Tu es prodigieusement incapable de t'endormir et cela te rend fou. A chaque dizaine de minutes qui passe, tu fais le décompte du temps qu'il reste à écouler avant le lever du soleil, constat qui te frustre de manière exponentielle. Tes yeux rivés sur ton écran de téléphone sur lequel tu scrolles frénétiquement n'aident assurément pas à ce que tu rejoignes les bras de Morphée, cependant, les quelques fois où tu t'es résigné à mettre ton smartphone de côté, tu as fini par le reprendre dans tes mains, encore plus agacé contre toi-même. Le flux de pensées et réflexions qui tournoient dans ta tête est étourdissant. Tu es exténué d'être aussi électrique intérieurement alors que tout Brisbane te paraît dormir, même Dani et son nouvel amant dont tu n'as aperçu que la silhouette de temps à autres depuis le début de leur histoire. Tu te demandes si la coréenne compte vous présenter son nouveau Jules ou s'il faudra que l'un d'entre vous la surprenne en flagrant délit comme il fut le cas lorsqu'elle était en couple avec Hugo. Si tu es possiblement le mieux placé, tu ne seras assurément pas celui qui mettra ton nez dans les affaires intimes de ta meilleure amie, néanmoins. La seule chose qui t'importe est le bonheur de la Hwang et manifestement, cet homme parvient à la rendre heureuse. Tu as senti un changement en elle, une légèreté, une félicité, et voir Dani épanouie te comble. Tu ne la jugeras pas si elle préfère garder cette partie de sa vie secrète et respectes son choix.

Cependant, tout ceci ne t'aide pas à dormir. Tu jalouses peut-être un peu la place de cet amant parce qu'avant, c'était toi qui dormait dans le lit de Dani, et sa présence avait toujours quelque chose de rassurant, de relaxant. Il n'y a jamais eu quoi que ce soit de romantique entre vous deux mais quand tu as décidé d'emménager Brisbane, la jeune femme t'a proposé de devenir son colocataire. Tout naturellement, vous avez investi la même et unique chambre du logement, comme vous l'aviez déjà fait dans le passé, sans ambiguïté aucune. Après ton agression, début décembre, tu lui avais expliqué que tu migrerais vers le canapé toutefois, expliquant que cela serait plus pratique pour vous deux car tu craignais la réveiller si ton sommeil s'avérait aussi agité que celui que tu avais au centre hospitalier que tu quittais. Tu ne regrettais pas ta décision car ça avait été malheureusement le cas. Encore aujourd'hui, tu faisais des cauchemars de cette violente attaque qui t'avait conduit aux urgences et hospitalisé plusieurs jours. Plus d'une fois, Dani avait dû venir au secours de tes terreurs nocturnes desquels tu étais subconsciemment prisonnier pour te réveiller et te rassurer, des événements qui te mordaient toujours de culpabilité. Avec le temps et les moyens nécessaires, il te semblait que tu parvenais à passer des nuits plus calmes mais elles restaient très courtes et très blanches.

Tu ne pouvais pas t'empêcher de te rejouer les dernières scènes liées au crime dont tu avais été victime. Tu frémissais en ressassant à l'un de tes bourreaux que tu avais épouvantablement croisé au Saucibar alors que tu l'imaginais derrière des barreaux, hors d'état de nuire de nouveau. Tu ruminais en rejouant tes auditions auprès des autorités. Tu broyais du noir en pensant à ces chefs d'accusation contre tes agresseurs qui te glaçaient le sang. Tu t'inquiétais de comment tu allais te reconstruire, comment tu allais réussir à faire du sens entre qui tu étais et ce que tu avais vécu. Tu t'étourdissais en pensant à tous ces secrets que tu gardais précieusement au fond de toi, trop honteux et trop lâche pour les divulguer, et qui te pesaient tant qu'ils t'asphyxiaient. Ton esprit ne cessait jamais ; lui qui était naturellement hyperactif, il était dorénavant pire que jamais et tu n'étais même pas sûr de pouvoir récupérer un peu de contrôle sur ta tête sans avoir à te shooter.

Tu abandonnes ton téléphone après un dernier passage sur Whatsapp. Tous tes amis sont, sans surprise, hors ligne. Tu sais que si tu envoies un message à Noor, elle te répondra. En effet, l'architecte était assez protectrice pour laisser l'alarme de son téléphone sur votre conversation. En revanche, tu n'irais pas jusqu'à la réveiller. Tu te redresses dans le canapé, abandonnant toute idée de dormir davantage cette nuit. Les cinq heures trente du matin s'affichent sur le cadran du micro-ondes et lentement, tu enfiles un jogging avant de traverser le salon en quelques pas pour ouvrir le frigidaire de la kitchenette. Tu te sers un verre d'eau et alors que tu le bois silencieusement, tapi dans l'ombre, appuyé au comptoir fixé au mur, tes pensées se multiplient de nouveau en arborescence totale. Seul le passage de la fameuse silhouette masculine devant tes yeux rompt le fil de tes réflexions et sans réfléchir, tu t'entends adresser d'une voix assez forte pour qu'il t'entende mais surtout assez basse pour ne pas réveiller Dani qui dort probablement encore : « Hey. » Puis, sans davantage de cérémonie : « Pourquoi tu te caches autant ? Pourquoi ce secret ? » Tu savais que rester sous le radar était une signature de la Hwang et tu ne t'en formalisais pas. Néanmoins, tu craignais que cet inconnu en joue et puisse lui attirer d'éventuels problèmes. Quels étaient ses avantages ou motifs pour accepter d'être si discrets ? Aussi, plus égoïstement, tu crevais d'envie d'une distraction.

