Les échanges prennent une tournure houleuse, peu importe le sujet, à chaque conversation, une rengaine similaire, le même schéma qui laisse monter la tension. Différents qui s’expriment de plus en plus facilement face aux attentes disparates animant chacune des deux parties. On lui détaille la marche à suivre durant les prochains mois, pour la millième fois, en expliquant le pourquoi du comment, l’histoire qu’il lui faudra raconter dans le but de se remettre les foules dans la poche, basée sur l’ensemble des clichés forgeant les récits du même genre, qui encombrent déjà les tabloïds à chaque fois qu’une figure publique se fait prendre un flagrant délit d’addiction. Jouer les repentis, promettre que ce n’était qu’une erreur de parcours, tout mettre sur le dos de la pression, professionnelle autant que sociale. Sans oublier de foutre la totalité de ce micmac dans un album qui matérialisera les excuses sous forme de billets. Que des discours, pour le moment, toute la pièce de théâtre écrite par le label ayant vocation à tenir ses premières représentations en septembre, lorsqu’il y aura quelque chose pour accompagner les divers passages en interview. Jusqu’à présent, June, elle se laissait porter dans le sens du vent. On lui a tellement répété qu’elle a merdé et que le plan établi par le label reste la seule solution viable, qu’elle a fini par s’en convaincre aussi, après tout, ils savent mieux que tout le monde comment remédier à ce genre de situation, c’est ce qu’ils passent leur temps à lui rappeler. Mais les dernières semaines ont amené avec elles une nouvelle perspective, à la suite de l’aparté paumée au milieu de rien aux alentours d’Adelaide et des discussions avec Jo. Dans les sujets abordés entre les deux jeunes femmes, celui concernant le moyen de conserver sa propre identité face aux directions imposées par les décisionnaires. Elle avait donné son avis, assez tranché, sur la question, sans vraiment y avoir été invitée, June, toujours prompt à encourager le refus des concessions quand l’occasion se présente. Pourtant, elle se retrouve dans une position inverse à ses propos, à mettre de côté sa personnalité afin de rentrer dans le cahier des charges sur lequel son avis n’a pas été pris en compte. Elle a réalisé, durant les quelques jours de retraite, le contraste entre sa pensée et sa situation. Alors, pour cet énième échange avec le label concernant la marche à suivre, elle ne se contente pas d’accepter l’ensemble des propositions et des contraintes, bien décidé à faire entendre sa voix pour reprendre un semblant de contrôle.

Tout se déroule aussi mal qu’on peut s’y attendre, dès qu’elle insiste dans l’idée d’amener le projet vers un autre angle que celui de la rédemption pure et dure, la réunion téléphonique n’avance plus. Chacun campe sur ses positions, débat stérile où les reproches prennent l’ascendant, où tous les participants finissent par parler les uns sur les autres dans une cacophonie rendant l’ensemble incompréhensible, à se couper la parole à la moindre occasion. Le bordel se termine quand tout le monde voit poindre la migraine et décide de remettre à plus tard, une fois les esprits calmés, cette tentative de trouver un point d’entente commun. Au final, rien n’a avancé, si ce n’est la certitude de June qu’elle va devoir batailler pour espérer imposer son point de vue. Ne reste que de la frustration lorsqu’elle vient appuyer rageusement sur l’écran pour raccrocher, balançant le téléphone sur le canapé dans une vaine tentative de redescendre en pression. Raté. Un peu trop de force, pas assez de précision, l’appareil rebondit avant de venir s’écraser sur le sol dans un bruit laissant peu de doutes sur la finalité de son état. « Fuck ! » L’écran est flingué, traversé par une fissure qui rappellerait les plus belles photos immortalisant un éclair traversant le ciel. L’échec n’arrange pas son état d’esprit, au contraire, elle se monte la tête toute seule en rejouant les échanges précédents, les accompagnant d’un lot d’insultes. Encore quelques mois plus tôt, l’alcool aurait été la solution par défaut pour servir d’exutoire et étouffer l’agitation de l’esprit, à se retrouver dans un club ou n’importe quelle soirée jusqu’à ce que ses sens se mélangent. Le séjour en désintox lui a filé d’autres réflexes, afin de gérer ce type de moments d’une manière moins néfaste.

