Siham avait franchi les portes de l’hôpital en urgence avec l’ambulance qui était venue la chercher au travail. Ca faisait moins de quarante huit heures qu’elle était dans cette chambre de la maternité et qu’elle n’avait adressé un mot à personne, si ce n’est pour répondre aux questions qu’on lui posait sur sa santé, son état physique. Peu sur son moral, peu sur ce qu’elle pouvait ressentir, parce que les équipes s’enchainaient et si elle avait déjà expliqué ne pas comprendre ce qui lui arrivait et ne pas savoir qu’elle était enceinte avant que les premières contractions n’arrivent, elle préférait ne plus rien dire, car à chaque nouvelle personne qui passait cette porte, c’était toujours les mêmes questions et les mêmes remarques. Comme si l’arrivée du bébé qui se trouvait à côté d’elle était une bonne nouvelle, comme si elle devait être heureuse d’avoir un fils, comme si c’était l’événement d’une vie. Ce n’était pas l’heureux événement comme décrit pour Siham. Ca ressemblait à tout, mais surtout à un mauvais rêve, presque un cauchemar.
Elle ne lui avait pas donné de prénom, elle n’en avait aucune idée. Il lui restait deux jours pour se décider et trois jours pour savoir si oui ou non elle comptait garder son fils et l’élever ou si elle voulait l’abandonner sous X et ne plus jamais le revoir. Un délai bien trop court pour avoir le sentiment d’avoir le temps de se poser les bonnes questions. Un enfer.
Aisling était la seule personne jusqu’à présent qu’elle avait averti et qu’elle acceptait de voir. Elle lui avait envoyé un sms bien avant de se décider à prévenir sa propre mère – qui ignorait toujours être grand-mère d’ailleurs. Son boss quant à lui, devait pour le moment se contenter d’un : je suis malade, ne comptez pas sur moi pour les trois prochains jours. Puis, pour la suite, elle aviserait. Il n’avait pas dénié répondre, de toutes façons.
Se sentant bien seule dans cette chambre aux murs blancs et quelques touches de roses ici et là, elle se demandait quand elle allait bien pouvoir sortir. Elle avait un mal de dos qui lui crispait le visage à chaque mouvement et dès qu’elle se levait pour aller aux toilettes, c’était un véritable calvaire. Elle sortait de sa salle de bain quand en refermant la porte derrière elle, elle vit le visage de son amie. Siham s’était figée, un mélange de sentiment venaient se bousculer, comme si un elle était en plein concert de métal et qu’un pogo spontané venait de se produire. Les sentiments se choquent et s’entrechoque sans qu’on y comprenne vraiment ce qu’il se passait. Elle perdait le fil. Finalement, elle se senti rapidement comme apaisée, soulagée. « Merci d’être venue. » elle fit un pas vers elle, pour la prendre dans ses bras et s’effondrer aussitôt. Elle ne s’était pas permise une seule larme jusqu’à présent, refuser de se montrer si faible devant des inconnus, mais elle n’avait aucun secret pour Aisling.

@Aisling Hayes

:

Sis before all.

Aisling Hayes &  @Siham Fowler

So no one told you life was gonna be this way, your job's a joke, you're broke your love life's DOA. It's like you're always stuck in second gear when it hasn't been your day, your week, your month, or even your year, but I'll be there for you

Ses doigts s’enroulent entre les mailles de ses manches, sa jambe s’agite nerveusement sous sa jupe tandis que le bus reprend mollement son trajet après avoir recraché quelques voyageurs sur le bitume. Les dents plantées dans sa lèvre inférieure, Aisling laisse son regard errer vers les bâtiments, cherche à apercevoir le ciel bleu entre les façades, détaille les peintures murales et les passants. Tout pour se distraire du sms qu’elle vient de recevoir. Tout pour empêcher ses pensées de s’emballer et de prendre le tournant dramatique qu’elles affectionnent tant. c’est pas l’moment, elle se répète avec un froncement de sourcils déterminé. Parce que les émotions qui l’agitent en cet instant sont dérisoires face à celles qui submergent sans doute son amie. Et la dernière chose dont Siham a besoin, c’est de devoir gérer les états d’âme de l'irlandaise en plus des siens. Après une attente qui lui semble interminable, le véhicule la dépose enfin devant l’hôpital. La gorge nouée, elle s’en échappe d’un pas leste et sautille jusqu’à l’entrée du bâtiment. Ses chaussures butent devant les grandes portes vitrées, sa respiration se saccade sous l’effet de l’anxiété que lui inspire toujours ces lieux, cette impression que la douleur et la maladie rôde au détour de chaque couloir. mais la vie, aussi… Car c’est ça qu’elle est venue célébrer aujourd’hui. Une vie impromptue, un coup du sort effrayant, un cadeau inattendu. Sa main plonge dans son sac, effleure la fourrure incroyablement douce du doudou qu’elle est allée acheter en catastrophe avant de sauter dans les transports en commun. Elle y puise un genre de courage, une étrange sérénité, et s’y accroche de toutes ses forces avant de reprendre son étrange épopée.

