Je ne vais pas vous mentir, des messages privés – ou direct messages – j’en recevais sans mal sur mon compte Instragram. Cela pouvait aller du plus brefs au plus longs avec des propos qui pourraient en défriser plus d’un. Il y a eu un temps d’adaptation. Au début, c’est troublant voire dérangeant. Mais j’avais appris à dépasser cela en ignorant tout simplement ce genre de messages. Les personnes bien intentionnées se distinguaient très vite dans cette tourmente que peut être les réseaux sociaux. Je n’avais jamais trouvé qu’ils constituaient quelque chose de mauvais par essence car ils s’agissaient d’outils ; par contre, cela allait de soi que les problèmes étaient générés par les utilisateurs en l’état. Mais cela ne m’empêchait pas de continuer à poster régulièrement sur mon compte Instagram car j’avais toujours trouvé cela satisfaisant de partager de façon très random au début et cela était devenu une habitude.

D’ailleurs, le fait que je sois revenu à Brisbane depuis deux jours à peine n’avait pas modifié le nombre de notifications que j’avais pu recevoir. En parlant de cela, j’étais en train de relire la discussion que j’avais eu avec un abonné. Une conversation en somme toute récente mais qui avait eu le mérite d’attirer mon attention. Un influenceur aux casquettes multiples m’avait abordé pour me proposer une sorte de collaboration dans le cadre de défis qu’il se lançait et qu’il publiait sur ses réseaux. J’avais pris le temps quand même d’examiner de plus près les vidéos de ce dernier avant de répondre. Cela semblait très humoristique quoi que permettant de proposer également un côté informatif/éducatif au regard des personnes qui partageaient la caméra avec lui. Il semblait déterminer à suivre un cours de danse – classique pour le coup – et j’étais la personne la plus indiquée pour cela d’après nos échanges. Sans paraître narcissique, il est vrai que je n’étais sans doute pas la dernière personne qualifiée pour proposer ce genre de service ; après tout donner des cours faisait partie de mon quotidien depuis quelques années maintenant et le faire dans un contexte différent que d’un studio ou lors d’interventions auprès de centres spécialisées avait de quoi me proposer un nouveau challenge.

D’ailleurs j’arrivai devant le bâtiment dans lequel la salle qu’il avait louée, se trouvait. Poussant la porte, je fis quelques pas avant de me retrouver devant une porte vitrée qui donnait lieu sur une salle parfaitement adaptée à la pratique de la danse. Cela devait être là. Frappant à la porte, je me décidai à l’ouvrir afin de passer la tête et balayer la salle du regard pour tomber sur un jeune homme assis sur un canapé tout sourire.

« Monsieur Sheldon Treasure, je suppose. » dis-je avec un sourire marquée alors que j’ouvrai grand la tête afin de me dévoiler sans pour autant quitter l’embrasure de la porte, me contentant de rester à ma position, droit et attendant une réponse de la part de celui qui avait décidé d’être mon élève du jour.

Donner des cours de danse n’était pas une nouveauté en soi. A dire vrai, cela me suivait depuis quelques années déjà, je pense peu de temps après mon entrée dans le Ballet de l’Opéra de Paris. Alors certes, ce n’était pas officiel en l’état mais il m’arrivait de faire la barre d’un des professeurs quand celui-ci était absent ou en retard, poussé par mes amis de l’époque. J’avais toujours trouvé cela gratifiant quelque part car il existait une forme de confiance dans cet aspect d’enseignement, qu’on venait à votre rencontre pour apprendre, considérant que vous êtes en mesure de le faire. Cela constituait dès lors une reconnaissance en soi. Chaque artiste ressent ce besoin, à différents degrés, mais je n’y fais pas exception. Néanmoins, le format d’aujourd’hui était inédit pour moi. Si d’une part, j’étais plus habitué à donner des cours auprès de personnes expérimentées – comprenez d’un niveau avancé ou professionnel, c’était davantage le fait que je me retrouvai à faire cours particulier auprès de quelqu’un qui, selon ses dires, n’avait que peu d’expérience dans le domaine, une sorte d’expérience de vie, tel est le défi que mon élève du jour s’était donné. Cela me sortait de ma zone de confort, mais j’aimai cela, sinon je ne serai pas là.

J’avais passé la tête dans l’ouverture de la porte pour m’annoncer avant de finalement me dévoiler complètement pour faire face à Sheldon. Je le vois se redresser alors, un peu trop rapidement peut-être lorsqu’il me semble entrevoir une sorte de léger déséquilibre. Pourtant je n’en fais nullement mention, restant dans ma position, la main sur la poignée, fixant l’influenceur qui confirmait bien son identité. Pourtant je tiquai quelque peu sur sa tournure de phrases. D’ailleurs les traits de mon visage se muèrent dans une expression sceptico-amusée. Je ne m’attendais pas à quelque chose de si formel dans un certain sens. Lâchant la poignée, je refermai la porte derrière moi avant de m’avancer jusqu’à lui. Pourtant, je fronçai des sourcils lorsque je le vis opérer un demi-tour soudainement alors qu’il venait dans ma direction. C’est alors que je le vis revenir avec un large sachet contenant des viennoiseries. « Arf. Rien de tel pour m’appâter que du chocolat. » confiai-je alors en secouant de la tête alors que je prenais un pain au chocolat pour croquer dedans. Lâchant un léger mmhmm à cette première bouchée, je vins poser mon sac à côté du sien avant de revenir près de lui. « Je vois que j’ai affaire avec quelqu’un qui a tout prévu. » dis-je en signe de remarque accompagnée d’un sourire appréciateur.