Un sac au sein duquel June balance le nécessaire, tenue de sport, serviette, baskets et bouteille d’eau avant de tracer la route en direction d’une salle de sport à quelques minutes de marche. Elle pourrait utiliser celle présente dans les murs de l’hôtel, ce qui est le cas à certains moments, mais la solitude a tendance à peser rapidement en traînant tout le temps au même endroit, d’où l’attrait pour un lieu en dehors des murs de l’Emerald. La soirée est déjà bien avancée, suffisamment pour que l’affluence de la salle soit des plus restreintes, permettant, après un tour rapide par le vestiaire et l’échauffement adéquat, d’initier la routine sans devoir attendre que les appareils se libèrent. Casque sur les oreilles, volume poussé afin de faire barrière au bruit extérieur, elle enchaîne les exercices de façon quasi-robotique, l’esprit déconnecté et vidé de toute réflexion. C’est l’objectif de la séance, au-delà d’entretenir son physique, que de ne penser à rien. Et c’est plutôt efficace, jusqu’à cet instant où elle arrive face à un appareil sur lequel se trouvent déjà des poids, mais dont personne ne semble se servir. Le problème étant que la fonte installée est plus lourde que sa propre personne, impossible de s’en charger d’elle-même, et ce, malgré la poignée de secondes que June passe à observer la chose en se disant pourquoi pas. « Fait chier ! » Les paroles sont moins discrètes qu’espérées, la faute à la musique lui animant les tympans, faussant le volume de sa voix. Et toute la frustration fait son retour comme si elle n’était jamais partie. À la recherche d’une solution, son regard se perd dans la salle, jusqu’à accrocher une silhouette connue. Le casque quitte ses oreilles, trouvant place autour de son cou alors qu’elle se dirige en direction du type le plus proche. Aucune idée depuis combien de temps il est là, faut dire qu’elle n’a pas vraiment calculer qui que ce soit en arrivant. « Hey. » Le ton traduit l’humeur de la jeune femme, sans laisser planer le moindre doute. « Y a un connard qu’a laissé ses poids sur la barre là-bas. » Qu’elle balance en pointant l’endroit en question. « Tu peux m’aider à les enlever ? »

On la devine aux traits de son visage, autant qu’à l’animosité inutile qui accompagne ses propos, la mine des mauvais jours. La frustration qui résulte de l’échec, de l’incapacité à imposer sa vision et à mener sa barque sans que les courants extérieurs ne viennent guider la trajectoire de manière non désirée. Énergie négative qui parcourt le corps, danse le long des nerfs dans l’attente de pouvoir être évacuée. Il n’y a encore pas si longtemps, la résultante en aurait été chaotique, spiritueux diluant l’hémoglobine jusqu’à éteindre les sens. L’histoire d’une autre vie, ou du moins, d’une mise entre parenthèses à l’instant présent. « Vaut mieux pour toi. » Qu’elle lui répond lorsqu’il clame son innocence, dans un mélange d’émotions si bien dosé que deviner s’il s’agit vraiment d’une menace ou d’un simple trait d’esprit reste délicat. « Bien, c’est exactement le message que je veux envoyer. » Plus à son encontre, maintenant que sa personne ne fait plus partie des suspects, mais à quiconque d’autre croiserait son regard. Premièrement, dans l’objectif de faire comprendre au coupable qu’il s’agit vraiment d’un connard, deuxièmement, afin qu’on ne vienne pas la faire chier. « Va pas croire que t’y aurais échappé juste parce que t’es taillé comme un golgoth. » Difficilement impressionnable, June, pas vraiment une qualité, au contraire, le genre de caractéristique qui a tendance à attirer les situations merdiques, surtout quand on sombre facilement dans l’excès.

Malgré l’apparente humeur massacrante de June et son manque flagrant de délicatesse, il accepte de lui filer un coup de main, l’accompagnant jusqu’à l’appareil problématique. Sans attendre, elle détache les premiers poids, ceux dont le poids n’est pas rédhibitoire pour ses muscles, avant de laisser le restant aux soins du brun. « Merci » Qu’elle balance avec moins de rogne que ses précédentes paroles, sur un ton toutefois assez neutre. « Et désolé. » Ils sont rares, les moments où ces deux mots passent la barrière de ses lèvres en possédant une réelle signification, presque une légende urbaine, de la voir s’excuser. Pas vraiment son délire, à l’Anglaise, de se confondre dans ce genre de conneries, toujours prompte à assumer plutôt que de se chercher des excuses, qu’importe que la faute soit avérée ou non. À l’exception d’une situation comme la présente, où elle reporte sa frustration gratuitement sur la première personne à qui elle adresse la parole, alors même que celle-ci lui vient en aide malgré tout. « Journée de merde. » Légère exagération, les dernières heures seulement, mais la sensation ayant accompagné la fin du coup de fil reste tellement désagréable, qu’elle déteint sur tout le reste. Elle chope de nouveau poids, bien plus adaptés à ses capacités physiques, afin de les mettre en place et de préparer l’appareil pour son utilisation. « Et toi, qu’est-ce que tu fous ici à une heure pareille ? » Elles restent peu nombreuses, les options possibles pour justifier de traîner à la salle quand la lune domine le ciel. Une liberté soudaine dans un emploi du temps surchargé, l’insomnie qui garde Morphée à quai ou encore le besoin de s’exploser afin d’oublier l’ensemble des problèmes qui agitent l’esprit. June, elle peut cocher les deux dernières cases sans la moindre difficulté, son temps n’étant pas encore une denrée rare avant une paire de semaines.

