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@Isaac Jensen (crédit gif/ssoveia)

C’était probablement l’éclairage du moniteur qu’elle avait devant les yeux qui lui donna l’envie irrépressible de les fermer juste un instant. Sauf qu’elle avait cessé de se mentir à elle-même depuis longtemps, l’infirmière Khadji : c’était plus vraisemblablement la sensation qu’elle avait depuis quelques semaines déjà d’accumuler une fatigue étrange qui la faisait piquer du nez plus souvent qu’à son tour et rien d’autre. Etonnant, lorsqu’on connaissait le passif de la jeune femme avec les insomnies, celles qui donnaient l’ombre  perpétuellement bleutée dessous ses yeux vert, celles aussi qui la maintenaient suffisamment alerte pour ressasser ses erreurs et réorganiser tout et son contraire au beau milieu de la nuit sans se soucier de ne pas se lever le lendemain matin. Elle se redressa soudain, faisant rouler ses épaules nouées par sa position et par le poids du travail également, se forçant à ne pas laisser ses paupières s’alourdir quand la pensée qui lui avait plusieurs fois traversé l’esprit au cours des derniers jours se rappela à elle pour la faire camper sur une impression étrange en effet.
Son épuisement n’était pas naturel, il l’était d’autant moins qu’elle avait du retard. Elle prit une profonde inspiration, se concentrant de nouveau sur la liste des admissions qu’elle avait en face des yeux, les plissant un peu pour mieux se concentrer. C’était typiquement le genre de symptômes qu’elle avait négligé à l’époque de sa fausse-couche et sur lesquels elle s’était de fait focalisé des mois durant lorsqu’avec Edge, ils avaient décidé d’avoir un enfant. Depuis, elle avait laissé tombé le rituel qui consistait à recenser tous les petits changements d’humeur qu’elle avait à cette époque-ci, la pause qui s’était instaurée entre eux l’exemptant de l’exercice et lui faisait remettre ce genre de projets à plus tard. Mais Noël était arrivé, Nouvel an aussi, et avec eux des moments passés à deux sans qu’ils ne trouvent le courage de discuter vraiment. L’éventualité que ses soupçons soient avérés, elle la puisait dans ces souvenirs-là, et elle était assez prégnante pour qu’elle redoute de faire ce qui aurait été plus sage de faire avant que ce ne soit trop tard.
Un test de grossesse, ça ne coûtait pas grand-chose, cependant ses antécédents étant ce qu’ils étaient, elle préférait faire ça dans les règles de l’art. Une analyse de sang, c’était le meilleur moyen pour statuer sur son état sans douter davantage, et parce qu’elle avait tout le matériel à disposition, elle sut qu’après avoir quitté le moniteur portatif du service, elle ferait en sorte d’apaiser ses incertitudes.

Et c’est ce qu’elle fit, allant pécher un kit de prélèvement dans la réserve en prétendant en avoir besoin pour un patient. Se passant une main sur le visage pour en chasser toutes traces de tracas, elle sourit à une collègue qui passa à ses côtés lorsqu’elle remonta le couloir pour trouver une salle d’examen vide dans laquelle elle était certaine que personne ne viendrait se perdre à ce stade de la garde de nuit qui se déroulait pour elle et ses collègues d’astreinte. Elle avait fait ce genre de choses un nombre incalculable de fois durant ses études, c’était aussi idiot que c’était bien pratique pour savoir mesurer ses gestes pour mieux pratiquer une prise de sang parfaite et sans anicroche, après tout quoi de mieux que de se figurer par comment s’y prendre en pratiquant sur soi-même ?
Elle s’installa dans un coin reculé de la pièce, tira le rideau qui délimitait les deux parties de l’espace pour un peu d’intimité, et prit une grande inspiration lorsqu’elle fit rouler une table à roulettes jusqu’à elle, puis enfin un tabouret sur laquelle elle s’assit enfin. Sans oublier les mesures d’hygiène adéquates, elle finit par remonter la manche de sa tenue pour poser le garrot sur son bras, mais ne le serra pas. Au lieu de quoi, elle marqua une pause simplement pour remettre les choses dans leur contexte et se dire que la situation deviendrait délicate si ses soupçons étaient confirmés. Rien n’était encore décidé entre elle et Edge, et le temps s’étirait comme la menace imminente qu’il faudrait bientôt discuter du sort de leur couple quand la variable grossesse viendrait s’ajouter, sans crier gare. Elle ne voulait qu’aucune décision ne soit prise sous le coup de l’urgence ou de l’obligation, mais force était de constater que le destin avait décidé de se jouer de leur sempiternelles tergiversations en plaçant cette surprise sur leur chemin. Ou pas. Elle n’était sûre de rien après tout, et c’est bien en gardant ça à l’esprit qu’elle finit par serrer le garrot autour de son bras, tirant dessus en maintenant une pression suffisante pendant qu’à côté, elle pratiquait ce qu’elle savait faire de mieux entre les murs de l’hôpital.
Lorsqu’un bruit par-delà le rideau lui fit relever la tête, et enchaîner une succession de mouvements qui firent bouger le tube à moitié rempli de sang de l’embout qu’elle avait mal fixé, moins à l’aise qu’il n’y paraissait, l’aiguille finissant par riper de son bras pour faire tomber le tout à ses pieds qui se retrouvèrent tachés d’écarlate tandis qu’elle maugréait un juron en arabe, serré entre ses dents. Avec un peu de chance, personne ne s’arrêterait sur le bruit qu’elle avait fait, ou sur la projection de sang qui devait briller par-delà le bas du rideau derrière lequel elle se cachait. Seulement la chance ne faisait pas partie des dons qu’elle avait reçu à la naissance, elle le craignait.

Toowong :: St Vincent's Hospital

Penny se trouvait dans la dernière semaine du premier trimestre de sa grossesse et l'impression que le temps filait à une allure étourdissant m'étreignait sans merci. Plus d'une fois, je me surprenais à me forcer à me figer et inspirer aussi profondément que possible afin de maîtriser le flux exponentiel d'éléments que je souhaitais de tout cœur mettre en place avec la venue des bébés ; car oui, en addition d'avoir été étonnés que la jeune femme abrite si tôt la vie, il s'était avéré que celle-ci soit double. L'annonce avait composé une nouvelle surprise dans notre histoire, une puissante onde de choc agitant davantage l'étang de notre quotidien déjà bien animé de ricochets, le destin ne manquant assurément pas en inventivité pour nous laisser prodigieusement bouche bée. Au bonheur et à la réjouissance d'être de nouveau parents s'étaient ajoutées sournoisement quelques tensions au sein de notre couple, issues de différends, d'angoisse, de déséquilibre dérangeants et causant ultimement bon nombre de remises en question. Cela ne m'avait pas été aisé, mais j'avais compris que si je désirais que les membres de mon foyer s'épanouissent réellement, je devais sans nul doute lever le pied au niveau de mes activités en dehors de la maison, y compris mon travail. Je savais que ma petite amie ne me demanderait jamais de faire une croix sur ma carrière ou mes passions, mais au fond de mon cœur, ma famille était prioritaire à ces autres volets de ma vie et présentement, j'estimais de plus en plus que ma place était majoritairement auprès des miens.

