the sound of letting go
ft  @Alma Gutiérrez

Il avait poussé un long soupir, le bras appuyé sur le porte de la résidence d’Alma. Il se sentait ridicule de réagir ainsi parce que l’invitation partait d’une bonne intention, il en était convaincu, même si une infirme partie de lui ne pouvait s’empêcher de se demander si tout cela n’était pas qu’une façon pour elle de lui montrer qu’elle avait atteint Spring Hill avant lui. Ils étaient ambitieux, peut-être là le seul réel point commun qu’ils entretenaient avec leur géniteur mais Alma avait eu les ailes coupées en plein vol alors que lui s’était échappé. Diego comprenait son point de vue et acceptait qu’elle garde cette rancœur au fond d’elle mais plus le temps passait et plus l’idée d’une vraie relation avec sa petite sœur lui manquait. Ils se voyaient, sûrement bien plus souvent qu’il ne voyait Cesar ou Sara, bien moins qu’il ne voyait Alejandro et sa mère. C’était un entre deux et il avait le sentiment que leurs échanges étaient pollués par ses actions passées alors le mexicain avait l’impression de sonner faux. Comme si le fait de vouloir se racheter, rattraper le temps perdu durant ses études de médecine loin de la maison, était perceptible à chacune de ses paroles. Il était là parce qu’ils avaient eu une discussion, une vraie, pas le genre de discussion où l’un des deux avait le regard fuyant et aurait souhaité être ailleurs. Diego avait montré un enthousiasme non feint, appréciant de la retrouver, sachant que la complicité ne serait peut-être jamais réellement la même mais qu’il fallait un début à tout. Pourtant, le réel problème n’avait pas été évoqué et la discussion était restée légère. Il se sentait coupable pour tellement de choses mais après avoir perdu Maria, voir ses sœurs s’éloigner était la dernière chose qu’il souhaitait. Il tentait tant bien que mal de continuer à jour le rôle du grand frère protecteur alors qu’il savait qu’il avait perdu toute légitimité en partant vivre sur le campus mais il n’avait pas envie de parler de ses états d’âme ou de se victimiser pour se rapprocher de sa fratrie qui avait bien assez souffert.

Se redressant et se décidant enfin à sonner chez Alma, il avait secoué la tête et poussé un dernier souffle pour ôter toute cette négativité de son esprit en s’efforçant de repenser à cette décision qu’ils avaient prise ensemble. Il avait évoqué ses études, brièvement, indiquant juste manquer de temps sans se plaindre réellement pour ne pas la blesser alors qu’il connaissait le fond de sa pensée. Elle avait évoqué un ennui passable. Leurs regards s’étaient croisés et ils avaient décidé de pimenter un peu leurs vies qui devenaient peut-être un peu trop prévisibles. « Alors, t’en penses quoi ? Si ça c'est pas une prise de risque alors je sais pas ce qu'il te faut ! » avait-il demandé, s’infiltrant dans l’appartement à peine avait-elle ouvert la porte. Se dirigeant au milieu de la pièce, il avait ouvert grand les bras avant de tourner sur lui-même et de secouer délicatement le devant de sa chevelure. Son sourire était radieux alors qu’il arborait une coupe des années soixante-dix qu’il avait dû demander à deux coiffeurs différents avant que l’un n’obtempère. La longueur de ses cheveux avait atteint un point de non retour alors c’était tout naturellement qu’il avait pensé à changer radicalement de look pour surprendre sa sœur et se plier à ce coup de folie. « J’ai l’impression que tu t’attendais pas à ça ? » avait-il demandé, l’air soudain inquiet, imitant la mine décomposée d’Alma. Elle avait cet air qu’elle prenait pour annoncer une mauvaise nouvelle et il n’était pas sûr d’avoir envie d’entendre quelle était la folie à laquelle elle s’était laissée aller de son côté. Se dirigeant vers le premier miroir, jetant un oeil curieux mais discret à l’intérieur du logement de sa soeur qu’il découvrait pour la première fois, il avait continué. « J’ai eu des congés à l’hôpital, sinon j’aurais pas fait ça. » Comme s’il avait besoin de préciser qu’annoncer le traitement de ses jeunes patients avec une coupe mulet lui aurait fait perdre toute crédibilité.

