Eliot s'était rendu compte qu'il n'était pas parti en voyage depuis un moment et le grand air commençait sérieusement à lui manquer. Il était donc parti quelques jours pour randonner dans le coin du parc national Nymboida, à cinq heures de routes de Brisbane, avec rien d'autre qu'un sac à dos et son cocker, Snowball. Une destination pas très exotique mais qui lui permettrait de se perdre un peu dans la nature. Il avait eu besoin de réfléchir et de se ressourcer et il avait espéré que prendre du recul lui permettrait de trouver des solutions pour se débarrasser de Lily. Ça lui permettait aussi de prendre un peu de distance avec Kieran : quelques semaines à peine qu'ils étaient en colocation et Eliot se rendait déjà compte que la colocation ce n'était clairement pas pour lui. Il avait clairement eu envie de fuir son quotidien et s'il avait pu le fuir plus longtemps il l'aurait fait sans aucun scrupules, mais c'était sans compter sur des risques orageux assez importants dans la région qui le décidaient, à contre cœur, de rentrer une journée plus tôt. La route avait été longue, ses jambes engourdies par la marche lui renvoyant en plein visage qu'il n'était plus aussi en forme que quelques années auparavant - il songerait à remédier à ce problème ultérieurement. Eliot avait apprécié s'éloigner de Brisbane, mais il était aussi soulagé de rentrer et de pouvoir se reposer tranquillement avant de devoir reprendre le travail. Alors il entrait, posait son sac dans l'entrée dans l'optique de le ranger plus tard dans la journée, saluait leur colocataire à quatre pattes - qui semblait content de leur retour -, et s'immobilisait net lorsqu'une voix vint le sortir de ses pensées. Je pensais pas que tu rentrerais si tôt, je suis pas encore prête pour le… Pourquoi entendait-il une voix féminine ? Pourquoi en plus une voix qu'il connaissait déjà ? Il faillit tomber à la renverse alors qu'Albane arrivait face à lui. Qu’est-ce que tu fais là ? Il fronçait les sourcils, totalement perdu - et agacé de son audace. Ok c'est une blague, c'est ça ? Il regardait autour de lui comme s'il allait tomber sur des caméras. La mode actuelle était aux pranks débiles postés sur les réseaux : ça ne pouvait être que ça, il ne voyait pas d'autre explication. Il sifflait pour rappeler Snow et le faire arrêter d'aboyer, ses jappements n'aidant pas Eliot à se concentrer pour comprendre comment ils pouvaient être ici, dans la même pièce, sa demi sœur et lui. Ça t'amuse de toujours apparaître quand je ne m'y attends pas ? C'est ta putain de façon de me torturer, c'est ça ? Au poste de police, chez le notaire, à l'hôpital lorsqu'il était allé rendre visiste à Kieran.. La brune semblait toujours être dans les parages, et il n'aimait pas ça. Il allait finir par développer un trouble post traumatique à force, s'imaginant qu'Albane se trouvait derrière toutes les portes qu'il pousserait à l'avenir. Son pire cauchemar, en somme. Comme si ça te suffisait pas de me voler. Qu'il marmonnait, amer. Il ne lui laissait pas l'occasion de parler, l'enchaînant gratuitement avec des questions et des piques comme à son habitude. A ce stade, ça devenait presque une tradition familiale. Il respirait un grand coup pour essayer de reprendre son calme, conscient que son état de surprise et d'agacement n'allait en rien faciliter les choses. Sérieusement Albane, qu'est-ce que tu viens foutre chez moi ? Qu'il lançait en essayant de rester le plus poli possible - un échec, visiblement. Et avant même qu'elle n'ait le temps de répondre par elle même, les yeux d'Eliot venaient se poser sur le t-shirt qu'elle portait, lui permettant en une seconde de faire les connexions nécessaires pour comprendre ce qu'elle pouvait bien faire ici. Bordel me dis pas que tu te tapes Kieran. Parce qu'avant d'être chez Eliot, c'était surtout chez lui. A croire qu'ils étaient destinés à être beaux frères ; pour une fois, l'ironie de la situation ne l'amusait pas du tout.

