En acceptant l'invitation d'Asher, j'étais persuadé qu'on ferait tous les ateliers ensemble. J'avais tout faux puisque nous avons été séparé dès le deuxième jour.  Si j'ai accepté de le suivre, c'était d'une part pour pouvoir sortir d'ici en ayant acquis assez de compétences pour partir en bivouac avec mon petit frère, mais aussi pour passer du temps en sa compagnie. Au final, je me retrouve à devoir faire équipe avec de parfaits inconnus. Celui d'hier a bien failli finir aux urgences à cause de sa maladresse donc bon, je suis pas hyper emballé à l'idée de rencontrer mon nouveau binôme pour la journée. Je prie silencieusement pour tomber sur quelqu'un de bien lorsque l'un des experts prononce mon patronyme avant de déformer celui de l'heureuse élue. Itziar, va falloir que je le répète plusieurs fois dans ma tête pour ne pas l'écorcher à mon tour. C'est pas commun, j'espère que ça signifie "matelot" en latin. Je m'avance pour aller me positionner à côté de la blonde tout en tendant l'oreille pour écouter les experts nous donner les dernières clés qui nous permettrons de finir ce stage en beauté. Enfin, c'est peut-être pas le terme le plus approprié parce que je me suis jamais senti aussi crade que durant les trois derniers jours. J'ai le cerveau qui va bientôt exploser, ça faisait longtemps que je n'avais pas eu à emmagasiner autant d'informations en si peu de temps. J'ai l'impression d'être de retour à l'université sauf que les murs de l'amphithéâtre ont été remplacés par des arbres à perte de vue. "Salut, t'aurais pas une ou deux bouées de sauvetage dans ton sac par hasard ?" C'est qu'on risque d'en avoir besoin parce que je dois avoir quelques heures de sommeil au compteur et que je vaux pas grand chose quand je ne carbure pas au café. "On peut commencer par chercher du bois ?" Pour changer. Je crois que j'ai eu ma dose de rondin pour au moins un an. On pourra plus m'insulter de faux bûcheron quand j'enfilerais mes chemises en flanelles. Va en falloir beaucoup pour supporter mon poids, la pauvre, elle n'est pas tombé sur le plus léger des coéquipiers. "Qu'est-ce qui t'as donné envie de t'inscrire au stage ?" Je demande pour faire la conversation. On arrive pas ici par hasard, il faut quand même être vachement motivé pour troquer quatre jours de farniente contre un stage de survie. Les groupes se mettent doucement en route et je commence à marcher vers une direction opposée pour nous donner plus de chances de trouver de quoi construire notre futur navire.

Spoiler:

“Oh nan, s'il te plait, me dit pas que tu sais pas nager ?” Je pince mes lèvres en un sourire. "J'ai fini premier à l'épreuve de barbotage des bébés nageurs." Je réponds fièrement tout en attrapant la sangle de mon sac pour le foutre sur le dos. La fatigue le rend plus lourd et mon dos commence à me faire un mal de chien. J'ai dû prendre dix ans en trois jours, les courbatures sont bien plus vives que lorsque je jouais au rugby. En même temps, impossible de s'hydrater convenablement par ici. “C'est sûrement une bonne idée, je pense pas qu'ils aient caché un bateau gonflable quelque part. Ça aurait été trop beau.” Trop beau, mais pas impossible. Je suis sûr que Barry serait capable d'en cacher un près du fleuve. Il est sadique, je l'ai vu à l'œuvre plus d'une fois surtout quand il est question de former les binômes. C'est l'expert que je déteste le plus et c'est aussi celui qui me colle aux baskets. “En même temps faut qu'on regarde si on trouve pas deux grands bâtons pour faire des pagaies de fortune.” Ah oui, pas con. C'est vrai que sans pagaies on ne risque pas d'aller bien loin. On pourrait même en profiter pour chercher de quoi se faire un tuba, histoire de ne pas s'épuiser trop vite si notre radeau venait à prendre l'eau. Je décide de m'éloigner des autres groupes pour avoir plus de chance de trouver de quoi fabriquer notre navire. “J'avais besoin de prendre l'air et de penser à autre chose et toi ?” Je crois qu'au fond, on est tous venu chercher la même chose. Le certificat n'est rien d'autre qu'une excuse pour ne pas avoir à admettre que, si on est là, c'est seulement parce qu'on avait besoin de faire une pause dans notre quotidien. "J'ai promis à mon frangin que je l'emmènerai camper." Ce qui est à moitié vrai. C'est la raison qui me fait tenir et me donne envie d'en apprendre davantage sur les techniques de survie. Néanmoins, c'était pas ma première motivation. Au départ, je pensais que ça me permettrait d'en apprendre un peu plus sur Asher. Au final, il m'a laissé tomber dès le deuxième atelier et je me retrouve à devoir faire la conversation au premier venu. Elle est loin, ma zone de confort.

