Siham avait hésité, enfin, plutôt, au début elle était sûre qu’elle n’irait pas. Parce qu’au fond, elle ne connait pas si bien Laoise et qu’elle reste dans son esprit une cliente de l’épicerie. Même si, Siham admettait volontiers qu’il y avait de ces clients qui sortaient de l’ordinaire et qui savaient se démarquer. Que ce soit ceux qui ne viennent qu’une fois mais qu’elle n’oubliera jamais, ou ces habitués qui ont toujours un mot, une attention pour elle, qui ne la prennent pas uniquement pour du mobilier de l’épicerie. Oh Laoise n’a jamais été de ceux qui ne la considéraient pas, Laoise, c’est toujours un regard vers la caisse dès qu’elle met un pied à l’épicerie, pour adresser un doux sourire apaisant à Siham. La bienveillance, toujours.
Il y a ceux qui ne remarqueront jamais vos cernes, ceux qui se moqueront de la nuit que vous avez passé, de la journée éreintante que vous avez traversé, des nombreuses caisses de marchandises que vous avez du mettre en rayon pendant un temps mort. Puis, il y a elle, qui dès son premier passage à l’épicerie depuis le retour de Siham, qui s’inquiète aussitôt de savoir pourquoi elle ne l’avait pas vu durant plusieurs semaines. Non par curiosité mal placée, mais avec une discrétion touchante. Puis, elle voit, la fatigue, la peur de l’inconnu, la perte de contrôle. Tout ça dans un seul regard. Elle ne dit pourtant rien, Siham, elle ne s’exprime que très peu, mais pour certains, on peut lire en elle comme dans un livre ouvert, Laoise, tel un aveugle qui maitrise parfaitement le braille, elle peut lire en Siham.
« Merci… c’est gentil, mais je ne peux pas accepter. » parce qu’elle est très pudique, Siham. Et qu’il lui faut toujours un temps de réflexion, pour tout. Elle se lance rarement la tête baissé, elle prend toujours des précautions, comme s’il fallait peser le pour et le contre et puis, elle a souvent ce sentiment de déranger. La discrétion, toujours. Suite à quoi, Laoise avait glissé que son adresse se trouvait dans le fichier client de l’épicerie, et qu’elle n’avait qu’à y jeter un œil si elle changeait d’avis.
Et elle avait changé d’avis. Le temps de la réflexion était passé et elle s’était demandé ce qu’elle avait bien à perdre à se rendre chez elle ? Pas grand-chose. Elle arrivait devant cette petite maison qui lui semblait être aussi apaisante que sa propriétaire, une maison qui semble être dans son jus tout en ayant un côté moderne, mi ancien, mi rénové, Siham se demandait ce que ça pouvait dire de Laoise. Puis, elle sonna, poussa le petit portail et s’aventura sur le terrain, jusqu’à la porte d’entrée. Elle ne l’avait pas prévenu, elle ignorait si elle serait là mais elle avait décider de laisser sa chance entre les mains du destin. Si elle était là, elle aurait fait le bon choix, si non, elle ferait demi-tour et ne reviendrait sans doute pas.
Avant même que la porte se n’ouvre, Dali se mis à pleurer dans le cosy que Siham portait à bout de bras. Elle baissa le regard, fit une mine déconfite. « Non, bébé, pas maintenant. » bébé, c’est souvent comme ça qu’elle l’appelait, comme si son prénom était encore trop difficile à prononcer ,comme si ce serait rendre tout cela bien trop réel. Pourtant, ça faisait déjà un mois que c’était bien réel.

@Laoise McLoughlin

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Le soleil qui s’écoule par les grandes fenêtres de mon studio inonde la pièce d’une lueur dorée. Le visage tourné vers la vitre, installée de travers dans l’un des gros fauteuils qui servent à créer les décors de mes peintures, je savoure sa chaleur apaisante qui me réchauffe de l’intérieur, si différente de la grisaille d’Irlande que je cherche à fuir depuis des années. Les yeux fermés, une tasse de thé à la main, je me laisse bercer par la douceur du violoncelle qui s’échappe de la petite enceinte qui accompagne autant mes moments de création que de détente. Mes pensées voguent au gré des notes, légères et éphémères, et je laisse s’envoler sans chercher à les retenir. C’est ma version de la méditation, de longues minutes de sérénité que je m’accorde de temps en temps lorsque j’ai envie de croire que la Terre peut cesser de tourner.

