture pendant des heures pour juste faire des courses. Elle était contente d'avoir pu vivre cette vie enfant, même s'il lui manquait parfois des références dans les discussions des amis de son âge, mais elle aurait été incapable de le supporter en tant qu'adulte.

Pouvoir le faire vivre à Holden le temps de leurs vacances restait quand même un bon compromis. L'occasion de replonger dans l'atmosphère des sites de fouilles, et dans ses souvenirs d'enfance, tout en sachant qu'elle retournerait bien vite à son train-train quotidien.

« C'est sûr que d'avoir le privilège de voir pour la première fois des objets enfouis depuis des siècles, ça donne envie. Mais ça a ses inconvénients. Comme vivre loin de sa famille, ou travailler toujous à quatre pattes ! »

Ces derniers mois, toutes ses conversations téléphoniques avec ses parents finissaient immanquablement sur leurs problèmes de dos. Forcément, après des décennies à travailler dans des positions inconfortables, leurs corps leur faisaient payer. Mais ça ne les empêchait pas de continuer, toujours aussi passionnés - et Leto écoutait toujours leurs histoires d'une oreille, en souriant parce que certaines choses ne changeaient jamais.

« Bien sûr que je leur donnerai de tes nouvelles. Tu voudras leur dire toi-même pour Sarah ? »

Les parents de Leto suivraient sans doute l'histoire avec attention, son père serait même capable d'appeler les parents de Carina s'il n'appréciait pas leur réaction envers la petite-amie de sa nièce. Mais ce n'était pas à Leto de tout dire, quand bien même elle était persuadée que ses parents réagiraient bien. Mais elle préférait d'abord demander l'accord de sa cousine, puisqu'il s'agissait de sa vie.

« J'ai pas encore eu le temps d'aller au marché de Noël, même si tous ceux qui y ont été m'en ont dit du bien » avoua-t-elle, tout en finissant son café. « Mais il va bien falloir que j'y aille, pour finir mes cadeaux ! J'espère pouvoir y trouver quelques idées... »

Elle avait fait les cadeaux de ceux qu'elle connaissait bien - ses parents, Holden, ses cousines... Mais certains amis ou la collègue qu'elle avait tirée au sort pour le secret santa du bureau lui offraient un peu plus de difficultés.

« T'y es allée, toi ? Ça doit être un endroit sympa pour Nana, plein de stimulus. Et d'enfants voulant la caresser ! »

Si le bénévolat au refuge lui avait appris une chose, c'était bien qu'aucun enfant ne résistait à la vue d'un animal, voulant glisser leurs doigts dans les fourrures toutes douces. En promenant les chiens abandonnés, elle avait donc appris à choisir ses balades et leurs horaires selon les possibilités de croiser des enfants - et selon les caractères des chiens. Un choix qu'elle faisait généralement approuver par un autre bénévole, parce qu'elle était plus proche des félins et préférait éviter une erreur quand elle était avec les chiens.

« J'espère pouvoir tout finir avant de partir en Grèce, et en même temps je me dis que je vais trouver des trucs là-bas et du coup j'ai du mal à chercher ici. Bref, c'est le bordel ! »

L'idée de retour à l'état sauvage fit grimacer Leto. Elle était trop habituée au confort des grosses agglomérations, avec leur réseau impeccable et de quoi recharger son téléphone portable dès qu'elle en avait besoin. Retourner chez ses parents était plaisant, perdre tout contact avec le monde extérieur l'était beaucoup moins. Enfin, ce n'était que quelques jours, à une période où la plupart des gens étaient dans leur famille, et généralement un peu éloignés de leurs téléphones...

« Il fera une quinzaine de degrés, donc on ira peut-être pas bronzer sur la plage. Mais c'est idéal pour les randos ! On n'aura pas froid en marchant ! »

Leto n'était pas une grande adepte du lézardage sur la plage de toute façon. Même à Brisbane, quand elle rejoignait l'océan, c'était pour surfer et s'élancer sur les vagues, mais jamais pour juste se poser en maillot sous le soleil. Elle aimait le mouvement, et sans être une grande sportive, elle était plutôt du genre à marcher et randonner qu'à rester assise.

« Prends pas mes parents pour de vieux croûtons. Ils ont à peine cinquante-cing ans. Mais clairement, ils se voient pas à la retraite dans cinq ou dix ans. Ils ont arrêter de fouiller, pour attendre que leurs étudiants sortent les ossements et les objets afin de les étudier. Rester des heures à genoux, ça commençait à être compliqué. »

Enfin, c'était ce qu'ils lui racontaient. Elle était presque sûre que ça leur arrivait toujours de sauter dans les carrés de fouilles et de travailler un peu dans la terre, quitte à finir la journée avec le dos bloqué. Ils aimaient trop ça pour laisser tout le plaisir du métier aux jeunes chercheurs.