you don't know what you've got until it's gone

TRENT HIGGINS & @KAI LUZ

Tu ne sais pas trop pourquoi vous avez décidé de vous la jouer incognito, Dani et toi. La décision s’était prise sans que vous n’y pensiez vraiment longtemps, jugeant sans doute qu’il vous fallait y aller une étape à la fois, pour ne pas brusquer cette timide fondation sur laquelle vous vous bâtissiez, d’abord et avant tout des amis. Des amis d’enfance qui se sont perdus de vue, quand tes sentiments d’adolescents l’ont fait fuir une fois. Tu ne voudrais surtout pas la faire fuir une deuxième fois, même si les choses ont bien changé, dans les nombreuses années qui vous ont éloigné l’un de l’autre. Alors évidemment, quand elle t’avait demandé avec ses grands yeux noisette de ne pas faire de bruit avec votre histoire encore toute nouvelle, tu avais acquiescé, oubliant temporairement le détail qui rendrait la chose un peu plus complexe : vos colocataires respectifs. Entre Shiloh qui dort dans la chambre à côté de la tienne chez toi, et Dani qui partage carrément sa chambre certains soirs avec son colocataire Kai que tu n’as pas encore eu la chance de rencontrer, il faut dire qu’il était légèrement compliqué de vous retrouver chez l’un ou chez l’autre sans attirer l’attention. Vous vous étiez déjà fait prendre par Shiloh, ce qui avait causé une rencontre remplie de malaise au beau milieu de la nuit, mais jusqu’à maintenant, chaque fois que tu avais passé la soirée – et une bonne partie de la nuit, faut bien l’admettre – chez la jeune coréenne, tu avais réussi à éviter de te retrouver nez à nez avec celui qui partageait l’environnement de ta nouvelle copine.

Jusqu’à ce soir (matin?)

Quand l’alarme que tu as mis sur ton téléphone il y a quelques heures à peine se met à sonner, tu ne peux t’empêcher de grogner légèrement, avant de l’éteindre rapidement pour ne pas réveiller qui sommeille paisiblement à tes côtés. Elle bouge quelque peu, mais tu déposes un baiser contre son cou, lui murmure de se rendormir et ça semble plutôt efficace puisqu’elle te tourne le dos et sa respiration s’apaise quelques secondes plus tard. Tu te frottes les yeux, le sommeil encore présent dans chacun de tes traits, et tu te glisses hors du lit, reconnaissant pour les douces températures des nuits d’été qui sont encore bel et bien présentes à ce temps-ci de l’année. Il n’est que 5h du matin, mais tu sais que d’ici une heure les jumeaux risquent de se réveiller et même si Shiloh sait que tu es sorti et qu’elle est amplement capable de s’occuper d’eux pour le petit-déjeuner, tu as envie d’être là et de vivre cette routine des plus mondaines avec eux. Tu n’as pas envie que ta nouvelle histoire te vole du temps précieux avec eux et ça, Dani le sait, le comprend et l’accepte parfaitement, même si ça veut dire délaisser son lit alors que le soleil n’a même pas encore entamé son levé dans le ciel. Tu te rhabilles rapidement et maladroitement, ton t-shirt à moitié-mis lorsque tu ouvres la porte de sa chambre et te dirige vers l’entrée lorsqu’une fois masculine s’élève dans la pièce et t’arrête sur place, te faisant sursauter. « Hey. » « Fuck. » tu jures, une main contre ta poitrine alors que tu t’empresses de finir d’enfiler ton chandail, ton regard se retournant vers l’origine de la voix. Kai est allongé sur le canapé et si tu l’avais naïvement cru endormi, la preuve était bien toute autre. « Tu m’as fait peur. » que tu commentes, même si ta réaction parlait d’elle-même. « Pourquoi tu te caches autant? Pourquoi ce secret? » Il est beaucoup trop tôt pour ce genre de questions, surtout que tu n’as pas la moindre idée de ce que Dani a pu dire à Kai à ton sujet. Une main passe sur ton visage fatigué et tu échappes un soupir. « C’est pas vraiment un secret. On prend notre temps, c’est tout. » que tu expliques maladroitement, même si tu n’as pas l’impression que ce soit faux pour autant. Tu te rapproches du canapé, établissant que ce serait impoli de ta part de partir sans au moins te présenter auprès du jeune homme. « Kai, c’est ça? » que tu lui demandes en tendant une main dans sa direction. « Trent. » que tu annonces ensuite, ton regard s’attardant sur lui, incapable de décider si ses traits te sont familiers ou s’il a simplement l’un de ces visages qui donne l’impression qu’il ressemble à un peu tout le monde en même temps. « Je suis désolé, si je t’ai réveillé. » que tu t’excuses, même si Kai semble beaucoup moins endormi que toi à l’heure actuelle.