« Euh… je viens voir Siham Fowler… elle m’attend. » Remplie d’incertitude, sa voix s’élève dans le hall d’entrée, interrompt le tapotement agréable des doigts de la secrétaire médicale sur son clavier. Elle lui adresse un sourire compatissant, celui qu’on offre aux visiteurs sans trop savoir les épreuves qu’ils vont devoir affronter. Le cliquetis reprend et les traits de la jeune femme se détendent alors qu’elle lui indique le chemin pour se rendre à la maternité. Une boule au ventre, Aisling longe les couloirs et se glisse dans l’ascenseur aseptisé. Le miroir usé lui renvoie son visage pâle et hébété. A tel point qu’elle ne résiste pas à l’envie de se griffer l’avant-bras. Pour vérifier qu’elle est bien ici, qu’elle ne dort pas. mais qu’est-ce que j’fous là ? Les portes s’ouvrent et la libèrent de ses questions. Ses petits pas se font plus pressés alors qu’elle arpente les rangées de portes jusqu’à trouver le numéro que la dame à l’accueil lui a refilé. Là, elle s’arrête, hésite, inspire, frappe discrètement. Pas de réponse. peut-être qu’elle dort, peut-être que je devrais repasser… Peut-être, oui. Pourtant, elle n’arrive pas à bouger. Car Aisling a besoin de voir son amie, d’étudier ses traits, de s’assurer qu’elle va bien. Alors ses doigts s’enroulent autour de la poignée, l’activent, la poussent discrètement.

La porte s’ouvre sans un grincement. Intimidée, Aisling pénètre dans la petite chambre sur la pointe des pieds, comme effrayée d’indiquer sa présence. La fenêtre diffuse une lumière douce et les rayons du début d’après-midi viennent caresser les draps défaits. Les sourcils froncés, Aisling fait un pas dans la pièce pour tenter de repérer son amie. Le bruit de la chasse d’eau la fait sursauter et relever les yeux vers la porte de la petite salle de toilette quelques secondes avant qu’elle ne s’ouvre sur l’expression surprise de son amie. Elles se regardent un instant sans rien dire. Les yeux pleins de questions, leur cœur étreint d’une émotion difficile à identifier. Et puis comme les mots ne viennent pas, ils s’effacent au profit des gestes. C’est Siham qui s’anime en premier. Ses traits s’apaisent, un soupir lui échappe tandis qu’elle franchit la courte distance qui les séparait. « Merci d’être venue. » Sans hésiter, Aisling lui ouvre ses bras, accueille contre elle le corps de son amie et les referme dans son dos. « Bien sûr, y’a pas d’quoi. » Elle souffle dans ses courtes mèches décolorées, inspire son odeur si familière à laquelle se mêle le parfum des lieux.