Cependant, il fallait quand même que je mette un peu moins de formalité dans ce dialogue. « D’ailleurs, je ne suis pas très à l’aise avec le côté très formel des discussions, enfin… ce côté vous me renvoie davantage à l’idée que je suis un vieux gars. On peut laisser ça de côté si ça te va ? » Oui, ce côté yes, sir, je laissais cela à mon paternel, il avait plus les épaules pour jouer ce rôle-là. Je vins alors m’assoir en tailleur sur le parquet, l’invitant à faire de même alors que je tenais toujours mon pain au chocolat dans une main. « Alors qu’est-ce qui t’a poussé à me contacter pour un cours de danse ? Autant parler un peu avant de se lancer ! J’espère que tu es d’attaque ! »

Je pouvais trouver cela mignon – bon d’accord c’était quand même mignon – la façon dont Sheldon avait eu de s’excuser. Ce n’était pas tant la façon qu’il avait à faire preuve de prévenance sur une potentielle erreur de sa part, mais l’expression générale qui s’en dégageait. J’étais quelqu’un de sensible aux mots mais encore davantage à l’expression du corps, au langage non-verbale. Cela en relevait presque du cliché mais je trouvais cela mignon dans les faits. D’ailleurs, cela me fit sourire, laissant apparaître une fossette sur le bas de mon visage, léchant échapper un rire presque étouffé. « Et en plus conscient de ses erreurs, j’aime beaucoup. » Un commentaire qui s’était achevé par une nouvelle bouchée de ma viennoiserie. C’est vrai que c’était bon quand même. Son professeur de danse technique à l’Opéra de Paris lui aurait sans doute taper sur les doigts – ou alors sa costumière – mais cela le faisait intérieurement rire car combien de fois avait-il réussi à éviter le drame en apportant ces fameux objets de la discorde. En tout cas, j’appréciais quand même que le message soit bien reçu et passé. Cela ne m’avait jamais plu, sans doute parce que j’associais cela à la figure paternelle, à l’éducation Greetham. Et que le petit rebelle que j’étais apprécié faire tout l’inverse de ce qu’il voulait. Mais avec les années, je m’étais rendu compte que le respect ne résidait pas uniquement dans une affaire de langage ou de syntaxe alambiquée. Un cynisme mordant dans une phrase ampoulée pouvait être encore plus irrespectueuse qu’une autre en soi. Enfin, j’espérai que cela permettrait aussi de briser la glace et de détendre quelque peu mon interlocuteur qui semblait se contenir. Ce n’était qu’une impression peut-être mais je faisais l’analogie du fait de rencontrer quelqu’un pour débuter quelque chose qui nous sortait de nos habitudes. Et puis, il était là aussi pour le travail donc quelque part, cela faisait une double dose de pression à gérer. C’était mon rôle de gérer les aprioris de mes élèves en tant que professeur alors autant m’y atteler dès maintenant – même si chacun a sa propre technique.

Prenant place sur le canapé, je penchais légèrement la tête, les sourcils légèrement froncés. « Donc débutant, débutant ? » demandais-je pour être sûr de ce que j’avais entendu. Oh ce n’était pas dérangeant mais d’un côté, c’était presque en fait logique dans les faits ; il faisait des choses qu’il n’avait pas l’habitude de faire donc fatalement, il n’était pas pro dans le domaine – dès fois Abel, tu réfléchis à moitié ou alors pas du tout. Néanmoins, je ne saurais dire si cela provenait de mon esprit de mon esprit quelque peu libidineux mais cette tournure avait de quoi être à double sens pour moi, me faisant presque rire, rire que je contenais quelque peu. « Cela se tient et puis relever des défis a un côté toujours amusant. Je n’ai pas regardé la vidéo en question, pas envie de me spoiler je pense mais peut-être que j’aurai dû… » dis-je en finissant mon pain au chocolat en lui faisant un petit clin d’œil. Est-ce que cela était cynique ? nullement plutôt très humoristique. « Une catastrophe, hein ? Alors je crois que tu vas adorer me détester ! » rajoutai-je alors que je me relevai du canapé pour récupérer mon sac et l’ouvrir pour en sortir un bas de survêtement gris et un débardeur beige. « D’ailleurs pour la vidéo, tu veux procéder comment ? faire des rush du cours, des essais ? tenter quelque chose avant ? » Oui, autant savoir ce que le vidéaste avait prévu ; attendant sa réponse, je retirai mon jean pour le poser sur mon sac, de même que mon t-shirt avant de me retourner pour le regarder. Croyez-le, c’était tout sauf exprès mais avec les années, j’avais appris à faire au plus pratique et rapide. Même si le fait de se retrouver en presque tenue d’Adam n’était pas quelque chose qui me perturbait plus que cela quand on y pense. Mais les autres Abel, tu y penses ?