J'aurais pu fermer les yeux sur Trent qui évoluait rapidement dans la pénombre de l'appartement vers la porte d'entrée. J'aurais pu me montrer des plus discrets afin de ne pas heurter son pas précipité, ses bras militant pour passer à travers les manches de son chandail. J'aurais pu me mordre la langue et rester de marbre le temps des quelques secondes qui suffisent à passer à ce rythme effréné de la chambre de Dani au hall de l'immeuble résidentiel. Ca ne m'aurait assurément rien coûté, ça aurait évité au garçon de sursauter grandement à en lâcher un juron sincère. Ca m'aurait permis de continuer à endosser le rôle du meilleur ami qui ne met pas son nez dans les affaires privées de sa colocataire. Néanmoins, je n'avais pu me retenir. La fatigue physique et mentale étaient largement complices de ma mauvaise humeur et tristement, Trent se trouvait exactement au mauvais moment, au mauvais endroit.

« Tu m’as fait peur, » il indique bien que je l'avais remarqué, malgré la noirceur qui nous enveloppe. Je marmonne ce qui voudraient être des excuses à peine audibles, ma franche interrogation sur les motifs justifiant le secret de leur relation franchissant avec davantage d'affirmation la barrière de mes lèvres. J'entends le jeune homme soupirer, je ne le quitte pas du regard, comme si je l'attachais ainsi d'un lien invisible qui l'empêcherait de prendre la poudre d'escampette avant l'aube. « C’est pas vraiment un secret. On prend notre temps, c’est tout. » Je hausse les sourcils, peu convaincu. Je sens mon coeur qui tambourine dans ma poitrine, d'un mélange de colère et de regret que je ne pourrais expliciter très sainement. Oui, je n'aurais pas dû interpeler Trent et me mettre ainsi en travers de la relation timide que bâtissent Dani avec lui. Non, je n'ai pas pu m'en empêcher et je me sens les nerfs à vif devant ce type que j'aimerais incriminer alors qu'il ne fait rien d'autre que faire plaisir de multiples manières à la Hwang. Je me sens prodigieusement nul parce qu'ultimement, ce n'est pas contre Trent que j'en veux, mais contre moi-même et mon attitude et mon impossibilité à gérer ce qui me rumine jour et nuit. Cette fois-ci, je me mords vraiment la langue, pour ne pas enchérir, pour ne pas lui demander s'il me paie la tête, pour ne pas chercher une altercation qui n'a franchement pas lieu d'être. « Kai, c’est ça? » Il me tend une main que je considère quelques instants, peu friand. « Trent. » Je finis par la serrer, me retenant de souffler que j'avais deviné qu'il s'appelait ainsi à force d'entendre ce prénom prononcé sur toutes les notes de la gamme vocale dont Dani est capable. « C'est ça. Kai. » Et je plonge mes mains dans les poches de mon jogging. « Je suis désolé, si je t’ai réveillé. » « Je suis désolé de t'avoir fait peur. » Je consens enfin, sincère bien que toujours agacé. « Je dormais pas, » je précise pour gommer la culpabilité de Trent, telle une offrande à amoindrir mon air de bœuf. Je soupire profondément, exaspéré, puis pose rapidement une main sur mes côtes douloureuses en regrettant bien vite mon geste pourtant banal mais qui ne se prive pas de me rappeler ma récente agression. « Tu parles de Dani autour de toi ? » Je m'entends demander. « Si ce n'est pas un secret. » Je ne lui demande pas s'il a produit une annonce officielle, mais plutôt si les gens de son entourage savent qu'il fréquente quelqu'un, aussi mystérieux puisse-t-il l'être sur l'identité de cette amourette. Parce que Dani, par exemple, reste muette sur le sujet de sa vie sentimentale. Mais je sais que c'est compliqué pour elle, vu ses précédentes déceptions amoureuses dont l'une avec notre meilleur pote? Je ne la blâme pas de rester silencieuse sur sa relation avec le garçon puisque je comprends et respecte son choix et j'ai surtout conscience qu'elle ne le fait pas de manière mal intentionnée. Mais Trent, je ne le connais ni d'Adam, ni d'Eve. Se joue-t-il de ma meilleure amie, celle que je considère comme une sœur ? Est-elle un vulgaire coup pour lui, qu'il recycle plusieurs fois par mois voire semaine ? Un rebound officieux ? L'utilise-t-il ? Encore une fois, je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Les paramètres de leur relation ne nécessitent pas de validation de ma part, et en réalité, Dani peut bien faire ce qu'elle veut. Néanmoins, Trent, lui, n'a pas le droit de lui briser le cœur. Je l'en interdis. Ainsi, je veux m'assurer que ses intentions ne soient pas malhonnêtes.