Les choses étaient plutôt claires : Eliot et Albane n'étaient pas faits pour s'entendre. Elle ne lui inspirait que de mauvais sentiments et il le lui rendait bien avec tout un tas de piques et de sarcasmes dont lui seul avait le secret. JE suis celle qui TE torture ? Oui - la question ne se posait même pas. Elle était celle qui était née d'une histoire peu honnête, pas lui. Elle était celle qui avait débarqué dans sa vie, pas l'inverse. Et, plus que tout, elle était celle qui était venue voler son héritage. Abruti. Inutile de comprendre ce qu'elle venait de marmonner pour comprendre qu'il venait de se faire insulter, d'une manière ou d'une autre. C'était de bonne guerre : Eliot avait affublé Albane de bien des noms dans ses pensées au cours de ces dernières semaines. Mais l'heure n'était pas à se disputer sans raison, il leur fallait surtout comprendre comment ils avaient pu en arriver à se retrouver l'un en face de l'autre dans cet appartement. Chez toi ? Elle ne cachait pas sa surprise et instantanément, Eliot songeait qu'il devrait suggérer à Kieran de faire changer ses serrures. Peut-être était elle simplement folle après tout ; peut-être était-elle venue lui voler son chez lui aussi. Pitié, non. - Tes supplications ne changeront rien au fait que je vis ici. Et c'est à cet instant qu'il comprenait ce qui se jouait là ; à cet instant qu'il posait la question qui solutionnerait toute l'incompréhension à laquelle ils faisaient face. On se voit, oui. Et je pense pas que ça te regarde. Eliot grimaçait à imaginer Kieran avec Albane. Elle n'avait pas tort : leur relation ne regardait qu'eux. Eliot trouvait pourtant intéressant de savoir que sa nouvelle demi sœur et son ex beau frère formaient désormais plus ou moins un couple. Il s'imaginait une seconde leur arbre généalogique et s'emmêlait les pinceaux dans son esprit ; mieux valait ne pas y penser. On n’est pas de la même famille hein ? - Qui sait ? Si Eliot s'était trouvé une demi sœur alors qu'il avait cru tout savoir de sa famille et des membres qui la composaient, rien ne prouvait que la famille d'Albane, déjà explosée en mille morceaux et pleine de secrets n'était pas liée à celle de Kieran, tout aussi peu saine. Bon, en réalité ce n'était pas le cas, mais Eliot s'amusait bien trop de voir la panique s'installer doucement sur le visage d'Albane pour la rassurer à ce sujet. Au contraire, il décidait même de s'en donner à cœur joie. Si on y réfléchit bien... dans un sens si. D'ailleurs le fait que Kieran et Albane aient une histoire était extrêmement perturbante pour l'inspecteur, mais il essayait de ne pas trop y songer. C'était mon beau frère. Qu'il finit par lancer, craignant de causer une situation plus gênante encore si sa chère sœur finissait en pleine crise d'angoisse en s'imaginant être dans une relation incestueuse. Et... visiblement ça l'est de nouveau. Qu'il lançait en riant, extrêmement fier de sa blague - mais surtout gêné. Plus sérieusement, vous deux et moi dans cet appartement, ça va pas le faire. C'est hors de question que tu deviennes ma colocataire aussi. Il ne donnait pas cher de leur santé mentale à tous les trois, et tout ce qu'ils risquaient de produire en devant se supporter au quotidien serait de se retrouver à l'hôpital. Si Albane et Kieran n'étaient pas inconnus de ce genre de séjours, Eliot ne comptait pas s'y mettre pour les y suivre. Je refuse de subir votre relation. Va falloir s'organiser temps que je n'aurais pas trouvé de nouvel appartement. Il ignorait où ils en étaient, elle et Kieran. Il ignorait si leur relation était vouée à durer. En fait, il n'osait même pas l'imaginer. Ce qu'il savait, c'est que leur colocation était temporaire, et qu'il pourrait fuir cette situation totalement insensée d'ici quelques mois.

