J'ai l'air d'un con à passer et repasser devant la vitrine m'assurer que la voie est libre. J'ai confiance en Rose, mais je sais aussi à quel point elle aime jouer les entremetteuses et je serais pas surpris d'apprendre que je me suis fais berner. Je frappe du poing contre la vitre lorsque j'aperçois Rupert et l'incite à sortir me rejoindre. Il est sympa, mais c'est loin d'être le couteau le plus aiguisé du tiroir. "Angus ! T'étais passé où mec ?" Il beugle tandis que, d'un signe de la main, je l'implore de baisser d'un ton. "Maisie est là ?" Je demande sans prendre le temps de répondre à sa question. Il arque un sourcil tout en mimant une négation de la tête. "Non, c'est son jour off. Elle est en plein dans les cartons." Il se gratte l'arrière de la nuque et, d'un haussement d'épaules, je tente de mettre fin à son malaise. "Dis, tu crois que je pourrais emménager chez toi ? Ras l'cul de ma mère, elle me tape sur le système." Rupert, c'est le genre de mec à être toujours défoncé. Ses cheveux sentent la marijuana à plein nez et son hygiène de vie laisse à désirer. S'il bosse encore ici, c'est seulement parce que Rose a tendance à ne voir que le bon côté des gens. Mais aussi parce qu'il est hyper calé en film, c'est l'avantage de n'avoir aucune vie sociale, j'imagine. "Mais ouais, carrément ! On pourra passer nos soirées à fumer des joints avec mon frangin. Je réponds sur un ton on ne peut plus sarcastique avant de taper sur la visière de son bob et de lui passer devant pour entrer dans le ciné.

Je ne suis partie qu'un mois, pourtant l'ambiance n'est plus la même qu'avant. Les employés me regardent différemment ou c'est peut-être moi qui me fait des idées, mais dans le doute, je préfère sortir mon portable pour m'assurer de n'avoir rien de coincer entre les dents. Je passe derrière le comptoir pour venir enlacer la patronne en la faisant tourner sur elle-même pour la regarder. "C'est moi où t'as rajeuni de vingt ans ?" Elle m'a manqué, la vieille. Je l'ai pourtant eu au tel une fois par semaine, mais c'est pas pareil que de voir sa moue faussement agacée."Ton absence m'a fait l'effet d'une crème anti-âge." Elle peste en passant l'une de ses mains sur son visage pour se la péter. Un sourire bienveillant ne met pas longtemps à apparaître sur la commissure de ses lèvres alors que je me penche pour embrasser sa joue toute ridée. "Bon, c'est pas que, mais j'ai du boulot à rattraper." Je déclare pour mettre fin à nos retrouvailles. "Goûter à 15h30, c'est moi qui invite." J'ajoute sans lui laisser la possibilité de refuser. Je passe par dessus le comptoir, ce qui a le don de l'agacer, puis me dirige vers la salle de projection.

Je pousse la porte de ce qui fait aussi office de cagibi et de cachette pour, Molly. Rupert n'est malheureusement pas le seul cassos de l'équipe, on a aussi une version féminine. Celle qu'on essaye de garder le plus loin possible des clients parce qu'elle serait capable de tous les faire fuir. Il ne faut surtout pas sous-estimer son pouvoir de destruction. Elle ne mesure pas plus d'un mètre soixante-dix, mais c'est une vraie plaie. Le genre qui met du temps à cicatriser. "Hermite du jour, bonjour." Je referme la porte derrière moi et me dirige vers l'une des armoires. Celle qui est censé m'être réservée. "T'as touché à mes affaires ?" Qui d'autre aurait pu fourrer ses sales pattes dans mon bordel si ce n'est elle ? La plupart des employés évite cet endroit pour ne pas avoir à la croiser. Je peux pas leur en vouloir, elle est puante avec eux depuis son arrivée. Je fouille l'étagère à la recherche de mon carnet, celui dédié aux différentes idées qui concernent le ciné. La soirée de Noël approchant à grands pas, j'ai besoin de mes notes pour remettre le pied à l'étrier.  "Tu lis quoi là ?" Je demande en lui montrant le nom inscrit sur l'étiquette qui est collée à l'étagère. "C'est pas comme si nos prénoms n'avaient genre, j'sais pas moi, aucune lettre en commun ?" Je souffle en lui tournant le dos. Nous non plus, on a rien en commun, si ce n'est peut-être un point et pas des moindres. "Alors, ces congés ?" J'étais peut-être à des kms d'ici, mais j'ai eu le droit à un compte rendu tous les mercredi après-midi. Je soupçonne Rosemary de m'avoir parlé du décès de sa mère pour que je sois plus sympa envers elle ou tout simplement pour me donner la possibilité de parler à quelqu'un qui a vécu la même chose à quelques mois près.