the sound of letting go
ft  @Alma Gutiérrez

C’était difficile de constater que même avec Alma dont il était le plus proche, le fossé avait réussi à se creuser. Ils avaient un caractère similaire et une ambition partagée qui avait pourtant signé le début d’une scission entre eux que Diego avait bien du mal à comprendre. Heureusement, cette complicité qui avait un jour existé entre eux rendait également les choses plus faciles maintenant qu’il tentait de faire un premier pas vers chacun des membres de la fratrie. C’était ce qu’il pensait jusqu’à voir la mine tantôt amusée tantôt étonnée d’Alma. Il pensait savoir trouver les mots justes avec sa sœur, pouvoir anticiper ses besoins et donc la meilleure façon de la retrouver mais la réalité était parfois bien différente. « C'est... j'ai pas les mots. » Son rire qu’elle voulait discret était évident et s’il était normalement susceptible surtout lorsque les moqueries portaient sur son apparence, cette-fois, il avait partagé le rire avec sa sœur. Cette coiffure était digne d’un soap opéra des années quatre-vingt dix, il en était conscient, mais malgré les moqueries, il se trouvait toujours tout à fait présentable. « Ah non je te confirme, je m'attendais pas vraiment à ça. » Il avait incliné légèrement la tête, cherchant à déceler dans l’intonation de sa voix si Alma avait prononcé cette phrase de manière positive ou négative mais la réponse n’avait pas tardé. « Parce que tu trouves qu'une coupe ratée que personne ne verra parce que t'es en congés, c'est une prise de risque ? ¡No mames! » Il s’était dirigé vers le canapé de sa sœur et s’y était assis, passant sa main sur le tissu alors qu’il se perdait sans ses pensées. Alma avait réussi. Brillamment. Pas comme lui, qui se noyait dans une carrière qu’il avait choisie dans l’espoir de sauver sa petite sœur et dans laquelle il avait maintenant bien du mal à s’épanouir. Elle méritait tout cela, il aurait simplement aimé pouvoir aborder le sujet de leur ascension sans que cela ne génère des tensions qu’ils cherchaient à tout prix à éviter. Il mourrait d’envie de lui dire combien il était fière d’elle mais l’effet escompté serait bien différent pour une Alma qui n’avait pas besoin de l’avis du frère qu’elle avait vu privilégier sa carrière plutôt que les siens. C’était tout ce que les mots qu’elle venait de prononcer faisait remonter en lui et avant même qu’il ait pu répondre à une question de toute façon rhétorique, elle avait repris. « J'ai fumé de la weed, j'ai couché avec un gars dont je connaissais à peine le prénom et je me suis fait tatouer un palmier sur le cheville par une nana qui avait peut-être même pas le droit d'exercer. » Il n’était pas sûr de comment réagir à ces annonces, qui, mises bout à bout, lui donnaient l’impression qu’Alma était complètement à la dérive. Il avait d’abord soupiré avant de trouver le regard de sa petite sœur dont les yeux noirs ne laissaient rien paraître. « Tu sais que je resterai toujours ton grand frère, hin ? Alors épargne-moi au moins les parties sur ta vie sexuelle. » Parce que c’était plus fort que lui, il ne pouvait s’empêcher de les voir elle et Sara comme les enfants qu’elles étaient autrefois et il n’avait jamais perdu ce besoin de les protéger. S’il continuait à jouer ce rôle auprès d’une Sara que cela rendait folle, il était bien plus effacé avec son aînée qui, il le savait, n’avait aucun conseil à recevoir de lui. « J’ai encore foiré, c’est ça ? » avait-il demandé en continuant à la fixer dans les yeux comme une façon de s’assurer qu’elle comprenne qu’il n’avait pas l’intention de la décevoir. « Je pensais pas que tu prendrais tout ça autant à coeur, Alma. »  C’était resté pour le médecin une simple plaisanterie, un défi qui leur permettrait de partager quelque chose, rien que tous les deux. « Et du coup tu te sens mieux ? » Il avait haussé les épaules, la remarque le touchant à peine après le discours assassin d’une Alma qu’il avait déçue. « Je me sentais bien avant que tu t’énerves, Almita. » Ce n’était aucunement un reproche en témoignait le surnom affectif et le sourire qu’il portait au coin de ses lèvres. Il cherchait à détendre l’atmosphère d’un moment qui semblait déjà partir en règlement de comptes alors que le ton s’était voulu léger. « Comment je peux me rattraper ? » avait-il demandé clairement parce qu’il n’avait plus aucune envie de laisser parler sa fierté avec sa famille.