Ceci dit, il était prévu qu'ils passent un peu de temps tous les quatre, ce qui laisseraient un peu de répit à ses parents, loin des fouilles et plus à visiter la ville et ses alentours. De quoi rattraper un peu tout ce temps passé à des milliers de kilomètres les uns des autres. Et pour une fois, Leto n'aurait pas à mentir sur la situation de Carina, puisque sa cousine venait de lui donner l'autorisation de parler de Sarah. Jusqu'ici, elle s'était surtout contentée de dire que sa cousine allait bien, et qu'elle ne comprenait rien à son métier mais que tout semblait bien se passer, ce qui était en soit la vérité. Mais elle allait tester les eaux concernant la relation amoureuse de Carina, tout en sachant pertinemment que ses parents seraient juste ravis que leur nièce soit heureuse en amour.

Avant de partir pour la Grèce, il lui fallait encore finir ses cadeaux de Noël. Une mission pas toujours facile à ses yeux, puisqu'elle peinait à trouver le cadeau parfait qui soit dans son budget. Elle espérait que le marché de Noël puisse aider, même si elle n'avait pas encore eu l'occasion d'y aller.

« Oh, en parlant de nourriture, faut que je vois si je peux en amener en Grèce ou pas. Je suis sûre que ça leur fera plaisir si je leur ramène quelques trucs locaux ! »

Les gâteaux qu'ils adoraient les quelques années où ils avaient vécu ensemble à Brisbane, quand Leto était entrée à l'université, par exemple. Elle savait que c'était compliqué d'emmener à manger aux Etats-Unis, mais n'avait pas encore eu le temps de regarder les restrictions grecques.

Le marche de Noël avait plu à Carina, mais apparemment moins à Nana. Il fallait dire que le lieu devait rassembler pas mal de monde, et c'était toujours compliqué pour la petite chienne de se retrouver avec autant d'inconnus autour d'elle.

« Elle a fait de beaux progrès déjà ! J'espère que les gens ont su se retenir de se précipiter vers elle et vous ont demandé à vous avant de la caresser ? »

Leto n'avait pas beaucoup d'espoir de ce côté-là. Pour être bénévole dans un refuge animalier, elle voyait bien que les gens s'approchaient facilement des chiens, surtout ceux qu'ils trouvaient mignons, pour commencer à les caresser. Sans poser de questions. Et apprenaient à leurs enfants la même chose. La plupart des bénévoles promenaient donc les plus craintifs en forêt ou à l'extérieur de la ville, dans des endroits plus déserts, pour leur apprendre à être déjà à l'aise avec la personne tenant la laisse, sans être en plus perturbés par d'autres passants.

« Les gens sont tellement surpris à l'asso, quand on leur explique l'histoire de certains animaux, ou les peurs qu'ils peuvent avoir... »

Ils expliquaient aussi comment gérer l'animal en question et proposaient même des cours avec un éducateur canin, pour que l'adoption se passe au mieux. Mais certains humains avaient du mal à comprendre que les chiens ou les chats pouvaient avoir des traumatismes. A l'instar de Milo, que Leto avait en famille d'accueil, et qui était un chat refusant de vivre avec ses congénères et tolérant à peine les autres humains.

« Clairement oui, ça enlève du plaisir... Du coup, je suis sûre qu'ils restent pas loin et surveillent tous les gestes des étudiants pour être sûre qu'ils fassent tout bien. Et ça doit être grave stressants pour eux ! »

Leto savait que ses parents étaient des bons professeurs, toujours ravis de pouvoir partager un peu de leur métier-passion. Elle avait grandi avec eux sur les sites de fouilles, après tout, et était particulièrement calée en histoire antique et médiévale sans jamais avoir eu besoin d'ouvrir des livres. Mais elle ne doutait pas qu'ils étaient plus exigeants en tant que professeurs qu'en tant que parents, et qu'ils devaient d'autant plus l'être maintenant que leurs corps les limitaient un peu.

Sa présence sur les lieux allait peut-être leur faire oublier un peu les fouilles, au moins quelques jours. Holden et elle avaient prévu pas mal de visites, autant des sites touristiques incontournables que des endroits qu'elle voulait lui montrer parce qu'ils lui tenaient à cœur. Mais le but était aussi de passer un peu de temps avec ses parents !

L'occasion de se détendre loin des mille et une choses qu'elle avait à faire à Brisbane, et de prendre le temps de se faire chouchouter par ses parents, ce qui lui manquait qu'elle ne serait capable de l'avouer à voix haute. Même si ceux qui allaient le plus lui manquer seraient sans doute les petites boules de poils du refuge. Elle y allait plusieurs fois par semaine après tout, et ça allait lui faire bizarre de rater ce rendez-vous pendant quelques temps.

