TW : grossesse non désirée, potentiel abandon d’enfant.

Mon regard se posa sur la jeune Madison âgée de 18 ans. Ce n’était pas la première fois que Madison venait au planning familial. La première fois, c’était pour prendre une contraception d’urgence parce qu’elle avait eu un rapport non protégé. La deuxième fois c’était pour confirmer qu’elle était bien enceinte. Une catastrophe pour cette jeune étudiante qui cumulait deux emplois pour payer son logement et son prêt étudiant. Madison, elle étudie la mode et avant que sa grossesse ne se voit trop, elle continue de poser en sous-vêtement pour des marques de lingerie et gagner un max de fric. Ce matin, Madison devait voir l’assistante sociale parce qu’elle ne savait pas si elle allait le garder ce bébé parce qu’elle avait peur de toutes ces responsabilités. Peur de devenir mère. Peur de devoir l’annoncer au « père » de ce bébé, si on peut appeler ça un père. Mais ce matin, en se rendant à ce rendez-vous, Madison avait eu un accident de scooter. Lorsqu’elle avait passé les portes du planning familial, elle avait mal au ventre et, en accord avec l’assistante sociale, j’avais décidé de me rendre avec elle aux urgences du St Vincent. On ne pouvait pas rester dans l’incertitude. Et si c’était plus grave ? D’autant plus que Madison ne se souvenait plus vraiment comment s’était passé l’accident.

A mon grand soulagement, Madison accepta sans broncher de me suivre aux urgences. En réalité, la seule chose qui avait empêché la toute jeune femme de s’y rendre, c’était la perspective d’y aller toute seule. L’encourageant avec un sourire bienveillant, je lui indiquais la sortie pour nous rendre directement au St Vincent. Je ne savais pas si je faisais bien de la faire marcher les quelques centaines de mètres qui nous séparaient de l’entrée de l’hopital. Je fus néanmoins soulagée de la voir passer le sas d’entrée sur ses jambes. Madison souriait timidement. Un sourire qui cachait sans nul doute une grande nervosité mais elle le cachait très bien.

Moi, en revanche, c’était autre chose. Comme depuis plusieurs semaines, je me sentais nauséuse – et je mettais ça sur le compte du stress – pire encore, j’avais des bouffées de chaleur depuis quelques jours. Et ce matin ne dérogeait pas à la règle. Sauf que cette fois-ci, je ne pouvais pas rester assise dans mon bureau et attendre que ça passe. Je sentais des sueurs froides dans mon dos, et mes oreilles bourdonnaient par moment mais j’essayais de faire comme si de rien n’était. J’expliquais l’infirmière d’accueil aux urgences le motif de notre visite et Madison fut prise en charge immédiatement. Cette dernière tenait à ce que je reste près d’elle et après avoir jeté un coup d’œil à l’infirmière qui ne semblait pas voir d’inconvénient à ce que je reste pour la visite, je les suivis. Pendant un instant, je crus reconnaître cette sympathique et souriante rouquine mais ce fut ma vue qui se brouilla, tandis que mes oreilles bourdonnaient et que mon estomac semblait faire des loopings. « Je crois que je … » Dis-je tandis que je me précipitais sur la première poubelle qui se présentait devant moi pour ne pas retenir le haut-le-cœur que je sentais monter. « Désolée, je … je suis pas très en forme. Le stress sans doute. » Me justifiais-je tout en fermant les yeux quelques secondes. Quand la vague de nausées disparut, je soufflais longuement avant d’afficher un sourire gêné et me tourner vers Madison et l’infirmière qui devait examiner la jeune femme. « Nous sommes ici pour cette jeune femme, je suis juste accompagnatrice. » expliquais-je avant de poser mes fesses sur un siège non loin de là plus parce que je sentais mes jambes faiblir que pour laisser la place à l’infirmière à vrai dire.