L’étreinte de Siham se resserre autour d’elle et son corps est parcouru de tremblements. Les lèvres pincées, Aisling promène ses mains sur la surface plane de son dos en battants des cils pour chasser les larmes qui veulent s’écouler de ses yeux comme pour se joindre à celles de son amie. c’est pas l’moment j’te dis ! Elle parvient à garder son flegme en se concentrant sur le réconfort dont Siham a besoin et qu’elle veut lui apporter. « Ça va aller, tu s'ras pas toute seule avec ça, j’te le promets. Ça va aller. » Les mots coulent et se répètent, font comme une couverture pour envelopper son amie. Echo familier de paroles que Siham lui a déjà soufflées par le passé, quand c’était elle qui venait étouffer ses sanglots sur son épaule. L’ironie de la situation ne lui échappe pas. Elles restent un long moment comme ça, dans les bras l’une de l’autre, aussi longtemps que Siham en éprouve le besoin, jusqu’à ce que ses sanglots s’espacent et que son étreinte finisse par se relâcher. Alors Aisling s’écarte à son tour, fait glisser son pouce sur la joue de son amie et lui adresse un sourire mouillé. « T’es si forte, tu vas gérer. » Car son amie est une battante. Dans la vie comme dans le ring, elle ne l’a jamais vue tomber à terre sans essayer de se relever, malgré les coups durs que le destin s’acharne à lui envoyer. « J’ai un truc pour toi. » Sans attendre davantage, elle plonge dans son sac, à la recherche de l’emballage cartonné qu’elle y a glissé. « J’me suis dit que t’aurais surement besoin d'un truc sucré. » Elle ouvre la petite boite, révèle deux cupcakes moelleux en provenance de leur pâtisserie préférée, nappés de crème onctueuse, saupoudrée de paillettes colorées. « Genre… pour oublier la bouffe d’hôpital. » Elle esquisse un sourire complice, se raccroche à ce qu’elles connaissent pour tenter de cacher sa maladresse. Car elle ne sait absolument pas comment se comporter. « Et puis pour reprendre des forces aussi, t'sais ? » Et maintenant, devrait-elle la féliciter, demander à voir le bébé et s’extasier ? Ou bien l’ignorer et soutenir son amie comme avant que ce petit-être ne décide à débarquer à l'improviste pour tout chambouler ? « J’ai d’autres trucs aussi mais… pour après. » Elle se contente alors d’ajouter, jugeant plus sage de laisser le doudou et le bouquin rigolo pour les jeunes maman dépassées qu’elle a déniché dans la boutique de maternité de son quartier. Chaque chose en son temps. « Bon, comment tu te sens ? »  

Pando + whitefalls

Spoiler:

