The past is a place to learn from, not to live in -- @Andy Hall

26 décembre 2022

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été la risée de la famille. J’étais celui qui changeait de boulot comme il changeait de chemise, celui dont son année sabbatique après le lycée s’est transformée en décennie. Mes oncles et mes tantes m’ont rebattu les oreilles je ne sais plus combien de fois sur le fait qu’ils ne comprenaient pas pourquoi je manquais autant confiance en moi, pourquoi je n’étais pas aussi charismatique que mon frère Freddy… Avec un père neurochirurgien et une mère avocate, j’avais tout pour réussir disaient-ils, sans comprendre pourquoi je ne prenais pas la route de l’université comme le reste de ma fratrie. Certains ont même cru que je faisais ça pour avoir de l’attention alors que, pourtant, tout ce que je désirais était qu’on me laisse tranquille. Au fil des années, j’ai fini par avoir envie d’une certaine stabilité et j’ai entrepris des démarches pour reprendre ma vie en main. Depuis plus d’un an, je mets les bouchées doubles en conjuguant études et travail. Ce n’est pas toujours facile, mais voir la fierté dans le regard de mes parents me motive à continuer même si devenir mécanicien n’a jamais été mon plan A. Après plus de dix ans à ressasser le passé, j’ai aussi enfin réussi à passer par-dessus ma mauvaise expérience avec Andy. Du moins, c’est ce que je pensais avant de me brûler les ailes une deuxième fois en faisant confiance à Byron alors que je n’aurais pas dû… Le pire dans cette histoire, c’est que Tessa était au courant et qu’elle ne m’a rien dit. Ma sœur jumelle m’a laissé présenter Byron à notre famille hier alors qu’elle savait qu’il n’est pas que cuisinier pour gagner sa vie. Elle aurait dû m’en parler, mais elle m’a trahi elle aussi, jamais je ne l’aurais cru capable de me faire ça… À qui puis-je faire confiance si même à elle je ne peux pas? Certainement pas à Freddy qui ne manquera pas une occasion de se moquer de moi à ce sujet, je le sais… « T’es sûr que c’est une bonne idée Link? » Je demeure silencieux quelques secondes avant de répondre à Adriel. « J’ai besoin de régler quelque chose avec lui, ça va aller… » Sans poser davantage de questions, mon ami m’envoie la nouvelle adresse de mon ex que j’entre dans mon GPS sans réfléchir davantage.

Lorsque j’arrive à destination, je stationne ma voiture de l’autre côté de la rue et je scrute attentivement la maison d’Andy. J’essaie d’imaginer ce que peut être sa vie maintenant, mais il y a peu d’indices à l’extérieur qui pourraient me donner une idée sur ce que je pourrais apprendre ce soir s’il daigne m’ouvrir la porte. La vérité, c’est que je ne sais pas exactement ce que je fais ici, ni ce que je vais lui dire. Tout mon être me crie que ce n’est pas une bonne idée de venir chambouler sa vie en débarquant chez lui à l’improviste, mais c’est plus fort que moi. Je me sens complètement perdu après ma discussion avec Byron hier et Tessa aujourd’hui, et j’ai besoin de réconfort. Je sais que c’est complètement stupide et que je n’arrive pas à penser clairement, mais Andy est le premier à qui j’ai pensé… Sans plus attendre, je sors de ma voiture et je monte les marches qui mènent à sa porte d’entrée sur laquelle je toque. En attendant que quelqu’un m’ouvre, j’observe mon reflet que j’aperçois dans la vitre en face de moi. Mes paupières gonflées et mes yeux rougis trahissent les émotions que je tente tant bien que mal de refouler à chaque inspiration. « Qu’est-ce que tu fais ici Link… » Je me parle tout seul, j’essaie de me convaincre qu’il est encore temps de rebrousser chemin, mais c’est à ce moment que j’entends des pas s’approcher de l’autre côté de la porte. Ses pas. Le cœur battant la chamade, je replace mes boucles d’une main tremblante tandis que la porte s’ouvre sur un Andy plus que surpris de me voir chez lui. « Andy... » Je ne dis rien de plus, qu’est-ce que je pourrais bien lui dire de toute manière? Je déglutis difficilement en plongeant mon regard voilé dans le sien. Sans réfléchir, je franchis la distance qui nous sépare et je pose mes lèvres contre les siennes en glissant une main sur sa nuque. Je veux qu’il me prenne dans ses bras, j’ai besoin de sentir que je vaux assez pour qu’on veuille de moi. J’en ai besoin, mais je ne m’y prends clairement pas de la bonne façon…