Néanmoins, changer son quotidien, en plus de préparer l'arrivée de deux nourrissons, gérer un bambin de bientôt huit mois qui ne faisait toujours pas ses nuits et un garçonnet qui débute tout juste l'école et qui réclamait chaque jour sa mère inscrite aux abonnés absents, rimait avec gymnastique olympienne. Les nuits étaient très blanches, les journées aux agendas noircis, le blues repoussé autant que possible. Les respirations profondes se succédaient, à en faire éclater mes poumons, et le temps, lui, se dérobait en toute impunité, me rappelant avec aigreur que j'avais encore tant de choses à terminer en si peu de temps. Mon cœur se serrait indéniablement face à la peur d'échouer ou de faillir, en tant que père, en tant que conjoint, et même en tant que professionnel de santé, lorsqu'il fallait plusieurs fois par garde que je me somme de me concentrer sur les actes que je posais lorsque ceux-ci étaient trop machinaux et que mon esprit s'autorisait de lui-même à se projeter ailleurs.

Si Penny n'était pas des plus enthousiastes lorsque j'étais de nuit, j'avais néanmoins toujours voué une appétence particulière pour ces services. J'aimais l'atmosphère nocturne et même si je devais récupérer dans la matinée quand les enfants se réveillaient, j'avais quand même le sentiment d'être à disposition à la maison en cas de besoin. De plus, le travail de nuit offrait des repos supplémentaires, ce qui n'était pas négligeable. Le secteur des urgences subissait une activité en dents de scie depuis les vingt-trois heures et je profitais d'une accalmie pour faire un tour sur le parking du centre hospitalier, me permettant une dose de nicotine pour apaiser mes nerfs. Lorsque je revenais dans le service, j'ambitionnais de faire la tournée des boxs, brancards et chambres, intrigué par l'une d'entre elles aux lumières faiblement allumées alors que j'aurais juré avoir tout éteint suite au transfert d'un patient. J'entrais dans la pièce, me stoppais en sentant mon téléphone personnel vibrer dans la poche de ma blouse. Au même moment, quelques cliquetis émanèrent du lit près de la fenêtre, voilé par un rideau. Je vérifiais qu'aucun patient n'avait fait une entrée pendant ma courte absence d'un coup de l'oeil au tableau trônant dans la salle puis je remarquais les chaussures de sport dépassant du rideau, ainsi qu'un morceau de dispositif médical rouler sur le sol. Je m'approchais, quelques gouttes de sang complétaient le tableau. "Tout va bien ?" Je demandais doucement, m'approchant du pan du rideau. "Je peux entrer ?" Je questionnais calmement tout en faisant discrètement glisser le tissu de manière à avoir un œil sur ce qui se tramait dans ce que je considérais désormais telle une cachette improvisée.

En toute honnêteté, je m'attendais à surprendre un patient aux aspirations peu recommandables. Plutôt, mes pupilles passaient rapidement du minois de Yasmine à son bras tendu et les vestiges d'un kit de prélèvement sanguin. "Mince, je suis désolé, Yas'. Excuse-moi," je soufflais dans un murmure sincèrement navré, mon regard continuant de décrire la scène. "J'ai cru que t'étais notre patient psy qui faisait des siennes," j'avouais à voix basse. "Je peux t'aider ?" J'offrais spontanément avant de débarrasser rapidement le plancher de toutes preuves incriminantes pour en disposer dans les poubelles adaptées. Je refermais la porte de la chambre par la même occasion, ayant rapidement compris au stratagème élaboré le désir de secret de Yasmine et décidant de le protéger. "Tu veux que je le fasse ?" Je désignais d'un geste du menton son bras, prêt à la prélever si elle le souhaitait. Nombreuses autres questions nourrissaient d'étincelles mes prunelles mais je n'osais pas les formuler, par respect pour mon amie de longue date à qui je ne voulais certainement pas forcer de confidences, mais à qui je dédiais toutefois mon soutien infaillible ainsi que mon entière écoute quoi qu'il arrivait ; sentiments indéniablement mêlés à une profonde part de tracas vis-à-vis des potentiels motifs qui inciteraient l'infirmière à requérir à une analyse sanguine de la sorte.

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@Isaac Jensen (crédit gif/ssoveia)

C’était la voix d’Isaac. Yasmine la reconnaitrait entre mille pour l’avoir entendue à de maintes reprises au cours de la dernière décennie et ce dans des variations tellement différentes les unes des autres, tantôt cryptique, tantôt moins, pour être plus que capable de faire le point dessus sans avoir besoin de se concentrer. Finalement, ça rendit cuisante l’humiliation qu’elle ressentit à cet instant précis et qui s’étala sur ses joues bronzées, devenues cramoisies, d’être surprise dans cette conjoncture par quelqu’un à qui elle ne saurait raconter de mensonges. Si ses yeux restèrent un instant posés sur les dégâts causés par la succession de gestes désordonnés qu’elle venait de faire et qui l’avait rendue visible à quiconque avait ouvert la porte, elle les remonta à l’instant où le rideau qu’elle avait tiré sur elle fût ouvert par Isaac dont les excuses furent tellement sincères qu’elle se détesta d’avoir juré tout haut, quand bien même il ne serait pas en mesure de comprendre ce qu’elle avait dit dans sa seconde langue. Là, l’une de ses mains trouvant successivement ses joues pour en apaiser les rougeur, en bain, elle ne trouva plus rien à dire justement, la bouché pincée, son bras garrotté suspendu dans les airs pendant que, doté d’une capacité d’analyse propre à sa profession, Isaac se chargeait de nettoyer les dégâts et d’aussitôt prendre la situation en mains.

Elle n’avait pas envie d’avoir cette discussion avec personne, pour autant elle se sentait acculée Yasmine. Pendant quelques secondes encore, elle resta silencieuse, et puis la proposition d’aide d’Isaac vint jusqu’à elle. Elle ne soulagea pas tellement les battements effrénés de son coeur qu’elle sentait cogner dans sa poitrine ni même le rouge de ses joues qu’elle sentait cuire sous son embarras, la rendant tributaire de l’idée qu’elle était en train de paniquer dans le fond, mais elle eut le don de lui faire saisir une opportunité certaine de se décharger du secret qu’elle gardait depuis quelques jours déjà.
Non, elle n’avait pas envie d’en parler, mais peut-être que l’envisager serait une bonne chose. Elle redressa la tête, osant enfin affronter les yeux d’Isaac pour lui répondre en opinant doucement du chef, presque contrainte d’admettre qu’en effet, elle avait besoin d'aide "Si t’es pas trop occupé, je veux bien un coup de main, merci." Elle aurait pu enchaîner sans se sentir obligée de dire quoi que ce soit d’autre, elle en était autant convaincue qu’Isaac était un trésor de délicatesse qui savait mettre les patients à l’aise.
Mais elle n’était pas vraiment une patiente. Aussi, elle aurait simplement pu rebondir sur ce qu’il lui avait dit à propos de ce patient psy qu’il croyait retranché derrière le rideau, ils auraient pu s’amuser de la situation en prétendant qu’ils étaient tous des patients psy à en devenir, sauf qu’elle ne trouva pas la force de le faire Yasmine et presque prudemment, elle finit par s’installer sur le bord du lit qu’elle avait derrière elle, se hissant dessus avec l’hésitation d’une allochtone ; impressionnée par la conjoncture, elle n’était pas à son aise. Se retrouvant donc patiente par la force des choses, elle laissa Isaac se charger d’aller chercher un nouveau kit de prélèvement sanguin, le bras momentanément replié contre sa poitrine le temps qu’il s’installe sur la tablette en sentant le silence l’envelopper comme une ombre menaçante. Elle sentait ses longs doigts s’insinuer sous la couche fine de vêtements qu’elle portait sur le dos, mais aussi sous sa perception de la situation qui n’en finissait plus d’être humiliante en vérité tandis qu’elle se battait avec cette impression qu’elle avait de lui devoir des comptes "Je crois que je suis enceinte." fit-elle sans crier gare, mûrissant cette impression de justification avec une urgence qu’elle sentit se répercuter sur le ton qu’elle emprunta pour parler alors que ses yeux se rivaient sur la procédure médicale engagée par Isaac qu’elle n’osa plus regarder, son visage n’en finissant plus de lui brûler ; pas même quand elle ajouta dans un très léger rire gêné, ses yeux finissant par se fermer au moment où l’aiguille transperça la couche fine de sa peau "Je sais, tu m’as rien demandé, mais j’avais besoin de le dire à voix haute." Elle gardait ses soupçons pour elle depuis des jours, et bien idiote avait-elle était de croire qu’elle n’avait pas besoin d’en parler — rien que le je crois qu’elle avait laissé filer pour entamer sa confession, il soulageait quelque chose en elle qui fit monter des larmes dans ses yeux qu’elle avait toujours fermés, et compléter dans un nouveau rire quand enfin elle les rouvrit pour admettre, toujours aussi gênée de s’être fait prendre dans cette situation "Ça me fait même tout drôle de le dire à voix haute." Et là, son regard brillant rencontra celui d’Isaac à qui elle n’avait pas besoin d’expliciter la demande tacite qu’elle lui fit pourtant, ses mots lui échappant comme sa voix se baissait en même temps , et que son expression redevenait sérieuse "J’en ai encore parlé à personne."