La sonnerie grêle de la porte déchire l’ambiance paisible. Je sursaute et ouvre les yeux. Le cœur battant, j’essaie de me souvenir si j’avais donné rendez-vous à quelqu’un aujourd’hui, mais rien ne me vient à l’esprit. Un instant, j’envisage de rester là où je me trouve et d’ignorer cet appel de l’extérieur. À cette heure, ça ne peut être que le facteur ou des témoins de Jéhovah. Or, je n’attends pas de colis et je n’ai aucune envie d’affronter des religieux zélés et insistants, j’en ai déjà eu mon lot pour toute une vie. Pourtant, je me lève, poussée par une intuition qui me souffle que je devrais aller répondre. Je descends d’un pas pressé le petit escalier qui mène au rez-de-chaussée. À mesure que je m’approche de la porte, les pleurs d’un bébé me parviennent, étouffés par le bois. Les sourcils froncés par la curiosité, je fais tourner la poignée.

Derrière la porte se tient Siham, les bras chargés d’une coquille dans laquelle un bébé, source des pleurs qui m’intriguaient tant, agite timidement les bras et les jambes, son petit visage tordu en une grimace de mécontentement. Je la regarde, surprise de la voir sur le pas de ma porte. Non pas que sa présence soit totalement inattendue. Après tout, je l’avais bien invitée à faire un tour chez moi si elle ressentait le besoin de parler un peu ou de se distraire de ses préoccupations en se plongeant dans l’art. C’est qu’elle m’avait touchée avec les bribes de son histoire qu’elle m’a soufflées entre deux rayons de l’épicerie. Son histoire qui, si elle diffère dans la forme, est terriblement semblable à la mienne dans le fond : la douleur que peut causer la maternité et dont trop peu de personnes parlent, comme si c’était un sujet tabou dont il ne faut même pas reconnaître l’existence. Alors je lui avais tendu cette perche sans pour autant croire qu’elle accepterait. Car on ne se connaît pas tellement, c’est vrai, et sa réponse pleine d’hésitation m’avait plus ou moins convaincue que, si elle appréciait l’offre, elle ne l’accepterait pas.

Je suis contente de la voir, cependant, et je laisse un sourire invitant fleurir sur mon visage. « Siham, tu es venue ! » Distraite par les réclamations bruyantes du bébé qui continue à pleurer, je tourne mon regard vers sa petite bouille rougie par l’effort. Il est affreusement mignon avec ses grands yeux, la houppe de cheveux sombres au sommet de sa tête et ses petits poings contractés de mécontentement. Ça n’empêche pas une bouffée d’angoisse de monter en moi comme un raz-de-marée, réflexe difficile à chasser qui me vient chaque fois que je me retrouve face à un nouveau-né. Je m’efforce pourtant de n’en rien laisser paraître et je m’écarte pour inviter la jeune femme à entrer d’un geste ample de la main. « Je suis contente que tu sois là, » que je lui confie en refermant la porte derrière elle. Puis, question de prendre le taureau par les cornes, je lui demande : « Comment il s’appelle ? » Autant confronter directement mon malaise. Plus vite j’arriverai à le surmonter, mieux j’arriverai à me concentrer sur Siham. Peut-être même que j’oserai le prendre dans mes bras...

@Siham Fowler désolée pour l'attente!