C'est à peine si elle relève la tête de son téléphone. « Hm » À peine si elle ouvre la bouche, aussi. Non pas que ce soit pour me déplaire. Je n'ai pas l'intention de lui taper la causette et encore moins de rester ici trop longtemps. Je ne fais que passer en coup de vent et c'est sans doute ce que je ferai à partir de maintenant. Elle est quand même drôlement flippante quand elle est absorbée par l'écran de son téléphone. Une morte-vivante, j'ai presque envie dégainer le mien pour lui appeler une ambulance.  Au lieu de quoi, je tourne des talons pour ouvrir mon casier. Je me pince l'arête du nez lorsque je remarque que mes affaires ont été mises sans dessus dessous et que mon carnet a disparu comme par magie.  « Possible. » Dieu soit loué, elle est vivante. Une veine pour le ciné qui n'aurait pas pu continuer de tourner sans ses talents de branleuse-voleuse-emmerdeuse professionnelle. La générosité de Rosemary finira par avoir raison de moi. « Depuis quand est-ce que tu es devenu si dramatique, putain ?! T’étais pas là. J’ai pas lu ton journal intime, si c’est ce qui t’inquiète. » C'est qu'elle se croit marrante, Molly. Il faudrait encore qu'elle sache lire pour que je puisse un tant soit peu m'inquiéter ce qui n'est pas le cas puisque elle n'arrive même pas à décrypter un prénom composé de cinq lettres, seulement. "T'en as peut-être rien à cirer de cet endroit, mais c'est pas mon cas." Du moins, plus maintenant. Je veux le voir perdurer dans le temps, il est déjà fortement menacé par les plateformes de streaming pour avoir à affronter un obstacle de plus, de trop. "Il est où ?" Je souffle en remettant de l'ordre dans mes affaires. Les chasses aux trésors, très peu pour moi.


Je joue l'innocent, même quand elle se met à plisser les yeux pour passer mes réactions au peigne fin. Mon expérience de menteur, n'est plus à démontrer. J'ai de la bouteille en la matière, peut-être même assez pour réussir à berner un polygraphe. « Si tu me poses la question pour voir si je vais chialer … t’es mal barré. La dernière fois que ça m’est arrivé, Britney Spears était encore clean. C’pour te dire. » Je l'observe venir s'adosser contre l'armoire d'à côté et m'empresse de délimiter une barrière de sécurité imaginaire avec la pointe de ma basket. "T'es une dure à cuire avec un cœur en pierre, on a compris." Je lâche d'un ton lasse. Depuis qu'elle est arrivée, Molly s'est montrée aussi fermée qu'une huître. Au départ, personne n'avait vraiment d'aprioris à son sujet. Elle s'est mise à l'écart du groupe sans l'aide de personne, pas même de Maisie. «Des congés de merde, ouais. Ma mère est morte. Ma sœur est une garce. J’ai pas une thune pour finir la fin du mois mais ça va … regarde ! » Je pourrais sauter sur l'occasion d'enfoncer sa jumelle, mais je ne fais rien. Megan, sa sœur, n'est nulle autre que la femme que Damon a été contraint d'épouser. Cette même Megan qui a fait chanter mon ancien patron et qui n'a eu aucun scrupule à tendre son annulaire gauche pour se faire passer la bague au doigt.  Molly n'est finalement pas si pire lorsqu'elle se tient à côté de son double.« … j’ai appris à sourire » Je tire sur un fil invisible pour étirer mes lèves en un sourire mécanique. Elle est loin d'être la seule à en connaître le secret.  "C'est pas ta sœur pour rien. " Je rétorque en troquant mon sourire artificiel contre un rictus on ne peut plus sincère. Elle se comporte comme un vraie peste la majorité du temps et elle s'en cache pas. "Et depuis quand tu fais dans le bénévolat ?  Non, parce qu'arrête moi si je me trompe, mais il me semble que tu reçois un salaire à la fin de chaque mois." Un salaire modeste, mais  suffisant pour subvenir à ses besoins primaires. La question, c'est : qu'a-t-elle fait de son argent ? Parce qu'il reste encore deux semaines à tenir avant la paye.  "T'as un truc de prévu ce soir ?" Je demande en refermant la porte de mon casier. Après la mort de ma mère, tout ce à quoi j'aspirais, c'était de réussir à trouver le moyens de me changer les idées.