J’étais intimement persuadée que tous ces symptômes que j’avais, n’étaient que passagers, qu’il ne pouvait s’agir que du stress. Il y a avait beaucoup de choses qui se passaient dans ma vie en ce moment donc ça ne me questionnait pas plus que ça. « Vous avez des nausées depuis longtemps ? » Et je pouvais comprendre qu’elle s’inquiète mais ma priorité restait la jeune Madison. « Hmm 3 semaines je dirais ? J’ai aussi des bouffées de chaleur mais je suis pas mal préoccupée et j’ai beaucoup de choses à gérer en ce moment. Ne vous inquiétez pas pour moi. » essayais-je de rassurer la jolie rouquine en face de moi, balayant mes paroles d’un revers de main. Mon regard glacé se posa ensuite sur la jeune Madison qui ne paraissait pas vraiment rassurée. J’aurais voulu me lever pour lui tenir la main afin de la rassurer mais je ne me sentais pas encore assez bien pour tenter de me lever sans avoir peur de vaciller.

J’eus encore des bouffées de chaleur et me servis de livret d’accueil des urgences pour m’éventer le visage. « On va sans doute devoir vous faire une échographie, pour vérifier qu'il n'y a aucun problème au niveau de l'utérus et du placenta » J’étais rassurée de la prise en charge de Madison. Je m’inquiétais beaucoup pour cette jeune fille. « En arrivant, Madison avait bien son casque à la main donc je suppose qu’elle l’avait en conduisant et elle a dit à l’assistante sociale qu’elle avait reçu un choc sur le côté. Elle se plaignait au niveau des côtes, côté droit.  » Expliquais-je. Ce qui m’inquiétait, c’était les pertes de mémoire et je commençais à me demander si elle n’avait pas un traumatisme crânien parce qu’elle n’avait plus du tout de souvenir de l’accident. « Tout va bien se passer Madison, on va bien s’occuper de vous. Mais hmm,» dis-je avant de me tourner vers l’infirmière, « C’est normal cette perte de mémoire ? » demandais-je, préoccupée. J’essayais, néanmoins, de garder un sourire rassurant pour ne pas affoler la jeune femme.

Et il n’y avait pas que l’état de Madison qui semblait inquiéter la rouquine. Je devais encore être pâle parce qu’elle me demanda si elle pouvait prendre mes constantes. « Ça vous dérange si je prends vos constantes ? » Devant son insistance, je ne me voyais pas refuser alors, je décroisais mes jambes et tendais mon bras à la professionnelle de santé : « Non, non allez-y. Je suis sûre que ce n’est que du stress. » répétais-je. Qui est-ce que j’essayais de convaincre ? L’infirmière ou moi ?

J’étais dans le déni quant aux symptômes que je donnais à l’infirmière. Et je restais surtout persuadée que tout ça n’était que temporaire … Et je n’avais pas tort puisque ça allait bien finir par s’arrêter. J’étais rassurée que la petite Madison soit prise en charge si rapidement. L’infirmière nous indiqua que cette perte de mémoire pouvait être dû au choc, le stress et même la grossesse … Mais, avec l’équipe, nous avions bien fait de l’envoyer aux urgences, je n’aurais pas voulu passer à côté de quelque chose de plus grave. Madison semblait prendre la mesure de ce qui venait de lui arriver et je vis quelques larmes couler sur sa joue. Je voulais aller la réconforter mais l’interne du service des urgences arriva en même temps et embarqua la jeune femme dans une autre pièce. J’adressais un sourire rassurant à la jeune fille et lui indiqua : « On se retrouve à l’accueil des urgences, d’accord ? » La future maman acquiesça. Il était hors de question que je la laisse repartir toute seule.

L’infirmière s’approcha de moi et me questionna tandis qu’elle mettait un brassard autour de mon bras. « Est-ce qu'il est possible que vous soyez enceinte ? » Je la considérais quelques secondes, n’ayant même pas pensé à cette possibilité-là. « Parce que la fatigue, les nausées, ce genre de malaise... Disons qu'ils correspondent plus à un début de grossesse qu'à du stress. » Une fois de plus je la fixais et éclatais de rire tant ça me semblait impossible. « C’est pas possible … enfin si, techniquement oui, mais je prends ma pilule et je ne l’ai pas oublié une seule fois. Et puis … Je le saurais si j’étais enceinte. Je l’ai déjà été une fois quand j’étais à la face et j’ai avorté. » précisais-je, beaucoup trop sûre de moi pour le coup.
« On peut faire un test urinaire rapide, histoire de vérifier tout ça. » Je finis par capituler et saisis le test de grossesse qu’elle me tendait. « Je suis certaine que c’est pas ça. Je suis juste surmenée : j’ai commencé comme psychologue au planning familial depuis mi novembre, et en parallèle la directrice me forme pour que je devienne son adjointe, j’ai envoyé ma candidature pour reprendre mes études et avoir mon doctorat de psycho et … et ça va pas très fort avec mon compagnon si on se veut honnête et … et j’ai perdu mes deux parents très récemment, dont ma mère le jour de noël. » énumérais-je pour justifier que, oui, je suis un peu stressée en ce moment.