Mes gestes sont rapides et précis après que je m'eus confondu en excuses auprès de mon amie, la surprise exponentielle tandis que mon esprit analytique élaborait diverses stratégies explicitant le prélèvement sanguin que Yasmine tentait d'effectuait sur elle-même quelques instants plus tôt. Mon cœur se serre d'inquiétude alors que je débarrasse les traces de l'acte interrompu dans les différentes poubelles et je referme précautionneusement la porte de la chambre derrière moi, agissant en irréprochable discrétion. Lorsque je reviens auprès de ma collègue, l'embarras teinte vigoureusement son portrait, ce qui m'incite à lui adresser un sourire aussi bienveillant qu'encourageant. J'évite de tenter d'attraper dans leurs volées fuyantes ses pupilles, de peur d'accroître le sentiment de malaise que je devine s'infiltrer en mon interlocutrice, faisant écho à la culpabilité qui me tiraille d'avoir trahi ainsi l'intimité de fortune dans laquelle elle s'était réfugiée. Soucieux de la soutenir autant que possible, je lui offre mes compétences afin de mener à bien le prélèvement qu'elle avait démarré avant ma venue dans la pièce. Une sorte de piètre manière de me faire pardonner et de répondre à mon envie immuable d'être présente pour elle.

"Si t’es pas trop occupé, je veux bien un coup de main, merci." J'acquiesce spontanément et je reviens rapidement sur mes pas pour saisir le nécessaire pour procéder à l'acte, pendant que la jeune femme change de position sur le lit médicalisé. "Ce sera pas long," je promets avec un rictus complice, mon regard ne pouvant se retenir de la couver, comme si toutes les bonnes intentions que je lui dédiais pouvaient la prévenir des maux ébranlant sa sérénité. Les mains gantées, je m'appliquais à nettoyer la zone où mes doigts avaient préalablement palpé une veine prometteuse. "3... 2... 1..." Je décomptais pour prévenir la soignante du début du prélèvement, mes doigts ne perdant aucune de leur stabilité alors que Yasmine m'annonçait : "Je crois que je suis enceinte." Ses paupières abattues, son épiderme perforée, le sang remplit rapidement le tube que je glisse dans le dispositif, méthodique et appliqué. Mon sang-froid demeure inébranlable, quand bien même mon cerveau élabore multiples scenarii à l'égard de la Khadji. Les longues gardes nocturnes m'avaient inculquées le sentiment que nourrissait la jeune femme sur sa potentielle maternité, tout comme je m'étais penché à l'époque avec confiance et complicité sur le désarroi qui m'habitait car Lucy et moi ne parvenions pas à créer la vie de notre amour. J'expirais doucement en dégageant le bras de l'australo-marocaine, un coton pressé doucement sur sa peau, que je troquais ensuite par un morceau de sparadrap. "Je sais, tu m’as rien demandé, mais j’avais besoin de le dire à voix haute." J'agitais le tube de vermillon dans mes mains après l'avoir solidement refermé du capuchon de la couleur associée aux analyses sollicitées dans le cas de grossesse. Je levais mes yeux sur le visage rougi de la soignante, approchant le tabouret roulant du lit afin de réduire la distance entre nous deux. Je n'aurais jamais osé lui tirer les vers du nez mais je suis satisfait de penser avoir dénoué quelque peu les épaules et apaisé le coeur de Yasmine en devenant garant de son aveu. "Ça me fait même tout drôle de le dire à voix haute," admet-elle dans un rire, le voile épousant son regard me serrant douloureusement le cœur. Je cueille sa main des miennes, gage de mon soutien inconditionnel, de mon amitié inébranlable. "J’en ai encore parlé à personne." Je hoche la tête, compréhensif. "Je garderais le secret aussi longtemps que tu le voudras," je promets d'une voix aussi douce que catégorique, un pincement dans mon âme de l'imaginer précédemment seule face à ses conjectures. "Comment tu te sens ? Comment tu vas ?" Je m'enquiers spontanément, sincèrement préoccupé par l'état de mon amie. Je savais à quel point Yasmine pouvait et savait prendre soin d'elle, mais il m'était naturel de vouloir protéger et d'épauler les personnes qui comptaient dans ma vie. "Ca ira, d'accord ? Tu peux compter sur moi, tu pourras toujours compter sur moi," j'assurais, les sentiments transparaissant du langage corporel de la Khadji m'interpellant. "On va s'en assurer. Je te propose de faire passer tes analyses en prioritaires avec le cachet anonyme et dès que je reçois les résultats, je te les donne. Tu pourras les ouvrir quand tu seras prête et on pourra les découvrir ensemble si tu le souhaites. Qu'est-ce que tu en penses ?" Je suggère avec honnêteté. Je me retenais toute réjouissance, toutes félicitations, même si je pariais sur l'instinct de Yasmine et soupçonnais fortement qu'elle avait bien interprété ce qui se tramait sous son nombril. Néanmoins, nos conversations sur le fait qu'elle devienne mère un jour remontaient maintenant, j'ignorais où elle se situait sur ce volet, tout comme il était le plus judicieux d'accueillir cette nouvelle. Craintif de causer un impair, je procédais avec prudence sur ma réaction vis-à-vis de cette annonce surprenante, me consacrant uniquement au bien-être de professionnelle de santé et à la clarification de son état à défaut de me prononcer sur le bouleversement potentiel de sa vie personnelle. Je ne doutais absolument pas une seule seconde que Yasmine serait une mère formidable, tout comme je serais euphorique de la voir s'épanouir davantage dans le volet privé de sa vie ; mais surtout, je la suivrais. Je contribuerais à illuminer ses bonheurs tout comme j'accompagnerais ses peines ; peu importe l'attitude à adopter, je lui allouais une loyauté versatile.