Leah était à l’étage avec Lizzie et lui lisait une histoire. Andy savait qu’elle ne redescendrait pas encore. Lire un livre, même pour enfant, prenait du temps, surtout quand Lizzie en réclamait un second. Pour éviter de coucher la petite trop tard, ils avaient convenu de manger plus tôt le soir. Josh était ravi, cela lui laisser un créneau plus large pour laisser libre cours à son côté geek. Les écrans avant d’aller au lit ce n’était pas une bonne chose. Andy et Leah le savait mais chaque chose en son temps. La priorité du moment c’était Lizzie et les cauchemars. Donc, les deux enfants et leur mère à l’étage, ça laissait un Andy tout seul en bas, qui venait de terminer de ranger la cuisine où ils avaient dînés. La place était calme et propice à se laisser aller à ses pensées. Et Andy songeait de plus en plus à allumer son PC portable pour vérifier quelques points de son dossier en cours quand il fut troublé par des sons à la porte d’entrée. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que quelqu’un avait toqué.

Andy se dirigea donc vers la porte d’entrée, sans appréhension aucune, se demandant juste qui pouvait venir leur rendre visite. Il n’était certes pas bien tard, mais pas tout à fait non plus l’heure classique des visites. La famille et les amis avaient l’habitude de prévenir avant de passer, aussi Andy penchait vaguement en faveur d’un voisin. Quelqu’un qui manquerait d’un ingrédient quelconque pour le repas du soir. Leah et Andy s’entendait bien avec le voisinage, en général, et n’étaient pas les derniers à se proposer pour un dépannage de dernière minute s’ils pouvaient aider, charité chrétienne oblige. Cependant quand la porte s’ouvrit sur un visage terriblement familier, Andy en resta stupéfait.

C’était Link qui avait toqué à la porte. Link. Le cœur d’Andy avait raté un battement et les yeux écarquillés de surprise, il peinait à comprendre la scène qui se déroulait devant lui. « Andy... » C’était bien Link, pas qu’Andy en ait douté une seconde. Mais il ne s’expliquait pas la présence de l’autre ici. Puis au-delà de la stupeur, vînt l’angoisse. Leah était à l’étage. Elle ignorait tout de Link et devait continuer de ne rien savoir. Tout semblait se dérouler instantanément. Trop rapidement pour être vraiment analyser et pourtant Andy était certain qu’il n’oublierait jamais la moindre de ces secondes. Il avait songé à faire un pas en avant pour pouvoir refermer la porte derrière lui et ainsi instaurer une barrière supplémentaire entre cette rencontre et le reste de sa famille. Mais il ne bougea pas, parce que cela l’aurait rapproché de Link et qu’inconsciemment, il préférait conserver entre eux la limite factice que représentait le seuil de la porte d’entrée. Andy était dedans, Link dehors. Les choses devaient rester ainsi, deux plans séparés. Il nota aussi, les yeux rougis de son interlocuteur. Ce qui lui fit penser que Link n’était pas là pour régler des comptes ou faire une scène. Peut-être avait-il besoin d’aide ? La mine déconfite et le cœur se déchirant comme il ne pensait plus cela possible, Andy ne pouvait cependant pas se permettre de laisser l’autre homme entrer dans sa vie. Surtout pas ici, chez lui. « Link, bon sang ! Mais qu’est-ce que tu fous ici ? » dit-il sur un ton bas, trahissant sa volonté de ne pas être entendu. Quoi que recherche ou ait besoin Link, ce n’était pas Andy qui pourrait le lui apporter. Avait-il pu oublier comment cela c’était terminé la première fois ? Non bien sûr que non. Leur dernière rencontre avait été assez claire à ce sujet là.

Et comme si tout ceci n’était pas assez surréaliste, voilà que Link s’approcha et l’embrassa…Andy ne s’y attendait vraiment pas. Tout son être faisait des haut et des bas et il peinait à réfléchir de façon cohérente. Il faut dire que ce baiser lui rappelait mille et une chose, aussi bonnes que mauvaises. Et cette question lancinante qui prenait encore parfois Andy par surprise : et si ? Si tout avait été différent en 2008… S’il n’avait pas passé les quatorze dernières années à se bâtir cette vie, une vie qui n’incluait pas Link, peut-être, aurait-il pu céder à ce baiser. Il avait la sensation que Link en avait besoin. Un instant, il songea à le prendre dans ces bras, une envie aussi soudaine de le rassurer, de le protéger et de se faire pardonner. Mais c’était absurde. Andy n’avait rien de bon à offrir à Link et il fallait que ce dernier l’accepte une bonne fois pour toute.

