I'm waiting for the time

feat Lucy Cavanagh

Connor avait le cœur qui battait bien trop vite. Il avait l’impression qu’à chaque pulsation, une dose d’adrénaline était projetée dans ses veines. Aussi discrètement qu’il le pouvait, il essaya régulièrement de deviner les personnes qui pouvaient l’entourer ou le suivre, à la recherche de visages suspects. C’était une précaution inutile, il en avait bien conscience. Cependant, il n’arrivait pas à faire autrement, la confidentialité de sa venue ici était un enjeu capital pour lui. Il n’avait pas revêtu son costume habituel pour l’occasion mais s’était contenté d’un chino et d’une chemise légère. Malgré la finesse du tissu, il sentit tout de même la transpiration perler dans son dos en réaction à sa marche et surtout à son état de nerfs. Lorsqu’il vit la porte de l’hôtel non loin, il accéléra un peu plus le pas et s’engouffra dans l’établissement comme si le diable était à ses trousses. Une fois dans le hall, il fit un signe de tête pour saluer le portier qui le reconnu instantanément, puis continua sa marche, bien plus serein, en direction du petit salon. Connor avait choisi cet hôtel car il savait qu’il était extrêmement sélectif. Il était presque impossible d’y accéder sans être attendu. Il ramena une main dans la poche de son pantalon, reprenant de sa contenance, non sans jeter un dernier regard derrière lui comme pour vérifier qu’on ne le suivait pas. Il traversa le « grand salon » comme on l’appelait, qui pouvait s’apparenter au bar de l’hôtel, avant d’être invité par une hôtesse à le suivre afin d’accéder à un couloir menant à plusieurs petites pièces de part et d’autre de celui-ci. Elle lui ouvrit une porte menant à un petit salon cossu, dont l’une des parois était une grande baie vitrée donnant sur un jardin intérieur zen. Avant qu’elle ne referme la porte derrière lui, il se permit de lui commander deux cafés. Commande peu habituelle au vu de sa consommation de ces derniers temps mais Connor voulait être en plein contrôle de ses capacités pour cette entrevue.
Une fois que la porte se fut refermée, il put souffler un grand coup et déposer la pochette qu’il tenait à la main sur la table d’appoint. Il se passa une main dans ses cheveux et posa son regard quelques secondes sur le jardin devant lui. Il tenta par la même occasion de calmer sa respiration et son rythme cardiaque. Ce n’était décidément pas une vie.

Il savait qu’il était suivi. Il n’avait pour autant aucune preuve que c’était bien le cas pour le moment. Cependant, depuis qu’il avait découvert quelques semaines auparavant que son ex-fiancée l’était, photo à l’appui, il ne voyait pas pourquoi lui ne le serait pas également. Malheureusement pour Connor, il commençait tout juste à avoir des pièces du puzzle en main mais était incapable de trouver une cohérence entre elles, mise à part ce qui semblait être leur point commun : son père. Ces pièces se trouvaient pour la plupart dans cette pochette qu’il avait déposée plus tôt et il nourrissait beaucoup d’espoirs dans le rendez-vous d’aujourd’hui pour l’aider à éclaircir tout ça.

Il finit par se décider à s’asseoir sur l’un des fauteuils de la pièce, face à la porte, et sorti son téléphone de sa poche. Il était arrivé en avance mais ne pouvait s’empêcher de redouter que la personne ne vienne pas. Connor avait eu beaucoup de mal à la contacter, ce qui était plutôt un gage de qualité pour un détective privé. Le pire était sans doute qu’il n’aurait jamais dû avoir accès à ses coordonnées. Mais il semblait que la chance fut de son côté cette fois-ci.