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@Isaac Jensen (crédit gif/ssoveia)

Chacun avait sa façon de prévenir les patients d’un acte médical bientôt pratiqué. Isaac comptait. Le court décompte qu’il fit pour la préparer à l’analyse qu’il s’apprêtait à enclencher, il permit à Yasmine de s’ancrer dans le moment présent, de sortir de ses propres pensées et de sa gêne, mais surtout de soulager ce qu’elle ressentait à l’intérieur d’elle, tiraillée entre plusieurs sentiment qui furent finalement trop difficiles à contenir, et qui la forcèrent à mettre Isaac au courant du pourquoi du comment de ce besoin qu’elle avait de faire tester son sang.
Il était parfait, son collègue, un exemple de déontologie que son statut d’ami ne rendait pas obsolète, au contraire. Il avait le don de réprimer ses propres émotions pour n’heurter personne, et pendant qu’elle, elle ne réussissait à rien faire d’autre qu’à ricaner, prise sur le fait d’une bêtise qui n’en était pas vraiment une, lui, de son côté, il contenait sa réaction parce qu’il ne savait pas quelle étiquette accoler à la nouvelle qu’elle venait de partager avec lui. Silencieusement, elle l’en remerciait, de faire preuve d’autant de délicatesse, et alors qu’il lui assura qu’il ne dirait rien à personne tant qu’elle ne lui donnerait pas le feu vert, elle lui dit doucement "Je sais que j’ai pas besoin de te demander de garder le secret." En d’autres termes, elle avait une confiance aveugle en lui, et pas uniquement parce qu’ils travaillaient ensemble depuis des années. Isaac était son ami — quelqu’un qu’elle avait plaisir à voir évoluer, à aller mieux, et qui comptait assez à ses yeux pour qu’elle soit touchée par la manière si bienveillante qu’il avait de s’occuper d’elle en cet instant "Merci." finit-elle par lui dire, récupérant son bras pour le garder contre elle le temps d’une poignée de secondes.

Elle fixa elle-même un scotch dans le creux de son coude pour maintenir le bout de coton qu’il avait posé contre sa peau après avoir terminé son examen et laissa filer un léger soupir lorsqu’il lui demanda comment elle se sentait, comment elle allait. Elle dut prendre le temps de la réflexion "Bien. Je crois." Elle n’était sûre de rien finalement, c’est ce qui la rendait si tatillonne, et pour cause "Si ça se confirme, c’est pas vraiment le bon moment." admit-elle, avant de reprendre sur le même ton, ses yeux clairs trouvant le plafond quand elle poursuivit "Mais on essaye depuis un moment avec Edge. J’ai fait une fausse-couche il y a presque deux ans, c’était un objectif à atteindre pendant quelques temps." Plus maintenant, plus vraiment en tout cas, puisqu’ils ne vivaient même plus ensemble, qu’ils se voyaient à peine. S’ils s’était retrouvés pendant la période des fêtes de fin d’année, rien de tout ce qui les avait amené à faire une pause n’avait été soulevé, alors quand bien même ça la remplissait de joie d’imaginer que son instinct lui disait vrai, elle ne pourrait pas prétendre que les conditions étaient propices pour ne pas lui faire redouter une grossesse compliquée — entre ce conflit avec lui et les restes de son traumatisme lié à sa fausse-couche, tous les signaux étaient au rouge et la rendaient morose quant à l’idée-même d’être enceinte, alors que ces  presque deux dernières années, c’était à peu près tout ce qu’elle avait cru vouloir pour être heureuse.
Elle pinça les lèvres, baissant la tête pour regarder Isaac et lui adresser un mince sourire, de ceux un peu triste malgré tout "Je suppose que je devrais avoir confiance en ta parole, tu sais de quoi tu parles quand il s’agit d’enfant." Et elle avait confiance en la parole d’Isaac, c’était une certitude qui ne la quitterait pas tant qu’il l’autoriserait à se reposer sur lui si elle en avait  le besoin — ce qui lui assura sans qu’elle ne s'échine à lui demander, à pleurer, ou à le supplier de lui promettre que c’était une bonne chose, qu’un enfant permettait de remettre ses priorités en perspective et de choisir ses batailles. Ses lèvres pincées, elle finit par les mordre pour hocher la tête lorsqu’il fit se succéder des décisions qu’elle lui laissait le choix de prendre pour que ses analyses n’attirent l’oeil de personne, et lorsqu’il lui proposa sa présence pour ouvrir ses résultats, elle le fixa avec le désespoir d’une future maman qui avait déjà eu à poser le regard sur des résultats moins concluants que ceux qu’elle imaginait à ce moment-là ; et elle se rendit compte qu’elle était terrifiée dans le fond, de revivre ça "Je sais pas si je réussirais à me relever si quelque chose de mal arrive cette fois. Les circonstances sont différentes, je sens que je suis enceinte." Et sa certitude, elle l’illustra par un froncement de sourcils résolu et une main brièvement posée sur son abdomen "Et c’est pour ça que ce sera pire si ça se passe mal. J’ai  déjà eu le temps de me faire à l’idée que tout pourrait bien aller, alors que la première fois, j’ai même pas eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit et que ça a quand même été dur." Elle était honnête, sans doute trop dans les limites d’une pudeur qu’elle avait pourtant très à coeur. Mais elle ne pouvait parler à personne en ce moment, toutes celles avec qui elle aurait voulu en discuter se retrouvant beaucoup trop proches d’elle pour qu’elle ne veuille leur briser le coeur si jamais quelque chose de malheureux était sur le point d’arriver. Elle sentit ses larmes gonfler au raz de ses cils, et parce qu’elle n’aimait pas l’idée de pleurer devant Isaac, elle laissa un nouveau, et très léger, rire lui échapper  pendant qu’elle prenait le mouchoir qu’il lui tendait pour les empêcher de couler en le posant à la bordure de ses longs cils "J’aimerais bien prendre l’excuse des hormones, mais on sait toi et moi que c’est un peu trop tôt pour ça."

Le service voguait sur une période d'accalmie, bercé par la nuit avancée, que le téléphone accroché à ma blouse confirmait par son mutisme. Au sein de l'intimité improvisée de cette chambre d'hospitalisation où Yasmine et moi nous trouvions, mon entière attention se rivait sur mon amie qui composait désormais mon ultime priorité. Rapidement, mes gestes se firent précis et méthodiques sur son épiderme, l'analyse sanguin prélevé promptement pendant que mes yeux la couvaient imperturbablement du regard, l'accompagnant dans chaque geste produit. Je connaissais l'ampleur de la force physique et mentale que regorgeait la Khadji, néanmoins, Yasmine faisait aussi partie de ces personnes qui me sont chères, ces âmes que je voulais protéger et soutenir en tout temps car là reposait ma manière naturelle de leur montrer à quel point ils comptaient pour moi, à quel point je les respectais, je les honorais. Si je ne partais pas curieusement en quête d'explications auprès de la trentenaire, respectant entièrement sa vie privée, je réagissais avec une tendre neutralité lorsqu'elle m'avouait la raison pour laquelle elle s'était adonnée à la gymnastique de se prélever elle-même.

Spontanément, je promettais de garder le secret de cette grossesse éventuelle, lui offrant un sourire amical et complice lorsqu'elle reconnaissait que j'étais quelqu'un de confiance. Je positionnais le tabouret à roulettes de manière à être plus proche d'elle et je m'enquérais sur comment elle se sentait. "Bien. Je crois." Je la décrivais, encourageant. "Si ça se confirme, c’est pas vraiment le bon moment. Mais on essaye depuis un moment avec Edge. J’ai fait une fausse-couche il y a presque deux ans, c’était un objectif à atteindre pendant quelques temps." Mes épaules s'affaissèrent, seules trahisons de la compassion que je vouais à l'attention de mon interlocutrice, pendant que mon palpitant se serrer d'apprendre ce drame qu'elle avait dû essuyé et qui la marquait désormais. Mes traits ne portaient aucune trace d'émotion ni de jugement, désireux de ne pas ajouter aux méandres de l'histoire de mon amie, quand bien même le regard que je lui dédiais pulsait d'une désolation mêlée à une promesse qu'elle pouvait compter sur moi, peu importe les embûches sur nos routes respectives. Je couvais sa main libre des miennes avant de lui verbaliser mon soutien indéfectible. Puis, concret, je lui suggérais les prochaines démarches quant à l'analyse de son sang et la découverte des résultats qu'il porterait, le regard rivé vers l'avenir et comment pallier cette situation au sein de laquelle je souhaitais l'épauler.