« J’croyais pas que t’allais revenir t’enterrer dans cet endroit pourri … je pensais que t’avais eu la lucidité de jamais revenir ici … Pourquoi t’es revenu en fait ? » J'aime dire à qui veut bien l'entendre que, si je suis de retour en ville, c'est uniquement pour le bien être de mon petit frère et parce qu'il devait absolument retourner en cours sous peine de perdre sa place auprès de ses camarades de classe.  En réalité, j'étais pas prêt à quitter l'appartement de mon enfance, ni à tirer un trait sur les personnes qui m'ont manqué. "T'apprendras bien vite que tous les chemins ne mènent pas à Rome, mais à Rose." Si Brisbane est un fruit pourri, cet endroit est la seule partie qui n'a pas encore été touché par la moisissure. Le seul morceau qui mérite d'être sauvé. Elle peut continuer à se comporter comme un loup solitaire, mais la louve alpha, c'est Rose et ce sera toujours le cas. Cet endroit n'aurait jamais vu le jour sans elle et son défunt mari et peut-être que ce cinéma n'est qu'un lieu parmi tant d'autres aux yeux de Molly, mais c'est devenu le repère de bon nombres d'entre nous. "Et toi, pourquoi t'es encore là ?"   Je peux me tromper, mais ce job n'a pas l'air d'être fait pour elle. Y'a pas un jour qui passe sans qu'elle ne critique le ciné, ses clients et même ses employés. Des offres d'emplois, c'est pas ce qui manque.

Elle arque un sourcil comme si l'idée que quelqu'un puisse tenir à cet endroit soit impossible à envisager. Pourtant, c'est bien la seule à s'en foutre. Mon affection pour le ciné n'est rien à côté de l'amour que Rose et Maisie peuvent lui porter. « C’est pas malin d’abandonner ses affaires ici … j’ai fait ça pour ton bien, pour te protéger de potentielles fouines dans mon genre … on est une espèce assez répandue sur cette planète. » Mes yeux suivent la trajectoire de son index et je tends la main pour tâtonner le haut de l'armoire à la recherche de mon carnet. "Qu'est-ce que je ferais sans toi." Un sourire amusé sur le bord des lèvres, je feuillette mon journal pour m'assurer qu'il soit complet. Les pages sont connues pour être plus faciles à arracher qu'à tourner.

Elle lève le menton lorsque je mentionne son cœur de pierre et j'ai l'impression de voir mon petit frère. C'est qu'elle est fière, Molly. Et c'est pour cette raison que je m'abstiens de lui dire qu'elle est loin de tromper tout le monde avec son comportement de dur à cuire. Au lieu de ça, je tente de rattraper le temps perdu et l'écoute me faire le topo de tout ce que j'ai raté durant mon absence. Rien que des merdes, aucune bonne nouvelle. C'est le prix à payer en vivant ici, cette ville n'a rien de bon à donner et lorsque c'est le cas, elle s'empresse de nous les retirer.  « M’enfermer chez moi et me morfondre sur mon sort, me plaindre de tout et de rien … le genre de truc typiquement mollyesque » Je secoue la tête en souriant. Elle arrive à faire preuve d'autodérision, même après tout ce qu'elle vient de traverser. Et, bien que je l'imagine parfaitement passer la soirée seule avec un pot de glace qu'elle aura volé au ciné, j'ai une bien meilleure idée en tête que son plan 'typiquement mollyesque'.


