La remarque de Gabrielle, alors que je cherchais à la soulager de sa peine par la parole, m’a assez heurtée pour que je décide de rester au boulot plus tard que prévu. Bien sûr, en relisant le compte-rendu, je l’ai trouvée dure avec moi, celle qui se présente pourtant comme une amie - à moins que je ne l’ai imaginé ? - mais j’ai néanmoins réécrit chaque phrase qu’elle avait surlignée. J’ai laissé dans l’exercice une bonne dose d’énergie et, une fois la tâche achevée, tandis que je déposais le pavé de papiers sur le bureau de l’absence, j’ai été prise d’une folle envie de pleurer. Ce soir, je ne verrai pas ma fille avant qu’elle n’aille au lit. J’ai privilégié le boulot et mon orgueil  à ma petite fille et je me demande ce que ça dit de moi. Quelle genre de mère prive sa petite soeur de sa soirée pour qu’elle se substitue à moi ? L’envie d’être rassurée est si forte qu’une fois grimpée dans ma voiture, j’ai adressé un texto à Mickey. C’est toujours dangereux, ça. Si je n’obtiens aucune réponse, j’ai mal au coeur, mais qu’à cela ne tienne : je sais que, s’il est en état de me répondre, il trouvera les mots pour me rassurer. En attendant, j’accroche mon menton dans l’entrée, je cherche une silhouette familière autour de moi : ma soeur, seulement. C’était prévisible. «Tu as bien fait de la mettre au lit. Merci d’avoir annulé tes projets d’ailleurs. Tu crois qu’elle dort déjà ?» Il y a des tremolos dans ma voix tandis que je jette un oeil sur mon portable. Je donnerais n’importe quoi pour que mon bébé me serre dans ses bras et me rappelle que je suis la personne la plus importante de son existence… avec papa, rajoute-t-elle toujours, ce qui m’émeut tous les soirs. «Et tu tiens ton magazine à l’envers. Tu faisais quoi avant que j’arrive ? » Je m’avachis sur l’une des chaises de la cuisine, j’enlève mes escarpins et me masse les pieds. J’évalue les chances pour que j’avale quoi que ce soit aujourd’hui et je les considère faible.. «Et, plus tard, je mangerai plus tard.  Là, j’ai une boule énorme à l’estomac. Lola a bien mangé, elle ? Et, les filles ont rien dit que tu annulais ? Elles ont avancé sans toi sur le travail de groupe du coup ?» C’était l’objet de son emploi du temps : je m’en souviens parfaitement. Au contraire, je n’en aurais pas disposé, non pas que ça n’était pas important pour son avenir, mais parce que ce type de réunion se déplace dans le temps assez facilement. «Je voulais pas te mettre dans l’ennui.» me suis-je excusée, toujours aussi mal à l’aise et presque éteinte. « La boss n’a pas aimé mon compte-rendu. Il était plein de fluo. Je ne comprends pas, j’ai fait comme d’habitude, mais j’ai tout modifié puisque ce n’était pas assez clair pour elle. c’est la première fois que je me prends un tacle comme ça sur mon boulot. » Mes pupilles se remplissent de larmes : je me sens idiote. «Et c’est la première fois que j’ai l’impression que Gabrielle est mon patron et pas mon amie. » Je hausse les épaules, fouille dans le frigo après une bouteille de vin entamée : j’ai de la chance. Des verres propres reposent sur l’égouttoir et j’en tire deux. « tu m’accompagnes, pour le verre de vin ? J’en ai besoin… C’est parfait pour t’écouter me dire comment tu vas »