Andy avait les mains tremblantes, mais c’est avec fermeté, qu’il attrapa de la droite celle que Link avait posé sur sa nuque pour l’éloigner et que de la gauche il repoussa Link d’un pas pour réinstaurer cette distance entre eux. En regardant au dessus de l’épaule de Link, Andy ne put s’empêcher de balayer des yeux le voisinage pour s’assurer que personne n’était là, n’avait assisté à la scène. Il n’y a pas pire fléau que les commérages de quartier. Puis c’était plus facile que de regarder Link. Ou de s’interroger sur la sensation de ses lèvres contre les siennes. Mais tout était calme, ils étaient seuls. Alors il replongea finalement ses yeux sur LinK. D’une voix toujours basse, un peu hésitante part moment mais décidé, il ajouta « Arrête ! Qu’est ce que tu fais ? Tu ne vois pas que c’est une mauvaise idée ? » Link devait se réveiller, quoi qu’il l’ait amené ici, rien de bon ne pouvait en découler. Et pourtant…Pourtant Andy ne l’avait pas lâché. Il avait sa main gauche sur la poitrine de Link, dans le seul but de l’empêcher d’approcher à nouveau, plutôt logique. Par contre il ne s’expliquait pas pourquoi il n’avait pas encore lâché son poignet. Etait-ce seulement par ce que Link avait l’air malheureux ? Il devait partir, et vite, Andy le savait. Mais il ne l’avait pas encore dit.

The past is a place to learn from, not to live in -- @Andy Hall

« Link, bon sang ! Mais qu’est-ce que tu fous ici ? » Les paroles d’Andy sont sans équivoque : encore aujourd’hui, je ne suis pas le bienvenu chez lui et ça me fait mal de l’entendre. À quoi j’ai pensé en débarquant ici à l’improviste? Comme si après quatorze ans il allait m’accueillir les bras grands ouverts… Andy a sa vie maintenant et étant donné la réaction qu’il a eue lorsque son père nous a surpris ensemble, c’est assez clair que ce serait sans moi. Malgré ça, une once de courage insoupçonnée (ou de stupidité) trouvée au fond de moi m’amène à faire un pas dans sa direction pour poser mes lèvres sur les siennes dans un geste désespéré. Il n’y a aucune chance qu’il y réponde positivement et je le sais, mais c’est plus fort que moi. J’ai besoin de sentir que quelqu’un veut de moi tandis que je viens d’apprendre que Byron s’envoyait en l’air avec Brisbane au complet pendant que je pensais à lui en croyant qu’il travaillait au casino. Il faut croire que j’avais espoir que mon ex ait cheminé sur son homosexualité dans la dernière décennie, mais à le voir regarder partout autour après m’avoir repoussé, je comprends que non. J’ai beau sentir de la chaleur se dégager de sa main posée sur mon poignet, j’ai l’impression que des kilomètres nous séparent. Le rejet est violent et c’est l’air désemparé que je le fixe. Les battements de mon cœur me martèlent les tympans et je suis incapable de prononcer le moindre mot. Malgré la distance qui nous sépare maintenant, je peux encore sentir la chaleur de ses lèvres contre les miennes. Leur goût n’a pas changé et ce baiser fait remonter à la surface divers souvenirs partagés avec lui, des bons comme des moins bons. « T’as honte. T’as encore honte de moi. » dis-je d’une voix tremblante en ne pouvant réprimer un léger rire étranglé d’un sanglot. Malgré ce semblant de reproche, je suis mal placé pour le juger considérant que j’ai toujours refusé de m’afficher en public avec Byron étant donné la crainte de choquer des gens et d’attirer leurs foudres comme ça avait été le cas avec le père d’Andy.

« Arrête ! Qu’est-ce que tu fais ? Tu ne vois pas que c’est une mauvaise idée ? » Oui, mais… « Au moins t’es capable de me le dire cette fois-ci. » Pas d’illusions comme la dernière fois. J’aurais aimé qu’il ait autant de courage devant son père que devant moi, mais je suis persuadé que rien n’a changé de ce côté. Andy est autant courageux que Byron est honnête. Son ton de voix me fait comprendre qu’il n’est pas seul chez lui et il me faut peu de temps pour comprendre que sa femme doit être à l’étage. Cette pauvre femme de bonne famille mariée pour faire plaisir à son père, une autre victime dans cette pauvre histoire et ça me répugne de me dire que rien n’a changé depuis que nous nous sommes croisés par hasard chez Adriel. Il aurait dû apprendre de notre histoire, du mal qu’il m’a fait, mais il n’en est visiblement rien s’il continue de mentir à sa femme. « Elle est ici c’est ça? » lui demandé-je sur un ton de reproche. Je ne suis pas ici pour faire une scène à propos de son mariage, ça ne me regarde pas vraiment, mais je ne peux m’empêcher de lui passer un commentaire parce que je me mets à sa place en imaginant comment elle se sentira lorsqu’elle apprendra. Les mensonges me répugnent. « Vous êtes tous les mêmes, une bande de menteurs. » D’un geste sec, je dégage mon poignet de l’emprise de sa main en reculant d’un pas, m’agrippant de justesse après la rampe d’escalier lorsque mon pied passe à deux doigts de glisser sur le bout de la marche que je descends pour instaurer un peu plus de distance entre nous deux. « Vous vous entendriez bien ensemble. Vous êtes bons pour me faire croire que je compte alors que vous n’en avez rien à foutre. » Andy n’a rien à voir avec Byron et moi, mais j’ai besoin d’exprimer la douleur que je ressens et c’est sur lui que ça tombe.

