“Je suis propriétaire d'un club de strip tease et avant que tu poses la question, non je n'exploite pas mes employés pour faciliter mon propre job.” Je mêle un rire gêné au sien tout en essayant de ne pas paraître plus surpris que je ne le suis. C'est atypique, comme job. Moi qui pensais que tous les clubs de strip-tease de la ville étaient tenus par des hommes narcissiques et pervers. Je suis content de voir qu'il en existe au moins un qui n'exploite pas la gente féminine pour développer un business. J'ai quand même du mal à comprendre comment elles peuvent faire un métier tel que celui-ci par choix et non pas par nécessité. "Qu'est-ce qui leur plaît dans le fait de se déshabiller devant des inconnus ?" Je demande en détournant les yeux de la pile de rondins pour la regarder. Il n'y a aucun jugement dans ma question même si, oui, je trouve ça quelque dégradant. Il ne me viendrait jamais à l'idée d'aller passer ma soirée dans ce genre d'endroit. Regarder des filles donner le meilleur d'elle-même pour satisfaire les pulsions cachées d'un public qui doit être majoritairement masculin, non merci. "Je n'ai jamais mis les pieds dans un club de strip-tease donc je dois avoir la tête pleine de stéréotypes." J'ajoute pour ne pas froisser ma coéquipière. Si j'ai bien appris un truc en étant le grand frère d'un enfant asperger, c'est que les préjugés sont faits pour être déconstruits et, même s'il m'arrive encore souvent d'en avoir, j'essaye de garder un esprit ouvert même lorsque je suis persuadé d'avoir raison.


“Il y en a plein, comment c'est possible ! J'ai pas vu qu'il était creux le rondin.” Je secoue mon t-shirt puis me frotte les bras pour être sûr d'enlever la moindre fourmi mangeuse de chair qui se baladerait sur ma peau. "Le karma..." Je souffle en m'éloignant des rondins que nous venons de voler. Y'a des gens qui peuvent braquer des banques et s'en sortir sans encombre et puis il y a ceux qui se comportent bien les 3/4 de l'année, mais qui se prennent un revers dès qu'ils font un pas de travers. “Elles aiment pas la lavande ?” Je mime une négation de la tête. Va savoir pourquoi elles détestent ça. Je garde un brin que je range dans la poche avant de mon pantalon avant de me foutre en caleçon et de rapidement me foutre à l'eau. “Ça va aller, mais je crois que je viens de débloquer une nouvelle phobie.” On est deux. Je veux jamais plus entendre quelqu'un me dire que les petites bêtes ne mangent pas les grosses, parce que même si ce n'est pas visible à l'œil nu, je suis sûr qu'il y en a au moins, une dizaine se sont fait la malle avec un bout de mon adn. J'aurais dû garder mes chaussures, car je déteste sentir mes pieds s'enfoncer dans la vase. “C'est le plus rapide retour de bâton que j'ai jamais vu, je crois.” - "En espérant que ce soit le dernier." Je dis en sursautant lorsqu'un truc vient m'effleurer la jambe. J'aimerais bien avoir la faculté de voir sous l'eau sans avoir à y plonger la tête. L'inconnu me fout la trouille, les piranhas, aussi. “Fais attention ! Les piranhas existent, mais si on a de la chance, il n'y en a pas ici. Sinon, nage vite.” - "Parce que tu trouves qu'on en a eu jusqu'ici ?" Pas du tout. Ça fait des heures que l'atelier a commencé et c'est à peine si on a assez de rondins pour faire la structure de notre bateau. On est à la bourre et pas qu'un peu. Je saute dans l'eau et nage en direction des bouts de bois que j'arrive à attraper. Ce qui me rattrape aussi, c'est le courant contre lequel je ne peux lutter.“Lâche les rondins si besoin, risque pas la noyade.” - "Merci de me donner l'autorisation de sauver ma peau avant celle du radeau." Je scande en souriant puis détourne mon attention sur l'énorme tronc d'arbre qui a une racine sur la rive et les feuilles dans l'eau. J'use de mes pieds pour m'y accrocher et me rabattre sur la terre ferme, les rondins toujours sous les bras. “Vas y passe les rondins dans un premier temps.” C'est la version aventurière du fameux : 'les femmes et les enfants d'abord.' Je pousse nos ressources pour qu'elle puisse les attraper tout en restant bien accroché au tronc pour ne pas être emporté par le courant. “Attrape ma main, je vais t'aider à sortir.” Je pèse mon poids, mais y'a moyen que je ne l'entraîne pas dans ma chute si j'arrive à pousser sur les jambes. Mes pieds trouvent une pierre sur laquelle je prends appui puis attrape sa main pour me redresser jusqu'à ce que les lois de l'attraction nous poussent à retomber dans l'eau. “Encore une idée brillante. Bon, l'avantage, c'est qu'on a encore nos deux rondins, pour le reste, on repassera. Tu crois qu'on va réussir à fabriquer quelque chose à ce rythme ?” J'éclate de rire tandis que je me raccroche comme je peux au tronc d'arbre. "Avec un peu de chance, ouais." Je réponds en me pinçant les lèvres pour mettre fin au rire nerveux. Autrement dit, c'est mort. Je me hisse jusqu'à la berge avec difficulté. On se sent plus léger dans l'eau, c'est un fait, mais pas quand notre corps se fait absorber par le courant, c'en est un autre. Une fois sur la terre ferme, je me penche pour tendre une main à ma coéquipière.