Si ce n’était pas la première fois que je donnais un cours de danse, c’était sans doute la dernière fois que j’en donnais un dans pareil contexte. Alors bien sûr apprendre les variations aux futures étoiles, faire répéter les concours internes, tout cela ne comptait pas vraiment. Pourquoi ? Et bien parce que cela faisait partie intégrante de mon travail en tant que membre de la compagnie. Même lorsque je faisais des interventions auprès d’associations, les choses étaient quand même différentes puisque même si certains étaient débutants, cela restait en petits groupes. Aujourd’hui, cela avait une ambiance presque intimiste devrais-je dire. Sheldon, sa caméra et moi. C’était assez étrange quand on y pense pourtant je n’avais pas hésité longtemps avant de dire oui à sa proposition. D’une part ce que je trouvais le format intéressant, de deux parce que c’était une façon aussi pour moi de relever un nouveau défi et de trois parce que danser était toute ma vie ; alors si je pouvais transmettre cela même si c’était durant une vidéo de plusieurs minutes, je n’allais pas m’en priver bien au contraire.

Pourtant, je pouvais voir une certaine forme de réticence – je ne sais pas si c’est le bon terme – de la part du petit brun. « Je croyais que tu étais prêt à tout pour ce défi. Enfin, si je me souviens bien de tes mots. » indiquai-je en fronçant légèrement les sourcils, étant faussement sceptique face à ses mots. Je comprenais bien qu’il pouvait se sentir gauche dans cette affaire, autant que je me sentirai peu à l’aise de faire son métier d’influenceur. Non pas que j’étais mal à l’aise devant les caméras mais je ne me considérai pas comme quelqu’un de forcément éloquent et qui avait quelque chose à proposer autrement qu’au travers de la danse.

La réflexion de Sheldon me fit en revanche rire. Un rire loin d’être moqueur en effet mais soulignant mon amusement face à tant de dépréciation de sa part. C’était souvent loin d’être aussi pire qu’on pouvait le formuler ou l’imaginer. « Oh crois-moi, je n’étais pas très bon quand j’ai commencé. Aucune souplesse, aucune coordination réelle. Tout cela se travaille avec le temps. » dis-je pour quand même le rassurer quelque peu. Alors certes, j’avais été – de nombreuses fois – complimenté par la critique mais cela relevait également d’une énorme part de travail, d’acharnement. J’avais quelques facilités dans certains domaines – comme tout le monde je pense, mais ce n’était pas uniquement parce que j’avais été touché par une quelconque grâce divine. « Je ne vais pas vomir ne t’en fais pas, je ferai quand même attention à ne pas trop te bousculer. » finis-je quand même par dire. Oui, autant ne pas le faire fuir dès le début.

Acquiesçant d’un signe de la tête, je n’avais pas tardé à me changer. Délaissant ma tenue de ville pour enfiler quelque chose de bien plus confortable avant de me retourner pour fixer le nouveau danseur qui allait me démontrer toutes ses habilités – ou non-habilités si j’en croyais ses dires. Me rapprochant de lui, je fixai alors le téléphone que Sheldon avait dans ses mains. Faisant légèrement doucement claquer ma langue sur mon palais alors que je venais à attraper son regard du mien, je lui fis un petit sourire. « Donc me présenter… Ca va être marrant tiens… » soufflai-je comme pour moi-même avant de prendre une inspiration et regarder l’objectif avec un sourire. « Alors bonjour la communauté de Sheldon, c’est bien comme ça qu’on dit ? » demandai-je alors avec un rire. Est-ce que j’étais gêné pas tant que cela, mais je me sentais clairement gauche de m’adresser à… personne directement, enfin du moins pas de façon instantanée. Marquant une pause, je me décidai finalement de me décaler pour rejoindre le brun que j’attrapais par les épaules pour le ramener contre moi, venant cliquer sur l’écran pour faire pivoter la vue vers nous. « Là, c’est bien mieux. Moins formel… » dis-je en commentaire. C’est vrai que c’était plus à ce que je pouvais faire sur mon compte Instagram quand j’annonçais quelque chose à ma communauté, j’espère qu’il ne m’en voudrait pas ? Le côté face caméra seul était un peu trop carré. « Regardez avec qui votre brun préféré se retrouve ! Je m’appelle Abel Gretham, ancienne étoile du Ballet de l’Opéra de Paris et ancien principal danseur à l’Australian Ballet. Aujourd’hui j’ai la lourde tâche de lui apprendre à danser. » dis-je alors avec humour alors que mes yeux glissaient vers Sheldon pour le regard avec un petit sourire, posant ma tête contre la sienne. « Des questions ? » oui autant qu’il oriente cette présentation, ce serait beaucoup plus simple pour moi.