Si j'étais un super-héros, je serais tout sauf Aquaman. L'eau n'est clairement pas mon élément préféré. Ce qui est probablement dû à mon tempérament de feu. J'ai à peine mis un pied dans le fleuve que je me retrouve sur les fesses. "Semelles antidérapantes, mon cul !" Je râle en tapant l'eau comme un gamin alors qu'Itziar se penche pour essayer de sauver les deux rondins que ma chute a éloigné du rebord. Dieu merci, elle arrive à les attraper, mais se retrouve presque aussi trempée que moi. "C'était calculé." J'explique en essayant tant bien que mal de me relever. "Je voulais juste tester la loi de l'attraction et l'imperméabilité de mes vêtements." J'ajoute  en attrapant le bas de mon t-shirt pour l'essorer. "10 pour Newton, 0 pour Amazon." Je me penche pour ramasser ma casquette et la visse sur ma tête. L'avantage, c'est qu'avec le soleil qui cogne, je ne risque pas d'être mouillé trop longtemps. Je l'aide à tirer les rondins pour les sortir du fleuve avant de m'assoir au sol en soufflant. "Pfiou, tu viens de sauver le navire avant même qu'il ne soit..." J'ai pas le temps de finir ma phrase que mon attention est happé par des mouvements étranges.

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 “Il va être super content je suis sûre. D'autant plus si en plus d'un abri, t'arrive à lui construire une petite embarcation.” Oui, enfin on va se contenter des bateaux en papier, c'est beaucoup moins risqué. Il faudrait déjà que j'arrive à sortir d'ici sans encombres et c'est loin d'être gagné. "T'as des frères et sœurs?" Sait-on jamais, je peux toujours essayer d'élargir son cercle d'amis à défaut de pouvoir lui construire un petit navire. Itziar n'hésite pas à se jeter à l'eau pour rattraper les fondations de notre futur embarcations ce qui me surprend dans le bon sens. Elle n'a pas peur de se mouiller, ni même d'y laisser un ongle ou deux. Là où d'autres se seraient contentées de regarder les rondins s'éloigner au large. “Punaise, c'était moins une. J'sais que c'est que deux rondins, mais s'il nous en faut au moins une dizaine, on a pas fini.” Au moins, ouais. Je suis même pas sûr que ce soit suffisant car en plus d'être solide, notre radeau devra être assez grand pour qu'on puisse y tenir à deux. “Au moins on sait que l'eau est bonne, si jamais on doit finir à la nage.” Je ris, c'est une belle façon de voir les choses, en effet. Il faudrait plus de coéquipière comme elle parce qu'en plus d'être motivée, elle sait relativiser. "Après si on peut rester sur le radeau, c'est bien aussi."  