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L'un des seuls avantages que je trouve à ce stage de survie, c'est qu'il nous donne l'opportunité de découvrir de nouvelles personnes et donc, de nouveaux horizons. Enfin, quand le tirage au sort ne me fout pas avec une personne que je connais déjà et que j'ai appris à détester avec les années. Itziar ne cesse de me surprendre, car en plus d'être d'une agréable compagnie, son job est tout sauf ordinaire.“Je peux pas parler pour toutes les nanas dans tous les clubs de la ville, mais pour les filles qui bossent pour moi, ce sont avant tout des danseuses qui sont passionnées par cet art.” Des femmes fortes et qui n'ont pas peur de se faire insulter de tous les noms d'oiseaux. Cela ne doit pas être facile tous les jours. J'espère pour elles que leur passion ne s'effilochera pas avec le temps. Rares sont les patrons, qui apprécieraient de voir une telle expérience professionnelle sur un curriculum vitae. Ce qui est le summum de l'hypocrisie, si vous voulez mon avis, puisque y'en a beaucoup qui doivent trainer dans les clubs de strip-tease. C'est alléchant en vrai, mais pas sur le papier. “Pour elles c’est plus que juste se déshabiller en se dandinant sur de la musique, elles cherchent vraiment à proposer une performance artistique … Qui inclut effectivement le fait de se déshabiller, mais c’est un élément parmi d'autres.” Pourtant, je doute que ses clients soient tous des amateurs d'art. Ce que les mecs recherchent avant tout en se rendant dans ce genre d'endroit, c'est de se rincer l'œil et d'avoir l'impression de plaire à des femmes qui sont payées pour ça. C'est triste à dire, mais on ne peut plus vrai. “Mais tu trouves aussi tout un tas de clubs en ville bourrés de stéréotypes. Nous, on a voulu se démarquer, mettre la femme au premier plan dans tous les aspects. C’est un club de strip, mais c’est aussi un endroit fait pour que les femmes puissent exercer leur métier en se sentant maître de leur corps et en sécurité.” J'acquiesce de la tête. Tant mieux si elles s'y sentent bien. C'est cool de proposer un endroit où elles peuvent se sentir libres de pratiquer leur côté artistique sans craindre d'être harcelée par le premier venu. "Comment t'es venue l'idée ?" Je demande en tournant ma tête pour la regarder. C'est pas commun d'avoir pour projet d'ouvrir un club de strip-tease. Enfin, disons que quand on est gamins, on a plus tendance à vouloir faire des métiers que l'on connaît comme ceux des personnes qui nous entourent ou ceux de nos personnages fictifs préférés. Moi, je voulais devenir pompier. 