« T’es là depuis cinq minutes et t’arrives déjà à m’prendre la tête … » Le talent, que voulez-vous. C'est inné ce genre de choses, ça ne s'apprend pas. « Si tu veux savoir, j’essaie surtout de trouver un moyen de mettre mon incroyable cerveau en pause … et avec les collègues qu’on se tape ici, tu peux te douter combien il est en pause ici … ça me fait du bien de penser à rien » D'où son obsession extrême pour le téléphone et les applications aux feeds interminables pour pousser les gens à scroller à l'infini. Je peux comprendre, penser à rien, c'est ne plus penser à ce qui peut nous faire mal. « Tu me paies un verre ce soir ? » Je ne bois comme je ne suis pas de ceux qui poussent les autres à consommer. Néanmoins, une bière n'a jamais fait de mal à personne et je préfère encore être là pour la chapoter plutôt que de la savoir dans un bar toute seule. Si elle a envie de boire, elle le fera que ce soit avec ou sans moi. Je plante mes yeux dans les siens pour essayer d'y lire ce qui se cache derrière son sourire et son air nonchalant. "Je passe te prendre à quelle heure ?"   Le mieux ce serait à son domicile. J'ai pas envie que certains commence à se faire des films en nous voyant repartir d'ici ensemble et qu'ils aillent raconter des trucs à Maisie. « bah quoi ? peut-être que tu m’as un tout petit peu manqué ici, t’emballes pas, je dis juste un tout petit peu … » "C'est tout ?" Je rétorque en faisant semblant d'être offensé. En vérité, j'aurais jamais pensé que je puisse lui manquer tout court. J'ai été dur avec elle à son arrivée et je le suis toujours un peu aujourd'hui, mais avec plus de parcimonie. Dorénavant, c'est surtout pour lui éviter d'avoir des ennuis alors qu'avant c'était parce qu'elle avait le don d'en créer. "Peut-être que de plus t'entendre râler ça m'a fait un tout petit peu bizarre, mais un tout petit peu seulement." Mes tympans, quant à eux, ne sont pas du même avis. "Y'a pas eu de vagues au ciné ?" Je demande en lui lançant un regard entendu. Les vagues, ça la connait. Elle a beau être enfermée dans une salle de projection, il faut bien qu'elle passe par le hall d'entrée pour y accéder ou quitter les lieux à la fin de la journée. "Ah et je compte pas te lâcher avec cette histoire d'argent." Elle va devoir apprendre à tenir ses comptes et à remplir un tableau Excel. Je vais tellement l'emmerder avec ça, qu'elle va prier pour me voir reprendre la route pendant un mois.