Quelques jours plus tôt, alors qu’il se remettait d’une énième gueule de bois, Connor croisa son miroir et eut comme un choc. Il était dans un état déplorable. Quelle était la prochaine étape ? James lui avait interdit de remettre les pieds dans les locaux de la société tant qu’il ne s’était pas repris. Il n’y avait désormais plus rien qui le retenait de se laisser dépérir. Le plus frustrant était certainement que c’était exactement ce qu’on attendait de lui : qu’il fasse défaut et que son père reprenne les rênes de la compagnie. C’était une perspective agréable dans un sens. Abandonner tout ça, laisser les personnes qui en avaient les capacités gérer tous ces secrets, ces complots et ces machinations qui n’en finissaient jamais. Mais plutôt que de lui donner envie de baisser les bras, cette constatation le galvauda. Il était donc le dernier rempart, le caillou dans leurs chaussures. Il savait que tous les soutiens de son prédécesseur feraient en sorte de l’écraser s’il tentait ne serait-ce que de continuer à ne pas se ranger de leur côté. Le visage qui se reflétait devant lui en était la preuve. Tant d’autres personnes avaient déjà souffert à cause de Logan Myers, et lui se complaisait dans son marasme.
Sa colère reflua ainsi de nouveau, plus intense encore que celle qu’il avait éprouvé le jour où il avait appris que Claire était suivie par les services de son père, plus violente que celle qu’il avait ressenti lorsqu’il avait compris que ce dernier s’était opposé à leur mariage pour cette raison, et définitivement plus destructrice que quand il comprit que l’état de sa mère était dû à toutes ces voies de conséquence. Il se fit intérieurement la promesse qu’il ne se laisserait plus jamais manipuler de la sorte. Il ne savait absolument pas où cela allait le mener, mais ce n’était même pas le plus important à ses yeux. Il voulait simplement tenir son père en joug, le dominer et lui faire ressentir ce qu’il imposait aux autres depuis trop longtemps : la peur d’être écrasé.
Cette prise de conscience n’apaisa pas son mal être mais eu le mérite de le sortir de sa léthargie et de le mettre en action. C’est ainsi que commença ses recherches pour trouver la personne à l’origine du scandale qui lui avait permis d’arriver à la tête de la compagnie. Celle qui avait réussi à démanteler un secret qui avait ébranlé le clan Myers.

Perdu dans ses pensées, Connor sursauta en entendant quelqu’un toquer à la porte. Il se releva machinalement pour accueillir la personne attendue. Il resta un temps désappointé, sous le coup de la surprise, en voyant une femme entrer. Lors de leurs échanges écrits, il avait visualisé un stéréotype : quelqu’un de bien plus âgé, cigare au bec et surtout, un homme. Il se reprit rapidement en se rendant compte qu’il pourrait la vexer et tenta un sourire poli en sa direction. Il s’essuya rapidement la main sur son pantalon, s’apercevant qu’elles devaient être moites sous le coup du stress et s’approcha pour la tendre dans sa direction.

- Connor Myers, enchanté. Et… Merci d’être venue.

C’était un remerciement sincère. Il avait envisagé de nombreuses fois qu’elle ne vienne pas à ce rendez-vous et était à présent soulagé qu’elle lui ait laissé sa chance. Il fit un pas en arrière pour l’inviter à rentrer et s’asseoir.

@Lucy Cavanagh

Cela n’aurait jamais dû arriver. Ce sont les mots qui tournent en boucle dans l’esprit de la brunette dans le taxi qui la conduit jusqu’à l’hôtel luxueux dans lequel Connor Myers lui a donné rendez-vous.
Il y a quelques temps, Lucy avait été engagée pour faire tomber son père, Logan Myers, et la brunette avait réussi à rapporter à son client un scandale qui avait été volontairement éventé. Logan était corrompu, et Logan avait été remplacé à la tête de l’entreprise par son fils. Sa mission avait été un succès, et pourtant … Avait-elle commis une erreur quelque part ? Avait-elle laissé des traces de son passage sur différents serveurs ? N’avait-elle pas été assez discrète lorsqu’elle avait sollicité des témoins ? Son ancien client l’avait-il vendu ? Chaque enquête devait pourtant rester secrète. Son identité ne devait pas être révélée, ni celle du mandant. Personne ne devait même savoir qu’un détective privé avait été missionné pour enquêter. Tout devait rester secret. Il en allait de sa réputation.
Et pourtant … Cela n’aurait jamais dû arriver, mais c’est arrivé. Son identité a fuité, et Lucy ne connait pas encore les conséquences de cette indiscrétion. C’est cependant la raison qui l’a incité à accepter cette rencontre avec Connor Myers. Il est le fils de la cible. Il fait partie du clan ennemi, celui qui devait être décimé. Elle ne devrait pas lui parler, sans aucun doute. Mais la curiosité est trop forte, et le besoin de comprendre ce qui a échoué, et à quel moment.
Le taxi arrive bien trop vite devant l’hôtel et un employé vient ouvrir la porte du véhicule pour permettre à Lucy d’en sortir. La brunette n’est pas accoutumée à tant de luxe, mais elle a l’habitude de s’adapter à toutes les situations. Elle donne donc le change, plaque sur son visage un sourire poli et se laisse guider dans le hall de l’hôtel où on l’interroge immédiatement sur les raisons de sa venue.

