Alors là ! S’il avait parié sur le métier qu’exerçait son partenaire de circonstance, il aurait pioché bien loin des sciences. La communication, peut-être. L’art paraissait une bonne option aussi, et pourquoi pas les médias, vu la gueule de mannequin qu’il se trimbale. « J’imagine que c’est une leçon que je devrai apprendre un jour ou l’autre. Ne pas me fier aux apparences. » Il bafouille derrière sa barbe, mitigé entre l’étonnement et la rigolade. « Pardon, c’est que… » Il relance, contraignant les rires dans sa cage thoracique. « Je n’arrive pas à t’imaginer avec un blouson et des lunettes de sécurité. » C’est le seul souvenir qu’il a des sciences. Les expériences à base de bicarbonate de soude et de vinaigre, les volcans à la queue leu-leu les liquides qui, mélangés, forment des phénomènes dignes d’impressionner la galerie pendant cinq minute.

« T'es du genre Hemingway et Fitzgerald ? » Des alcooliques, donc ? Non, il ne se considère pas ainsi. Il apprécie d’oublier certaines soirées, mais pas toutes. « Je n’arriverais pas à bien faire mon travail si c’était le cas. » Quel genre d’actionnaire pourrait faire du sens dans ses calculs s’il voit la vie en double ? « Je suis fêtard, mais je respecte mes limites. » Il annonce promptement, avant de conclure : « Je fais s’éterniser ma jeunesse. » Rien de mieux qu’une soirée alcoolisée pour se rappeler les bons moments où les responsabilités ne sculptaient pas encore ses journées.

L’équipe est détruite. C’est maintenant chacun pour soi. La rive se rapprochant de plus en plus, Archie s’offusque en constatant que Kai a l’intention de terminer le trajet seul. « Rame, alors, » Un conseil qu’il accompagne de quelques éclaboussures, qui arrachant une injure subtile à Archie. « Tu vas voir, toi ! » Qu’il grogne, compétitif, enfonçant sa main dans l’eau pour l’utiliser comme une palme. Son radeau fend l’eau à merveille (merci à l’autre équipe, du coup) alors il arrive à récupérer son retard, entrant en contact avec le sol au même moment que l’autre garçon, seulement aidé par une planche de bois bancale. Il aurait aimé pouvoir vanter une victoire mais l’occasion ne se présente pas. Soupirant, il grimpe sur la rive, oublie de sécuriser son radeau qui… s’en va exactement comme il est arrivé. Plaquant sa main sur sa bouche, il s’étonne : « Oups. » Le bateau rustique disparait à la bordure de la rivière. « Il va peut-être aider à une autre équipe, ou assommer un autre malheureux. » Tant pis. Ce n’est plus son problème.

Les bras grands ouverts, le guide les rejoint, enthousiaste, les félicitant. « Vous êtes les premiers à avoir terminé l’atelier aujourd’hui, bon travail ! » Qu’il s’exclame devant deux idiots trempés dont l’air n’annonce rien qui vaille. « Passez donc aux vestiaires pour vous sécher. Vous avez deux petites heures d’attente, et après le dîner sera organisé à la salle commune. »

Résigné, j'aurais finalement opté pour ne pas entrer en débat avec Archie, étant guère friand des conflits d'une part et épris d'incertitude quant au fait de conserver mon sang-froid face à la moindre contrariété d'autre part. Alors, lorsque l'australien semble se moquer de ma profession en indiquant que je n'ai pas l'allure d'un biologiste, je me contente de le dévisager sans merci, mon regard éloquent de mon mépris - autant vis-à-vis de lui que de ma profession. Je ne peux pas en vouloir au garçon : la biologie n'est guère mon domaine de prédilection - je suis une fraude dans les sciences. Mes parents ont tracé ma carrière, comme ils se sont ambitionnés de façonner mon futur dans les moindres détails. Malheureusement, si les faits visibles obéissent à leur désir, leur fils est bourré de secrets qui réduiraient considérablement leur espérance de vie s'ils venaient à les apprendre. « T'en auras peut-être l'occasion lors d'un passage au St Vincent's ou à l'université du Queensland, » je m'entends soutenir, bien qu'une prochaine rencontre avec le brun ne m'enchante pas spécialement.

« Je n’arriverais pas à bien faire mon travail si c’était le cas. » Je hausse les sourcils, surpris, puis j'entends Archie catégoriser ses sorties alcoolisées pour des maintiens de sa jeunesse. Je grimace, considérant, et redonne malgré moi leurs galons aux deux écrivains : « Fitzgerald et Hemingway étaient des génies. » En va-t-il de même pour toi ? Je pense très fort en me privant d'attaquer. « Et tu te sens rester jeune avec ce train de vie ? » Je poursuis plutôt, assez hypocrite quand je suis moi-même trop fêtard. Cependant, je ne cherche pas l'éternité ni me vante de l'obtenir ainsi.