 Qui connaissait mieux Siham qu’Aisling ? Absolument personne. Elles avaient tant partagé, de leur intimité la plus profonde. Cette période de sa vie où Siham s’était perdue dans une aventure qui ne lui correspondait en rien. La rencontre des jeunes femmes se voulait être insolite, si on peut dire. Qui pouvait se targuer de s’être rencontré dans les coulisses d’une scène de strip tease ? Peu de monde. Et Aisling avait su être la personne la plus réconfortante et rassurante dans une période où Siham était totalement perdu. Cette fois encore, elle jouerait le rôle de l’amie que personne sur cette terre ne pourrait endosser. Aisling était à Siham ce la bouillotte était aux femmes qui vivaient chaque mois les règles douloureuses. Un indispensable, chaleureux et doux à la fois.
La main d’Aisling dans le dos de Siham commence déjà à faire son effet d’apaisement. Mais avant d’être totalement serreine, la toute nouvelle maman devait lâcher prise, elle devait se laisser d’évacuer toute cette tension accumulée en quelques heures. Laisser sortir à la fois cette colère, cette inquiétude, cette peur qui la ronge. Et après, qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Qu’allait-il se passer ? Trop d’inconnu à l’avenir pour ne pas être terrifiée par ce qui l’attend « Ça va aller, tu s'ras pas toute seule avec ça, j’te le promets. Ça va aller. » elle renifle honteusement, passant une main sous ses narines pour pas tâcher le t-shirt à pois de son amie, en plus, de couleur clair. C’est pas le moment de lui laisser un souvenir de ce moment. Pas comme ça en tout cas. L’effet de la chaleur se fait sentir, l’apaisement, la douceur, le réconfort. Siham n’est plus seule, elle est avec son armure, sa forteresse. Aisling, c’est la digue contre vent et marrées. Parfois, c’est un peu fragile, on sait pas si ça tiendra toujours, mais elle a le mérite d’être toujours là, toujours présente. Encore une fois. La Fowler s’écarte doucement, sentant reprendre le dessus, elle se redresse et prend un peu de recul, laissant son ami respirer à son tour. « T’es si forte, tu vas gérer. » y a plus qu’à, comme on dit. Elle hoche la tête, pas l’choix, c’est comme ça. Et ce gamin, tout juste sortie du ventre de sa mère, même pas l’temps de s’y faire, que lui non plus, il a pas l’choix.  
« J’ai un truc pour toi. » Siham s’assoit sur le lit, curieuse de voir de quoi parle Aisling. Elle ne la quitte pas des yeux, la voyant glisser sa main dans son sac. « J’me suis dit que t’aurais surement besoin d'un truc sucré. » a vrai dire, surement que n’importe quoi pourrait réconforter Siham. Et voyant l’emballage en question, Siham savait déjà de quoi il s’agissait. Ce genre d’intention qui venait de son amie et dont elle n’était jamais déçue. « Genre… pour oublier la bouffe d’hôpital. » faut dire que Siham n’avait pas avalé grand-chose depuis son arrivée, faisant de la résistance aux plats qu’on lui amenait. Elle qui pourrait en général dévorer n’importe quoi, pas trop exigeante sur la qualité de la bouffe, là, non seulement l’appétit ne lui venait pas, mais surtout, tout lui semblait insipide. « t’as pas idée comme tu touches un point sensible ! » Siham esquisse elle-même un sourire, tout aussi complice que celui de son amie, lui faisant en même temps une place à côté d’elle sur le lit pour l’inviter à s’installer aussi.  « Et puis pour reprendre des forces aussi, t'sais ? » le regard qu’elle portait à Aisling lui envoyait tous les remerciements du monde. Les paillettes colorées sur les cupcakes reflétaient dans ses propres yeux. « J’ai d’autres trucs aussi mais… pour après. » elle hocha la tête, bien que curieuse, elle se montrerait patiente. Puis, d’abord, les pâtisseries. « Tiens ! » elle lui laisse bien sûre la deuxieme. « j’crois que le pire, c’est le petit déjeuner. » elle croque une première bouchée, ayant cette impression de n’avoir rien mangé depuis des jours et de redécouvrir le bon goût des choses. « j’avais oublié comme ces choses là, c’est indispensable à notre vie ! » elle se cache pas de dire la bouche pleine, presque incompréhensible, mais Aisling savait décrypter ce langage-là.
« Bon, comment tu te sens ? » les larmes lui montaient presque à nouveau, brouillant sa vision, mais avec un tel cupcake entre les mains, impossible de se laisser à nouveau déborder par ces émotions. Elle hausse les épaules et prend quelques secondes avant de répondre. « J’suis tellement flippée… » elle souffle, faisant presque voler un morceau de cupcake qui lui restait sur les lèvres, qu’elle rattrape au vol. Elle pouffe, se tenant le ventre quand une légère douleur tire sur son abdomen. « j’ai l’impression d’avoir le corps en miette. » et au de la de ça, l’impression que c’est sa vie qui s’émiette. « j’venais tout juste d’avoir mon propre appart Aisling… » et elle savait à quel point cette nouvelle étape avait été importante pour elle, que cela signifiait enfin qu’elle allait pouvoir reprendre sa vie en main et voler de ses propres ailes, arrêter de vivre pour sa mère, pour quelqu’un d’autre. C’est cette vie qu’elle s’apprêtait à vivre et c’est de cette vie là qu’elle avait envie. Pas de devoir à nouveau être responsable d’un humain.

:

:

Sis before all.

Aisling Hayes &  @Siham Fowler

So no one told you life was gonna be this way, your job's a joke, you're broke your love life's DOA. It's like you're always stuck in second gear when it hasn't been your day, your week, your month, or even your year, but I'll be there for you

Elles s’installent l’une à côté de l’autre sur le petit lit d’hôpital, la boite de pâtisseries entre elles. Comme tous les matins où Aisling s’est traînée jusqu’à Siham, mal en point et le visage marqué comme à l’encre de chine par les restes de son maquillage de la veille. Ces délicieux gâteaux colorés remettaient quelques paillettes sur son cœur meurtri, et elle espère qu’ils opèreront de la même magie sur son amie aujourd’hui. « Tiens ! » Elle tend ses mains en coupe pour récupérer le gâteau et partager ce goûter improvisé. « J’crois que le pire, c’est le petit déjeuner. » Elle esquisse une petite grimace compatissante, n’imagine que trop bien les céréales trempées dans du lait au goût de flotte. « J’avais oublié comme ces choses-là, c’est indispensable à notre vie ! » Elle a les joues pleines, elle reprend des couleurs, et Aisling laisse échapper un petit rire, rassurée de voir Siham se détendre un peu plus à chaque bouchée. « T’inquiète j’me porte volontaire pour te le rappeler. » Elle réplique après avoir agité une main devant sa bouche pleine comme si ça pouvait l’aider à avaler plus rapidement le petit délice qui réjouit ses papilles. Elles restent comme ça côte à côte, à savourer les pâtisseries et la présence de l’autre. Et puis Aisling se lance. Parce qu’elle a besoin de savoir dans quel état d’esprit se trouve son amie. Parce qu’après tout ce qu’elle a vécu, mieux vaut laisser les émotions s’écouler plutôt que de les garder enfermées à clef.

