“Allô la Terre ? Gutiérrez tu nous reçois ?” Je fronce les sourcils en direction de la voix qui vient de me déranger dans mes pensées. Merde c’est le patron. “Oui euh désolé.” Je suis complètement ailleurs en ce moment et aujourd’hui ne fait pas exception. “Les jeunes vous êtes tout le temps dans la lune c’est dingue ça” Je le déteste putain. C’est un vieux con, je le sais depuis longtemps et chaque fois qu’il commence une phrase par “vous les jeunes”, c’est à dire plusieurs fois par jour je me retiens de lever les yeux au ciel en le traitant de boomer. Je prends sur moi et j’ignore sa remarque tout en le traitant gilipollas ou de malparido. J’ai besoin de ce boulot mais je ne rêve que d’une chose c’est du jour où je me barrerai de cette entreprise merdique. Si je suis tête en l’air en ce moment c’est parce que je n’arrête pas de me repasser le film en boucle. Je repense à ce qu’il s’est passé chez Em il y a maintenant plus de deux semaines. Je repense à elle, à nos retrouvailles sur l’oreiller et surtout à la manière dont tout ça s’est terminé. Je reste amer d’avoir été mis dehors comme ça en trente secondes top chrono parce que son mec arrivait. Je ne sais pas ce qu’elle a en tête, si elle a envie qu’on se revoit ou si c’était l’affaire d’une seule fois. J’ai besoin d’en parler avec elle, qu’on soit au clair parce que je ne suis pas sûr de vouloir être le remplaçant, le mec qu’elle appelle en cachette et qu’elle cache. Bien sûr que je l’aime, que je ne pense qu’à elle et que je tuerais pour passer du temps avec elle, mais pas comme ça. J’ai trop de fierté pour accepter d’être traité comme un objet ou une vieille chaussette. Je serais bien venu lui parler plus tôt mais le cocard que j’avais à l’oeil droit n’était vraiment pas présentable. Je me souviens très bien ce qu’elle a dit sur la violence et sur le fait qu’elle n’accepterait pas que je me batte. C’était donc impensable que je me pointe chez elle comme ça avec le visage encore abîmé. J’ai donc attendu que tout ça dégonfle pour prendre une apparence à peu près normale et aujourd’hui je me suis décidé. L’idée m’a prise comme ça, en une fraction de seconde en sortant du boulot et j’ai pris un bus différent pour aller chez elle. J’ai besoin qu’on discute face à face, les textos c’est bien mais pas pour une discussion sérieuse comme celle-là. Sans réfléchir davantage je me mets en route pour sa nouvelle adresse, non sans avoir une pointe d’anxiété. J’arrive devant chez elle et je vais tout de suite sonner avant de me dégonfler. La porte s’ouvre et là je retiens un juron en espagnol. Son mec. Putain son mec est devant moi. Pour résumer la situation :c’est la merde. Je suis vraiment trop con, comment j’ai pu oublier que ce guignol vivait chez elle ? Je suis le roi des cons, comment est-ce que je vais me sortir d’une situation comme ça maintenant ? Merde merde merde. J’essaie de ne pas montrer que je suis paniqué et je dis d’une voix mal assurée. “Euh salut.” Vite, trouver une excuse, n’importe quoi. “Emery est là ? Je..” Ok là je pédale complètement dans la semoule. “On s’entraîne ensemble au dojo et euh j’ai oublié ma veste la dernière fois. Je devais passer pour la récupérer.” L’excuse est complètement foireuse, bancale je le sais mais c’est la seule chose que j’ai trouvée. La dernière fois que je suis venu ici j’ai effectivement oublié ma veste dans la précipitation mais est-ce que le mec si génial d’Em me croira ? C’est pas sûr. Vraiment la prochaine fois je réfléchirai avant d’agir.

« si c’est pour me vendre un truc c’est pas la peine ! » Et merde. Quand la porte s’ouvre et que je tombe sur un mec je me décompose lentement. Celle-là, je l’avais pas vu venir. J’ai été trop bête, trop impulsif pour envisager la seule possibilité de tomber sur quelqu’un d’autre qu’elle. Je suis vraiment stupide, qu’est-ce que je suis censé faire maintenant. C’est son mec, le gars avec qui elle sort et je suis absolument pas censé être là : c’est panique à bord. Je ne veux pas qu’il devine ce qu’il s’est passé en me voyant, qu’il me casse la gueule et que ça retombe sur elle. C’est vraiment la merde et il faut que j’improvise quelque chose et vite. “Ah non pas du tout je euh” J’hésite pendant une seconde à dire que je me suis trompé de maison avant de demander quand même si Emery est là. Encore un mauvais choix, j’aurais dû baragouiner quelque chose dans le genre “ah euh j’ai sonné à la mauvaise maison” plutôt que de m'embourber comme ça. « Elle est pas là, je lui dirai que t’es passé quand elle rentrera. » Super je vais pouvoir part- « au fait t’es qui ? » -ir. Et bah non, il m’a coupé dans mon élan et là cette fois il faut que je me justifie. Je lui explique qu’on s’entraine ensemble au dojo et je repense à la veste que j’ai oublié chez elle pendant notre dernière nuit alors j’invente une histoire plutôt perchée. Je me rends compte que je ne dois pas être super crédible mais j’ai pas vraiment eu le temps d’élaborer une meilleure excuse. « Ta veste ? Elle m’a rien dit. » J’essaie de ne pas montrer que je suis crispé mais là je commence à me dire que ça sent pas bon pour moi. “Elle a dû oublier.” Je tente de dire.  « Je me souviens pas qu’elle m’est parlé de toi en plus…” Ah bah tu m’étonnes qu’elle t’ait pas parlé de son ex avec qui elle couche encore. “On s’était pas vus depuis longtemps, ça doit être pour ça.” Ce qui n’est même pas un mensonge en soi, même si ça occulte une grande partie de la vérité. « Tu sais où elle est ta veste ? Parce que je suppose que c’est pressé et que tu n’pourras pas repasser ? » Maintenant que je suis embarqué dans ce mensonge il faut que j’aille au bout. “Je pense savoir oui. Et si je peux la récupérer ce soir je dis pas non, je dois partir pendant un moment et j’en ai besoin.” A mon avis elle est planquée au fond d’un de ses placards, ou peut-être qu’elle s’en est débarrassée.  “Mais bon je veux pas déranger ou quoi.” Le malaise est palpable et je regrette mes choix spontanés un peu plus à chaque seconde qui passe.

