Lexie est affalée dans son canapé, un roman à la main. Elle est rentrée il y a peu du boulot, s’est occupée de présenter la météo du matin et du midi, avant de pouvoir rejoindre son appartement pour manger un morceau. La brunette est une excellente cuisinière, mais elle ne prend finalement pas souvent le temps de se préparer un bon repas pour elle toute seule. Surtout quand elle rentre en plein milieu d’après-midi, après une journée qui a commencé beaucoup trop tôt pour celle qui est habituée à sortir jusque tard dans la nuit. Quelques coups frappés à sa porte l’obligent à décrocher de son roman, alors qu’elle était en plein milieu d’un chapitre particulièrement captivant. Ronchonnant légèrement, elle va ouvrir pour se retrouver face à son frère. Et s’il arbore un sourire avenant, Lexie, elle, fronce les sourcils. Aurait-elle oublié un rendez-vous qu’ils avaient prévu ? Non, elle n’avait aucun souvenir d’une après-midi planifiée ensemble. Alors, que faisait-il là ? C’était-il passé quelque chose ?

« Coucou. Cookies ? »

Il lui fourre la boîte dans les bras et elle l’examine un instant, son regard bleuté allant du tupperware à son aîné.

« Extra pépites de chocolat, j’espère ! »

Elle s’écarte pour le laisser entrer et, lorsqu’il ouvre les bras, elle s’y blottit spontanément. Elle n’est certes pas fan du contact, mais avec Chan, il n’y a jamais eu aucune hésitation. Il est son roc, son phare dans la tempête, et elle lui ferait aveuglément confiance. Elle n’a donc aucune appréhension à se laisser serrer un peu trop longtemps.

« Salut petite sœur. »

Un petit sourire se dessine sur ses lèvres et s’entend dans sa voix lorsqu’elle répond.

« Salut grand frère. »

Leur étreinte prend fin et Lexie lui désigne le canapé d’un geste de la main, commençant à débarrasser rapidement la table basse jonchée des vestiges de son repas sur le pouce : paquet de chips, dés de fromage et petits légumes à tremper dans de la crème.

« Je me suis dis que ça faisait longtemps, et j’avais envie de te voir. »

Elle fronce à nouveau les sourcils, redressant la tête de sa tâche pour finalement la hocher légèrement, suspicieuse.

« Je suis parti comme un voleur de chez Eli, je voulais m’excuser avant toute chose. Mais je ne viens pas pour faire mon mea culpa. »

Lexie s’éclipse un instant derrière le comptoir de la cuisine ouverte, marmonnant un petit « hum hum », avant de revenir se planter devant le canapé. Pourquoi était-il là, alors ? Elle ne voulait pas de ses excuses, ne pensait pas devoir en recevoir, alors qu’il n’avait fait que donner le top départ d’un repas complètement gâché. Il n’avait pas à rester plus longtemps, personne n’avait à endurer cela davantage. Par contre, tout son comportement avait été étrange, chez Eli, et les questions brûlent les lèvres de la brunette qui se mord l’intérieur de la joue pour se retenir.

« Café ? Thé ? »

Elle retourne déjà vers la cuisine, mets de l’eau à chauffer pour se préparer un thé et attend la commande de son frère, fouillant déjà dans les placards.

« Comment tu vas ? »

Cette fois-ci, ses sourcils se haussent, trahissant sa surprise, et Lexie sort dans la tête du placard contenant les boîtes de thé pour plonger son regard bleuté dans celui de Chan. Elle le dévisage, un instant silencieuse, puis rompt le contact visuel pour récupérer un sachet de thé vert à la menthe. La tête dans meuble de cuisine, elle répond.

« Ca va du tonnerre, et toi ? »

Rien n’allait jamais du tonnerre avec Lexie. La brune était trop torturée pour aller simplement bien. Mais si elle avait confiance en son frère, et savait qu’elle pouvait se confier à lui, elle n’était pas du genre à le faire spontanément, sans être un peu poussée. Sa stratégie première : l’évitement. Et elle se rue dessus alors qu’elle rejoint son frère au salon avec deux tasses. Elle pose celles-ci sur la table basse et s’installe sur le canapé à côté de Chan, estimant avoir déjà trop attendu pour le harceler de questions auxquelles elle espère des réponses plus honnêtes que les siennes.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Et c’était quoi, ce cirque, à Noël ? »

Parce qu’il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer des tensions dans tous les sens, plus que celles habituellement présentes aux repas de famille.

Chan sonne à sa porte et, un instant, Lexie est décontenancée. Elle se demande si elle a oublié un rendez-vous qu’ils auraient fixé, avant de s’interroger sur les raisons de cette visite impromptue. Invitant son frère à s’installer au salon, elle s’éclipse dans la cuisine ouverte pour y faire chauffer de l’eau et faire couler un café pour son frère. Et alors qu’elle s’affaire à tout préparer, Channing commence à l’interroger doucement. Il sait y faire, indéniablement. On sent les années de pratique avec Lexie, la délicate tentative, avec cette question en apparence anodine. Pour autant, il manque encore une touche de subtilité, quand la brunette sait ce qui se cache derrière ces trois petits mots. Elle a conscience des attentes de son frère, qui voudrait sans doute qu’en réponse à cette question, elle lui fasse une mise à jour sur sa vie, lui indique comment elle se sent et lui révèle les sentiments qui la tourmentent. Elle sait ce qu’il espère et pourtant, elle est incapable de le lui donner. Et si la réponse de la brunette l’agace, la réplique du frère l’est tout autant.