J'ai pas de plan pour ce soir. Samuel passe toute la journée avec Bonnie ce qui inclut aussi la soirée, ils ont du temps à rattraper et je n'y suis pas convié. C'est sa nounou préférée avant d'être mon amie et il m'en veut encore de l'avoir forcé à quitter la ville. Je peux le comprendre et c'est pour ça que je n'ai pas cherché à m'immiscer dans leur duo. « 21 heures, quelque chose comme ça » Je viens de trouver le mien pour la soirée. Elle ne mentionne aucun déménagement donc j'imagine qu'elle habite toujours sur Orchid Street. Il manquerait plus qu'elle loge chez les Williams, j'imagine même pas la gueule que Megan ferait si elle me voyait débarquer sur le pas de sa porte pour venir chercher sa jumelle.  Sans parler de celle de son mari, la dernière fois que j'ai eu de ses nouvelles, je bossais encore à la MHI. «Oh mais tu peux le dire que je t’ai manqué, ça sera notre petit secret – promis. » Elle m'arrache un rire tandis que je fous ma main en plein milieu de son visage pour mettre fin aux battements de ses cils. "Ah parce que tu sais garder un secret, toi ? Je demande en me mettant à faire comme elle, c'est à dire papillonner des cils. «Je n’ai tué personne. Je n’ai rien cassé. Je n’ai tabassé aucun client. Je me suis comportée en parfait petit soldat» - "Je suis fier de vous, soldat Biggs." Le pire, c'est que je le suis vraiment.  Si elle n'a pas fait de vagues, c'est peut-être parce qu'elle commence petit à petit à se faire une place. Généralement, quand les gens sont méchants, c'est parce qu'ils cachent un mal être. C'est pas toujours le cas, mais Molly n'a rien d'une psychopathe.  « T’es trop jeune pour être mon sugar daddy, Angus » Je suis trop fauché, aussi. Je pourrais pas l'aider, même si je le voulais. Tout ce que je peux faire c'est lui apprendre à gérer ses dépenses.  « Encore un peu et je pourrais croire que tu t’inquiètes pour moi. » - "Moi ? M'inquiéter pour les autres ? Jamais." Je rétorque en balayant cet image de la main. Elle a un cœur de pierre et j'ai une égo surdimensionné qui me fera toujours passer en priorité. «Faut que j’aille prépare la salle … sinon je vais me faire engueuler … et cette fois-ci je devrais dire que tu y es pour quelque chose, ça nuirait à ta réputation … on en a pas envie » Je la regarde filer vers la porte sans prendre la peine de se retourner. C'est qu'elle s'est achetée une conduite. «Je suis contente que tu sois de retour» Elle ne peut pas me voir sourire. Je l'observe refermer la porte derrière elle avant de gueuler : "Et moi j'ai hâte de voir ta sale tronche sur le tableau d'honneur !" Parce que si elle continue comme ça, y'a moyen qu'elle finisse employé du mois.

***

21h30, c'est finalement l'heure à laquelle je me gare devant son immeuble. Je coupe le moteur et sors mon téléphone pour l'appeler, une fois, puis deux. Ce n'est qu'au bout de la troisième fois que la sonnerie laisse place au son de sa voix. "Ton chauffeur privé est arrivé." Je dis avant de raccrocher. J'aurais pu lui envoyer un message, mais au moins là je suis sûr de pas avoir à poireauter pendant trente ans. Je fais pianoter mes doigts sur le volant puis déverrouille la portière dès que j'aperçois sa silhouette. "Ceinture." Je la sermonne lorsqu'elle prend place sur le siège passager. Ce qu'elle ne sait pas encore, c'est que les plans ont changé et qu'on a une heure de route devant nous. Pas de bar pour ce soir, elle pourra y aller avec ses copines si elle veut. "Pas trop fatiguée ?"   Je demande tout en roulant dans une direction que je ne connais que trop bien puisqu'on se dirige vers mon quartier. "J'espère que t'as mis des baskets." J'ai pas eu le temps de regarder ses pieds, mais au pire elle pourra toujours se mettre pieds nus. Je me penche pour attraper les clés dans la boite à gants puis tends le bras en appuyant sur le bouton de mon petit boitier. La barrière se lève tandis que je me remets à rouler pour me garer sur le parking du club de rugby. À cette heure-ci, il n'y a plus personne. Cela aurait pu être le cas si nous étions mardi ou jeudi, mais pas un dimanche soir."On est arrivé." Je détache ma ceinture de sécurité, attrape le pack de bières qui se trouve à l'arrière et sors du véhicule.

