Le trajet en voiture avec Alma et Sara avait été salvateur. Les relations familiales étaient plus que tendues depuis plusieurs mois. Avec le départ d’Alma de la maison il y a plusieurs années déjà nous nous étions naturellement éloignés. Et ma dépression depuis la mort de Maria n’avait rien arrangé. J’étais au fond du trou, je me suis laissé couler, complètement désespéré et sans espoir que la situation s’arrange. Pendant cette période je me suis coupé du monde, je me suis isolé des personnes que j’aime et le dialogue était complètement rompu avec l’ensemble de la famille. Enfin toute la famille sauf Sara étrangement. La mort de Maria nous a rapprochés, je crois que ça nous a permis de comprendre que de rester brouiller pour des conneries pendant des mois n’en valait pas la peine et les choses sont redevenues comme avant entre nous. On a recommencé à se parler sans s’aboyer dessus, à se couvrir l’un l’autre pour ne pas se faire engueuler par maman et on apprend un petit peu tous les jours à construire une complicité. Avec Alma la distance était toujours présente et était pesante. C’est pour ça que j’ai accepté de les accompagner au festival, pour partager un moment ensemble et essayer de recréer de retrouver notre proximité d’avant. Le trajet était rempli de bonne humeur, je n’avais pas ri comme ça depuis bien longtemps avec mes soeurs, ça faisait un bien fou. Je n’avais cependant pas prévu de rester pendant toute la durée du festival à cause de mon travail et Alma n’avait pas prévu de rester très longtemps non plus. C’est pour cette raison que j’ai proposé à Alma qu’on fasse le trajet retour ensemble et en discutant tous les deux l’idée nous est venue d’aller prendre un grand bol d’air frais. Le mount barney national park était l’option qui nous tentait le plus. L’occasion de visiter un nouvel endroit, de passer du temps ensemble pour se reconnecter avant de retourner à Brisbane où nos chemins se séparent.

N’ayant pas bu une seule goutte d’alcool pendant le festival et ayant réussi à fermer l'œil suffisamment au camping j’ai pris le volant. Alma s’est chargée du gps, de la musique et de me faire remarquer quand je roulais trop vite. Mais bon je sais que ce n’est pas pour m’embêter, elle a raison de vouloir veiller sur mon permis. Et le sien au passage parce qu’on a pris sa voiture et si je me fais flasher par un radar c’est elle qui recevra l’amende. “Je crois qu’on est arrivés.” Enfin c’est ce que le panneau “MOUNT BARNEY NATIONAL PARK” indique. Je me dirige vers le parking et je me gare. Enfin je réussis à me garer au bout de la troisième manœuvre pour essayer de me ranger correctement en marche arrière. “Non mais il est mal foutu leur parking.” Je dis à Alma pour justifier mes maladresses avant de sortir de la voiture pour récupérer nos sacs à dos. Je regarde autour de nous pour voir ce qui est près de nous et je vois que nous sommes tout proches d’un point d’orientation. “On va voir ?” C’est l’occasion de consulter une carte et de choisir par où partir. Je n’ai pas vraiment regardé, je compte sur Alma pour avoir préparé un peu la randonnée sinon ce sera de l’improvisation totale. “On part sur quoi, le yellow pinch lookout ? Le sentier de Cronan Creek Falls, le lower portals track ou le upper portal track ?” Je lui demande en désignant les sentiers sur l’énorme carte qui se tient devant nous.

Pour l’instant, tout se déroulait comme sur des roulettes. L’ambiance était bonne, la météo était plutôt clémente et la route s’était bien passée. Enfin jusqu’à ce que je sois en difficulté sur le parking du parc national. Si près du but, il y avait de quoi s’énerver. “J'aurais pas fait mieux.” Je préfère ne pas commenter davantage et je soupire en mettant le frein à main avant de sortir de la voiture. Après avoir pris nos sacs à dos nous nous dirigeons vers les panneaux d’information pour choisir l’itinéraire de randonnée d’aujourd’hui. Le roadtrip avec Alma s’est décidé un peu au dernier moment et nous n’avons pas vraiment eu le temps de faire des recherches pour planifier la randonnée. Et même si j’avais eu le temps je ne l’aurais sûrement pas fait. Je suis plus du genre à dire “on y va et on verra” plutôt qu’à trop planifier, tout le contraire d’Alma en fait. “ Si tu veux que je survive à cette journée, on va éviter de se lancer dans le parcours de 12km.” Je hoche la tête, elle n’a pas tort, on est pas franchement des habitués des longues marches et je pense qu’on est pas super bien équipés. J’ai mis des vieilles baskets, on est loin des chaussures de randonnée qui tiennent bien le pied et qui sont confortables. Je suis pas sûr de m’en sortir sans ampoules si on marche plus de 20 km. “C’est peut-être un poil ambitieux oui.” Heureusement qu’Alma est là, sinon j’aurais sûrement choisi un chemin au hasard, ce qui est peut-être pas la meilleure stratégie à adopter. “On part là dessus ?” J’en profite pour regarder un peu plus en détail le chemin pendant qu’elle prend en photo le plan. Encore une fois c’est pas une mauvaise idée.  “Allez c’est parti.” 12km c’est déjà pas mal, surtout s’il fait chaud. Je n’ai aucune idée du dénivelé qu’il peut y avoir par ici alors c’est plus raisonnable. “J'espère juste qu'on va pas se perdre.” Je hausse les épaules, pas convaincu par cette possibilité. “Mais non y a pas de raison, ça a l’air simple comme trajet.” Sur le papier c’est un chemin qui a l’air très facile, je ne vois pas de grosses intersections ou de choses qui pourraient nous perdre.  “Au pire ça nous fera une histoire à raconter.” Ce ne serait pas la première fois qu’on rentrerait à la maison en disant “bon ça s’est pas passé comme prévu”. Chez les Gutiérrez on est les rois des histoires improbables et des situations complètement ubuesques. “Exactement.” Je regarde une dernière fois le plan avant de pointer le sentier en face de nous. “Bon il faut commencer par là.” Nous commençons à marcher doucement, le chemin est pour l’instant plat, sans aucune difficulté apparente : c’est agréable de marcher par ici. “ça me fait plaisir qu’on ait décidé de venir ici. De sortir de la maison, d’être seuls.” Traduction : d’être loin de maman et des problèmes de la maison. Et dieu sait qu’il y en a beaucoup trop pour vivre sereinement. Au bout d’un moment nous arrivons face à une intersection où il n’y a aucun panneau, laissant le choix entre trois chemins. “Euh, on va par où?”

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