 Les secondes semblaient longues, Siham avait à peine appuyé sur cette sonnette que Dali avait déjà poussé quelques cris. Elle n’y voyait aucune larme dans ses yeux, elle commençait à faire la différence entre ses pleurs de douleurs, ses pleurs liées à la faim, celles où il est trop fatigué mais n’arrive pas à dormir. Mais là, pour Siham, ce n’était pas le moment. Elle voulait déjà faire demi-tour parce qu’elle avait ce sentiment qu’elle allait déranger, plutôt, que son fils allait déranger et qu’elle serait cette mère qui ne savait pas consoler son propre enfant. Et ça, c’était bien vrai. Mais elle n’avait pas envie que d’autres se fassent un avis sur elle. Toutefois, devant la porte de cette maison, Siham ne faisait pas demi-tour, parce que si Laoise était chez elle, elle avait l’intime conviction qu’elle saurait lui apporter son soutien.
La surprise se lisait sur le visage de Laoise dès lors que la porte s’ouvrit et qu’elle posait son regard sur la Fowler. Bien sûr que sa venue était surprenante, elle n’avait pas exprimé clairement qu’elle accepterait sa proposition de venir, elle n’avait même pas laissé sous-entendre que ce serait possible d’ailleurs, bien qu’elle eût fait part de sa gratitude envers la quarantenaire. Siham avait fini par se rendre à l’évidence qu’elle devait accepter les mains tendues et encore plus lorsque celles-ci se voulaient sincères. En tout cas, elle espérait que ce soit le cas. « Siham, tu es venue ! » elle hocha timidement la tête, un sourire perce son visage froid et tiré. « Je suis contente que tu sois là, » Siham ose entrer chez son hôte, restant discrète, le cosy bloqué contre son bas ventre. « J’espère que je dérange pas… » elle baissa son regard vers son fils, avec cette nième lueur dans les yeux, d’espoir qu’il finisse par se calmer. « Comment il s’appelle ? » elle se redressa, observant d’abord la beauté de cette maison avant de répondre. « Dali… » en hommage à Salvatore. « J’espère qu’il m’en voudra pas de l’avoir appeler comme ça… » si ca pouvait faire partie de la longue liste de choses qu’il pourrait lui reprocher plus tard, après l’avoir mis au monde, peut être même. « C’est bête, mais… » elle se coupa la parole elle-même en se penchant vers son fils qui poursuivait ses pleurs. « Je crois qu’il a faim… » elle croyait, parce que cette fois, il ne pleurait pas. Et si elle comptait le temps écoulé depuis son dernier biberon, ca semblait être son heure. « Est-ce que j’peux faire chauffer son lait ? Après, il devrait dormir… ça ira sans doute mieux… » il devrait, c’était dans la logique, s’il arrivait à se calmer, ce serait parfait. Mais, il n’y avait jamais de certitude avec Dali, surtout lorsqu’il était avec Siham. Car étrangement, à chaque fois que la mère de la jeune femme s’occupait de lui, il était bien moins capricieux. « c’est beau, ici. » elle ressentait l’âme de cette maison, aussi bienveillante et chaleureuse que Laoise. « A votre image. » elle s’y sentait bien, à vrai dire, quelques choses d’apaisant dans l’air, c’était peut être le son de la contre basse qu’elle entendait venir de l’étage.

Spoiler:

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Elle a l’air incertaine, comme si elle ne sait pas trop comment elle sera reçue. « J’espère que je ne dérange pas… » Je secoue la tête. « Bien sûr que non. » Je suis bien trop soulagée qu’elle ait accepté mon invitation pour lui tenir rigueur d’être apparue sans préavis sur le pas de ma porte. Du coin de l’œil, je l’aperçois qui détaille le décor d’un œil curieux. De mon côté, je me concentre sur la petite merveille qu’elle a amené avec elle et m’enquiers de son prénom. « Dali… » La référence au peintre me fait sourire. Je crois que, dans une autre vie où j’aurais pu élever mon fils, ça aurait été mon genre de l’appeler Gustav ou Vincent ou, pourquoi pas, Pablo. Je crois que ça m’aurait plu. À Aodhan aussi, sûrement, même s’il aurait certainement négocié ferme pour avoir le droit de nommer notre prochain enfant en l’honneur de son poète préféré. Une douleur sourde me serre la poitrine à cette idée, comme chaque fois que je m’imagine, ne serait-ce que l’espace d’un instant, ce que notre vie à deux aurait pu donner. Même après toutes ces années, la blessure ne s’est jamais vraiment cicatrisée. « J’espère qu’il ne m’en voudra pas de l’avoir appeler comme ça… » Je croise les bras, esquisse une moue amusée. « Ça m’étonnerait. C’est joli, Dali… » Et puis, c’est plus cool que l’auraient été bien d’autres prénoms inspirés par des artistes. Et depuis quand tu sais ce qui est cool, hein ?