"Je suppose que je devrais avoir confiance en ta parole, tu sais de quoi tu parles quand il s’agit d’enfant." J'échappais un rire approbatif, bref et discret, mes pensées s'orientant vers Penny et notre famille qui s'agrandira de nouveau cet hiver. "Et je te connais assez bien pour savoir que tu peux gérer." La force tranquille de la Khadji n'était plus à prouver, elle faisait partie des personnes les plus costaudes que je connaissais, tout en étant dotée d'une exceptionnelle intelligence ainsi que d'une capacité émotionnelle remarquable. "Je sais pas si je réussirais à me relever si quelque chose de mal arrive cette fois. Les circonstances sont différentes, je sens que je suis enceinte." Si dans ma jeunesse, je peinais à croire en l'instinct des autres, ma carrière au sein du centre hospitalier m'avait inculqué que les présentiments étaient toujours porteurs d'informations, qu'ils n'étaient pas dérisoires ni superflus. "Et c’est pour ça que ce sera pire si ça se passe mal. J’ai déjà eu le temps de me faire à l’idée que tout pourrait bien aller, alors que la première fois, j’ai même pas eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit et que ça a quand même été dur." Mon coeur se serre douloureusement d'esquisser très sommairement la douleur qu'avait pu ressentir mon interlocutrice. Je n'aurais jamais la prétention d'assurer que je comprenais, mais son regard comme le son de sa voix que je connaissais depuis plus d'années que je possède de doigts me révélait que sa fausse couche avait constitué une réelle épreuve, ce qui ne me surprenait absolument pas lorsque je fréquentais l'altruisme incommensurable que démontrait Yasmine. J'aurais payé sans compter pour qu'elle n'ait pas à vivre cette peine supplémentaire.

"Je suis désolé pour ta fausse couche, Yas," je lui soufflais avec une infinie douceur et une sincérité inébranlable, le ton calme et bas, à la fois pour produire un respectueux hommage et pour assurer qu'aucun mur doté d'oreille ne puisse nous entendre. Devant l'émotion de la professionnelle de santé, je saisissais un mouchoir en papier que je lui tendais avec délicatesse. "J’aimerais bien prendre l’excuse des hormones, mais on sait toi et moi que c’est un peu trop tôt pour ça." "Ca ne fait que prouver une nouvelle fois à quel point ton coeur est grand," je valorisais avec un tendre sourire en coin. "Tu sais, de mon point de vue, je crois que les projets se concrétisent rarement au bon moment. La vie aime nous surprendre et même si les choses ne se passent pas exactement comme on le jugerait optimal, parfois, ça en fait toute la magie. La beauté de l'unicité, d'avoir une histoire qui nous est propre parce qu'on l'écrit en composant avec les aléas du destin." Je présentais. Les surprises incessantes qui n'avaient fait que bousculer mon quotidien ces derniers mois m'avaient bien appris à suivre le rythme du destin plutôt que me projeter. Certes, je comprenais parfaitement que Yasmine aurait préféré un autre contexte et j'entendais la source de stress, de déception ou de doute qui pouvait incomber à un souhait s'exauçant dans des conditions inattendues, redéfinissant en quelque sorte un objectif. Aussi, mon coeur s'unissait à elle d'imaginer de si longs mois à tenter de faire germer la vie, pour avoir moi-même connu un combat contre des problèmes de fertilité avec Lucy, même si nous avions pour notre part été épargnés de la tragédie d'une fausse couche. "Je te propose qu'on y aille étape par étape, d'accord ? On s'assure que tes doutes soient corrects et s'ils le sont, on fera en sorte que tout se passe aussi parfaitement que possible." Je promettais. "J'ai la chance de bien te connaître, Yas', t'as un talent pour sentir les choses. Si tu sens que tu es enceinte et si tu t'es faite à l'idée que tout pourrait bien aller, comme tu viens de me dire, j'y crois déjà, moi. Dur comme fer." Je soutenais son regard, déterminé et confiant. "Tu feras une maman formidable, tu sais. Ton futur enfant aura beaucoup de chance de t'avoir comme mère. Une brillante infirmière badass et dévouée, droite dans ses bottes et dotée d'un courage à toute épreuve, je vois difficilement meilleur parent." Je me redressais, pressant son épaule affectueusement.

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@Isaac Jensen (crédit gif/ssoveia)

Elle avait vite appris à repousser les regrets de ceux qui savaient pour sa fausse-couche, Yasmine. La marche à suivre était toujours la même, c’était devenu mécanique : tu n’as pas à être désolé, ce n’est de la faute de personne tandis qu’au plus profond d’elle-même, là où elle sentait un vide depuis ce soir où elle avait appris être enceinte, mais plus que pour quelques heures seulement, il restait pourtant quelque chose, une tension étrange, qui la rendait convaincue de l’idée que c’était de la sienne, de faute. Elle ne voulait déranger personne, jamais, et c’était encore plus le cas à ce sujet-là. Aussi, l’espace d’un court instant, la main d’Isaac posée sur la sienne et qu’elle recouvrait de sa paume brûlante, elle crut qu’elle retomberait dans ce schéma de défense qui était le sien depuis presque deux ans maintenant.
Mais Isaac était différent des autres, pas seulement parce qu’il avait l’âme altruiste. C’était quelqu’un qui avait connu des épreuves qu’elle connaissait sur le bout des doigts parce qu’il n’avait jamais hésité à partager ses peines avec elle, le faisant avec une pudeur qui lui était singulière certes, qui n’en restait pas moins crève-coeur quand elle savait qu’il ne méritait pas plus de la moitié de ce qu’il avait dû traverser. Elle l’estimait trop pour le mettre dans la catégorie de ceux à qui elle devait une réponse mécanique, elle l’estimait trop pour se dire qu’il apprécierait d’être relégué à cette place quand il avait été si ouvert avec elle. Elle ne lui en était guère redevable, elle savait très bien que jamais il ne s’attendrait à ce qu’elle partage autant avec lui que ce qu’il avait partagé avec elle sous le prétexte que l’équilibre était important dans n’importe quel genre de relations, amicale ou autre, mais Yasmine était trop reconnaissante de tout, la gratitude inscrite dans ses gènes, pour l’insulter en lui donnant sa réponse-type, comme elle le ferait avec un vulgaire inconnu. À la place, lorsqu’il lui présenta des excuses sincères à propos de cet évènement, elle lui murmura doucement un "Merci." pour la première fois depuis qu’elle avait perdu ce bébé, ne refusant plus qu’on se désole de cet évènement encore plus qu’elle ne le faisait elle-même.