 « Sexy Biggs à l’appareil » J'éloigne le téléphone pour étouffer un rire avant de le remettre à l'oreille. "Oups, pardon, mauvais numéro. Je cherche à joindre la fille qui ressemble à Mercredi Addams. Brune, cynique, qui respire tout sauf la joie de vivre ? Si vous la voyez, dites lui que je l'attends en bas." Je réponds avant de raccrocher. Sexy Biggs, on aura tout entendu. À ma grande surprise, elle ne me fait pas patienter bien longtemps. Je la regarde sautiller jusqu'à la voiture puis me penche pour déverrouiller la portière. Molly a l'air de bonne humeur, elle me ferait presque regretter de l'avoir comparé au personnage fictif le plus maussade de l'histoire du cinéma. Elle me fixe tandis mes yeux s'attardent sur la ceinture qu'elle considère sûrement comme étant une option, mais pas moi. « Rooh… » Elle souffle et c'est à peine si je m'en rends compte parce que c'est quelque chose d'habituel chez elle. Y'a des gens qui confondent insultes et ponctuations et puis y'a ceux qui soupirent pour un rien. « Fatiguée du boulot super corporel que l’on fait ? tu te fous de ma gueule … j’ai le cul vissé sur une chaise toute la journée, plongée dans l’obscurité totale … là, je pète la forme. Je vis. Je revis. » - "le boulot que tu fais." Je la coupe pour la rectifier. Elle pourrait faire bien plus que 'd'avoir le cul vissé sur une chaise toute la journée', mais c'est la vie qu'elle a décidé de mener. Du boulot, c'est pas ce qui manque au ciné et Molly le saurait si elle n'était pas partisane du moindre effort. "Tu sais que t'as le droit de quitter la salle de projection de temps en temps ?" Pour discuter avec les autres employés;  donner un coup de main derrière le comptoir; nous faire part de ses idées. La pièce n'est pas fermée à clé, tout comme on n'est pas fermé à l'idée de l'intégrer à l'équipe. « Pourquoi ? tu fais partie de la brigade du style maintenant… C’est nouveau.» Je profite du feu rouge pour la fusiller du regard. Je me pavane peut-être plus en costard cravate, mais ça veut pas dire que mon style vestimentaire laisse à désirer. Il me plaît et c'est tout ce qui compte. Je me sens bien mieux dans des converses et des habits trouvés dans des friperies que dans un pantalon à pinces et des derby qui font mal aux pieds."Oh crois moi, Tu serais déjà en prison si c'était le cas." Je rétorque en lui offrant mon plus beau sourire.

J'attrape le pack de bières qui est posé à l'arrière et lui fais signe de sortir de la voiture parce que généralement, quand le moteur est coupé et que le véhicule est garé, ça signifie que nous sommes arrivés à destination.« Où ? » Je sors de la bagnole sans répondre à sa question. Elle risque d'être déçue, puisque si ce n'est la buvette du club, il n'y a aucun bar à l'horizon. « Angus … tu sais que je suis une cinéphile et j’ai un trauma du film virgin suicides … » Je n'ai vu le film qu'une seule fois et je ne compte pas l'abandonner sur le terrain, ni faire tout autre chose d'ailleurs. "T'as jamais vu Invictus ?!" Non parce que pour penser à Virgin Suicides en voyant un terrain de rugby, c'est qu'elle n'a pas du voir beaucoup de films en rapport avec mon sport préféré. "Tu ne te réveilleras pas seule sur le terrain, c'est promis." J'ajoute en déverrouillant le portail qui mène directement à la pelouse. « Et ? Est-ce qu’on a le droit d’aller sur le terrain ? » On dirait un enfant qui s'apprête à faire une bêtise. Elle me fait rire. Je suis content de voir que l'idée lui plaît, elle a l'air d'avoir oublié notre petite soirée au bar. "Oui et non. J'ai fait jouer mes contacts." C'est l'avantage d'avoir grandi ici. Je connais tout le monde et tout le monde me connait assez pour savoir que je ne laisserais rien, ni personne, s'en prendre au club. "Tu viens ?" Je lance avant de refermer la porte à clé derrière nous.

Je dépose le pack sur la pelouse avant d'ouvrir le cabanon pour sortir un bouclier de placage et quelques plots de marquage. "Je voulais qu'on teste la fury room, mais il faut réserver un mois à l'avance pour espérer avoir une place, alors bon." J'explique en déposant le matériel sur l'herbe. Y'a un mois, j'étais pas sur Brisbane. "On va commencer par s'échauffer un peu." Parce que le but, c'est pas qu'elle se blesse, mais qu'elle extériorise sa colère, sa peine enfin toutes les mauvaises émotions qu'elle essaye de cacher, mais qu'on ressent forcément lorsqu'on perd un être cher. Je fais tourner mes poignets plusieurs fois dans un sens, puis dans l'autre tout en la regardant. "Puis tu pourras me montrer à quel point tu 'pètes la forme' ok ?" J'ajoute en souriant. Faut-il encore qu'elle arrive à me faire décrocher les pieds du sol. Va falloir qu'elle se donne à fond, parce que j'ai des années d'expériences derrière moi et que je pèse mon poids.

