Debout derrière le comptoir, adossé contre le mur les bras croisés, j'écoute attentivement les directives du responsable. Celui-ci nous fournit les dernières explications concernant le déroulement de la soirée de Noël organisée pour les familles démunies de Brisbane, les sans-abris ou tout simplement ceux qui n'ont personne et qui aurait passé le réveillon seul chez eux. Chaque année, à cette période, je mets un point d'honneur pour aider une association, autant financièrement qu'en donnant de ma propre personne. Et même si c'est éreintant physiquement, être en contact avec ces gens et leur offrir un peu de répit et de bienveillance l'espace d'une soirée est quelque chose d'extrêmement gratifiant.

Cette année, c'est chez Homeless connect que je décide d'intervenir. Et même si ce n'est pas la première fois que je distribue des repas, je reste quand même attentif à tout ce que Paul nous explique. J'ai pas mal aidé à financer cette soirée et j'ai mis un point d'honneur à ce qu'ils servent un repas de qualité, si bien que je suis pas mal heureux d'apprendre quel genre de menu, les cuisiniers ont préparé. Et je suis encore plus heureux lorsque Paul me présente à celle qui sera ma binôme de la soirée. Lorsque je sers la main de Deborah en lui offrant un sourire sincère, j'avoue ne pas être totalement insensible au charme qu'elle dégage. Ses cheveux sont coiffés en un chignon flou, ses habits sont parfaitement en accord avec la soirée et son maquillage est discret et naturel.

« Enchanté Déborah Brody » dis-je en lui serrant la main « J'espère que t'as étais plus attentive que moi pendant les explications de Paul. Il parle tellement doucement que j'ai eu du mal à le comprendre au niveau acoustique » je laisse échapper un rire puis lance un coup d'œil vers la montre « Enfin bon, les gens ne vont pas tarder à arriver. On pourrait déjà commencer à préparer les assiettes de l'entrée pour avoir un peu d'avance ?» proposais-je en désignant la table derrière laquelle les repas seront servis.

Rentrer en Irlande pour les fêtes ? Elle y avait pensé pendant quelques jours mais l’évidence lui avait sauté au visage. Elle était encore trop fragile pour faire face à sa famille. Elle aurait été obligée de leur mentir et elle ne voulait pas en arriver là. Elle avait donc servi une belle excuse en promettant de se rattraper. Ne se voyant pas non plus squatter la table des Smith, elle avait opté pour venir en aide aux autres. Si pendant un instant, elle s’était dit que ça allait renforcer la belle image que Camil attendait d’elle, le plaisir de le faire prenait largement le dessus. Elle vivait pour ça, elle trouvait son propre bonheur dans celui des autres. Elle se sentait utile en plus de trouver là le moyen de ne pas rester seule. Lier l’utile à l’agréable, quoi de mieux ?

Attentive aux paroles du responsable, c’était la première fois qu’elle s’apprêtait à servir un repas dans ce contexte – plus habituée à faire partie des rondes en camion. Le sérieux et la hâte se mêlaient étroitement dans les traits de son visage souriant, dans la pogne qu’elle serrait avec enthousiasme. « Enchantée également Andrew Livingstone. » l’imitait-elle dans sa façon de s’accueillir. Son visage ne lui était naturellement pas inconnu. Le monde des mondanités australiennes était bien petit et quand bien même ils n’avaient jamais eu l’occasion de se croiser, les célébrités du pays d’Oz étaient connues de tous. « T’en fais pas, je te dirais si tu fais une bêtise. » disait-elle dans un rire dissimulant une légère gêne. Il ne fallait pas se leurrer, il était plus charmant encore que sur les photos qu’elle avait pu croiser et plus impressionnant encore.

Ça l’arrangeait bien qu’il mette l’accent sur le repas. « Excellente idée. » Cela lui permettait de détourner le regard vers la table désignée, de quoi dissimuler le léger rose de ses joues. Sans attendre, elle faisait quelques mètres pour aller se laver les mains avant d’enfiler une charlotte et des gants de cuisine. Les bénéficiaires de ce repas allaient avoir le choix en termes d’entrée : un velouté de butternut aux châtaignes grillées ou une assiette de fruits de mer, plus traditionnelle pour un Noël Australien. Une chance pour Deborah que ses inconforts olfactifs liés à sa grossesse nerveuse avaient disparus. « Je te propose qu’on commence avec le velouté, il y a moins de risque de contaminer par l’odeur comme ça. » Rien de pire que l’arrière-goût de fruits de mer sur un aliment qu’on manipule ensuite.