“J’espère aussi que c’est le dernier. Au moins pour aujourd’hui, qu’on puisse terminer cette activité tranquillement.” Je ris puisqu'il n'est même plus question de survivre, mais de finir l'atelier dans le temps imparti. Alors oui, on a essayé de tricher, c'est vrai. Pour autant, on mérite quand même d'avoir notre certificat, ne serait-ce que pour avoir su garder notre sang-froid. “Ah non, j’dis pas qu’on en a eu, mais si on l’invoque un peu, peut-être qu’elle va se montrer.” Je ferme les yeux tout en croisant les doigts et lève la tête vers le ciel pour implorer le Dieu de la chance. “A ce stade, je crois qu’on peut tout tenter.” J'y crois pas des masses, mais elle a l'air d'y croire pour deux alors autant essayer. J'ouvre un œil, pour la regarder, puis le second avant de faire mine de m'offusquer. "Je m'attendais à voir un navire débarquer, je suis déçu." Je dis en souriant tout en me remettant à marcher. Peut-être qu'il faut attendre encore un peu avant que le message arrive jusqu'à son destinataire. Il faut dire que le réseau est mauvais par ici, alors je veux bien lui laisser le bénéfice du doute. Je me jette à l'eau, encore une fois, pour récupérer les rondins nécessaires à la fabrication de notre bateau. “De rien ! J’avais peur que tu penses trop à notre futur yacht, je préfère te dédouaner de toute culpabilité.” Je ris en secouant la tête pour renverser les gouttes qui ruissellent sur mon visage. Je suis tellement désespéré que je serais presque prêt à me sacrifier pour quelques bouts de bois. Presque, parce que faut pas rêver et que j'ai un frangin qui m'attend à la maison. Je me laisse emporter par le courant jusqu'à ce que je trouve de quoi m'accrocher.  Je pousse les rondins vers Itziar puisqu'il est hors de question de les laisser filer, pas après m'être mouillé et avoir pris le risque de me noyer. On a un yacht de l'enfer à construire, nom d'un chien. J'attrape la main qu'elle me tend pour m'aider à rejoindre la terre ferme. Du moins c'est ainsi que les choses auraient dû se dérouler, au lieu de ça, Itziar se retrouve tout aussi mouillée que moi. "C'est ce que j'appelle avoir l'esprit d'équipe." Je dis en rigolant alors que je l'attrape pour la tirer sur le côté. Tout ce cirque pour un pauvre rondin. Oui, parce que malgré tous nos efforts, y'en a quand même un que je n'ai pas réussi à sortir de l'eau. Je lève les yeux au ciel et le fusille du regard. Tu parles d'une veine, ma prière a dû se perdre dans les tréfonds du paradis. 

“Hein ?? Tu crois que c’est eux qui ont pris les sacs ?” Qui d'autre ? Évidemment que c'est eux. J'essaie de garder mon calme, mais ça dépasse le domaine de la compétition. Ils auraient pu s'attaquer à nos maigres ressources que je me serais contenté de rouspéter, mais nos affaires personnelles ? C'est mort. Je ne quitterai pas ce stage sans avoir remis la main sur mon sac parce que je peux pas rentrer chez moi sans la collection de pin's de mon frangin. Je souffle en passant une main sur mon visage. Le navire est devenu le cadet de mes soucis. “Franchement, tu crois pas qu’on est dans une caméra cachée ou un truc du genre, on dirait que tout ce qui pourrait aller mal, va mal. C’est gros quand même.” - "T'as jamais entendu parler de la loi de Murphy ?" Je demande en soupirant, puisque c'est exactement à cause de ce genre de situation qu'elle a été créée. 'Tout ce qui est susceptible d'aller mal ira mal' , c'est ce qu'affirme ce dicton, mais aussi ce que ne cesse de me répéter mon frère lorsqu'il fait une boulette. "Il se passe moins de merde dans un épisode de téléréalité..." C'est dire à quel point on est poisseux ou nuls. Ça me fait chier pour Itziar parce qu'elle n'a rien demandé, la pauvre. Elle aurait pu tomber sur quelqu'un de moins maladroit que moi. “On se dépêche et on essaye de les rattraper du coup ?” - "On a beau être maudit, j'ai quand même du bol d'être tombé sur toi." Je réponds en souriant. C'est vrai, y'en a d'autres qui se seraient contentés de me rire au nez. "Merci." Je souffle avant de me mettre à trottiner vers la forêt. À moins d'un miracle, je ne vois pas comment on pourrait les retrouver, pourtant ça ne m'empêche pas de continuer à courir, quitte à devoir perdre un poumon en chemin. Il en aura fallu, du temps, pour que nos prières soient exaucées, mais mieux vaut tard que jamais. "Tu vois ce que je vois ?" Je demande alors, mes yeux fixent le rocher qui se trouve devant nous. Ce même rocher sur lequel reposent nos deux sacs. Je me rapproche pour attraper le mien avant de me mettre à compter les pin's de Sam. Le compte est bon, il n'en manque aucun. "Des gamins." Je souffle en secouant la tête alors que mes doigts s'accrochent fermement au porte-clé en forme de rose qui pend à la fermeture éclair de mon barda. 

"Bon, c'est loin d'être le yacht de nos rêves, mais ça fera l'affaire, non ?" Je dis en me grattant l'arrière de la tête tout en observant notre navire de fortune. Je doute de réussir à tenir dessus plus de trois secondes. Il n'est pas assez large et ne semble pas assez solide pour supporter nos deux poids. "ça ressemble plus à la dernière planche en bois du Titanic qu'à un radeau." J'ajoute en riant et quelque chose me dit que notre bateau n'aura pas besoin d'un iceberg pour finir sous l'eau.

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