« J’ai rendez-vous avec Connor Myers. »

Elle chuchote presque, et est à deux doigts de se gifler intérieurement : toute cette histoire est en train de la rendre parano. Depuis qu’elle sait que sa cible connait son identité et le rôle qu’elle a joué dans sa chute, elle ne cesse de s’interroger, et est devenue carrément méfiante. Une jolie hôtesse d’accueil lui sourit.

« Monsieur Myers est arrivé, je vais vous conduire dans le petit salon qu’il a réservé. »

Lucy répond poliment à son sourire puis la suit à travers l’hôtel, ses talons résonnant entre les murs de l’établissement. Les battements de son cœur s’accélèrent alors que la rencontre devient imminente, et l’enquêtrice pense un instant à faire marche arrière. Si ce rendez-vous a pour objet de devenir un exutoire, si Lucy finit par devenir celle sur qui le fils passera ses nerfs pour avoir précipité la chute du père, alors elle s’en ira. Bien trop vite, l’hôtesse lui montre la porte du petit salon et s’apprête à frapper, lorsque l’enquêtrice la retient.

« Attendez. »

Sa voix trahit son affolement, et elle se force à sourire.

« C’est gentil, je vais le faire. »

Lucy aimerait que la jeune femme s’en aille, mais celle-ci doit certainement attendre qu’elle pénètre dans la salle dans laquelle elle est attendue. Alors, non sans honte, la brunette coince sans petite pochette entre ses cuisses pour pouvoir essuyer ses paumes moites sur sa robe fourreau bleue roi. Finalement, elle récupère sa pochette et frappe fermement à la porte avant d’entrer. Immédiatement, Connor se lève pour l’accueillir, mais semble marquer un coup d’arrêt. La jeune femme le détaille, perplexe : c’est pourtant lui qui a organisé ce rendez-vous. Est-ce qu’il ne s’attendait pas à ce qu’elle vienne ? Ou bien s’attendait-il à quelqu’un de plus âgé ? Ou remarque-t-il tout simplement qu’elle est légèrement trop habillée, par rapport à lui, pour un rendez-vous de milieu d’après-midi ?

« Bonjour. »

Il se reprend cependant rapidement, s’essuie les mains sur son pantalon alors que Lucy tente de réprimer un sourire : était-il aussi stressé qu’elle ? Finalement, il lui tend une main qu’elle serre fermement, un moyen de s’affirmer.

« Connors Myers, enchanté. Et … Merci d’être venue. »

Elle esquisse un sourire poli avant de se présenter.

« Lucy Cavanagh. »

Puis elle s’installe sur un des fauteuils qu’il lui désigne. Elle coince sa pochette entre elle et l’accoudoir, croise les jambes, puis reporte son regard bleuté sur l’héritier, qu’elle dévisage peut-être un peu trop longtemps.

« Monsieur Myers, je vais être parfaitement claire avec vous : je ne suis pas venue ici pour vous servir de punching-ball verbal et pour entendre tous les noms d’oiseaux qui passeraient par votre esprit parce que j’ai déstabilisé votre famille. »

Son regard est froid, son visage fermé, et son ton, sans appel. Il ne trahit en rien ses hésitations et son stress. Des années de pratique, à devoir cacher son jeu, constamment.

« Si tel est l’objet de ce rendez-vous, épargnons-nous à tous les deux de perdre un temps précieux. »

Elle hésite un instant avant de poursuivre : elle n’a pas envie de devoir supporter des insultes, et préfèrerait partir de suite. Mais elle n’oublie pas ce qui l’a poussé à venir : la curiosité, l’envie de savoir comment il a pu savoir que c’était elle.

« Je voudrais simplement savoir comment vous avez su … Comment avez-vous qu’un détective avait été impliqué, et comment êtes-vous remonté jusqu’à moi ? »

Cela ne devait plus jamais se reproduire.

Connor laissa la jeune femme s’installer sur le fauteuil et prit place à son tour dans celui se trouvant juste en face, tout en continuant à la détailler, comme pour réconcilier l’idée qu’il s’était faite du détective et l’image qu’il avait en face de lui. « Lucy Cavanagh » hum ? Ce nom ne lui disait à priori rien. Quelques mois auparavant, l’équipe de son père avait bien tenté de faire des recherches sur son compte. Il ne s’était pas posé la question à l’époque mais se doutait désormais, aux vues de leurs méthodes douteuses, qu’ils avaient cherché à la trouver afin de l’intimider. Des réunions informelles avaient été organisées à cette occasion et ce nom n’était jamais ressorti. Elle ne devait certainement pas travailler depuis longtemps dans le milieu. Tout du moins, Connor se fit la réflexion que son apparence laissait penser qu’elle était bien trop jeune pour avoir une très longue carrière derrière elle. Ce n’était pourtant pas un petit poisson qu’elle avait réussi à dénicher. Il espérait que cela induisait beaucoup de talent, et non pas beaucoup de chance, comme lui en obtenant son contact.