Peut-être que c’était l’imminence de la confirmation de sa nouvelle grossesse qui la faisait faire la paix avec ce mécanisme en particulier, elle ne le savait pas pour l’heure, mais elle se sentait gorgée d’une émotion qui finit par déborder pour se déverser juste un peu au ras de ses longs cils qu’elle laissa baissés, ne se sentant pas très à l’aise à l’idée de craquer devant Isaac ; dont les paroles ne pouvaient qu’être celles d’un homme qui avait déjà dû essuyer des gros chagrins pour être aussi bon dans l’exercice.
Celui de Yasmine n’était rien d’autre qu’heureux, seulement il pesait sur son coeur quelque chose qu’elle savait trop lourd pour lui faire vraiment du bien, et alors qu’elle s’abreuvait des paroles de son ami vers qui elle releva la tête pour le regarder avec une affection sincère doublée d’un sentiment intense d’admiration face à la sagesse de ses mots, elle lui dit "Je suis née dans une famille pleine de surprise. Mes parents m’ont eu très tard, et les chances n’étaient pas vraiment de leur côté à l’époque. C’était difficile, c’était inespéré aussi, même s’ils avaient eu mon frère quelques années seulement avant moi, alors en t’écoutant, je me dis que ça doit être inscrit quelque part en moi cette notion d’aléas de la vie. J’ai envie d’y croire, je trouve ça joli." On était des rêveurs, chez les Khadji. C’était le genre de jolis contes qu’on aimait raconter, surtout son père qui était un raconteur d’histoires hors-paire ; il le lui avait légué, ce don-ci précisément. Secouant légèrement la tête, elle ajouta comme si elle ne s’était pas interrompue "C’est juste que les derniers mois ont été tellement difficiles, Isaac." Elle ne l’avouait pas souvent quand ça n’allait pas, néanmoins elle pouvait se le permettre quand elle était bercée par autant de bienveillance.

Sa tête se secoua de nouveau doucement en se baissant, et son souffle resta un moment coincé dans le creux de sa poitrine pendant qu’elle prenait sens de ce qui allait se dérouler bientôt alors que toutes les conditions n’étaient pas réunies pour que sa grossesse se passe sans anicroches. Pourtant Isaac prit de nouveau les choses en mains, et Yasmine sut sans douter qu’elle venait de se trouver le meilleur allié pour entrer dans cette phase de sa vie sans craindre la solitude d’une pause avec un partenaire avec lequel le dialogue avait été momentanément rompu. Enfin, elle prit une profonde inspiration, relâchant la pression qu’elle ressentait peser sur tout son être, écoutant ce qu’il lui dit pour mettre en perspective un plan robuste sur lequel elle pouvait se reposer sans le remettre en question "Si tu fais pleuvoir autant de compliments sur Penny, c’est pas étonnant qu’elle veuille te garder pour elle toute seule." Essuyant ses yeux en même temps, Yasmine eut un léger rire, profondément touchée par ce qu’Isaac ajouta à propos de ses capacités à être maman.
Serrant sa main sur laquelle elle avait posée la sienne en retour, elle marqua une courte pause pour reprendre avec le calme qui la caractérisait, et ce malgré les larmes faisant toujours briller ses yeux "Ça va te surprendre ce que je vais te dire là. Je suis pas connue pour ma confiance en moi, c’est sans doute mon pire défaut : je doute de moi, de ce que je suis capable de faire et de mon influence sur ceux qui m’entourent. C’est pas de la fausse modestie, j’ai été élevée de cette façon." Rester humble, rester modeste, rester discret : c’était quasiment une devise chez les Khadji, encore que Fatima ne respectait aucun des trois principes de leur famille, mais c’était un fait à ne pas soulever si on ne voulait pas retrouver une aiguille à coudre dans le dessert du vendredi soit après la Mosquée "Mais j’ai toujours pensé que je serai une bonne maman. Je l’explique pas, et ça me rend sans doute moins humble d’oser te l’avouer maintenant alors que je suis terrifiée par l’idée-même d’avoir un bébé. Ce sont les circonstances qui m’effraient, pas le rôle. Je sais que je peux le tenir et que je le ferai bien." Elle opina du chef, sentant le bras d’Isaac lui entourer l’épaule pour venir presser son bras du côté opposé à l’endroit où il s’était installé. Les yeux de Yasmine trouvèrent les siens pendant un moment où elle observa la bienveillance dans le fond de ses iris, et puis dans un élan d’affection sincère, dans une envie d’alléger un peu l’atmosphère également, elle lui dit presque tout bas "Pense pas que ce que je vais te dire maintenant part d’un sentiment d’obligation de te rendre la pareille à propos des magnifiques compliments que tu viens de me faire, mais il faut que je te dise quelque chose, et je le pense : ils ont de la chance de t'avoir tes enfants. C’est vrai, avec des discours comme ça, ils peuvent gagner tous leurs tournois de foot jusqu’à la fin de leur vie."

Si devenir soignant constituait l'un des rêves de mon enfance, les embûches s'étaient avérées multiples pour que ce vœu soit exaucé. Mes parents n'avaient jamais adopté ce choix de carrière de ma part : d'une part, mon père me dédiait au domaine sportif, d'autre part, être infirmier demeurait un métier de "bonnes femmes" selon ceux qui m'avait donné la vie. Au-delà de ces espoirs paternels et connotations manichéennes, ma personnalité était aussi incessamment qu'éhontément mise en cause : je ne tiendrais pas une semaine dans un hôpital car j'étais trop sensible, trop bon, trop tolérant. Ironiquement, ces mêmes caractéristiques qu'on qualifiait désormais de qualités à mon égard m'avaient lourdement pesé, pernicieux freins vers la complétude de ma vocation. Le cheminement pour porter ma blouse blanche n'avait pas été sans peine : non seulement les études avaient été ardues, mon entourage parental ne m'avait jamais soutenu. Néanmoins, aujourd'hui, je tirais un enseignement précieux de cette expérience : seuls nous pouvons décider ce qui est le mieux pour nous.

Je me voue de l'objectif impérial de soutenir et d'accompagner Yasmine tout au long de cette future grossesse en laquelle je crois imperturbablement car son instinct m'est toujours apparu telle une valeur sûre. Le récit tumultueux que la soignante me relate de son cheminement pour être mère me brise le coeur et ce dernier tonitrue de l'affection indubitable que je lui voue. Je saisis précautionneusement sa main, gage de mon soutien, de mon amitié, de mon écoute, de ma présence. Silencieusement, je lui fais la promesse d'être à ses côtés. Silencieusement, j'espère alléger ses maux, quand la vie s'est montrée cruelle envers elle. Persévérant, je crois que le destin nous refuse toutefois des événements lorsque ceux-ci doivent arriver dans des circonstances plus judicieuses, aussi douloureux ceci soit-il.

Sur le ton des confidences, j'expose à mon binôme ma vision sur ces surprises de la vie qui génèrent beauté et unicité à chacun de nos parcours. Nous étions riches de nos expériences, de notre passé, de nos défis relevés. L'histoire de Yasmine est atypique mais elle suscite une admiration sans faille, sentiment qui s'accroit en moi quand la trentenaire me confie une nouvelle pièce de cette mosaïque exceptionnelle qui compose le livre de son existence. Un fin sourire se dessine sur mes lippes tandis qu'elle m'indique vouloir croire à cette notion d'aléa de la vie qu'elle qualifie de jolie. "J'y crois avec toi. Même avant ta naissance, tu savais déjouer les chances et légitimer l'espoir," je lui souffle avec tendresse et loyauté, pressant imperceptiblement, complice, sa main toujours contre la mienne. De la grâce et des rêves, Yasmine méritait d'en être opulente.