« iiik » Non ma voiture n'a pas de problème et oui, j'aimerais en dire autant de ma passagère. Ce bruit ne provient pas du moteur, mais bien de sa bouche. On a les proches qu'on mérite, je sais. Il faut savoir que je ne l'ai pas choisi, pas plus qu'elle ne m'a choisi d'ailleurs. Ça s'est fait comme ça, elle qui débarque au ciné et moi qui trouve la moindre excuse pour y aller. C'est la faute de Maisie si on est devenu amis. Au départ, je voulais juste détendre l'atmosphère parce qu'il faut les voir se chamailler toutes les deux, c'est pire qu'une zone de guerre. Et y'a rien de mieux que les conflits pour faire fuir la clientèle. Il se trouve que j'ai fini par l'apprécier. Elle a pas un mauvais fond, Molly. C'est pas la meilleure employé du Twelve, mais c'est pas la pire non plus. Elle fait pas plus que ce pour quoi elle est payée et c'est tout ce qui importe.  

« J’ai peut-être un égo surdimensionné, il y a des limites quand même » Ouais, bah je compte bien lui faire aimer mon sport préféré. « Génial ! Parce que je ne porte pas la bonne culotte … donc, ça serait con aussi … » Je me bouche les oreilles en piaillant comme un enfant et attends de voir ses lèvres se refermer pour retrouver l'audition. Trop tard, j'ai tout entendu. Y'a plus qu'à prendre rendez-vous avec un ORL pour qu'il aide mes oreilles à se remettre d'un tel traumatisme. "T'as mis celle réservée aux lundi ?" Elle a un jour d'avance, mais peut-être que celle du dimanche est portée disparue. "Bref, on s'en fout, c'est pas important." Sauf si elle a besoin de sa culotte fétiche pour lui donner du cardio, mais bon jusqu'à preuve du contraire, c'est dans le cœur qu'on puise l'endurance et pas dans le vagin. « ANGUS ! » Je l'observe bomber le torse et imiter un accent tout droit sorti des chroniques de Bridgerton. "Milady." Je dis en faisant une révérence pour lui faire signe d'avancer .« Sur que je viens, ouais ! » Pour ce qui est du langage soutenu, on repassera, mais la gestuelle n'est pas si mal. Je profite qu'elle ait le dos tourné pour rigoler avant de refermer la portillon derrière nous.

« S’échauffer ? » J'ai prononcé le mot interdit, celui qui lui fait instantanément perdre de sa bonne humeur pour retrouver son air blasé. Les bras croisé, elle me regarde comme si elle venait de se faire arnaquer. Ce qui n'est pas complètement faux, je lui ai promis une soirée dans un bar et elle se retrouve sur un terrain de rugby. Le seul point commun entre les deux lieux, c'est les bouteilles de bières qui sont posées sur la pelouse. J'essaye de raviver son esprit de compétition comme je le peux et ça marche puisqu'elle retrouve le sourire dès que je la mets au défi. « A l’époque du lycée, j’ai été viré de l'équipe de volley pour un plaquage soit disant illégal en volley mais parfaitement exécuté selon le coach …» - "Du volley et pas du cheerleading ? Bizarre, bizarre." Je réponds en me grattant le bout du menton. N'empêche que si on m'avait demandé mon avis sur la question, j'aurais misé sur un sport de combat du genre lutte ou judo. « le fait qu’il ait été exécuté sur la capitaine de mon équipe ne m’a pas vraiment aidé dans ma carrière de sport d’équipe … peut-être que tu vas révéler en moi un talent caché … IMAGINE ! » Elle rigole, mais je la verrais bien rejoindre l'équipe de rugby féminine. Elle a la taille parfaite pour se fondre dans la masse lors des mêlées et attaquer les bassins de ses adversaires. Je la regarde faire des squats en grognant et me place face à elle pour l'imiter. Je frappe sur mes cuisses fléchies et débute une chorégraphie sportive digne d'un haka des All Blacks. "Ka mate, ka mate, ka ora, ka ora" Je clame tout en exécutant des mouvements que je connais par cœur. C'est le parfait moyen de s'échauffer en se défoulant. Je t'arrête tout de suite, je ne suis pas la capitaine de ton ancienne équipe de volley et t'arriveras pas à me faire tomber. Je l'informe, une fois que je nous juge apte à passer à l'étape d'après sans se blesser. Enfin, ça reste à prouver, parce qu'elle a l'air de vouloir en découdre. Je n'en demande pas moins, si ça peut lui permettre de lâcher prise autrement qu'en se faisant gober le cerveau par les réseaux sociaux. "On peut même parier si tu veux." J'ajoute en installant deux plots au sol pour créer une ligne de départ. "Enfin, t'es pas obligée de te mouiller." J'attends d'avoir le dos tourné pour esquisser un sourire machiavélique tout en m'éloignant d'elle, le bouclier de plaquage sous le bras.

