« house of the rising sun »    jonah fletcher & @Will Cadburry.

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L’horloge digitale de la voiture indiquait deux heures et demie du matin. Cela faisait une bonne heure que Jonah conduisait en direction de l’adresse qu’on lui avait communiquée. Le paysage était rapidement devenu plat au fur et à mesure que Brisbane disparaissait dans le rétroviseur. Il traversa un patelin nommé Esk après avoir longé le lac Wivenhoe. C’était un mélange de petites maisons au milieu de larges terrains, de boutiques isolées et de manufactures à taille humaine. Le genre de petite communauté qui ponctuait régulièrement le territoire australien. A la sortie de la petite ville, il se gara au début du Brisbane Valley Rail Trail qui traversait plusieurs propriétés. Pas d’éclairage urbain, aucune autre source de lumière que la lune. Jonah leva les yeux ; au moins, on voyait clairement les étoiles. Habitué à ce genre d’atmosphère, il n’était pas inquiet. Après avoir vérifié son matériel et allumé la GoPro, il enfila son sac à dos, verrouilla le véhicule et se mit en marche. Will n’était pas encore arrivé, à en juger par l’absence de sa voiture, le vidéaste allait pouvoir filmer son intro en attendant d’atteindre le lieu de rendez-vous.

"Salut tout le monde, aujourd'hui on part en exploration nocturne ! C'est un abonné qui lui m’a indiqué le spot, merci à lui. Je viens d’arriver, le lieu est au bout de ce chemin et il est bientôt trois heures du matin -the spooky hour. Cette fois, je ne suis pas accompagné de l'équipe habituelle mais d'un très bon ami à moi, Will. Si vous me suivez sur Twitch il vous est pas inconnu puisque qu'on joue souvent en multi ensemble. Je lui ai fait découvrir Phasmophobia y’a quelque temps et ça lui a donné envie de tester l'urbex avec moi, à une condition : que l'endroit ne soit pas hanté. On y va en douceur, j'peux comprendre. D'après l'abonné, ce vieux ranch est pas hanté, justement. C'est un endroit où il allait quand il était petit, puis il y a eu un incendie et depuis le propriétaire a mis la clé sous la porte. Ca doit faire quasiment vingt ans que le ranch est complètement à l’abandon alors il a probablement été looté et squatté à gogo mais j’suis sûr qu’on va trouver des trucs intéressants. Cela dit, vous me connaissez, tous les lieux sont forcément un peu hantés : tant qu'il y a eu de la présence humaine quelque part, on laisse une trace, de l'énergie, et même si ça donne pas des fantômes à proprement parler, on peut se connecter à un souvenir, une émotion qui aurait particulièrement imprégné l'endroit. On verra ce qu'il en est, mais pour le moment, on rejoint Will à la grille. C’est parti."

Armé de sa lampe de poche, Jonah s’approcha du portail, fermé par une épaisse chaîne et un cadenas. Comme si cela était suffisant pour tenir les badauds à distance. A vrai dire, tout ce que le jeune homme espérait, c’était de ne pas tomber sur une bande de toxicos là-dedans. Cela lui était déjà arrivé, les risques du métier comme il disait, et ce n’était pas une expérience agréable. Cependant, les lieux semblaient déserts. Le ranch était composé de plusieurs bâtiments dont la forme sombre et brisée se détachait de l’horizon comme de grosses ombres. Jonah observa les alentours à la recherche de l’entrée indiquée par l’abonné ; là, un trou dans le grillage.