"C’est juste que les derniers mois ont été tellement difficiles, Isaac." Mon coeur se serre douloureusement devant les émotions que contient de peine et de misère mon interlocutrice, prouvant de nouveau à quel point elle est forte, courageuse, vaillante. J'aurais donné si cher pour gommer ses chagrins et éclaircir son chemin des épines sur lesquelles elle a pu s'écorcher, à mes yeux injustement. Gorgé d'optimisme, je lui présentais en la couvant du regard : "Tu vas savourer encore plus tout le beau à venir." Elle méritait tant ses jours heureux. Un sourire encourageant habite mes lèvres avant que je ne clame l'adage : "Après la pluie, le beau temps."

Sincère et déterminé à garantir le bonheur de mon amie, je lui suggérais un plan de match ainsi que tous mes arguments soutenant le fait que la suite de ce nouveau chapitre rayonne de félicité. Je dédiais une confiance aveugle en la Khadji, que ce soit au niveau de ses intentions, de la personne qu'elle était, ou du parent qu'elle serait pour son futur, et chanceux, enfant. Mon rire rejoint harmonieusement celui de Yasmine qui retournait les compliments que je lui adressais vers un motif pour Penny de me garder à ses côtés. "Et je m'en plains même pas," je mentionne avec légèreté, l'amour inconditionnel que j'entretiens à l'attention de l'actrice transparaissant à mon regard qui se voit agrémenté d'une étincelle dès que je pense à elle.

La réserve était une caractéristique que j'attribuais à Yasmine, sans pour autant penser qu'elle doutait autant d'elle qu'elle me le révélait aujourd'hui. Attentif, un nouveau rictus attentionné s'empara de mes lippes alors qu'elle m'assurait avoir toujours su qu'elle ferait une bonne maman - formidable selon moi. "Les circonstances se contenteront d'ajouter des couleurs imprévues mais tout aussi jolies à ton tableau de super maman." J'étais convaincu que même si Yasmine appréhendait le contexte, elle saurait dominer la situation. "Et tu ne seras jamais seule. Tu pourras toujours compter sur moi." Au-delà de multiples autres personnes, j'en étais persuadé. "Tu as l'essentiel en toi. Le reste suivra naturellement," je formulais. Yasmine était une maman née. Peut-être que sa route était obscure et ne se présentait pas comme idéale pour le moment, mais le meilleur en sera créé, insufflé de l'inestimable de l'essence de la personne qu'elle composait.

La fierté s'installe sournoisement dans mon regard lorsque Yasmine évoque mes enfants et ma propre paternité. "Merci Yasmine. Ca vaut beaucoup," je déclarais, touché. J'avais rêvé si longtemps être père, j'avais essuyé mon propre chemin de croix pour y parvenir. Aujourd'hui, ma famille était des plus atypiques mais cela ne m'en rendait pas moins comblé. Entendre ma collègue me définir comme une chance pour mes enfants, quand il n'y avait pas une journée où je craignais ne pas être à la hauteur, impose sur mon coeur un baume précieux. "Il faut que j'en profite avant qu'ils franchissent l'âge où ils auront honte de leur père et ses encouragements mièvres," je glissais avec humour, dans une tentative d'alléger l'atmosphère.

C'est méticuleusement que j'applique la stratégie que j'ai soumise plus tôt à Yasmine et qu'elle a approuvée. Je me rends au laboratoire pour fournir l'échantillon à analyser, le glissant en priorité. Dès les analyses terminés, le compte-rendu est imprimé et glissé dans une enveloppe que je faufile dans la poche de ma blouse. Je reviens discrètement la brune et dans l'intimité de notre duo, à l'abri des regards et oreilles curieux, je dépose l'enveloppe entre nous deux. "Tu veux l'ouvrir ?" Je demande avec douceur et patience, prêt à disposer si elle préférait être seule, prêt à l'accompagner dans sa lecture si elle m'y autorisait, prêt à même lui dévoiler le contenu du rapport s'il s'agit de l'option qui la rassure le plus. Le temps ne presse pas et qu'importe à quel point les circonstances sont effrayantes, je reste pilier.

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@Isaac Jensen (crédit gif/ssoveia)

Elle le lui dirait quelques instants plus tard : ce n’était pas étonnant que la compagne d’Isaac voulait le garder pour elle toute seule. Il était doué pour les mots, pour faire se sentir important même dans les moments les plus difficiles, contant chaque compliment qu’il faisait sans donner l’impression de flatter pour le plaisir ou par obligation. Il avait l’âme pure, Isaac. Il lui avait souvent rappelé Hassan, de part son histoire et ses déboires, mais pas seulement, et c’était sans doute possible pour cette raison qu’elle était attachée à lui aussi et qu’en ses mots, elle trouvait un réconfort qui la heurtait en plein coeur alors que tout en étant sûre d’elle, elle avait aussi un poids qui pesait sur son coeur et sur ce corps qu’elle sentait occupé par quelque chose qui ne pouvait que lui apporter du bonheur.

Opinant du chef lorsqu’il lui dit qu’après la pluie venait le beau temps, elle eut un sourire en même temps. Elle ne voulait pas ouvrir les vannes, elle voulait rester un minimum maîtresse de ce qu’elle ressentait sur l’instant, dosant ses confessions au travers de mots qu’elle partageait avec son collègue et ami sans craindre une seule seconde d’être jugée — encore et encore il la rassurait, abondant dans son sens parce qu’il croyait en elle, ça se sentait comme la lumière au travers des rideaux le matin d’une belle journée, et ça lui faisait du bien. Elle le savait impartial, elle le savait aussi assez honnête pour ne pas vouloir lui faire avaler des couleuvres quand il lui donnait son assentiment à propos de ce futur rôle de maman qui l’attendait.
S’il ne la savait pas capable de s’en sortir, il le lui dirait avec diplomatie, mais elle osait espérer qui la prémunirait d’un désastre pour elle, comme pour l’enfant qu’elle portait "J’ai pas envie de t’en demander trop non plus, mais je te promets que c’est une proposition qui n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde." lui fit-elle, émue, lorsqu’il lui assura qu’elle ne serait jamais seule. Ça, elle le savait. Yasmine était entourée, sans doute un peu trop, mais le manque d’objectivité de son entourage avait tendance à l’étouffer. Isaac avait l’avantage d’être étranger à ce cercle qui formait sa famille, et c’était probablement un peu indélicat de le penser, de le dire encore plus c’est pourquoi elle ne le fit pas, mais elle avait de fait davantage confiance en sa parole qu’en celle de ceux qui passaient son temps à traiter sa parole comme un trésor.

Elle rendait ce qu’on lui donnait Yasmine, c’était comme ça. Elle ne sentit cependant pas obligée de le faire là, croyant autant qu’Isaac à ce qu’elle lui disait lorsqu’elle mentionnait ses enfants et la chance que là encore, ils avaient. Elle le sentit touché, c’était leur signal pour mettre en place le plan qu’il avait soumis tout à l’heure et auquel elle avait adhéré sans rechigner.
Elle s’y prépara, noyant le poisson en rebondissant sur ce qu’il lui dit à propos de la honte imminente que ressentirait ses enfants à son égard "Ce sera qu’un mauvais moment à passer. Quand ils seront vieux comme nous, ils se rendront compte combien ils ont eu tort de ne pas apprécier que tu sois derrière eux." Il avait encore de la marge, il pourrait encore s’y préparer avec le boule au ventre.

