@PENELOPEIA HARRISON & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ Isn't it fun losing your mind, Bending underneath that pressure. Here what it's like pieces of life, Pieces of mind. (c) fuckyeahadele&harley. 

Parce qu’il avait eu le malheur de prononcer le prénom d’Autumn dans une conversation avec Fiona, son amie s’était aussitôt mise en alerte à l’idée que l’ancien couple puisse avoir initié un rapprochement. Et dans tout ça, l’erreur qu’identifie Kieran est bien d’avoir admis, par inadvertance, qu’il voit à nouveau son ex-fiancée et non pas le fait de justement se rapprocher d’elle alors que leur relation s’est terminée dans les cris et la violence. Fiona, elle, se veut bien plus raisonnable concernant la situation, et passé une habituelle morale qui entre par une oreille pour ressortir par l’autre, elle a vite compris qu’elle ne pourrait pas résonner Kieran de cette façon. Elle avait été aux premières loges pour ramasser le dessinateur à la petite cuillère quand il était revenu à Brisbane après avoir largué Autumn par lettre – ce qui n’est pas son plus beau fait d’arme, il en convient – et s’il lui avait fallu du temps, Fiona avait finalement compris les raisons de leur rupture, et le comportement toujours plus toxique d’Autumn qui avait poussé Kieran jusqu’à ses retranchements. Il s’était sorti de cette relation non sans difficultés et après plus d’un an à tenter de réapprendre à vivre par lui-même et à retrouver une place qu’il avait perdu auprès de ses proches, le voilà qui commet les mêmes erreurs en retombant sous le charme de celle qui a la première femme qu’il a aimée, et celle auprès de laquelle il pensait finir sa vie. Et malgré des faits évidents, autant de l’impact de la jeune femme sur son bonheur et sa confiance en lui que toutes les choses qu’il s’est interdit sur la fin de cette relation, Kieran ne semble pas prendre la pleine mesure de l’ascendant que son ex-fiancée a toujours sur lui et semble reprendre, peu importe si Fiona lui fait la liste de toutes les raisons pour lesquelles il a décidé de sortir de cette relation il y a deux ans.

Alors puisque ses leçons ne servent à rien, Fiona s’est décidée à employer la manière forte. Autant consciente que la raison principale derrière sa faiblesse s’explique par sa volonté de se sentir aimé que son incapacité à oublier son ex, elle ne lui a guère laissé le choix quand elle a débarqué chez lui pour lui annoncer son plan. Un plan qui n’est pas particulièrement élaboré, mais qui, selon elle, devrait néanmoins marcher. Kieran a manqué d’attention quand son amie a expliqué le cheminement jusqu’à cette finalité qui, elle, a bien été enregistrée de sa part tant elle est terrifiante : il va devoir se rendre à un blind date. Et si l’on pourrait croire que sa volonté a néanmoins son mot à dire dans toute cette histoire, c’est mal connaître Kieran que de croire qu’il pourrait s’opposer à sa meilleure amie et prendre ainsi le risque de la décevoir. Les envies des autres ont toujours primées sur les siennes et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle. Ce que veut Fiona, Fiona l’obtiendra, peu importe comment lui se sent face à tout ceci. Qu’on se le dise ; Kieran s’est déjà essayé aux rencontres hasardeuses, qu’elles soient arrangées par ses amis ou dues à une application et dans les deux cas, on ne peut pas dire que la situation lui ait réellement été favorable. Il y a une raison pour laquelle Autumn a été sa première copine et ce, à l’âge déjà avancé de vingt-cinq ans : ses capacités en matière de drague sont inexistantes – ou terrifiantes, ça dépend du point de vue. Autant dire qu’il n’a que très peu d’espoir quant à l’idée de se rendre à ce rendez-vous, sur lequel plane aussi l’ombre d’un objectif qui n’est pas anodin : celui de tenter d’oublier son ex en faisant de nouvelles rencontres. Si Fiona se veut optimiste quant à la perspective que son plan fonctionne (que ce soit avec cette Pene ou avec une autre puisqu’elle l’a déjà avertie qu’elle ne s’arrêterait pas à cet échec s’il devait avoir lieu), Kieran lui, présage déjà une longue soirée d’humiliation.

Et il ne pensait pas si bien dire. Vêtu d’un jeans sombre et d’une chemise bleue pétrole, arrivé en avance – c’est suffisamment rare pour être signalé – devant le bar où Fiona a organisé la rencontre, son regard recherche n’importe quelle fille qui pourrait coller à la description physique fournie par son amie. Blonde, les yeux bleus, souvent maquillée d’un trait d’eyeliner, une légère fossette au menton. Autant dire que la description peut coller à un nombre incalculable de filles qu’il croise dans la rue ; mais il a bon espoir que la clientèle dans ce bar soit suffisamment diversifiée pour que l’une d’entre elle l’interpelle. Et c’est le cas. Mais ce n’est pas pour son beauté – il tuerait plutôt que d’admettre qu’elle a du charme – mais pour l’air familier qu’il lui reconnaît quand elle s’approche. Pene. Penelopeia. Un rire nerveux s’échappe d’entre ses lèvres, quand il prend conscience qu’il y a une certaine poisse qui ne cesse de le suivre ; et évidemment que son rencard à l’aveugle ne pouvait pas se dérouler en toute quiétude. Et s’il n’a d’ordinaire pas l’esprit revanchard, le fait est qu’il se doute bien qu’une reine des abeilles comme elle n’a probablement aucun souvenir du roi des blaireaux qu’il était ; il pourrait presque vouloir s’en amuser. « Hé ! Pene, c’est ça ? » Qu’il prétend s’hasarder avec un sourire maîtrisé – et dans le fond, il a envie de lui faire comprendre qu’elle n’a pas eu suffisamment d’importance pour qu’il se souvienne d’elle, quand bien même c’est un mensonge.