Je déchirais l’emballage du test de grossesse et me dirigeais vers les toilettes pour faire pipi sur la languette. Persuadée que le test allait être négatif, je n’y jetais même pas un coup d’œil et le posais sur le plateau à côté de la jolie rouquine. « Vous voyez, c’est négatif ! » affirmais-je sans même avoir regardé et donc constaté de mes propre yeux qu’il y avait deux traits sur le test …

Il n’y avait pas plus mal chaussé qu’un cordonnier. C’était bien ce que disait l’adage non ? J’étais complètement dans le déni parce que j’avais l’impression qu’on s’éloignait avec Andrew, on était rarement d’accord sur les mêmes choses en ce moment. J’étais consciente qu’il était obnubilé par ses problèmes de santé, que ça l’inquiétait beaucoup mais je ne me sentais pas écoutée. Lorsque je voulais lui parler de mes problèmes, on en revenait toujours aux siens. Alors oui, mes problèmes à moi étaient minimes à côté de son amputation mais j’espérais qu’il soit indulgent avec moi. Et qu’il soit aussi un peu indulgent par rapport au fait qu’il fallait que je me fasse à son monde – les paparazzis, les photos volées entre autre – et que c’était loin d’être évident pour moi. Tout ça, c’était en train de me bouffer de l’intérieur. Il n’y avait qu’à un seul moment ou nous étions clairement en accord : c’était sous les draps et ça encore … ça faisait un petit moment que ça n’était pas arrivé. Et lorsque j’affirmais prendre ma contraception sans oubli et à heure régulière, pour le préservatif, on repassera. Dans mes souvenirs, on s’en était servi la première fois avant qu’on décide de se faire tester très rapidement et depuis … il n’y avait plus de latex entre nous.

J’avais beau avoir les connaissances, et d’autant plus depuis que je faisais partie du planning familial, j’étais complètement aveugle et il allait me falloir une preuve irréfutable de la grossesse pour y croire. « Il y a effectivement pas mal de facteurs de stress, mais ils n'expliquent pas tous vos symptômes. Ou alors vous êtes carrément en surmenage et vous devriez vous arrêter quelques temps ! » « Il y a forcément une autre explication. » Lui répondis-je, beaucoup trop sûre de moi. J’étais tellement empêtrée dans ma vie quotidienne : boulot x2, la réponse de la fac que j’attendais avec impatience, mes problèmes de couple, le deuil difficile de mes parents et le fait que j’ai un demi-frère que je n’avais plus vraiment les idées claires sur mon état.

Mais la jolie rouquine insista et je me résignais à faire ce test de grossesse qui, je le savais et j’en étais persuadée serait négatif. D’ailleurs, je ne pris même pas la peine de regarder ce maudit test parce que mon esprit ne pouvait pas concevoir que je puisse être enceinte. C’était tout simplement impossible. En sortant des toilettes j’aperçus la jeune Madison qui m’attendait à la sortie du box où je me trouvais. Je lui adressais un bref sourire rassurant, pensant que j’allais sortir parce que, encore une fois, ça ne pouvait pas être ça.