Ses yeux brillent comme s’ils voulaient s’emplir de larmes, mais aucune ne vient dévaler sa peau veloutée. Elle hausse les épaules comme pour lui assurer qu’il n’y a rien à signaler, mais sa mâchoire crispée et ses sourcils froncés racontent une autre histoire. « J’suis tellement flippée… » Elle finit par admettre d’une petite voix. Une miette lui échappe, elle la rattrape, laisse échapper un rire en se massant doucement le ventre. « J’ai l’impression d’avoir le corps en miette. » Cette confession lui serre le cœur. Elle a l’air fatiguée ouai. Ses yeux sont rougis et ses joues un peu creusées, surement à cause des plats moisis que le personnel hospitalier veut bien lui apporter. Mais ces mots font réaliser à Aisling que son mal-être est bien plus profond, jusque dans ses tripes et ses replis les plus intimes. «J’venais tout juste d’avoir mon propre appart Aisling. » La gorge nouée, l’irlandaise glisse un bras autour des épaules de son amie et l’attire délicatement contre elle. « Je sais. » Elle souffle en frictionnant tendrement son bras. « Tu m’étonnes que tu sois flippée, t’avais rien prévu d’tout ça. Puis même les gens qui l'prévoient ils paniquent aussi paraît ! » Elle tente de garder un ton rassurant, se retient de justesse de lui servir un de ces couplets qui ne réconfortent que ceux qui ont remis leur existence à la foi. Parce qu’elle connaît bien son amie et sait que la dernière chose qu’elle a besoin d’entendre c’est que Dieu ne lui aurait pas imposé cette épreuve s’Il n’était pas certain qu’elle ait la force de l’affronter.

Un sourire au coin des lèvres, elle appuie son crâne contre celui de son amie avant de s’écarter pour chercher son regard. « Honnêtement j’serais plus inquiète si tu m’avais dit qu’tout va bien. » Car contrairement à l’irlandaise, qui n’a aucun mal à éclater en sanglots au moindre tiraillement de son cœur, Siham a tendance à tout garder à l’intérieur et se battre tant qu’elle pense encore pouvoir tenir le coup. Exactement comme Sid. Ce qu’ils peuvent être frustrant tous les deux ! Mais ce n’est pas grave, elle les aime comme ça, et s’est donné la mission de les couvrir d’affection jusqu’à ce qu’ils daignent timidement ouvrir leur carapace. Heureusement, son amie se laisse faire aujourd’hui, comme si elle était soulagée de sentir que quelqu’un est enfin là pour prendre soin d’elle. Et Aisling a désespérément envie de se montrer à la hauteur de cette mission. « J’vais t’aider. Du mieux que j’peux, j’vais t’aider. Promis, même si faut qu’j’apprenne à chanter des berceuses ou à cuisiner des légumes. » Elle continue de flirter avec l’humour comme pour s’assurer que la conversation garde un ton léger. Et pourtant, elle ne pourrait pas être plus sincère. Elle qui a l’habitude de s’échouer dans son lit aux premières lueurs du jour pour n’en émerger qu’en milieu d’après-midi serait même prête à tenter d’exister quelques temps le matin pour soutenir son amie. Brusquement elle s’immobilise alors qu’une autre éventualité s’impose à son esprit. « Enfin… euh... s'tu veux l’garder. » Elle ajoute prudemment en se souvenant cette solution souvent proposée en Irlande aux femmes qui ne pouvaient pas avorter. « T’as une idée de c’que tu préfèrerais ? » Elle met les pieds dans le plat, elle veut que Siham sache qu’elle peut lui en parler, qu’elle ne va pas s’offusquer ni la juger, quelque soit la décision vers laquelle elle finira par s’orienter.