La mise en place fût rapide sans même qu’ils n’aient besoin de détailler ce que chacun allait faire. Il mettait le velouté dans les bols, elle déposait le concassé de châtaignes avant de déposer sur les plateaux. L’idée était d’en faire une petite trentaine avant de passer aux fruits de mer et ainsi de suite. Mais en attendant, la curiosité de Deborah s’exprimait, comme trop très souvent. « Qu’est-ce qui t’a poussé à venir ici ce soir ? C’est dans tes habitudes ? Tu vas vite comprendre que je suis très curieuse mais tu n’es pas obligé de me répondre bien sûr. » rassurait-elle, emprise par les souvenirs d’un échange où elle s’était sentie dans l’obligation. Rien d’agréable.

@Andrew Livingstone

Lorsque Déborah m'annonce, dans un rire, qu'elle me dira si je fais une bêtise, j'espère quelque part que ses paroles ne sont pas des paroles en l'air et qu'elle n'hésiteras pas à m'interpeller malgré tout. Car je l'ai bien remarqué cette petite gêne dans son sourire et son regard, preuve indéniable qu'elle m'a reconnu. Même si elle fait tout pour me faire croire qu'elle ne me voit pas autrement qu'un simple humain, j'ose espérer que c'est bel et bien le cas. Alors, lorsqu'elle se dirige vers la table, je la suis instantanément et, couvre mes cheveux avec une charlotte et enfile des gants «J'attends vraiment le moment où les stylistes influeront les charlottes à leurs créations de mode » dis-je avec humour avant de retourner vers la table où Deborah prend les choses en main.

Ne voyant rien à redire à sa façon de gérer la chose, je m'exécute et commence à remplir quelques assiettes de veloutés. Tandis que nous commençons à trouver notre rythme, la jeune femme me demande pourquoi je suis ici et si c'est dans mes habitudes, précisant en même temps qu'elle est extrêmement curieuse et que je ne suis pas obligé de lui répondre si je ne le souhaite pas. « Oh, ne t'inquiète pas pour ça, si jamais tu te montres trop intrusive, je te le ferais déjà savoir» la sincérité est la forme de respect la plus pure voilà l'adage avec lequel je vis depuis plusieurs années maintenant «Mais oui, chaque année, je choisis une association à laquelle donné de mon temps à cette période-là » expliquais-je « Je me suis aussi engagé en mars en tant que bénévole à l'année dans une association » je lance un coup d'œil à Deborah « Run for Judy, tu connais ? Elle a été créée par Jackson Mills et Joy Petterson à l'hôpital de Brisbane et ... bref, ce n'est pas important» reprenais-je en faisant un signe de la main « Tout cela pour dire oui, c'est dans mes habitudes d'aider les autres » je souris doucement « Et cette année pour Noël, j'ai donc décidé de faire un don financier à Homeless connect et d'aider physiquement aussi » je dépose la louche dans le réchaud « Et toi ? Ça t'arrive souvent ?» demandais-je en attrapant une autre assiette que je garni de crustacés et autres fruits de mer.

Un rire nasal se faisait entendre lorsqu’il lui parlait des designs des charlottes pour les cheveux. Il était vrai qu’elle ne connaissait personne à qui ce genre d’accessoire d’hygiène allait bien, que ce soit dans la forme ou au teint d’ailleurs. « Il y a peut-être un filon à exploiter pour toi. Créer ne t’a jamais tenté ? » demandait-elle, curieuse, comme toujours. Par cette question, elle soulignait qu’elle l’avait en effet reconnu et qu’elle le connaissait comme étant au moins égérie de certaines marques. Elle ignorait s’il s’était déjà aventuré dans la création ou s’il avait déjà exposé un avis pour un design d’une marque dont il était le visage.

