(outfit) J'avais hésité à rejoindre Abel au rendez-vous que nous nous étions fixés en drag queen. Cette alternative m'avait effleuré furtivement l'esprit, puis je m'étais rapidement ravisé, me ressassant la relation qui unissait le trentenaire à ma meilleure amie et colocataire. La dernière chose que je souhaitais était que le danseur discute de mon art quelque peu polémique avec Dani, quand moi-même je ne parvenais à me résoudre à lui révéler ce pan pourtant si crucial de mon histoire. Ainsi, dépité et déçu, j'avais fourré les artifices de ma passion au placard, j'y avais enfermé tristement mon alter ego féminin, Bea, au profit de Kai 100% garçon. Depuis le début des festivités de la Pride, cela était la première fois que je mettais les pieds dans le coeur de ces fiertés célébrées de manière si sobre et inavouablement, déambuler ainsi dans les rues de Brisbane me procurait la sensation d'être tel un imposteur, ou de manquer des opportunités de m'épanouir sous mon autre moi.

Rencontrer Abel était peut-être une mauvaise idée également. Les motifs qui m'incitaient à revoir le garçon n'étaient pas forcément les plus judicieux ni les plus nobles. Sans réfléchir, je m'étais voué à lui adresser des textos joueurs lorsque je l'avais repéré au Queen's Ball et bien vite, cette rencontre avait été fixée. Si rien n'était sérieux entre le Greetham et moi-même et que je ne préméditais aucun agissement significatif, l'impression de manquer de respect à Raphael me turlupinait quelque peu. A mesure que je réduisais la distance qui me séparait de notre lieu de rendez-vous, je me demandais si j'avais bien raison d'honorer une telle rencontre. Je regrettais de ne pas être Bea, je culpabilisais vis-à-vis de l'autre danseur qui faisait tambouriner mon coeur. Un soupir franchit la barrière de mes lèvres, je tirais sur le col de mon hoodie pour le remettre en place et chasser mes inquiétudes, je devinais la silhouette de l'australien qui s'était installé sur un banc.

« On a fait tous les deux dans le foncé, » je remarquais, constatant que nous étions majoritairement vêtus de noir, quand autour de nous, les couleurs de l'arc-en-ciel dominaient. Irrésistiblement, je profitais de la translucidité de la chemise d'Abel pour mater ses tatouages, songeant à son offre de l'accompagner la prochaine fois qu'il déciderait de se faire noircir l'épiderme. « Alors, t'arrives à me reconnaître aujourd'hui ? » Je lançais avec désinvolture tout en rivant mes pupilles dans l'azur de ses yeux, trahissant par mon attitude à quel point j'aspirais à le taquiner.

Un cocktail mêlant aigrement culpabilité, malaise et inquiétude s'imprégnait pernicieusement dans mon être tandis que j'adressais la parole à Abel, captant ainsi son attention. Son regard azuré se fendit sur ma peau, invoquant une myriade de frissons qui coururent irrémédiablement le long de mon échine. « Mais je constate que quelqu’un a fait plus d’effort. » Un sourire arrogant vint étirer la commissure de mes lèvres tandis que mes pupilles se levèrent avec exaspération vers l'au-delà. « Tu trouves ? » Je provoquais, joueur, quand bien même je ne me privais pas davantage de reluquer le torse apparent du danseur sous son haut translucide. « J't'ai connu plus... Gonflé, » j'ajoutais en me mordant la langue, mes pupilles déviant vers son entrejambe. Bien vite, je me surprenais à souhaiter sa chemise retirée, tout en songeant aux costumes possibles que cette pièce de tissu pourrait embellir.

Je me forçais à lever le regard vers celui d'Abel pour lui lancer une nouvelle pique, faisant référence à nos précédents échanges par téléphones interposés durant lesquels je m'étais plu dans le rôle du voyeur tandis que le trentenaire ne parvenait à me repérer dans la foule peuplant la salle du Queen's Ball. Je ne pouvais guère l'en blâmer - mieux encore : j'en étais flatté. Cela prouvait une nouvelle fois à quel point j'étais méconnaissable en drag queen, comment Bea était prodigieusement opposée à Kai. « Hmm… Je ne suis pas sûr… Laisse-moi quelques secondes… » Je plissais les yeux, soupçonneux, et m'interdisais d'émettre le moindre geste de recul pendant que Bel réduisait suavement la distance séparant nos deux corps. Puis, ses lèvres vinrent se presser au bord des miennes, impunément. « Hm… Là oui, je te reconnais aujourd’hui. » Est-ce tromper de se laisser ainsi embrasser ? Étais-je en couple ? Jouais-je dans le dos de Raphael ? Mon estomac se renversait sous ce geste. « Quel chaste romantisme, je ne te connaissais pas ainsi. » Je faisais, narquois, commentant le baiser de timoré sans scrupule. Mon coeur, néanmoins, faisait bien moins le malin, tonnant avec mauvais conscience dans sa cage thoracique tandis qu'un coup de chaud m'étreignait. « T'as l'habitude de saluer beaucoup de monde comme ça ? » J'interrogeais, regrettant derechef la pointe de jalousie qui pouvait être interprétée par cette question. Je plongeais mes mains dans mes poches, feignant une indifférence, puis enchérissais : « Tu as des projets d'activités que tu aimerais faire durant la Pride ? » Encore une fois, je surprenais dans mes paroles une multitude de messages subliminaux pour lesquels je m'exaspérais moi-même. Ces interprétations que je m'incombais spontanément étaient-elles cependant inavouablement révélatrices de mes ambitions vis-à-vis du Greetham ?