L'eau est bonne, c'est un fait, mais y'a qu'à voir la vitesse à laquelle les rondins on été emporté par les vagues pour comprendre qu'il y a du courant et pas qu'un peu. Je m'apprête à lui proposer de laisser les rondins ici en attendant d'en trouver d'autres quand je vois un truc bouger dans les feuillages. C'est pas une hallucination puisque ma coéquipière vient immédiatement se cacher derrière moi. “Prier pour que les secours arrivent vite avec un antidote ?” J'aimerais lui dire que j'ai déjà testé les prières à de nombreuses reprises et que jusqu'ici, aucune d'entre elles n'a été entendu, mais mes lèvres restent scellées. Mon cerveau a sonné l'état d'urgence, le moindre de mes sens est concentré sur le mouvement des feuilles. Ma gourde d'un litre en guise de baseball, je me prépare à frapper le homerun de l'année. “Oufff tout ça pour ça ! J'ai eu la peur de ma vie. J'cours vite, mais je sais pas si j'aurai pu devancer un serpent.” Tout ce cirque pour le cousin de l'hérisson. Il m'a fait flipper ce con. "Va vraiment falloir qu'on refasse un point sur l'atelier des premiers secours." Une piqûre de rappel ne nous ferait pas de mal. "Désolée de t'avoir utilisé comme bouclier, un reflex.” Un reflex, ouais. Je secoue la tête en souriant avant de me rapprocher de l'échidné pour le prendre en photo. "Tant que tu me prends pas pour ta bouée si notre radeau se met à couler." Je suis plutôt à l'aise sur la terre ferme, mais je suis pas le meilleur des nageurs. J'ai menti, mes parents ne m'ont jamais inscrit aux bébés nageurs. “Tu vois ce que je vois ?” Je relève la tête et remarque le tas de rondins qui se trouve un peu plus loin."Tu crois que c'est un binôme qui a mis ça là ?” Je grimace en faisant oui de la tête. Je vois pas qui d'autres auraient pu les empiler de cette façon, c'est loin d'être brouillon. “Il y a l'air d'avoir personne, on peut peut-être en prendre quelques-uns ? Histoire de nous faciliter un peu la vie, sinon on sera encore là demain.” - "Derrière ce visage angélique se cache en fait quelqu'un de machiavélique !" Je chuchote avant d'éclater de rire lorsqu'elle se met à avancer. C'est pas beau de tricher et mon frangin serait le premier à s'en offusquer. En attendant, je suis le seul à mesurer presque deux mètres et si ça peut avoir ces avantages dans la vie de tous les jours. C'est loin d'en être un quand il est question de construire notre propre embarcation. “Viens on fait vite comme ça. C'est de bonne guerre.” - "On va finir en enfer." Je rétorque tout en attrapant deux rondins que je commence à tirer en direction de notre maigre pile. "On peut vous aider ?!" Je me fige une seconde avant de me retourner vers ce qui doit être les propriétaires des rondins que nous sommes venus voler. "C'est gentil de proposer. Tu peux m'aider à les porter ?" Je demande à l'un d'entre eux en lui montrant l'extrémité des deux rondins que je tiens toujours fermement dans mes mains. Ça n'a pas l'air de l'amusé, il est même plutôt énervé. Son pote pose une main sur son épaule avant de s'avancer. "Tu te crois malin ?" Plus intelligent qu'eux, ça c'est sûr.