La surprise fut donc encore plus grande, lorsqu’elle prononça ces mots. « Je suis désolée, mais vous vous trompez » et qu’elle leva le test pour me le montrer. « Oh putain ! » furent les seuls que j’arrivais, pour le moment, à prononcer et me saisis du test. Le résultat ne pouvait pas être plus clair. Les deux barres rouges étaient bien présentes, pas de doute possible. « Je ne sais pas si les félicitations sont de rigueur ? » Mon regard glacé se leva vers l’infirmière et je sentis mes yeux se remplir de larmes. « Si si » murmurais-je avant de mettre une main devant ma bouche. `

Ma première grossesse était un accident. J’étais encore étudiante et ma relation avec Colin n’était pas sérieuse à ce moment-là … le choix d’avorter n’avait été guidé que par le fait que je voulais avoir une situation stable avant de penser de fonder une famille … et avec un homme prête à ça bien entendu. « Vous allez bien ? » demanda la jolie rouquine alors que je m’asseyais sur la table d’examen. Mon regard dans le vide, il me fallut quelques secondes pour comprendre qu’il allait falloir que je commence à parler avant que l’infirmière ne s’inquiète à mon sujet. J’acquiesçais à sa demande et essuyais les larmes qui coulaient sur mes joues. « C’est euh …. Inattendu ! » finis-je par dire avant de mordre la lèvre inférieure et regarder mon interlocutrice. « Mais c’est … c’est une excellente nouvelle si ! » m’exclamais-je avant de poser une main sur mon ventre.

J’étais sous le choc mais j’étais heureuse et je me disais que c’était le bon moment pour moi. Mon horloge biologique tournait et il était temps que je passe ce cap. Andrew m’avait parlé de son appréhension à transmettre ses gênes pourris à un enfant mais ce n’est pas comme s’il n’était pas conscient qu’on prenait des « risques » dès qu’on faisait l’amour n’est-ce pas ? « Je … j’en reviens pas ! » dis-je une fois de plus avant de m’adresser à Olivia tout en expirant longuement, « Je … Je suppose que j’ai des démarches à entreprendre mais vous croyez que je peux faire la prise de sang dans un laboratoire un peu plus tard ? » Demandais-je prudemment même si je supposais qu’elle ne me laisserait pas sortir comme ça, « Je ne veux pas trop faire attendre Madison parce que je dois la ramener voir l’assistante sociale et que je suis censée être au travail.»

La surprise de cette grossesse était d’autant plus énorme qu’elle n’était pas prévue. J’avais continué – jusqu’à présent – à prendre ma pilule tous les jours mais j’attendrais de voir le gynécologue pour lui poser toutes les questions que je pourrais avoir à poser. « Merci ! » lui répondis-je sentant mes yeux se remplir de larmes. Je me sentais un peu ridicule d’avoir envie de pleurer ainsi mais je pouvais, à présent mettre ça sur le dos des hormones. « Je crois que …. Aussi étrange que ça puisse paraître j’ai peu sans avoir peur parce que je me sens prête … pour cette aventure de la parentalité je veux dire. C’est vrai, je ne suis plus cette étudiante fauchée de 21 ans qui bossait à temps plein dans un resto pour payer ses études. » Je n’étais plus dans cette galère, j’étais une adulte avec une situation désormais et je me sentais prête à assumer ce bébé … Avec Andrew. Mais d’abord, il faudra que j’en discute avec lui ! « Et merci d’avoir insisté, sans vous, je serais restée dans le déni encore un moment. » ajoutais-je tout en me relevant légèrement.

Je m’assis au bord du brancard, jambes dans le vide et lui adressais un sourire de remerciement : « Oui je veux bien pour la prise de sang et l’ordonnance de vitamines. Je sais que vous avez du travail et je me sens gênée de prendre un brancard pour ça … » Pas qu’une grossesse n’était pas importante mais je ne voulais pas prendre la place de vrais urgences. « Et je vais demander à mes collègues du planning de me conseiller des consœurs, ma gynécologue est partie à la retraite récemment. » expliquais-je à la jolie rouquine.

J’écoutais la suite de ses conseils et ne opinais lorsqu’elle m’expliqua qu’il fallait que je lève le pied avec le boulot. « Je vais me calmer sur le boulot et … pour la fac, c’est même pas sûr que ma candidature soit retenue et si c’était le cas, je peux très bien demander un report d’année. »argumentais-je tout en haussant les épaules. A vrai dire, je ne pensais plus vraiment au travail mais à comment j’allais l’annoncer à Andrew . Je me demandais comment il allait réagir ?

Je rejoignis ensuite la jeune Madison et m’excusais de mon retard. Je n’eus pas à patienter bien longtemps pour récupérer mon ordonnance et remerciais une fois de plus Olivia.

La journée n’était pas terminée pour moi …