Siham n’est pas totalement à l’aise. J’ignore si c’est parce qu’elle a encore l’impression de déranger ou si ce sont les pleurs de Dali qui la rendent nerveuse. Je dois admettre qu’à mes oreilles aussi ils paraissent particulièrement agressants, d’autant plus que je n’ai pas trop l’habitude. « C’est bête, mais… Je crois qu’il a faim… » De ce que je connais des bébés, c’est une théorie tout à fait plausible, mais je ne saurais le lui confirmer. Je me mords la joue, consciente tout à coup d’être au fond peu utile à une maman débordée et dépassée par les responsabilités qui viennent avec ce petit être auquel elle a donné naissance. « Est-ce que j’peux faire chauffer son lait ? Après il devrait dormir… ça ira sans doute mieux… » Sans la moindre hésitation, j’acquiesce d’un hochement de tête. « Bien sûr ! » D’un geste de la main, je l’entraîne avec moi à l’intérieur, vers l’îlot qui occupe le centre de la cuisine. « C’est beau, ici. A votre image. » Le compliment me touche énormément. J’ai travaillé fort pour faire de cette maison que j’ai rénovée à ma façon un endroit où je me sens bien, chez moi. J’ai soigneusement choisi chacune des couleurs qui recouvrent les murs, le grain du bois et la teinture des meubles, les tissus des rideaux, pour que ça devienne mon petit paradis, un endroit où il fait bon vivre mais aussi créer. « Merci… » Espiègle, je lui lance un regard en coin en attrapant l’une des casseroles suspendues au-dessus de l’îlot. « Attends de voir le studio, c’est la plus belle pièce. » J’ai hâte de le lui faire visiter, mais surtout de préparer avec elle un petit coin où elle pourra s’installer pour créer. Je suis certaine que ça ne pourra que lui être bénéfique.

Incertaine tout à coup, je brandis la casserole. « Tu… fais chauffer le lait avec de l’eau chaude ? » Il me semble que c’est la méthode habituelle, mais je n’ai jamais vraiment eu à le faire moi-même. Du reste, tellement de choses ont changé dans les dernières années, peut-être existe-t-il une nouvelle technologie qui surpasse les classiques et dont j’ignore tout. « Je t’avoue que je n’y connais pas grand-chose. Presque rien en fait… » Prenant mon courage à deux mains, je dépose ma casserole sur le comptoir et m’approche de Siham. « Mais peut-être que je pourrais le surveiller pendant que tu fais chauffer son lait ? » S’il reste sagement assis dans sa coquille, je crois que j’arriverai à m’en sortir. Je suis certainement capable de divertir un bébé de quelques mois. Vraiment, je n’ai aucune raison d’être si nerveuse à l’idée que Siham me remette son fils, même si c’est moi qui le lui ai proposé.