Comme elle qui sentait son corps et son coeur en ébullition. Recluse dans la salle d’examen qu’elle n’avait pas quittée après qu’Isaac soit partie, elle se mit à songer à ce que signifierait vraiment la nouvelle qu’elle s’apprêtait à recevoir ; qu’il faudrait qu’elle garde la tête haute, qu’il faudrait qu’elle prenne le taureau par les cornes à propos d’Edge et que si la nouvelle de sa grossesse ne l’enchantait pas, elle ferait tout son possible pour élever son enfant entourée de tout l’amour qu’il méritait. Au plus profond d’elle-même, elle ne doutait même pas que son partenaire refuse de prendre part à cette aventure, mais elle n’avait pas non plus eu de doute quant au fait que leur vie, ils devraient la passer ensemble, pourtant ça faisait des mois maintenant qu’ils n’essayaient pas vraiment.
La conception de ce bébé, elle avait été induite par une proximité, une ambiance, un moment suspendu : rien n’était réglé entre eux, et de ça aussi il faudrait qu’elle s’occupe, c’était même l’entrée principale de sa liste de choses à envisager avant de prendre à bras-le-corps cette nouvelle et d’en faire une raison suffisante de ne pas se reposer sur ses lauriers. Assise juste au bord du lit médicalisé, la tête levée vers le néon cru de la salle d’examen, elle baissa rapidement le menton en entendant le rideau se rouvrir, et Isaac apparaître. Dans sa poitrine, le coeur de Yasmine manque plusieurs battements si bien qu’affolée par cette constante perdue, elle posa une main sur le haut de sa poitrine pour accuser le coup de l’approche de la confirmation. Ses yeux posés sur le petit rectangle posé près d’elle, elle déglutit, se sentant un peu idiote dans son for intérieur de réagir de cette façon, comme une enfant qui attend la nouvelle de sa vie, celle qui lui ferait prendre une essor longtemps espéré, jamais atteint parce que rien n’était facile, et que les astres aimaient s’amuser de la patience des gens comme elle ; finalement elle payait cette patience dont certains de ses proches s’amusaient parfois, elle le sentait jusque dans ses os, et c’est ça qui la força à enfin remuer, enlever sa main de sa poitrine pour la poser sur l’enveloppe et l’attraper, sa bouche pincée fort, ses yeux déjà remplis de larmes "Je veux l’ouvrir, mais je veux que tu sois à côté de moi et qu’on regarde tous les deux en même temps." Se décalant d’un saut de puce du bord du lit, Yasmine laissa de la place à Isaac. Elle défit le rabat de l’enveloppe, retira la feuille d’analyses pliée soigneusement à l’intérieur, et lui jeta un regard par-dessus son épaule pour attendre un signal de sa part ; celui qui lui fit ouvrir le tout et poser ses yeux sur la ligne qui l’intéressait et qui confirma ce qu’elle savait déjà : elle était bien enceinte.

Sur le chemin menant au laboratoire, je ne pouvais m'empêcher d'étudier la mesure dans laquelle nos vies étaient constituées. Je me plaisais à comparer ces dernières à de nombreuses images : un jardin au sein duquel pousseraient les plantes de nos expériences, de nos actions, de nos ambitions et desquels nous serions les jardiniers ; un ciel aux nuances multiples contre lequel traversent les nuages de tailles et de vitesses différentes, symboles des éléments représentatifs de notre histoire et de la clarté changeante de leur trame ; ou plus traditionnellement, un long chemin parcouru, parfois caillassé, parfois boueux, parfois couvert d'herbes douces qui chatouillent les pieds ou de hautes qui dissimulant des surprises. Quoi qu'il en était, j'aimais penser que nous étions prédestinés. Je dénichais un certain réconfort à me juger maître de mon avenir car j'effectuais les choix de mes orientations et de mes priorités, mais ultimement, je croyais que certaines rencontres et événements nous étaient immuables. Je me décrivais telle une création autonome de l'univers, possédant des cartes initiales desquelles je ne pouvais me défaire, mais cela ne m'empêchait jamais d'en tirer d'autres et de faire des associations tantôt plaisantes, tantôt regrettables.

Alors que l'enveloppe contenant les résultats de l'analyse sanguine de Yasmine reposait précieusement scellée dans ma blouse, je me mordillais légèrement la lèvre inférieure, curieux et plein d'espoir. Je me surprenais à prier que les hormones de grossesse de mon amie et collègue confirment ses doutes car ultimement, je sentais que cela réjouirait la Khadji et que cet enfant à naître serait aussi choyé que chanceux en son sein. Je lui souhaitais de tout coeur cette nouvelle aventure, tout comme je repoussais les possibles encombres de cette potentielle grossesse, ne plaçant même pas l'ombre d'une énergie dans une esquisse dramatique. Si Yasmine était enceinte, tout irait bien. Je le répétais dans ma tête, incantation déterminée, m'adressant au destin comme je l'avais rarement fait dans ma vie. Yasmine méritait toutes mes prières.

Discrètement, je poussais le rideau offrant davantage d'intimité ma binôme. Je lui offrais un sourire complice et encourageant avant de lui tendre l'enveloppe, après m'être assuré du caractère confidentiel de notre échange. Le contenu du pli faisait tonner mon coeur d'intérêt, un tempo sans doute bien moindre comparé à celui de Yasmine que j'imaginais en pleine gymnastique acrobatique. Dans un souffle, je lui demandais si elle souhaitait prendre connaissance prochainement de ses résultats, tout en campant sur ma position, garantissant par mon attitude que je resterais indéniablement présent si elle le souhaitait tout comme je pourrais sans problème aucun la laisser seule si elle le préférait. "Je veux l’ouvrir, mais je veux que tu sois à côté de moi et qu’on regarde tous les deux en même temps." Yasmine se déplaça sur le lit d'hôpital et me désigna l'espace désormais vacant à ses côtés, une invitation qui m'émut spontanément, si heureux et fier de l'épauler dans cette découverte.

Il y a de ces amitiés inaltérables, véritables trésors qui enlacent notre âme.

"Je reste avec toi," je promettais, m'asseyant à côté d'elle. Dans un silence religieux, les doigts fébriles de l'infirmière ôtèrent soigneusement le bilan de son enveloppe. Nous échangions un regard, j'acquiesçais pour confirmer mon entière attention et je scrutais le document qu'elle dépliait, sachant aussi bien que Yasmine exactement quelle ligne regarder et où elle se situait sur la page. Un indomptable soupir de béatitude franchit discrètement la barrière de mes lèvres en lisant le nombre inscrit qui confirmait que mon amie était enceinte. Je me redressais légèrement sur le lit, laissant quelques secondes supplémentaires à la future maman pour intégrer cette confirmation, me surprenant à lever les yeux au Ciel comme pour remercier les forces au-dessus de nos têtes auxquelles je m'étais plutôt adressé. Puis, je couvais la main libre de la trentenaire, lui formulant avec toute l'affection, la douceur et la sincérité dont j'étais construit et que je lui vouais au nom de notre amitié de longue date : "Félicitations, Yas'". Je pressais tendrement sa main. "Tu feras une super maman." J'affirmais, je répétais, je promettais, je m'engageais ; m'empêchant de radoter je serais toujours là pour elle, à toute heure du jour comme de la nuit, pour quoi que ce soit qu'elle nécessiterait. "Je suis tellement content pour toi," je confessais, chassant tous les mauvais esprits. Je posais ensuite amicalement une main sur son épaule. "Encore une fois, tu me prouves que tu as très souvent raison, dit donc," j'ajoutais avec une touche de légèreté, motivé par l'objectif de dérider nos minois et trancher cette atmosphère si singulière et lourde de sens qui nous englobait de rires certes nerveux mais ô combien heureux.