Pando + whitefalls

Spoiler:

« Tu m’étonnes que tu sois flippée, t’avais rien prévu d’tout ça. Puis même les gens qui l'prévoient ils paniquent aussi paraît ! » C’est ça l’pire, c’est que finalement, personne est vraiment serein à l’idée d’avoir un chamboulement aussi énorme qu’un gosse dans sa vie. Parait que le temps fait bien les choses, quand on a neuf mois pour se préparer, pour organiser la venue d’un bébé, quand on peut prévoir une chambre, un lit, une commode, des petits jouets qui font de la musique et de la lumière, des lingettes, des couches, même des fringues. Siham n’avait rien de tout ça chez elle, son appartement ressemblait à une chambre étudiante, d’une gamine tout droit sortie de chez ses parents, prête pour la grande vie d’adulte. Même si Siham était quelqu’un de raisonnable, avec la tête sur les épaules, c’était pas ce qu’elle voulait. Elle qui venait de quitter sa mère, mais pour vivre sa vie à elle, pour se décharger des responsabilités vis à vie des autres. C’était le grand saut, c’était son moment elle. Pas le moment qu’elle devait partager avec un ptit mec qui n’avait en plus rien demandé à personne. « C’est pas mon heure, Ais… » elle parlait pas d’sa mort, non et pourtant, elle avait comme l’impression qu’on venait de lui ôter tout espoir de vivre sa propre vie, à nouveau.
« Honnêtement j’serais plus inquiète si tu m’avais dit qu’tout va bien. » Rarement, Siham s’avouait vaincue et admettait perdre l’équilibre. Elle savait aussi bien garder la face, devant les autres, que pour se convaincre elle-même que tout finirait par rentrer dans l’ordre. Admettre une difficulté, c’était admettre sa propre faiblesse et se sentir basculer, elle avait toujours peur de ne pas être capable de se raccrocher aux branches, qu’elle faisait tout pour saisir les moindres opportunités. Ca fonctionnait toujours, même si ses plans étaient déjoués, même s’il fallait tout repenser à zéro, mais là, c’était au-dessus de ses forces. Elle s’avouait vaincue d’avance.  « J’vais t’aider. Du mieux que j’peux, j’vais t’aider. Promis, même si faut qu’j’apprenne à chanter des berceuses ou à cuisiner des légumes. » elle esquisse un sourire, voit déjà son irlandaise préférée penchée au-dessus du berceau -encore inexistant – de son fils et donner de sa meilleure voix pour qu’il s’endorme, se calme, s’apaise de tous les maux qu’un bébé pouvait ressentir sans être capable de l’exprimer autrement que par des pleurs. Oh, Siham redoutait tellement déjà d’entendre pleurer et d’être incapable d’en comprendre la signification. Parait qu’une mère sait décrypter ces choses-là, mais elle ? Elle avait été incapable de le ressentir dans son propre corps, se disait-elle. « Enfin… euh... s'tu veux l’garder. » silence. « T’as une idée de c’que tu préfèrerais ? » deuxième silence. Son regard se brouille à nouveau, acouphènes dans ses oreilles, retour à la réalité.
Alors, comme si elle n’avait pas entendu, elle se contentait de répondre à la berceuse et aux légumes cuisinés. La réponse était induite, de toutes façons. « 2023, c’est ça la vie d’une bonne mère ? Faire des purées de légume maison et bio en plus… » pour ça, elle avait la chance de travailler à l’épicerie et d’avoir tout sous la main. « J’les vois tous les jours, les parents qui s’mettent la pression pour que leurs gosses mangent de bonnes choses. » et puis, des fois, elle les croise aussi au supermarché avec des trucs tout prêt, tu vois sur leurs visages qu’ils culpabilisent de craquer mais qu’ils en peuvent plus. « J’ai une liste toute prête et pleins de tracts sur quoi donner à son môme. Le lait en poudre, les trucs comme ça. » une pile de document qu’on lui avait déposer sur sa petite tablette. « Ça m’empêchera pas de continuer à manger ça. » les cupcakes, bien sûre. « Vivement qu’il puisse y gouter. »
Et finalement, elle revient en arrière. « C’est mon fils, Aisling. » Ses paroles, ces mots qu'elle a du mal à réaliser, ça n'avait pourtant rien de concret et ça n'avait aucun sens dans sa bouche mais pourtant, lui ayant donné vie, elle disait, il était son fils. Là, ses larmes ne se contiennent plus.