« La grande forme aussi du coup. »

Du coup. Il ment parce qu’elle ment, et elle est moins discrète que lui alors qu’elle laisse échapper un soupire exaspéré. Elle n’est plus une gamine qu’il peut tenter de faire chanter. Il devrait plutôt montrer l’exemple, comme l’aîné qu’il est, et se confier sur ses sentiments. Il pourrait ouvrir la voie, lui montrer que, finalement, ce n’est pas si compliqué que cela -ou peut-être que si, mais qu’on s’en remet, et que ça soulage.
Attrapant les deux tasses fumantes, elle rejoint finalement Chan et s’installe à ses côtés sur le canapé. Il lui tend la boîte de cookies et elle s’empare d’un gâteau. Après avoir reposé sa tasse, elle coupe un petit bout de gâteaux qu’elle enfourne entre ses lèvres. La bouche pleine, elle lève le pouce vers Chan et, quand elle a fini par avaler le morceau de cookie, le complimente de vive voix.

« Hum, excellent ! »

Mais si la parenthèse du gâteau est agréable, elle n’est pas suffisante pour empêcher Lexie d’interroger son frère sur les raisons de sa présence ici. D’ailleurs, elle ne fait sans doute que lui couper l’herbe sous le pied, alors qu’il doit être en train de bouillonner intérieurement, se demandant quand il pourra à nouveau la questionner.

« Quel cirque Lex ? »

Elle secoue la tête : il n’a visiblement pas envie de lui faciliter la tâche, et elle lâche un nouveau soupire. Elle comprend à quel point il peut être exaspéré quand elle botte en touche, et la voilà qui s’agace. Finalement, elle dessine un triangle dans le vide avec son doigt, puis se reprend et forme un carré.

« J’avais l’impression d’être au milieu d’une série TV. Ce n’était même plus un triangle amoureux, c’était un carré … »

Elle pose un regard blasé sur son frère, ce regard qui dit qu’on ne la lui fait pas, pas à elle, et qu’elle ne le jugera jamais, car elle l’aime et qu’elle a forcément fait pire.

« Il se passe quoi, Chan ? Avec Gaby ? Avec Mila ? Avec Elijah ? »

Parce qu’il y avait définitivement des tensions dans tous les sens, à ce repas de Noël, des tensions autres que celles créées indéniablement par une Mary au top de sa forme.

« Je vais aussi bien que toi. »

Il s’obstine, et elle secoue la tête, ne répondant pas. Finalement, après une pause, il reprend.

« Je suis fatigué – et je pense que tu l’es aussi. Est-ce que tu serais d’accord qu’on parle à cœur ouvert sans faire de cinéma ? Sauf si, vraiment, tu affectionnes trop le feu des projecteurs et que tu veuilles te faire désirer. Dans ce cas, je jouerais le jeu – mais je joue mieux que toi et tu le sais. »

Elle secoue une nouvelle fois la tête, mais un sourire a pris place sur son visage. Elle balance un coussin dans au visage de Chan et proteste.

« De un : je gagnerai, et tu le sais. De deux : tu sais aussi très bien que c’est pas parce que j’aime me faire désirer ou que tu me tires les vers du nez … C’est juste que … c’est difficile ! »

Ce n’était pas évident de se confier, d’ouvrir son cœur. Ca l’était plus avec Chan qu’avec la plupart des gens, parce qu’elle l’aimait d’un amour inconditionnel, qu’elle lui faisait confiance et qu’elle savait que, lui aussi l’aimait et continuerait à l’aimer, peu importe les conneries qu’elle pouvait faire. Il avait toujours été là, il ne l’avait jamais jugé. Ca n’en devenait pas pour autant facile, de se livrer et de se mettre à nue. Elle laisse passer quelques secondes, picorant des petits morceaux de cookies qu’elle arrache du gâteau pour les mettre dans sa bouche avant de se lancer, haussant les épaules.

« C’est juste que je n’ai rien à dire de nouveau. Je tourne en rond, Chan. Depuis juin, je tourne en rond. Noah n’est pas revenu, j’ai été reléguée à la météo, et je fais sans doute beaucoup trop la fête pour penser à autre chose que tout ça. »

Elle le savait, elle en avait conscience depuis toujours. Elle savait que l’alcool et la cocaïne étaient un moyen d’échapper à la réalité, le temps de quelques heures. Et pourtant, elle n’était pas capable d’arrêter, tout simplement parce qu’elle ne saurait pas comment affronter sa vie et les obstacles qui parsemaient son chemin sans la cocaïne. Elle en avait besoin, point.
Son regard bleuté torturé se plonge dans celui de son frère et elle hausse une nouvelle fois les épaules d’un air désolé.

« Rien de neuf, tu vois. Rien de mieux, rien de pire. »

Et c’était déjà pas mal, non ?

« Et toi ? »

A son tour, de se confier, et de voir à quel point ce n’était pas facile.