L'amertume se transforme en violente branche qui me propulse hors du radeau. A croire que l'univers ne voulait pas que je cherche Archie, mon karma ne doit manifestement pas être au beau fixe. Je provoque mon acolyte à une course sur les prochains mètres et nous arrivons simultanément à la rive, accueilli par le moniteur auquel j'ai sérieusement envie d'arracher les yeux verdâtres, après qu'Archie eût abandonné son embarcation. « Ta bonté te perdra, » je commente avec un rictus.

Des vestiaires, une salle commune : heureux retour à la civilisation. Côte à côte avec mon binôme, nos silhouettes trempées s'orientent vers les vestiaires masculins. Je soupire doucement en passant une main dans mes cheveux vaseux. Je suis si répugné de ce bain naturel indésirable que je ne me fais pas prier pour me déshabiller. En boxer face à Archie, je remarque que celui-ci dégouline encore de notre épopée maritime. « Tu ne te douches pas ? » Je l'interroge en glissant mes pouces sous l'élastique de mon sous-vêtement, prêt à m'en défaire et à me glisser sous le jet d'eau, mais le gardant par souci de ne pas mettre mal à l'aise éventuellement Archie. Je tourne les talons vers l'une des douches et décide de l'enclencher en éclaireur.

dé win : un jet d'eau chaude jaillit aussitôt de la douche. « Tu sais s'il y a du savon par ici ? » Kai demande à Archie.
dé so close : un jet plus que faiblard d'eau tiède se dérobe du pommeau. Ca promet de prendre des plombes de se laver les cheveux. « Tu sais s'il y a du savon par ici ? » Kai demande à Archie.
dé fail : de la boue sort de la première douche, que Kai évite de justesse. « Peut-être qu'il y en a qui sont plus claires, » il fait, optimiste, avant de commencer à tester les différentes douches.

« T'en auras peut-être l'occasion lors d'un passage au St Vincent's ou à l'université du Queensland, » Il se manquera bien de préciser qu’il pourrait effectivement le croiser à l’hôpital, vue sa tendance à s’y rendre au moindre inconfort, mais la perspective de le revoir ne le conquis pas vraiment. En fait, il espère ne recroiser le chemin d’aucun de ses partenaires de survie. Il n’a pas pu se présenter sous ses véritables traits, ici, et il a franchement manqué de parure dorée pour s’acclamer.  

« Fitzgerald et Hemingway étaient des génies. » Il pouffe. Ce n’est pas ce qu’il avait derrière la tête. Il ne doute pas en les capacités de ces écrivains, seulement, il ne considère pas qu’il abuse assez de l’alcool pour que ça nuise à son emploi. En pleine journée, il n’est jamais ivre. Seulement les soirées les plus longues sont ponctuées par ces beuveries sans sens.  « Et tu te sens rester jeune avec ce train de vie ? » Il dévisage son interlocuteur afin de déchiffrer les intentions qu’il cache dans ses yeux. « Je ne suis pas ici pour me faire psychanalyser, mec. » Qu’il conclut seulement, n’ayant pas l’intention de lui partager les raisons derrière son attrait pour les festivités sans fin.

Après une rivière sinueuse et des vagues impétueuses, les deux compagnons de fortune retrouvent enfin la berge, trempés jusqu’aux os. Heureusement, le ciel est bleu et le soleil les salue. Ils n’attraperont pas froid. Ceci dit, Archie ne refuse pas l’opportunité de se laver puis de se sécher qui s’offrent à eux. Seulement rendu dans les vestiaires, un souvenir inconfortable point, accompagné d’un frisson d’embarras, tandis qu’il se tourne vivement vers Kai, dont la moitié de la tenue s’est entassée sur le sol. Son premier réflexe est de soulever les mains pour protéger sa vision. « Tu ne te douches pas ? » Un rire cynique fait vibrer sa poitrine. Carmine rirait bien de lui, s’il le voyait dans cette situation déjà jouée auparavant. « Non. » Il annonce formellement en se détournant pour retourner à son casier, où il a entreposé quelques effets personnels avant de partir à l’aventure. Malgré tout, aucun mur ne sépare les vestiaires des douches alors il est bien obligé d’accompagner l’autre garçon dans cette péripétie de trop. « Tu sais s'il y a du savon par ici ? » Il entend bien sa voix, à peine mutée par le jet de la douche. « J’en sais rien. J'ai le même nombreux de yeux que toi. » Il retire son haut trempé et le tort pour en extraire l’eau. Il grimace en le renfilant, la texture et la froideur du tissu humide lui refilant une sensation désagréable. Ce sera toujours mieux que de se doucher aux côtés du brésilien à la peau dénuée d’imperfection. Quel Ken, celui-là. « Mais tu ferais mieux de te dépêcher avant que toutes les équipes reviennent. Ça va se transformer en capharnaüm. »