Un craquement et un frottement de tissu ; l’australien entendit Will approcher à quelques mètres de lui et pointa sa lampe droit dans sa tronche. "Hey mate !" Il ne s’était pas dégonflé. Ca n’aurait pas été son genre de lui poser un lapin, de toute manière. Jonah relança l’enregistrement de la GoPro fixée à son épaule -ainsi, ses deux mains étaient libres. "T'as pas trop galéré pour trouver ?" qu’il demanda avec un sourire malicieux. Car, pour la blague, il n’avait pas communiqué d’adresse précise à Will, mais des coordonnées (nord, sud, est, ouest, ce genre de chose), transformant le début de la balade en une espèce de petite chasse au trésor. Eh, il n’allait pas lui faciliter la tâche jusqu'au bout non plus, déjà qu’il lui épargnait les fantômes. "Y'a une ouverture dans la clôture, là-bas. On est pas les premiers curieux on dirait." Normal, en vingt ans. Jonah guida son comparse du jour -ou du soir- jusqu’à l’entrée improvisée et lui élargit le passage. “Attention les cheveux.” Ouais, les priorités. Se coincer les tifs dans un grillage, il l’avait déjà fait lors de ses premières vidéos. A l’époque, Jonah avait une longue choucroute de boucles blondes sur la tête. C’était il y a dix ans, déjà. Il traversa à son tour et rejoignit Will, tape sur l’épaule en signe d’encouragement. "Pas trop flippé ?"

     

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Personne aux alentours, les gens normaux dorment à cette heure-là, histoire d’assumer le réveil pour aller au boulot le lendemain. Jonah, lui, allait roupiller jusqu’aux premières heures de l’après-midi lorsqu’ils auront terminé leur exploration. Un luxe qu’il pouvait s’accorder puisqu’il était son propre patron, personne pour l’obliger de pointer au bureau à une heure donnée. Les gameurs sont des animaux nocturnes, mais passé trente ans, même les joueurs les plus aguerris courbaient l’échine face à l’usure ; sauf que Jonah y tenait, à la witching hour. Tout était plus intriguant, plus effrayant, à trois heures du matin. Il tenait ça des trop nombreux films d’horreur dont il s’abreuvait. Cela le rendait difficile à effrayer et Will le comprit à ses dépends. « Fuck t’es pas drôle ! Je voulais te faire peur et avoir ton cri de petite fille en vidéo pour t’afficher sur instagram. » Une séquence qui se serait ajoutée aux nombreux best-of de Jonah hurlant en chasse aux fantômes, en urbex et devant un jeu vidéo. Cela le faisait rire, le ridicule était loin de le tuer -sinon il n’aurait jamais atteint les trente ans. “Moi ? J’cris super virilement, un vrai bonhomme.” Un eunuque peut-être, oui. “Et j’crois que tu confonds qui de nous deux va hurler ici.” Faire le malin de cette manière était le meilleur moyen de se tirer une balle dans le pied. Les prochaines heures le leur diraient, mais pour le moment, Will était bel et bien le moins rassuré du duo. « Hé ! Ça ressemble clairement à un lieu hanté ça, qu’il faisait remarquer en indiquant le ranch décrépi. J’imagine déjà l’histoire ; un père de famille qui pète complètement en câble et assassine toute sa famille. Rongé par la culpabilité, il y a foutu le feu après. » Ca sonnait comme un Amityville à l’australienne, Jonah songea qu’il regarderait un film avec ce plot sans hésiter, déçu que cela n’existe pas déjà. « Alors j’ai raison ? » Il haussa les épaules et laissa planer le mystère. “Peut-être que oui. Peut-être que non.” A vrai dire, il aurait préféré que le lieu ait une histoire aussi glauque, mais il avait tenu sa promesse et il n’en était rien. Incendie accidentel, tout ce qu’il y avait de plus tragique dans la catégorie des événements hors de contrôle, ce genre de l’horreur qu’était la fatalité.