T’as une sœur ? Albane trouvait-elle Eliot si détestable pour ne pas avoir pensé une seconde qu'il avait été en couple et privilégier la piste d'une autre sœur dont elle n'aurait eu connaissance ? Probablement. Après tout, il n'en pensait pas moins d'elle. Quoi ? Mais non, je suis fils unique. Oui, bon, pas tellement. Mais il avait fait cette précision par pure sympathie pour éviter à Albane de croire qu'elle avait encore des choses à découvrir sur leur famille et surtout pas pour lui lancer une pique, évidemment. Enfin en dehors de toi. On a pas d'autre frère ou sœur. Qu'il précisait comme si arrondir les angles avec Albane l'intéressait. J'étais fiancé à sa sœur. Sœur adoptive, mais le détail était inintéressant puisque le fait qu'ils ne partagent pas leur sang n'enlevait rien à leur relation. Trop chouette. Il n'était pas emballé non plus et le lui faisait bien comprendre. Il était hors de question que le lieu où il vive soit envahi par sa présence. J’ai un appartement, tu sais ? Je vais pas vivre ici. J’y ai juste passé la nuit parce que… Heureusement, elle ne terminait pas sa phrase. La grimace qu'Eliot arborait suffisait à lui faire comprendre qu'il avait bien saisi ce qu'ils avaient fait ensemble cette nuit. J’ai pas exactement envie de te voir plusieurs fois par semaine non plus. Donc t’as rien à craindre, je ferai en sorte qu’on ne se croise pas. - Ça c'est une bonne idée. Et au moins une bonne nouvelle puisqu'ils étaient d'accord sur le fait de ne surtout jamais se côtoyer. Tu lui as parlé de moi ? Eliot fronçait les sourcils, réfléchissant un instant. A vrai dire, c'était une question pertinente. De ma demi sœur débarquée de nul part, du décès de mon père et des questions d'héritage ? Oui, c'est un sujet que j'ai abordé. Eliot avait pris goût à leurs conversations avec Kieran. Et bien qu'il n'ait pas donné trop de détails de ses malheurs par crainte d'en rajouter aux idées déjà noires qu'il avait en tête, il lui avait raconté ses mésaventures. C'était même la raison qu'il avait servi à Kieran pour lui demander de l'héberger un temps - et bien que véridique, la situation l'avait arrangé et lui permettait de surveiller l'artiste pour qui il s'inquiétait toujours. Seulement je ne crois pas avoir prononcé ton prénom. Ni avoir mentionné que c'était elle après l'avoir croisée à l'hôpital dans la même chambre que Kieran. Le peu de considération qu'il avait pour elle venait de le mettre dans une situation embarrassante, puisque celui qu'ils avaient en commun n'avait même pas conscience de leur lien. Va falloir lui dire qui tu es. Il refusait de devoir se perdre dans des secrets ou des mensonges avec Kieran, surtout alors qu'il partageaient un appartement.

Je crois que j’aurais préféré une sœur qui débarque à la prochaine réunion chez le notaire. Moi pas. Qu'il rétorquait sans réfléchir avant d'apporter des explications sur ce qui les liait, lui et Kieran. Je t’imaginais pas du genre à être dans une relation sérieuse. Et en même temps cette période de sa vie paraissait si lointaine que même lui avait du mal à s'en rappeler, parfois. Eliot s'interrogeait sur la façon dont Albane le voyait, mais refusait de s'y intéresser, son opinion ne comptant de toute façon pas vraiment. Ce qui comptait, c'était l'opinion que lui avait d'elle, et qu'il avait déjà largement partagé avec son colocataire. Et c’est moi qui te pourris la vie… Oui - inutile d'entrer à nouveau dans le débat. J’imagine que tu vas me forcer la main, que tu vas me dire que si je ne le fais pas, tu t’en chargeras ? Eliot secouait machinalement la tête. Pas pour répondre par la négative, parce qu'il se chargerait de l'annonce si Albane ne voulait pas le faire, mais parce qu'elle ne semblait pas mesurer l'ampleur de la chose. Je ne tiens pas à rendre la situation plus compliquée que ce qu'elle n'est. Mais il finira par l'apprendre tôt ou tard, tu t'en rends bien compte, non ? La colocation de Kieran et Eliot finirait inéluctablement par tous les mettre au pied du mur et face à cette réalité. Ils auraient préféré que ce ne soit pas le cas, mais ils se retrouvaient piégés, et autant se montrer honnête envers la dernière personne qui composait ce trio qui n'avait ni queue ni tête. S'il finissait par le découvrir par lui même, Kieran leur en voudrait à tous les deux et Eliot ne se le pardonnerait jamais, sachant très bien qu'il n'avait aucun besoin de se rajouter des raisons d'aller mal - et qu'un tel secret en aurait été une. Je dois m’attendre à quoi ? A ce qu’il me juge ? Me prenne pour une opportuniste vénale ? Probablement. N'était-ce pas ce qu'elle était ? Il y a eu des noms d’oiseaux ? Oui, je ne vais pas te dire le contraire. Ç'aurait été mentir délibérément, et il n'aimait pas ça. Kieran a bon fond. Trop au goût d'Eliot. Il essaiera sûrement de comprendre ta version des faits. Et il réussirait peut-être à faire la part des choses. Eliot n'était pas dupe : son ex beau frère avait été victime de son mauvais caractère à une époque. Alors il espérait qu'il saurait déceler dans les discours qu'il avait eu sur Albane le vrai du faux, la réalité des critiques exagérées. L'inspecteur n'était pas prêt à accepter sa demi sœur dans sa vie, mais il voulait savoir Kieran sur la voie de la guérison, et de la compagnie l'y aiderait peut-être. Écoute, je ne t'apprécie pas et je n'ai aucune envie de subir ta présence chez moi. Qu'il se sentait obligé de répéter, pour que la suite de ses paroles ne soit pas interprétée de manière trop positive. Mais si votre... relation apporte quelque chose à Kieran, je ne vais pas m'en mêler. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne s'en inquiéterait pas. Il veillerait au grain. Il avait eu la preuve qu'Albane n'était pas une arnaqueuse, qu'elle était bien qui elle avait dit être. Mais il ne la connaissait pas et s'en méfiait, d'autant plus qu'il ne connaissait que trop bien Kieran et sa propension à tomber amoureux des mauvaises personnes.

Eliot aurait préféré rentrer chez lui et y retrouver calme et sérénité : ce programme là devrait attendre la fin de son échange avec Albane, quoi qu'ils étaient parvenus à ne pas se sauter à la gorge jusqu'ici. Il captera vite l’hostilité ambiante, oui. Parce que Kieran n'était pas dupe, qu'il les connaissait tous les deux - apriori - et qu'il saurait relever des changements dans leurs comportements respectifs. Surtout que du côté d'Eliot, sa froideur ne ferait que lui rappeler celui qu'il avait connu dans leurs premières années alors même qu'ils ne s'appréciaient pas. Clairement, il ne lui faudrait pas bien longtemps en entrant dans cette pièce pour détecter ce qui n'allait pas et comprendre qu'Albane et Eliot ne se portaient pas en haute estime. J’ai hâte de devoir plaider ma cause alors. Il ne doutait pas que Kieran saurait faire la part des choses mais il était quand même plutôt satisfait, l'inspecteur, d'avoir pu donner son avis tout à fait objectivement sur la jeune femme avant qu'ils se rendent compte d'être liés de cette façon tous les trois. Au moins, personne ne pourrait lui reprocher d'avoir essayé de séparer ce couple naissant ; Albane devrait même plutôt le remercier de l'honnêteté dont il venait de faire preuve : il aurait pu décider de ne pas avouer avoir manqué de tendresse à son égard dans ses mots. De toute manière, l'Halstead serait son propre juge. Je sais. A croire qu'ils venaient de trouver quel sujet de conversation était le plus à même d'apaiser juste un peu leur relation, au moins temporairement. T’as même pas essayé de m’apprécier. Mais on n’a pas à rendre ça compliqué. Je ne traînerai pas ici quand tu es là. Je ne parlerai pas de toi du tout. Comme d'habitude Albane essayait de mettre toute la faute sur le Chapman, se mettant en position de victime, de celle qui ferait les choses bien contrairement à lui. La susceptibilité d'Eliot aurait pu lui faire perdre le contrôle et sortir de ses gonds à nouveau, mais il prenait sur lui. Parce que tu as essayé de m'apprécier toi peut-être ? C'est déjà compliqué. Mais comme je viens de te le dire, je ne te causerais aucun tort, en ce qui le concerne. Pas plus que ce qu'il avait déjà fait en rabaissant à de nombreuses reprises sa demi sœur auprès de lui, en tout cas. J’ai pas envie que Kieran se retrouve entre nous deux. Il a eu assez à gérer récemment. Alors est-ce qu’on peut juste se mettre d’accord sur le fait de se comporter de manière civile en sa présence ? S’il te plaît ? Encore une fois, il eut besoin de prendre une longue inspiration pour avaler les propos de sa chère sœur : croyait-elle connaître Kieran mieux qu'Eliot, qui pourtant le fréquentait depuis des années ? Je sais très bien ce qu'il a eu à gérer et je ne lui compliquerait pas la tâche avec des tensions qui ne le concernent pas. Qu'il eut besoin de préciser comme pour marquer son territoire, mais aussi pour affirmer que les efforts qu'il ferait ne seraient faits que pour Kieran ; en aucun cas pour elle. Si on devait se croiser en sa présence tu n'aurais pas de soucis à te faire. Mais je maintiens que l'idéal serait de limiter nos contacts. Moins souvent il aurait d'efforts à fournir, plus facile ce serait de les fournir lorsqu'il devrait la croiser. Et donc.. si tu étais en train de l'attendre, tu sais quand il doit rentrer ?