On s'échauffe et je retrouve presque l'adrénaline d'avant match. Ce terrain, ces gradins, cet endroit. C'est tout ce que je voulais voir quand j'étais gamin. J'y ai connu des victoires, des défaites et un paquet de blessures, mais je n'ai jamais été aussi heureux qu'en étant ici. Si je tiens autant au club, c'est parce qu'il me ramène à la meilleure partie de ma vie. Lorsque le coach et ma mère étaient encore en vie et que mon père en faisait encore partie. Mon grand-père serait fier de me voir reprendre le flambeau en entrainant les minis poussins. C'est du moins ce que je me répète quand je me retrouve à devoir essuyer leur morve. « Quoi ? Bien sûr qu’on peut parier. Tout ce que tu veux, mon gars. Aucun souci là-dessus. Tu me dis comment je dois m’y prendre pour te rétamer et j’exécute. Je suis un vrai petit soldat et il ne faut pas se méfier à mes cuisses de la taille de tes biceps … » Le dos tourné, je fais quinze pas de géant avant de me retourner. "Ah, parce que tu crois vraiment que je vais te confier mes points faibles ?" Je beugle. Elle me prend pour qui ? Un débutant ? C'est mort. Si Molly veut me botter le cul, elle va devoir y arriver par ses propres moyens. La victoire au mérite ou rien. Je passe mon avant bras droit dans la lanière du bouclier de placage avant de caler mon bras contre mon torse. "Leçon n°1 : la tête doit toujours être sur le côté." Pas trop envie qu'elle se bousille les cervicales ou qu'elle se retrouve avec un nez en moins. La légende dit que si Voldemort n'a plus de pif, c'est parce qu'il a essayé de s'en prendre à un moldu, champion de rugby. "Leçon n°2 : tu cibles le bassin de ton adversaire." Pas les jambes, si elle ne veut pas se prendre un genou ou deux dans les dents. Bon après, elle sourit pas des masses, Molly donc au pire, ce ne serait pas bien grave."Leçon n°3 : tu frappes avec l'épaule, mais tu puises ta force dans tes jambes." Je marque un temps d'arrêt pour reluquer ses guiboles en grimaçant. Elle part avec un sacré désavantage, mais bon les miracles, ça existe. "Leçon n°4 : interdiction formelle de tirer sur mon short." J'ajoute avec un regard entendu. Non, parce que j'ai pas trop envie de me retrouver en calbut ou de perdre l'équilibre à cause de ses tentatives de tricherie. "Oh et tu dois gueuler un truc qui a le don de t'énerver avant de t'élancer pour que le plaquage soit accepté." Car il ne faut pas oublier que le but de cette soirée, c'est qu'elle puisse extérioriser toutes ses mauvaises pensées que ce soit sur moi ou sur le bouclier. « Je suis prête ! » J'écarte un peu les jambes et prends appui sur mes genoux avant de cogner contre mon bouclier. "À vos marques, prêts... partez !" Je scande tout en me préparant à réceptionner le poids de son corps sans bouger, ne serait-ce qu'un orteil.

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