:

(bonjour je m'incruste vite fait bien fait, Aisling m'a gentiment donné la permission et Siham... ce sont les battles, il faut ce qu'il faut tmtc )

Du bout de l’index, j’effleure la toile. La texture matte de la peinture ne m’avait pas trompée : après plusieurs jours, elle est sèche. Surtout, elle est enfin terminée. Un frisson de nervosité me remonte l’échine, mêlé à un enthousiasme difficile à contenir. Ce n’est pas exactement la toile que j’avais promise à Aisling. Celle-là, qui sera exposée, est encore en cours. J’ai seulement dessiné le croquis au crayon, préférant me concentrer d’abord sur celle que j’avais l’intention de lui offrir. C’est ce deuxième portrait surprise, représentant la photo particulièrement intime pour laquelle elle avait eu un coup de cœur après notre séance, qui est prête à être remis à sa propriétaire. Trop emballée pour attendre, je récupère mon téléphone qui traînait sur le coin de mon plan de travail. Je cherche le nom d’Aisling dans mes contacts, la trouve rapidement tout en haut de la liste. La ligne sonne pendant de longues secondes jusqu’à ce que sa voix retentisse à mon oreille. C’est clairement la boîte vocale qui a répondu à mon appel, mais je ne m’en formalise pas. Elle m’avait prévenu qu’elle préférait éviter de parler au téléphone autant que possible. Lorsque le bip se fait entendre, je prends la parole. « Salut Aisling, c’est Laoise. Écoute, je voulais seulement te dire que ton portrait est terminé. Je sais que tu voulais le montrer à ton copain aussi tôt que possible, donc si tu as envie de passer au studio, tu pourrais venir la prendre en photo. » En fait, elle pourra repartir avec la toile, mais hors de question que je grille ma surprise sur un vulgaire message vocal. Je préfère de loin découvrir sa réaction en direct. « Pas besoin de me rappeler, si tu préfères on peut décider d’un moment qui fonctionnerait pour nous deux par texto. J’ai hâte de te montrer le résultat ! » En raccrochant, je ne peux m’empêcher d’espérer qu’elle me rappelle très vite. J’aime toujours montrer la version finale de mon travail à mes muses, mais l’histoire d’Aisling m’a spécialement touchée et il me tarde de pouvoir lui montrer le fruit de notre travail. Je repose mon téléphone sur le plan de travail et me penche sur ma prochaine œuvre en chantonnant. Après tout, travailler est un excellent moyen de se distraire.

Sis before all.

Aisling Hayes &  @Siham Fowler

So no one told you life was gonna be this way, your job's a joke, you're broke your love life's DOA. It's like you're always stuck in second gear when it hasn't been your day, your week, your month, or even your year, but I'll be there for you

Un silence les enrobe et les yeux de Siham s’emplissent d’eau. merde, merde, merde. Les dents d’Aisling se plantent dans sa lèvre inférieure comme pour retenir ces questions qui ont blessé son amie. Ces questions qu’elle regrette déjà. j’aurais jamais dû lui demander ça ! C’était pas ses affaires, c’était maladroit. Elle mâchonne l’esquisse d’une excuse, mais au final c’est la jeune mère qui reprend la parole, comme si de rien n’était. Comme si ces derniers mots avaient été effacés. « 2023, c’est ça la vie d’une bonne mère ? Faire des purées de légume maison et bio en plus… » Aisling hausse les épaules avec un petit sourire complice. « J’suppose, ouais. » Au fond, elle n'en sait rien. Le modèle d’éducation qu’elle a reçu dans les années 90 en Irlande est bien différent de ce qu’on attend pour les bambins à Brisbane en ce moment. « J’les vois tous les jours, les parents qui s’mettent la pression pour que leurs gosses mangent de bonnes choses. » Naïvement, elle n’y avait pas vraiment pensé, Aisling. Ces préoccupations sont si loin des siennes… si loin de celles qui animent Siham, aussi. « J’ai une liste toute prête et pleins de tracts sur quoi donner à son môme. Le lait en poudre, les trucs comme ça. »  Le cœur serré, elle observe son amie lui déballer la liste des choses qu’elle doit faire et acheter. Des choses qu’hier encore elle ne pensait absolument pas devoir posséder, une responsabilité qui n’entrait assurément pas dans sa vie de jeune adulte libérée.  « Ça m’empêchera pas de continuer à manger ça. » Il y a presque un soupçon de revanche dans sa voix. Un ton d’humour qui rassure Aisling et laisse un sourire étirer ses lèvres. « Y’a intérêt ! » Elle approuve en prenant elle-même une bouchée. « Manquerait plus qu’ça… »