« Clairement, beaucoup ont du mal à comprendre que ce sont des animaux, mais qu'ils sont aussi capables d'être traumatisé ou de se méfier après avoir été trahi. Ils ont bonne mémoire, et savent combien les humains ne sont pas toujours une bonne chose... Tu verrais certaines familles arriver et presque attraper les animaux pour les mettre dans les bras de leurs enfants, ça te rendrait folle ! »

Heureusement que les animaux encore traumatisés étaient gardés à part, loin des passages de potentiels adoptants, justement pour éviter qu'un être humain non formé n'essaye de les toucher. Certains animaux pouvaient rester longtemps méfiants - ou comme Milo, se méfier de la plupart, à la grande frustration d'Andrea, qui détestait le voir de loin alors qu'il adorait se blottir contre Leto.

« Le plus frustrant, c'est de les voir venir au refuge comme s'ils faisaient une bonne action, tout en demandant une race précise, ou en considérant que c'est un objet de décoration »

Leto avait du mal à supporter les comportements de certains. Surtout ceux qui pensaient que les bénévoles seraient à leurs pieds, prêts à se débarrasser de leurs animaux à n'importe quel prix. Certes, le refuge était souvent à flux tendu, et ils avaient parfois du mal à faire adopter tous leurs locataires, mais pour autant, tous les bénévoles étaient formés à savoir cerner les familles afin de pouvoir leur attribuer l'animal le plus adapté. Ou pas d'animal du tout, face à certains comportements.

« Mais visiblement vous étiez les parfaites mamans pour Nana ! Elle a l'air bien plus détendue, et bien plus heureuse ! »

C'était toujours un plaisir de voir un animal évoluer de cette manière-là, passer d'une petite chose toute terrorisé à une boule d'énergie pleine d'allant.

Bizarrement, Leto n'avait aucun mal à imaginer sa cousine stressée de devoir déléguer quoi que ce soit. Carina aimait tout contrôler du début à la fin, une attitude que la brunette comprenait plutôt bien. Elle avait appris à déléguer, notamment au refuge, parce qu'on ne pouvait pas tout faire pour tous les animaux, mais ça avait été difficile pour elle de se relâcher et d'avoir confiance dans le travail des autres.

Le fait qu'elle soit famille d'accueil pour les chats lui permettait cependant une certaine autonomie de son côté. Elle s'occupait de Milo toute seule, donnant juste quelques nouvelles de temps en temps à l'association - il était de toute façon non adoptable, de part son âge, et son caractère très particulier.

« On manque de moyens, mais sinon on fait de notre mieux pour accueillir tout le monde. On arrive quand même à avoir un certain équilibre entre les entrants et les sortants. »

Surtout que malheureusement, ils avaient de gros abandons aux mêmes périodes chaque année et prévoyaient donc des journées portes-ouvertes les semaines suivantes, le temps d'évaluer les animaux et leurs caractères. Les plus sauvages ou agressifs restaient en quarantaine pour être pris en charge par des équipes formées, tandis que les autres étaient vite mis dans la liste des candidats à l'adoption.

« On est formé à poser des questions pour voir ce que les gens recherchent avec un animal, et comment ils comptent s'en occuper. Et juste savoir comment est leur foyer, s'ils ont des enfants ou pas, pour leur donner l'animal le plus adapté. Et ça nous arrive de refuser... »

C'était toujours malheureux de devoir refuser d'éventuels adoptants, mais il valait mieux dire non que de confier un animal pour qu'il soit triste ou mal traité, ou bien qu'il soit renvoyé au refuge dans les semaines suivantes.

« Mais si nous on refuse, on sait que certains refuges sont moins regardants. Et les éleveurs le sont encore moins. Tant que tu payes le prix qu'ils donnent, ils s'en fichent de qui achètent. »

Et c'est ainsi que les refuges de la ville se retrouvaient avec des flopées d'animaux de race, abandonnés parce qu'ils avaient grandi, n'étaient plus de mignons petits chatons ou chiots, et surtout étaient incontrôlables parce que les propriétaires n'avaient pas pris le temps de les éduquer ou avaient pensé pouvoir les laisser seuls des heures durant.

« Y a pas de solution idéale, à part sensibiliser à l'adoption, et essayer de changer l'image des animaux de refuge. Trop de gens pensent qu'on a juste des animaux agressifs, alors que pas du tout ! »

Et ceux qui l'étaient avaient généralement de bonnes raisons de l'être, montrant ainsi leurs angoisses, ou le fait qu'ils avaient déjà été frappés par des êtres humains.

« Mais on ne peut pas vraiment changer le monde, même si on fait du mieux qu'on peut à notre échelle » souffla-t-elle, avant de finir son café. « Et c'est un plaisir de voir que ça marche, Nana est toute heureuse avec vous ! »