« Tu quoi ? »  Je m’attendais pas à voir ta sale gueule, c’est tout. Croiser le mec d’Emery c’était vraiment le dernier truc dont j’avais envie aujourd’hui. J’étais vraiment pas près, j’avais pas réfléchi à cette éventualité et là je me retrouve comme un con devant lui. Je rattrape la situation comme je peux en trouvant le prétexte de la veste que j’ai oublié chez elle la dernière fois que je suis venu. Enfin officiellement oubliée au dojo hein. Cet idiot me dit qu’elle ne lui a pas parlé de moi, c’est franchement pas étonnant mais je fais mine de ne rien savoir et de faire comme si elle avait oublié d’en parler parce qu’on ne s’est pas vus depuis longtemps. Ce qui est pour le coup vrai. « Enfin, faut dire que quand on se retrouve tous les deux seuls, on a autre chose à faire que papoter de ce genre de chose… » Et cet enfoiré me fait un clin d’oeil. Non vraiment il ne pouvait pas faire un sous-entendu plus dégueulasse. Si je n’avais pas peur de mettre Em dans la merde j’aurais répondu quelque chose dans le genre : “t’en fais pas poto on papote pas trop non plus quand on est seuls avec Emery”. Après tout c’est avec moi qu’elle couchait pas plus tard qu’il y a deux semaines, pas avec ce type qui ne doit même pas être foutu de la satisfaire. “J’imagine.” Je dis avec un haussement de sourcils franchement pas convaincu. J’ai envie de me barrer et vite. Je vais pas tolérer longtemps le comportement de vieux kéké de son mec. Je sais où est la veste donc je peux aller la récupérer. C’est facile elle l’a planquée dans son placard enfin j’imagine, il n’y a pas 36 endroits pour planquer les vêtements de son ex. « Tu m’as déjà dérangé de toute façon ! » Il est vraiment délicat ce monsieur, qu’est-ce qu’elle lui trouve sérieux? « Vas-y rentre, c’est à l’étage, tu sais où est la chambre d’Em je pense ? » Je passe la porte avec l’objectif d’en finir le plus vite possible. J’ai tellement de réponses possibles et moqueuses qui me viennent en tête mais je me freine pour Emery. “Au fond à droite c’est ça ?” Je fais mine de demander alors que je sais parfaitement où est sa chambre -et comment sortir incognito par la porte de derrière-. Je monte les escaliers avant d’entrer dans sa chambre où son parfum flotte encore. Son odeur me manque terriblement. Je ne me laisse pas distraire et j’ouvre le placard où je pense qu’elle a rangé ma veste.

Spoiler:

Quand le casier rempli de sextoys tombe à mes pieds et s’étale dans tout le placard c’est vraiment panique à bord. Je maudis Em de ranger ses jouets là et de me mettre dans une situation qui n’arrête pas d’empirer. Je me dépêche pour essayer de tout ramasser avant que Ducon me voit avec un womanizer dans les mains. Si ça arrive pas sûr que je ressorte de cette baraque. « Bon tu trouves ? On va pas passer la nuit hein ?! » Je transpire comme je n’ai jamais transpiré de ma vie mais je ne peux pas aller plus vite. “Oui oui.” Non je ne trouve absolument rien et c’est la merde absolue. Em a peut-être tout simplement jeté ma veste après notre nuit ensemble. « Il y a peut-être pas de veste tout simplement. » Je suis dans la merde, dans quelle galère je me suis encore fourré ? “Mais si si.” Si je ne trouve pas rapidement cette foutue veste je sens que cette visite imprévue va tourner au vinaigre. « En fait, tu voulais pas tomber sur moi hein ? » Bien sûr que non, connard. Il est perspicace quand même, si j’arrive en disant que je veux voir Emery c’est que je suis pas venu pour voir sa sale gueule. « tu voulais juste te taper ma nana ? » L’ambiance change subitement pour devenir très pesante, étouffante même. Je vais me faire casser la gueule, j’en suis presque sûr maintenant. Qu’est-ce que je dois lui dire ? Faut que je trouve une excuse, quelque chose. “Ah non mais pas du tout, c’est pas du tout mon genre !” Je dois être tout rouge parce que quand Emery saura ce qu’il s’est passé elle va me tuer c’est sûr. Je me relève et soudain un tissu attire mon regard : ma veste. Dieu merci. J’attrape le cintre et je lui montre le cintre. “C’est bon je l’ai trouvée, elle s’était bien cachée hein!” J’ai un petit rire nerveux, je suis pas passé loin. Je ferme le placard quand je remarque que quelque chose coince : une paire de menottes. Je mets un coup de pied discrètement pour les dégager et je ferme le placard avant de dire. “Bon je vais y aller hein je t’embête pas plus longtemps.” Je dois sortir de cette maison et vite.