Le visage de son amie se fait plus songeur, sa voix plus douce alors qu’elle ajoute : « Vivement qu’il puisse y gouter. » Elle est forte, Siham. Malgré le doute et l’angoisse, elle se projette déjà. Se voit partager des petits plaisirs avec son bambin, lui apporter ces bribes de bonheur qui construisent une enfance et des souvenirs bien plus efficacement que n’importe quelle purée de légumes bio maison. « C’est mon fils, Aisling. » Les mots sortent un à un et semblent la surprendre au fur et à mesure qu’elle les entend. Comme si elle comprenait soudain tout le poids de ces paroles, toute l’étendue de cette responsabilité surprise qu’elle se voit peu à peu accepter. Silencieuses, les larmes brouillent son regard et s’écoulent sur ses joues. « Oh, viens là. » Reposant son cupcake coloré, Aisling attire à nouveau son amie dans ses bras. Elle la serre contre son cœur, caresse son dos du plat de sa main comme Siham l’a fait si souvent pour la rassurer, quand c’était elle qui venait chouiner et trembloter dans son étreinte. « C’est ton fils. » Elle répète, pour lui assurer qu’elle a compris, qu’elle ne laissera plus jamais entendre qu’elle pourrait s’en séparer. « Et quelle chance il a d’avoir une maman comme toi. » Les mots lui viennent facilement, nimbés d’assurance et d’une sincérité si profonde que pour une fois, Aisling ne doute pas de ce qu’elle cherche à exprimer. Dans sa poche, son téléphone portable vibre silencieusement, mais Aisling n’y prête pas attention. D’une part parce qu’elle ne répond jamais quand on l’appelle, préférant envoyer les gens sur sa boite vocale et paniquer quelques instants avant de rassembler le courage d’écouter le message qu’ils lui ont laissé. D’autre part, parce qu’elle veut être là pour Siham, sans se disperser. Et elle la tient contre elle jusqu’à ce que les sanglots de son amie aient cessé de la secouer.

« Fais voir cette liste ? » Elle demande alors en gobant la fin de son cupcake d’une bouchée. « J’suppose qu’ils vont t’garder quelques jours à la maternité, pas vrai ? » Elle qui est habituellement si désorganisée, l’envie de prendre soin de Siham dans ce moment de vulnérabilité lui donne soudain l’impression qu’elle pourrait se rendre utile et l’aider à gérer. « J’pourrais aller acheter quelques trucs essentiels en magasin. Genre un lit tout ça, puis demander à mon copain d’prendre sa voiture et installer ça chez toi pour quand tu rentreras. » L’idée de partir en virée shopping pour son amie et son bébé l’anime, et Aisling essaie tant bien que mal de cacher l’enthousiasme qui lui monte au nez. Parce qu’elle aime un peu trop faire les magasins, décorer, et les vêtements de bébés. « Oh, on pourrait même faire un FaceTime pour qu’tu m'dise si ça t’plait ! » Ses yeux pétillent, elle est à deux doigts de sautiller sur place, quand elle s’oblige à se calmer. « Enfin sauf si tu préfères que j’te laisse tranquille et avoir la surprise… » Un bruissement les interrompt et le regard d’Aisling glisse vers le petit berceau en plastique qui attend sagement à leurs côtés. « Parlant de surprise, est-ce que tu... voudrais me l’présenter ? » Elle demande timidement. Parce qu’Aisling, c’est sur, elle trépigne d’impatience à l’idée de découvrir ce petit être inattendu que son amie vient de concocter.

Pando + whitefalls

Spoiler: