Décembre 2022 Il n'y a pas un bruit dans l'appartement si ce n'est celui du four micro-ondes et du maïs à pop-corn qui éclate dans la boîte en carton. Je suis devenu ce type qui compte les jours avant que son petit frère ne revienne de son mini camp de vacances. Dust aussi semble s'ennuyer sans lui, puisqu'il a élu domicile près de la porte d'entrée et n'a pas l'air de vouloir en bouger. J'extirpe mon téléphone portable de la poche de mon jogging en coton et compose le numéro de Maggie, la responsable du centre asperger.  "Bonjour, c'est Angus. Est-ce que je pourrais parler à Samuel ?" Elle doit certainement me prendre pour un demeuré, ça doit même pas faire cinq heures qu'il est arrivé à Byron Bay que je suis déjà en train de la déranger. "Hey, alors comment c'est ?" Question idiote, puisque c'est toujours la même destination depuis trois ans maintenant. Rien de nouveau à l'horizon, donc. Pourtant je me surprend à être beaucoup plus inquiet que la première fois qu'il y est allé. J'essaye de faire abstraction de tous les incidents qui pourraient se produire et de me rassurer en me disant qu'en cas d'urgence, il me faudrait moins de deux heures pour aller le retrouver. Malgré tout, il m'arrive de plus en plus d'être pris d'une angoisse qui se manifeste sans crier gare; une oppression qui, le temps d'un instant, altère mes pensées jusqu'à finir par être persuadé que quelque chose de mal est sur le point de lui arriver. Mon attention se reporte sur le son de sa voix. Je l'écoute m'énumérer le nombre de loriquet qu'il a aperçu tout au long de son trajet puis me parler de ses deux camarades de chambrée. Luis et Peter, rien de surprenant non plus l'entièreté du programme a été conçu à l'avance afin que les enfants puissent s'y préparer. "N'oublie pas de te tartiner de crème solaire avant ton cours de surf de demain matin." Je dis en bloquant le téléphone contre mon épaule pour sortir la boite de pop-corn du micro ondes. Je l'entends souffler à l'autre bout du combiné et je fais de même en prenant soin de bien coller ma bouche contre le micro du téléphone ce qui lui arrache un rire. La voix de Maggie se mêle à la sienne alors que je l'écoute gratter quelques minutes supplémentaires. "Bon, file manger ! Je te rappelle demain soir." Il râle avant de raccrocher me laissant seul avec un silence que j'ai beaucoup de mal à supporter.

J'allume la télé et me pose sur le canapé pour m'octroyer une séance ciné improvisée. Fut un temps, j'aurais profité de ce temps libre pour passer la soirée au Twelve ou bosser tard sur des dossiers. Aujourd'hui, je n'ai plus de dossiers à potasser, ni de fausse petite amie à emmerder. Je fuis le cinéma comme la peste ce qui ne veut pas pour autant dire que je dois arrêter d'agrémenter ma culture cinématographique. Maisie n'est plus là pour me conseiller, mais il me reste Netflix. Je tape "mode" dans la barre de recherche avant de cliquer sur le premier film que l'application peut bien me proposer. Quoi de mieux qu'un petit tête à tête avec Anne Hathaway et Meryl Streep pour terminer la journée ? J'appuie sur play puis me penche vers la table basse pour prendre de quoi noter. J'en suis presque à la moitié du film quand quelqu'un se met à marteler ma porte à grands coup de poing et m'oblige à devoir mettre sur pause. Je fais le mort pendant quelques minutes avant de me lever quand Dust se met à aboyer. Mon chien n'a rien de dangereux, mais il lui arrive de grogner par moment. Surtout lorsque quelqu'un s'amuse à vouloir défoncer ma porte. Je fais rapidement le tour des gens qui pourraient être assez cons pour : 1) Se pointer chez moi sans y avoir été invité. 2) Prendre le risque de faire peur à un gamin de dix ans. 3) Avoir envie d'énerver un mec dont la taille dépasse les 1m90. Même en étant bourré, Dinis ne viendrait jamais taper avec autant d'insistance à la porte de mon appartement. En revanche, ce serait bien le style des services sociaux ou de la police. « Désolé de te décevoir, j'suis pas là pour toi. » Et de Seth, aussi. Je suis presque soulagé de tomber sur lui. Dans la famille Moriarty, c'est la fille que j'aurais aimé voir. Néanmoins, je préfère sa présence à celle d'un membre des forces de l'ordre. "J'ai filé mon dernier billet pour le calendrier des pompiers. Je suis pas intéressé par celui des taulards, désolé." Je crache avant de lui refermer la porte au nez. Ça fait quoi ? Cinq mois que j'ai pas vu sa gueule ? Je dois bien admettre qu'il a des couilles. C'est qu'il en faut pour venir frapper à ma porte après m'avoir mis dans la merde jusqu'au cou. Je pourrais en profiter pour me venger et lui défoncer la gueule. Histoire de lui faire regretter d'avoir été relâché mais je vaux mieux que lui. En fait, c'est faux. La seule chose qui me pousse à ne pas lui sauter dessus c'est la police, j'ai pas envie d'avoir des problèmes pour un mec qui n'en vaut pas la peine. Et parce que je le connais assez pour savoir qu'il n'est pas du genre à lâcher l'affaire, j'ouvre à nouveau la porte pour l'écouter parler, répondre à ses questions et ne plus jamais avoir à lui reparler.  « Elle est là Maisie ? Et avant que tu me dises qu'elle veut pas me voir, j'crois qu'elle est capable de venir me le dire elle-même. » - "T'arrives trop tard." Parce qu'elle n'est plus là, Maisie. Ceci dit, ça doit faire un moment qu'il n'a pas dû avoir de ses nouvelles s'il pense encore qu'elle habite ici. "Ce qui n'aurait jamais été le cas si tu t'étais contenté de rentrer chez toi cette nuit là. Mais non, il fallait à tout prix que tu te faufiles dans l'enceinte de la MHI pour voler un de leurs bijoux parce qu'en plus d'être un putain de cleptomane, t'es aussi un connard qui ne pense qu'à sa gueule. " Je n'ai pas démissionné à cause de lui. C'est son délit qui m'a poussé vers la sortie, mais j'aurais tout de même fini par quitter l'entreprise un jour ou l'autre. "Maisie n'habite plus ici." Par contre, c'est entièrement sa faute si sa sœur s'en est allée et c'est en grande partie pour cette raison que j'ai envie de lui refaire le portrait; sans parler du fait d'avoir été soupçonné de complicité par la police."Heureux ? Maintenant, casse-toi !"  J'exige tout en lui adressant un regard entendu. Je l'ai déjà dénoncé une fois, je ne me gênerai pas pour le faire une seconde fois. Il a de la chance que Samuel ne soit pas là car je ne me serais pas montré aussi clément en sa présence.

Décembre 2022 Seth, c'est mieux que les services sociaux ou la police, mais c'est pas pour autant que je suis content de voir sa gueule. Avant, j'aurais profité de sa visite impromptue pour lui foutre mon poing dans le nez. Aujourd'hui sa présence, bien qu'agaçante, a le don de me passer au-dessus. Il a fait une connerie, comme il sait si bien le faire et pour une fois dans sa vie, il en a payé le prix. J'aurais toutes les raisons de lui en vouloir et je le suis, en colère, mais Seth est la dernière personne dont je me soucie. Il demande après sa sœur et j'aimerais pouvoir lui dire qu'elle est là sauf que ce n'est plus le cas. Maisie n'habite plus ici depuis un moment déjà. Je donnerais pas mal de choses pour pouvoir lui fermer la porte au nez et me dépêcher de gueuler à ma fausse petite amie que son enfoiré de frère est sorti de prison et se trouve désormais devant la porte de notre appartement. Mon domicile est vide et si ce n'est mon chien, il n'y a personne sauf moi. « J'aurais pu t'faire couler avec moi et j'l'ai pas fait, alors arrête de te plaindre et dis plutôt merci. » Il me cherche, mais ça glisse. Mes phalanges ne me démangent pas et pour toute réponse, j'acquiesce de la tête. Le silence est le meilleur des mépris, j'en sais quelque chose depuis que sa sœur a décidé de ne plus me parler. Seth n'a que de la bouche et s'il pense que j'aurais pu couler avec lui, c'est qu'il doit lui manquer une case. J'aurais pu perdre mon job, c'est un fait. J'aurais pu avoir des problèmes avec la police et peut-être même que les services sociaux m'auraient menacé de m'enlever la garde de Samuel le temps de tirer cette affaire au clair. C'est pour la dernière raison citée que je me suis empressé d'aller le dénoncer et non pas par peur de finir derrière les barreaux. Je suis innocent et si les caméras de surveillance prouvent que nous étions ensemble ce soir-là, elles prouvent aussi qu'il était tout seul lors du vol. Il s'est immiscé dans la MHI en bloquant les portes de l'entreprise que j'ai déverrouillé avec mon badge avant de monter dans mon bureau pour récupérer mes affaires. Je ne l'ai pas invité à entrer et encore moins à dérober l'objet phare de la nouvelle collection. Je m'apprête à refermer la porte lorsqu'il la bloque avec sa main. Y'a comme un air de déjà vu, sauf que le lieu est différent. « Lee m'a dit qu'elle vivait ici et elle lui aurait pas menti. » Je pensais qu'elle n'était pas du genre à ghoster les gens et c'est pourtant ce qu'elle a fait. Je ne connais pas Maisie, tout ce que je sais d'elle s'apparente au rôle qu'elle a joué pendant les mois où on a fait semblant de se fréquenter. Quant à Seth, il ne s'est jamais assez intéressé à elle pour que ce soit le cas. "Je te dis qu'elle est plus là." Je répète en prenant soin d'articuler chacune des syllabes pour qu'il l'imprime dans sa petite tête de demeuré. "Depuis août dernier." J'ajoute avant qu'il ne pose la question. J'ai pas besoin de lui faire un dessin pour qu'il fasse le lien. Ce n'est pas pour rien si Maisie s'est mise à découcher durant le mois où son frère s'est fait incarcérer. « M'dit pas qu'elle t'a largué ? » Je serre la mâchoire et baisse les yeux sans même le vouloir. Qu'est-ce que je peux lui dire ? On a même pas eu le temps de se mettre d'accord sur le motif de la fausse rupture. "Ouais. Elle a trouvé mieux." Je finis par lâcher en haussant les épaules. Peut-être que c'est le cas depuis le temps, j'en sais rien et je m'en moque. Seth peut bien se foutre de ma gueule, c'est le dernier de mes soucis. Je décide de faire un dernier cadeau aux Moriarty avant de ne plus jamais entendre parler d'eux. Le motif de rupture donne à Maisie la possibilité de laisser croire à son frère qu'elle a une vie romantique plutôt mouvementée et qu'elle peut plaire à plus d'un mecs à la fois. Tandis que Seth sera bien heureux d'apprendre que c'est elle qui m'a largué et non l'inverse. Une pierre, deux coups. "C'est bon, t'as eu les réponses que tu voulais ?" Je demande avant de retirer sa main de la porte de mon appartement. "Je ne voudrais pas prendre le risque de te briser quelques doigts." C'est clair que ce serait con que je la referme sur ses phalanges par inadvertance.