@Siham Fowler T'inquiète, ça m'arrive aussi de temps en temps  

 Siham était de nature assez discrète, elle aimait savoir où elle mettait les pieds et scanner son environnement avant de savoir si elle pouvait être elle-même et se sentir totalement à l’aise pour exprimer toutes les facettes de sa personnalité. Mais depuis l’arrivée de son fils dans sa vie, elle avait toujours ce sentiment d’être de trop, peu importe où elle se trouvait et avec qui elle se trouvait. Elle avec ce sentiment de gêne, qu’elle avait rarement ressentie auparavant. Seulement, en étant chez Laoise, la gêne s’apaisait à mesure qu’elle découvrait où elle était et que l’aura de Laoise perçait sa forteresse. « Bien sûr que non. » elle sourit timidement et présente son fils, décollant doucement le cosy de son bas ventre. Dali avait toujours un air surpris et éveillé, comme si tout lui posait question, comme s’il était un grand curieux. Ca, c’est quand il ne dort pas et quand il ne se met pas à crier pour on ne sait décrypter quelle raison, comme c’était le cas à présent.  « Ça m’étonnerait. C’est joli, Dali… » Siham posa son regard sur son fils, si seulement il pouvait être plus calme et si seulement elle pouvait le comprendre.  
Elle improvise, surement la faim et puis, s’il ne voudrait pas de son lait, elle tentera d’autres solution : masser son ventre, le découvrir un peu, le bercer, le prendre contre elle… elle ne visait pas toujours juste, parfois, les tentatives étaient nombreuses avant de trouver celle qui convenait. Parfois, elle pourrait le laisser pleurer durant des heures et fermer à clé la porte de sa chambre, s’enfuir en courant, le laisser dans sa détresse. Elle y pensait souvent, ne l’avais jamais fait, mais elle était terrifiée par ces pensées qui ne la quittaient pas.  « Bien sûr ! » Siham suivi Laoise vers la cuisine, posant le cosy sur l’îlot central et fouillant ensuite dans son sac pour en sortir biberon et lait en poudre.  Ca pesait une tonne aussi ça. Faisant son mélange de petit chimiste (qui consistait en réalité à compter le bon nombre de dose de lait en poudre ), la jeune femme n’en oubliait pas d’être observatrice, c’était toujours plus simple pour elle de se concentrer à d’autres tâches que ce qui la ramenait à son fils. « Merci… » Espiègle, je lui lance un regard en coin en attrapant l’une des casseroles suspendues au-dessus de l’îlot. « Attends de voir le studio, c’est la plus belle pièce. » Siham souriait, curieuse de voir plus loin, pressée de retrouver un peu de tranquillité aussi. « Tu… fais chauffer le lait avec de l’eau chaude ? » elle hocha la tête, sortant une bouteille d’eau minérale de son sac également. On lui avait dit de ne surtout pas utiliser l’eau du robinet, pour satisfaire les besoins en minéraux de son fils. Alors qu’elle mettait le biberon à hauteur de ses yeux comme pour s’assurer que le mélange se faisait bien dans le biberon. Plus que quelques minutes pour que son fils puisse enfin boire. « Je t’avoue que je n’y connais pas grand-chose. Presque rien en fait… » Siham releva la tête, souffla du nez et se pinça les lèvres. « Mais peut-être que je pourrais le surveiller pendant que tu fais chauffer son lait ? » le regard de Siham jouait une partie de tennis entre Laoise et son fils. « Bien sûre… » elle alla alors remplir la casserole d’eau pour ensuite la mettre sur le feu. La logistique, ça, elle maitrisait. Elle s’en sortait à peu prêt bien dans n’importe qu’elle cuisine. « Vous pouvez lui ouvrir un peu son gilet… et puis, si vous voulez, y a un bavoir dans l’sac. » qu’elle montra avec son menton. « C’est ma mère qui a acheté ça. » ces bavoirs venus par lots de sept, un pour chaque jour de la samedi. Et bien que mardi était passé depuis plusieurs jours, c’est celui-ci qu’elle avait embarqué avec elle.
En quelques minutes, le lait semblait être suffisamment chaud, Siham en fit tomber une goute à l’intérieur de son poignet, c’est c’qu’elle avait lu dans un blog. « C’est bon… » elle s’approche à présent à nouveau de Laoise et de son fils. « Vous voulez lui donner ? »