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“Non, je suis fille unique.” Il m'est arrivé d'avoir envie de l'être aussi. J'étais pourtant heureux d'avoir un petit frère jusqu'à ce que le diagnostic de Samuel tombe et que mon père ne sache pas quoi en faire. Un enfant en plus, un enfant de trop. C'est du moins ce que j'ai pensé quand mon géniteur s'est tiré et que je me suis retrouvé à devoir m'en occuper. J'ai honte quand j'y repense parce qu'à présent, je n'échangerais ma place pour rien au monde. La vie est plus belle à travers les yeux de mon petit frère.  “Non pour la nage par contre, t’inquiète vraiment pas. Je pense que j’étais un poisson dans une autre vie.” J'ai gagné au change, c'est qu'elle est en train de me dire. Ce qui n'est pas bien difficile puisqu'avant elle, même si j'ai eu la chance de faire équipe avec Asher et Siham, j'ai aussi dû me coltiner mon père et Ambrose. Il faut savoir que je fais des listes pour tout et n'importe quoi et qu'ils figurent tout deux sur celle des gens que je déteste. Un poisson dans l'eau, donc. Je veux bien la croire puisqu'elle vient de sauver les prémices de notre embarcations sans y perdre ne serait-ce qu'une écaille. Mon coccyx et moi, on ne peut pas en dire autant. “Je ne dirai pas machiavélique, je dirai juste pratique. Se servir du travail des autres pour faciliter le sien, c’est le principe de pas mal de job non ?” -   "Tu bosses dans quoi déjà?" Je demande en retenant un sourire taquin. Non, parce qu'on ne partage pas vraiment le même avis sur la question. Travailler pour une même cause ne sous-entend pas qu'il faut impérativement devoir se tirer dans les pattes, bien au contraire. En attendant, ici c'est différent. Y'a un certificat à la clé et même si rien n'indique qu'il faut obligatoirement arriver dans les premiers, je compte bien montré aux experts qu'on est les meilleurs matelots de cette promotion. “En enfer, mais avec un beau radeau, ça nous servira pour naviguer sur le Styx.” J'éclate de rire. C'est qu'elle en connait un rayon sur le royaume de Satan. Je mime des cornes avec mes deux index puis me retourne pour trottiner en direction de la pile de rondins.

Le vol, c'est moche. Je le sais, elle le sait, tout le monde le sait. Pour autant, ça le devient un peu moins quand on arrive à se persuader que c'est pour la bonne cause ou que ce n'est rien d'autre qu'un simple emprunt. La conscience peut se satisfaire de la moindre excuse quand on fait preuve de mauvaise foi. On se fait prendre la main dans le sac ou plutôt la main sur le rondin. Ils n'ont pas l'air commodes, dommage pour eux, car ça ne fait que diminuer ma culpabilité jusqu'à ne plus en ressentir du tout. Je me mets à mentir comme un arracheur de dents en bafouant mes nouvelles résolutions. Pour la bonne cause, encore une fois.  “Oué c’est vraiment bizarre. Je dirai que quelqu’un nous a piqué nos rondins et les a mis dans sa pile, comme si on allait pas s’en rendre compte.” J'acquiesce de la tête en croisant les bras. "Une belle brochette de voleurs que je vois là." Je rétorque en essayant de garder mon sérieux. J'invente un lien de sang avec Barry, l'un des experts, et l'histoire est vite réglée.

On rebrousse chemin avec nos deux bouts de bois dans les mains. “Anguuuuusss !!” Y'a tout un scénario qui se joue dans ma tête avant que je puisse poser mes yeux sur elle. Je m'attends à voir débarquer les deux bougres en trombe et à lui gueuler de courir, mais il n'y a personne d'autre que nous. “Angus lâche les bouts de bois !!”Il ne faut pas me le répéter deux fois. Je jette les bouts de bois au sol et m'en éloigne par réflexe. “Aie ça pique en plus, c’est quoi ces trucs ??” J'imite ses gestes en gesticulant dans tous les sens. "Qu'est-ce que tu racontes ?" Je demande en me rapprochant d'elle pour l'ausculter. J'enlève ma casquette et l'utilise pour envoyer valser non pas la, mais les fourmis qui sont en train de lui grimper dessus.“Ca me brûle ! C’est mauvais signe non ?” Pour m'être déjà fait piquer, je sais que, si ce n'est la douleur, elle ne risque pas grand chose sauf si elle en est allergique. Je cours chercher mon sac et sors un bouquet de lavande avant de revenir vers elle et de lui tendre."Laisse une branche dans tes habits et frotte toi la peau avec le reste." Je dis en lui faisant signe de s'éloigner des rondins. Hors de question qu'on les ramène jusqu'à notre pile. "Ca va ? On va tous repartir en étant traumatisés par les fourmis." J'aurais jamais penser avoir à m'en méfier, pourtant elles représentent le plus grand des dangers. Elles sont partout et surtout là où on s'y attend le moins.

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