Le désir de Deborah de ne pas être trop intrusive venait des problèmes que cela avait engendré dans les années précédentes. Aujourd’hui, elle avait pris l’habitude de préciser à ses interlocuteurs n’étaient en rien obligés de répondre si elle se montrait trop intrusive. Elle était donc ravie qu’il lui assure qu’elle ne l’était pas et qu’il saurait lui faire comprendre si elle l’était trop. Plus qu’à souhaiter qu’il le fasse réellement de son côté. Si son regard n’était pas posé sur lui – trop occupée à répartir le concassé de châtaignes – son oreille était tendue aux explications de son compagnon de bénévolat. « C’est admirable . » lui disait-elle sincèrement lorsqu’il avouait s’engager tous les ans. Les célébrités, locales ou non, n’avaient pas tous cette gentillesse et le temps de le faire alors forcément, il gagnait en sympathie.

Et puis le nom de l’association résonnait à ses oreilles. Sa grimace était intérieure. Même si Jackson et elle avaient plus ou moins remis les choses à plat – au moins histoire de passer de la haine à l’indifférence - il n’empêchait pas que l’association était malheureusement reliée à de mauvais souvenirs quoi qu’elle puisse faire. « Oui je connais. Je passe souvent par l’hôpital alors forcément, j’en ai entendu parler. C’est chouette ce qu’ils font. » Et ce n’était pas faux puisqu’elle passait en effet à l’hôpital pour voir enfants et personnes âgées seules, elle en avait forcément entendu parler quand bien même sa connaissance de l’association était bien antérieure, avant même qu’elle n’ait ce statut, n’étant qu’une simple idée dans l’esprit de Jackson à l’époque.

« Tu m’aurais posé la question il y a quelques années, je t’aurais répondu non. Et puis l’image, la stratégie, tu sais ce que c’est, j’imagine. Mon compagnon est dans la politique alors on observe ce que la dame de Monsieur fait. J’ai commencé à fréquenter les associations dans ce cadre et puis finalement, j’ai fini par y prendre goût, je me suis sentie utile pour une fois alors j’ai continué et je pense que je continuerai pendant longtemps tant que mon temps libre me le permet. » Et autant dire qu’avec sa santé mentale encore fragile d’où découlait son incapacité à travailler pour le moment, elle avait tout le temps du monde à consacrer sa vie aux autres pour mieux y trouver un sens à la sienne et entrer dans une boucle positive pour s’en sortir. « Tu préfères quel type d’association du coup ? Plutôt tournée vers l’humains, les animaux ou carrément autre chose ? »

@Andrew Livingstone

Je laisse échapper un rire amusé lorsque Deborah me demande si créer ne m’avait jamais intéressé. « Clairement, non » secouais-je la tête « Entre nous, si je devais choisir une autre branche du mannequinat, ce serait photographe. Les caméras et tout ça m’ont toujours bien plus intéressées que tout ce qui est stylisme et créateur de vêtements » je hausse les épaules « rien à voir, mais j’ai ouvert dernièrement ma propre boîte de production et je vais donc pouvoir aider à la production de mon prochain film» expliquais-je «C’est un pas dans la bonne direction, car mon plus grand souhaite c’est d’un jour pouvoir réaliser mon propre film »

Tandis que nous parlons, nous commençons à remplir les différentes assiettes avant que la conversation ne dévie sur autre chose et que Deborah ne me demande si j’ai l’habitude de donner de mon temps à des associations. Je lui parle évidemment de RFJ qui est l’association à qui je donne le plus de mon temps et c’est sans grande surprise que je me rends compte qu’elle la connaît elle aussi. D’ailleurs, elle m’explique rapidement que, de plus en plus, elle s’intéresse aux différentes associations et ce surtout depuis que son compagnon est dans la politique. Ainsi donc, c’est une certaine image qu’elle se doit de refléter, même si, au final, elle y prit goût. « En vrai, c’est vraiment chouette de venir en aide aux plus démunis » hochais-je la tête « ça aide réellement et ça te remplis toi-même de gratitude » du moins est-ce là mon propre ressentis.

« J’ai toujours été plus porté sur l’humain en général, surtout en ce qui concerne le handicap » répondais-je « Etant moi-même en situation d’handicap depuis mon amputation il y a 5 ans, j’ai, depuis, à cœur de pouvoir aider ceux qui sont dans le même cas » expliquais-je « ça fait au moins trois ans voire quatre que je me bats pour essayer de faire changer l’image du handicap par la société » je souris doucement « j’ai déjà gagné quelques batailles, mais c’est un combat de tous les jours et ce n’est pas gagné » haussais-je les épaules « Et toi ? Plus humains ou animals ? »