Ils avaient traversé le trou dans la clôture, aucun cheveu manquant à déplorer au passage. Au bout du pré, le ranch. Jonah éclairait leurs pas à l’aide de sa lampe de poche. Mieux valait faire attention à où ils mettaient les pieds. « J’ai pas le courage d’un Gryffondor mais ça devrait aller. » Bruh. Le jeune homme avait toujours été convaincu qu’il faisait partie des outsiders, les Poufsouffle, et s’était autoproclamé comme tel pendant des années. Puis le questionnaire du site officiel révéla l’amère vérité : Jonah était un Gryffondor. Une fois la crise existentielle passée, il avait fini par se plier au verdict du Choixpeau et s’était refait une garde-robe aux couleurs de sa véritable maison. “Le monde va enfin pouvoir voir que les Serpentards sont des mauviettes.” rétorqua-t-il, bien que Malfoy avait déjà amplement prémâché le travail. Il était clair que les serpents tels qu’ils avaient été imaginés dans l’univers Britannique des sorciers étaient à des années lumière de ceux que l’on pouvait trouver en Australie ; si Harry Potter avait été écrit au pays des kangourous, la saga aurait pris fin au tome 2. « Je t’interdis de te moquer de moi si je flippe en me retrouvant nez à nez avec un fantôme. Et vous aussi. » Jonah posa une main sur son coeur, leva l’autre en l’air. “Je jure solennellement que si tu te chies dessus, ça sera coupé au montage.” Comme il était bon prince.

Leur maraude pouvait débuter. Will le suivait à la trace. Il commençait par une courte description de la propriété. “La baraque de style colonial, là, c'est là où le propriétaire vivait. Y’a une petite chapelle privée, à ce qu’on m’a dit, mais je te garde ça pour la fin.” La cerise sur le gâteau, comme qui dirait. Son index pointa à l’Est. “Ca c’est les étables, le manège, la sellerie. Y’aura pas grand-chose d’intéressant dans la grange, à mon avis, tout a l’air parti en fumée.” En effet, si le bâtiment conservait un aspect un semblant tangible, Jonah ne voulait pas se risquer dans une structure aussi fragile et se passait bien de la vue de cadavres de chevaux vieux de vingt ans. Comme toute personne sensée, il supportait bien plus facilement la douleur humaine que celle des animaux. Si on faisait du mal à son Tofu, il ferait une John Wick dans la seconde. Enfin, le duo arriva à leur premier stop. “Ils accueillaient des gens dans ces cabines. T’inquiètes, personne est mort là pendant l’incendie.” Pour une nuit ou plus, les amis des canassons pouvaient dormir non loin d’eux. L’incendie n’avait pas complètement dévoré les chambres. Le temps, lui, oui. Cendres et poussière se mêlaient sur les surfaces. Les murs étaient ornés de tags superposés l’un les sur les autres. Personne aux alentours, visiblement. Certaines cabines étaient occupées au moment de l’incident et Jonah trouvait fascinant de constater que les affaires avaient été laissées en plan. On pouvait trouver de vieux vêtements jetés sur les parures de draps autrefois blanches. Les fenêtres avaient éclaté, les miroirs étaient brisés. “Regarde ça !” s’écria l’australien tandis qu’il fouillait dans une valise grande ouverte à l’aide d’un bout de bois. Il en tira un soutien-gorge affriolant en dentelle qu’on devinait d’un rouge intense lors de son achat et qu’il envoya en direction de Will avec un ricanement graveleux. Des préservatifs avaient fondu dans la table de nuit. “Quelqu’un avait prévu une nuit torride, dis donc.” Les tourtereaux ne s’attendaient pas à ce que le séjour soit aussi… chaud. Jonah tourna immédiatement la tête vers la valise lorsqu’il crut remarquer que quelque chose bougeait à l’intérieur. Il aurait juré que les habits avaient fait du bruit, qu’il avait aperçu un sursaut. Du bout de son bâton, il tapota ici et là à nouveau. Rien, il avait rêvé. Le jean n’avait pas respiré, un courant d’air avait froissé le coton. Ce n’était pas ce qu’il manquait entre les fenêtres et les portes béantes. Finalement, à force de tripoter la valise, Jonah la fit tomber du lit ; ce ne fut pas un, pas deux, pas trois, mais une portée entière de rats qui en sortit et se dispersa en un éclair. De surprise, la respiration de Jonah se coupa et il expira avec un grand rire. “Ratatouille te passe le bonjour !” il lança à Will qui aurait peut-être préféré un fantôme plutôt qu’une horde de rongeurs.