the sound of letting go
ft  @Alma Gutiérrez

A croire qu’il ne savait faire que ça : décevoir les gens. En particulier ses frères et soeurs et, s’il continuait à batailler avec les doutes quant à sa carrière et son orientation, bientôt sa mère. Même son père, à ce niveau, mais cela avait une bien moindre importance. Il avait tout de même pris la peine de rappeler à Alma qu’il n’était pas Cesar, incapable d’entendre les frasques de ses petites soeurs sans voir rouge. « Euh, ouais, pardon. » Il avait secoué la tête, désolé de l’entendre s’excuser alors qu’elle semblait avoir tant d’autres choses à dire. Comme d'habitude.» Sa moue voulait dire quelque chose qui ressemblait à je l’ai bien mérité, pourtant, la violence de ces mots demeurait la même. Il avait demandé clairement comment arranger les choses, cette fois-ci, n’avait pas fui, n’avait pas trouvé de manière détournée. « J'en sais rien, rase toi la tête ! » Dans d’autres circonstances, il aurait pu rire, mais pas maintenant.  « Y'a rien à rattraper. On aurait jamais dû se lancer ce défi débile, c'était n'importe quoi. » Il avait haussé les épaules. « Moi ça me plaisait, de faire un truc avec toi. » Une phrase banale dont la portée serait bien plus importante, il l’espérait. Te rase pas le crâne, ce serait horrible. Encore plus horrible, je veux dire. » Assise sur sa chaise haute, son regard semblait perdu et elle avait finalement réussi à reprendre le ton de l'humour ce qui avait rendu le sourire à son aîné qui avait passé la main dans ses cheveux avec un air exagérément fier. Tout pour la faire rire.

Il s’était levé, calmement, sans prononcer un seul mot de plus. Alma était une Gutiérrez et cela allait de pair avec un caractère compliqué et une tendance à l’impulsivité. Il ne lui en voulait pas, comment pourrait-il en vouloir à ce petit bout de femme qui semblait avoir besoin de son grand frère plus que jamais ? S’il en voulait à quelqu’un, c’était surtout à lui parce que s’il n’était pas parti, s’il n’avait pas laissé ce fossé se creuser entre eux, peut-être qu’Alma ne serait pas cette boule de frustration. Diego avait commencé à fouiller dans les placards, s’ils avaient des différends, ils n’en demeuraient pas moins les membres d’une même famille et les valeurs qu’ils partageaient incluaient de ne pas avoir à se comporter autrement que comme chez soi lorsqu’ils rendaient visite à un membre de la famille. Le mexicain avait attrapé deux tasses qu’il avait rempli de lait qu’il avait laissé chauffer dans le micro-ondes toujours dans un silence qui n’était pas pesant. Alma le laissait faire, devinant probablement déjà ce qu’il était en train de préparer. La sonnerie du micro-ondes les avait fait sursauter légèrement et Diego avait terminé de préparer les deux chocolats chauds avant de poser la tasse fumante devant sa petite soeur. « Je sais, je sais, tu n’es plus une petite fille mais au moins j’essaie, d’accord ? » avait-il lancé avant que la brune n’ait eu le temps de venir se plaindre une nouvelle fois des agissements de son aîné. Il avait posé son index sur le menton d’Alma pour lui relever la tête. Il n’était plus autorisé à avoir ces gestes là envers elle, aussi, il avait été surpris de ne pas la voir le repousser et c’était déjà une petite victoire pour lui. « Je sais que j’ai pas été présent, Alma. Que tu dois avoir des tas de choses à me reprocher et ressentir toute la colère du monde. » avait-il commencé, n’ayant absolument pas prévu de jouer le rôle du parfait grand frère en arrivant ici. Diego s’était imaginé recréer un tout petit peu de cette complicité d’autrefois en partageant le résultat du défi qu’ils s’étaient lancés mais, puisqu’il avait échoué, il avait pris une autre direction. Celle qu’il voulait lui, celle qui le rapprocherait d’une Alma qui lui manquait au quotidien. « Mais je t’assure que je suis là, maintenant. » Il avait remué son chocolat, une boisson qui n’était pas encore de saison mais qui le serait bientôt et peu importe. C’était celle qu’il lui servait lorsqu’elle avait passé une mauvaise journée quand ils vivaient encore sous le même toit. « Alors tu peux me parler, ou on peut aussi boire ça en silence jusqu'à ce que je te laisse tranquille. » Il l'avait encouragé avec un sourire - même si la première option était celle qu'il préférait.