Mais les apparences sont parfois trompeuses. Connor en avait bien conscience et savait être le digne représentant de cet adage. Il n’avait pourtant pas anticipé les risques de quiproquos évidents qui pouvaient se présenter lorsqu’il avait demandé cette entrevue. Trop concentré sur le fait de réussir à rencontrer la détective, il n’avait pas même pensé qu’elle pourrait redouter des représailles.
Connor se détachait peu à peu des intérêts de son clan, sans même en avoir conscience. S’il avait eu son contact seulement un an auparavant, il aurait certainement réagi en bon chien de meute comme elle l’attendait. En revanche, à ce moment-là, ce qu’il allait entendre le surpris beaucoup trop :

- Monsieur Myers, je vais être parfaitement claire avec vous : je ne suis pas venue ici pour vous servir de punching-ball verbal et pour entendre tous les noms d’oiseaux qui passeraient par votre esprit parce que j’ai déstabilisé votre famille. Si tel est l’objet de ce rendez-vous, épargnons-nous à tous les deux de perdre un temps précieux.

Le chef d’entreprise ne laissa tout d’abord aucune expression trahir sa surprise, restant impassible devant la diatribe. En réalité, il tentait alors de remettre peu à peu les pièces du puzzle.
« Servir de punching-ball » ? Le brun avait tellement réfléchi à la manière dont il pouvait la convaincre de l’aider qu’il lui apparaissait parfaitement saugrenue qu’il puisse avoir un comportement agressif à son encontre. Un sourire se dessina progressivement sur son visage, sans qu’il le veuille, devant l’absurdité de la situation. Quelle ironie ! Quel idiot surtout… A trop écouter la voix de la revanche, il en avait oublié que ses intérêts personnels étaient en contradiction avec sa démarche, tout du moins à la base.
Il se redressa tout de même, tentant de mordre sa joue pour cacher le rire nerveux qui manquait de le prendre, en l’écoutant continuer :

- Je voudrais simplement savoir comment vous avez su … Comment avez-vous qu’un détective avait été impliqué, et comment êtes-vous remonté jusqu’à moi ?

Il passa une main devant sa bouche, pour reprendre définitivement une expression plus neutre. Quiproquo ou pas, sa dernière question restait parfaitement pertinente. Il prit le temps de peser ses mots, la regardant fixement pour finalement soupirer.
- D’abord j’aimerais éclaircir un point important : je ne suis pas ici pour vous reprocher votre enquête sur mon père.

Il se sentit tout à coup nerveux, se redressant finalement à nouveau pour poser ses coudes sur ses genoux, s’inclinant vers elle pour encrer son regard dans le sien.

- Je souhaiterais au contraire que vous alliez plus loin.

Il avala sa salive avec difficulté, sentant sa bouche aussi sèche que le désert.

- Je voudrais être tout à fait transparent avec vous, j’ai eu beaucoup de chance et je n’ai personne à vous balancer. Honnêtement. – il laissa un temps, sachant pertinemment que cette affirmation serait remise en question – je suis allé voir le journal qui devait publier l’article sur Myers prospecting. L’un des journalistes est un ami à moi et malgré ça, il ne m’a pas donné le nom de leur source. Je sais pas si c’est lui qui a fait des recherches, ou si quelqu’un nous a écouté, mais j’ai reçu quelques heures après sur mon téléphone vos coordonnées. Je suis presque certain qu’il n’avait pas accès à cette information. Je pense que c’est du côté de vos employeurs que vous devriez regarder. Quels qu’ils soient, je pense que c’est d’eux que vient la fuite… Je ne vois que ça.

Connor n’avait définitivement pas l’habitude d’adopter ce genre de position. Où était passé le golden boy, l’héritier, celui qui arrivait toujours en terrain conquis quand il entrait dans une pièce ? Sans le soutien de sa fortune et des siens, il était finalement bien pathétique.
Il continua de la fixer, cherchant son regard, comme pour y déceler ses pensées.
Il tourna les paumes de ses mains vers elle, en signe d’ouverture et de bonne foi.

- Je ne chercherais pas à vous cacher quoi que ce soit. Est-ce que dans ces conditions, vous voudrez bien écouter ma requête ?

@Lucy Cavanagh