Un instant, il est tenté de faire demi-tour. De prétendre auprès de Fiona qu’il s’est trompé d’endroit, ou alors pour s’assurer d’éviter la moindre question, mettre la faute à un mal de ventre carabiné qui l’a empêché de quitter son appartement. Il jouera à l’innocent, à celui qui s’en veut d’avoir loupé une telle opportunité, se fera pardonner en quémandant le numéro de téléphone de ladite Pene pour lui envoyer un message d’excuse et lui proposer un nouvel essai. Il l’obtiendra et se fera violence pour ne pas lui adresser un texto assassin qui vaudra pour toutes les fois où il n’a pas osé réagir, avant de jeter son numéro aux oubliettes et de convaincre Fiona que c’est bien son amie qui n’a jamais répondu à ses sollicitations. Il n’est pas fourbe de nature, Kieran, mais il l’est devenu avec les années, alors qu’il a pris conscience que c’est une façon de survivre comme une autre. Il ne peut plus se cacher derrière sa jeunesse et son innocence pour échapper aux situations qui le dépassent, pas plus qu’il n’a trouvé le courage nécessaire de le dire lorsque les choses ne vont pas comme il le souhaiterait ; alors il fait avec ce qu’il a et il a un talent certain pour le mensonge. Il peut, en partie, remercier Penelopeia et ses amis pour ceci, alors qu’il fallait bien trouver des subterfuges pour ne jamais croiser leurs routes ou faire attention à chaque parole qui pourrait être retournée contre lui. Puis il y a eu les autres, ceux qui étaient pires, ceux qui rendaient sa scolarité véritablement infernale et face auxquels les mensonges sont devenus une deuxième nature pour tenir le coup et s’inventer une vie plus agréable qu’elle ne l’était réellement. Le temps est passé et Kieran ne s’est pas raisonné pour autant, alors que ses impostures sont devenues de plus en plus nombreuses. À la tête de son propre commerce, marié avec un enfant en route, un prix pour sa dévotion aux plus démunis, les versions changent en fonction de son interlocuteur du moment qu’elles peuvent mettre une lumière sur lui qu’il n’a jamais en temps normal.

À quelques pas de Penelopeia, il s’interroge un instant sur la version qui lui ferait regretter son comportement ou, du moins, saurait lui donner l’impression qu’il a évolué alors que ce n’est pas vraiment le cas. Pour ceci, il faudrait encore qu’elle se souvienne de lui et il se doute bien qu’il ne lui a pas laissé un souvenir aussi impérissable qu’elle ne l’a fait de son côté. Pour toutes ces raisons, Kieran finit par abandonner l’idée de lui fausser compagnie et finit par aller à sa rencontre, sans réellement savoir quel  est le plan ; à vrai dire il est parfaitement convaincu qu’il peut lui faire passer la pire soirée de sa vie sans qu’elle ne puisse mettre une identité sur ce ridicule bonhomme qu’elle va détester durant quelques heures. Pas croyable. Mais comme bien souvent avec Kieran, ses intuitions sont erronées et ses bonnes idées se transforment en désastre. Salut ! Oui, c’est bien ça. Pene. Kieran ? Putain, je suis vraiment étonnée pour le coup. Je m’attendais à un paquet de monde, mais tu es bien la dernière personne à laquelle… Merde. Réfléchis, réfléchis, réfléchis. Il n’a pas imaginé ce cas de figure alors qu’il lui paraissait évident qu’elle ne pourrait se souvenir de lui ; après tout, Penelopeia ne doit même pas se souvenir de ses amis du collège compte tenu du nombre de personnes qui gravitaient autour d’elle. Alors, les types comme lui... Attends, c’est bien toi ? Pour le … Il force un sourire face à son geste, tentant de gagner du temps. enfin tu vois… Oui, malheureusement. « Le blind date, oui. Ou le piège organisé, ça dépend du point de vue. » Son rire nerveux trahit le malaise qui est désormais le sien. Je suis impolie. Assis-toi, je t'en prie. Il a surtout envie de fuir en courant, mais puisque le barman semble prêt à prendre sa commande, il prend place en demandant une bière – qui sera bue suffisamment vite pour traduire de son véritable état d’esprit. Réfléchis, réfléchis, réfléchis. Il panique de plus en plus à mesure qu’il ne sait comment appréhender cette rencontre. Et comme trop souvent avec Kieran, l’idée qui lui passe par la tête est certainement la plus foireuse de toutes. « Pour le reste, je t’avoue que si tu as vu juste sur mon identité, j’ai plus de peine à te situer... Désolé. » Qu’il avoue, mimant un certain malaise pour mieux faire passer son mensonge. « Tu aurais préféré quelqu’un d’autre ? » Il demande, remerciant en passant le barman qui dépose une bière devant lui avant qu’il ne reporte son attention sur Penelopeia. « J’espère que tu es pas trop déçue. » Oh si elle ne l’est pas encore, il compte bien faire en sorte qu’elle le devienne.

@Penelopeia Harrison