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Du coin de l’œil, je regarde Siham qui m’observe avant de se décider. « Bien sûre… » conclut-elle en se détournant, la casserole en main. Hochant distraitement la tête, je m’approche de bébé Dali jusqu’à ce que je puisse me pencher sur sa coquille. Le petit visage tout rouge, il agite ses poings d’un mouvement désaccordé en chouinant. Il s’interrompt toutefois en m’apercevant, le temps de me regarder de ses grandes billes sombres et de pousser un gah enthousiaste en secouant ses petits pieds. Je me demande ce qu’il voit vraiment, me souviens avoir lu qu’à cet âge les nouveau-nés ne perçoivent que des formes floues et se laissent surtout guider par les odeurs et les sons. La voix de Siham me fait sursauter. « Vous pouvez lui ouvrir un peu son gilet... et puis, si vous voulez, y a un bavoir dans l’sac. » Essuyant mes paumes un peu moites sur ma robe, j’acquiesce en me penchant d’abord sur le sac, qui me semble bien moins intimidant, pour en sortir un bavoir décoré d’un petit singe qui tient une banane à moitié pelée en souriant tout grand. « C’est ma mère qui lui a acheté ça. » Je souris en revenant vers Dali. « C’est adorable, elle a bien choisi. » Je demande si elle est heureuse d’être grand-mère. Je suppose que oui, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse être mécontent d’avoir droit à une deuxième dose d’amour parfumée au savon pour bébé. Il y a de minuscules boutons qui tiennent fermé le gilet de Dali et j’en ouvre deux ou trois, question de libérer son petit cou potelé pour y nouer le bavoir derrière sa nuque. Il n’en faut pas plus pour mettre fin à ses couinements, comme s’il avait déjà très bien compris en quelques semaines à peine de vie que lorsque le bavoir apparaît, la bouteille n’est pas très loin derrière.

D’ailleurs, Siham teste déjà la température du liquide d’un geste habile qui dénote une certaine expérience. « C’est bon... » conclut-elle avant de s’approcher de nous et de me tendre le biberon. « Vous voulez lui donner ? » Figée sur place par la proposition, j’observe la bouteille recouverte d’une tétine comme si c’était un insecte particulièrement déroutant, puis me détourne vers Dali, qui gargouille bienheureusement. « Euh, je... » J’hésite une fraction de seconde de plus, puis inspire un grand coup comme pour me donner du courage, et hoche la tête. « Oui, avec plaisir. » Bon plaisir, j’exagère sûrement un peu. C’est plutôt une boule de nervosité en fusion que je ressens en prenant le biberon. Je m’écarte d’un pas pour laisser à Siham l’espace nécessaire pour détacher Dali de sa coquille et m’installe sur l’un des tabourets qui longent le plan de travail. Le coeur battant, je lui tends les bras lorsqu’elle me tend son fils. Bientôt, il est logé au creux de mes bras, sa petite tête chevelue soutenue contre mon bras, son petit corps chaud et étrangement réconfortant pressé contre le mien. Ça ne m’est pas naturel, pas exactement. J’ai l’impression qu’au moindre faux mouvement, je pourrais le blesser. Il a l’air si fragile dans son petit habit aux couleurs pastels. Mais ça ne m’est pas insupportable non plus et petit à petit je me détends. Guidée par Siham, j’incline la bouteille de façon à ce que Dali puisse s’agripper à la tétine et se mette à boire goulument, ses grands yeux tournés vers moi. Un picotement désagréable derrière les yeux, je murmure : « Si tu savais comme j’aurais voulu faire ça avec le mien... » J’aurais vendu mon âme au diable, je crois, si j’avais pu le faire, pour pouvoir tenir mon fils dans mes bras et le couvrir d’amour comme j’en ai toujours rêvé. Pour chasser ces sombres pensées, je relève la tête vers Siham. Elle a l’air un peu moins abattue que lorsque je l’ai vue ce jour-là à l’épicerie, quand je n’ai pas résisté à l’envie d’aller lui parler pour lui offrir un petit soutien. Mais elle me paraît quand même fatiguée, un peu triste même. Je ne la connais pas beaucoup, c’est vrai, mais j’ai l’impression que le fait qu’elle soit venue me voir, c’est en soi un signe que quelque chose ne va pas. « Comment ça se passe avec lui ? » que je lui demande d’une voix douce qui, du moins je l’espère, invite à la confidence.

@Siham Fowler