« T’as honte. T’as encore honte de moi. » Andy entre ouvre la bouche pour répondre quelque chose mais ne finalise jamais la manœuvre. Les choses sont plus compliquées que ça. Ce n’est pas Link le problème. C’est Andy. Au fond de lui, il le sait très bien et jamais plus clairement que lorsqu’il fait face à son ex. Le problème c’est son homosexualité à lui. Celle des autres n’entre pas en compte parce que celle des autres ne vient pas perturber sa famille. Se retrouver ensemble ne peut aboutir à rien de bon. C’était une mauvaise idée pour Link de venir ici. « Au moins t’es capable de me le dire cette fois-ci. » Ca fait mal. Oui aujourd’hui, il peut le dire, parce qu’aujourd’hui il est capable de mesurer les conséquences de ses actes. A l’époque, il baignait dans un monde idéalisé où il serait libre de vivre comme il le voulait. La réalité avait été différente. Il avait du choisir entre ses parents et une part de lui-même. Renier ou plutôt être renié par ses parents, ça avait été irréalisable pour lui. « Link, je sais que tout est de ma faute. Je ne me le pardonnerai jamais, mais on ne peut pas revenir en arrière. » dit-il d’une voix presque désespérée. Il a l’impression de répéter les mêmes choses à chaque fois qu’il voit Link. On dit que les mots restent et que pour ça ils sont importants, mais souvent, ils sont bien incapables de rattraper les actes ou même juste ne sont pas à la hauteur pour les expliquer. Ce qu’il aimerait faire comprendre à Link, c’était : « Je suis vraiment désolé. ». Encore des excuses qui lui paraissent vaines bien que sincères. Andy voudrait juste que Link tourne la page et sois heureux.

« Elle est ici c’est ça? » Andy n’acquiesce pas, c’est inutile, la réponse paraît évidente. Il devine que Link n’approuve pas et il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi. Andy vit avec l’idée que son secret soit découvert par sa femme et que ça lui coute l’entièreté de sa vie actuelle avec toutes les bonnes choses qui vont avec. L’idée de se défaire aussi des mauvaises ne lui effleure même pas la conscience. Alors Andy finir par détourner le regard parce que faire face au reproche de Link sur ce sujet là, c’est trop dur. « Vous êtes tous les mêmes, une bande de menteurs. » Ces mots et le fait que Link se dégage de sa prise brutalement, lui font relever la tête. « De qui parles tu ? » Il ne peut s’empêcher de poser la question. Il a bien compris aux mots prononcés que quelqu’un d’autre a émiettés le cœur de son ex. Et ça ne plaît pas à Andy. Il n’a aucun droit de ressentir de telles choses, il le sait. Mais au fonds, le bonheur de Link aujourd’hui serait la seule chose qui apaiserait sa conscience quand aux évènements de 2008. Il avait besoin de savoir que lui au moins avait remonté la pente et refait sa vie. Mais cette simple rencontre suffisait à prouver qu’il n’en était rien. « Vous vous entendriez bien ensemble. Vous êtes bons pour me faire croire que je compte alors que  vous n’en avez rien à foutre. » Ces mots signifiait que quelqu’un d’autre au moins s’était montré aussi minable qu’Andy à l’époque. Il avait envie de dire à Link combien il avait compté. Qu’il n’avait jamais aimé un/une autre comme lui-même si ce genre d’expérience c’était finalement avéré peu nombreuse, tant se marier était devenue un besoin vital après 2008. « Qu’est ce qui s’est passé Link ?... C’est pour ça que tu es venu. » Une constatation logique. Quoi qu’ait vécu Link ça l’avait renvoyé à ce que lui avait fait Andy. C’est pour ça qu’il était là maintenant. Link avait reculé, s’éloignait. Andy voulait savoir. Pourquoi ? C’était encore flou dans son esprit. La rue était tranquille et malgré son chagrin et sa colère, Link ne semblait pas vouloir faire de scène. Un risque à prendre. Après une hésitation, il franchit finalement la limite du seuil et referma doucement la porte derrière lui. « Dis moi Link, ce que tu as envie de me dire. » Ou plutôt besoin apparemment.