« Ouais, un putain de rayon de soleil. » Masqué par les nuages, avec quelques éclaircies au gré des vents. C’est pas totalement faux, ce résumé qu’Edison lui balance, elle est capable de transmettre la bonne humeur lorsque l’esprit y est aligné. Depuis quelque temps, pourtant, l’humeur fluctue facilement. Tentative d’équilibriste, naviguant maladroitement sur un fil, émotions qui oscillent d’un camp à l’autre. La frustration incessamment en arrière-plan, attendant la moindre occasion afin de refaire surface et de plomber l’enthousiasme. « Évite de le crier sur tous les toits, faudrait pas que les gens pensent qu’ils peuvent venir m’accoster à leur bon vouloir. » Elle y tient, à cette bulle d’intimité retrouvée à l’autre bout du monde, nécessaire afin de reprendre de l’aplomb à la suite de ses péripéties de santé. L’Australie, c’est moins de personnes qui reconnaissent les traits de son visage, moins de sangsues marchant dans chacun de ses pas, un appareil photo à la main. L’idylle possède une date de péremption, elle en a bien conscience, ce pourquoi elle s’efforce d’en profiter avant qu’on ne vienne lui annoncer qu’il est grand temps de retrouver une vie sous les projecteurs.

« J’vois le délire. » Ou plutôt, elle devine ce qui peut bien se cacher derrière le manque de détail, la similarité liant leur présence dans cette salle de sport l’aidant à se faire une idée sans qu’il n’ait besoin de s’étendre dans son discours. Des exercices infligés afin de saturer l’esprit entre fatigue et douleur, permettant d’écarter toutes les autres sensations pendant la durée de cette séance de torture auto-infligée, jusqu’à ce qu’elles finissent par s’estomper de manière éphémère. « Et ça a l’effet escompté ? » La solution fonctionne de son côté, cependant, elle ne peut faire taire cette voix lui chuchotant que ce ne sera pas toujours le cas, consciente de l’impossibilité d’agiter la tromperie sans que le cerveau ne comprenne l’illusion et se décide de passer outre celle-ci. « T’as plus du tout besoin de partir à droite en sortant d’ici ? Enfin, à gauche plutôt si la salle est le point de départ. Bref, t’as compris. » La question semble contre-productive, remettant le problème sur le devant de la scène, mais les mots sont choisis avec attention, elle a appris à faire la différence entre le besoin et l’envie. L’envie, elle est latente, bien que contrôlable. Le besoin, lui, beaucoup plus traître et compliqué à dompter, si tant est qu’il soit possible de le faire. « On a qu’à dire que cette journée sert à rien et on passe à la suivante. » Le temps restant avant le changement de date n’est pas très long, ils ne perdront pas grand-chose. Elle passe quelques secondes le regard fixé sur la barre qu’elle vient de préparer, avant de balayer la salle. « Finalement, j’ai plus envie de taper dans un truc que de soulever des poids, pas toi ? » Changement d’avis à la vitesse de l’éclair, prenant la direction des sacs de frappe, laissant l’appareil dans le même état que celui dans lequel elle l’avait trouvé en balançant une flopée d’insultes.

À chacun son moyen bancal de détourner les démons qui hantent les détours de l’esprit. N’importe quel professionnel offrant des séances de thérapie un minimum digne de ce nom viendrait rapidement conclure qu’ils ne font que courir vers la catastrophe, avec un bandeau sur les yeux, incapables de voir le ravin vers lequel ils se précipitent. Leur technique, elle consiste à soigner une plaie béante à l’aide d’un pansement, l’intention est louable, mais le résultat risque de montrer rapidement l’étendue de ses limites. Il faut aussi prendre en compte la force de l’envie, pour l’instant dominée par la raison, mais qu’adviendra-t-il quand ça ne sera plus le cas. Au final, la question se retourne contre son instigatrice sans même le besoin qu’Edison l’interroge à son tour. Pas vraiment le genre de pensées qu’elle cherche à avoir, sujet trop sensible que la brune n’est pas apte à évoquer, même dans un monologue intérieur, sans que cela vienne égratigner les défenses mises en place durant les derniers mois. « C’est donc ça, la recette pour se forger un physique d’Apollon. » Alors, comme à son habitude, au lieu d’affronter ses démons à la régulière, en face-à-face, elle préfère dévier sur une touche d’humour, fissurant le masque désagréable arboré dès les premiers pas lors de son entrée dans la salle de sport. « Tu tiens peut-être un concept pour tous les gens qui réussissent pas à esquiver leurs problèmes. » Se péter les rotules, pour reprendre ses mots, plutôt que d’aller s’esquinter la santé à grand coup d’autodestruction à base de matières nocives et de choix douteux. « Après, faut que les gens soient plus motivés par l’effort que par le reste. » Prêts à faire l’effort au lieu de céder à la facilité de la tentation, l’expérience lui a montré que la pente est extrêmement glissante, capable de décourager au moindre appui mal assuré.

Eux, ils tiennent, pour l’instant, tout du moins. Décidant de changer d’objectif de manière lunatique, elle abandonne la barre préparée pour rejoindre une activité avec un réel potentiel dans le but de se défouler, proposant à Edison de l’accompagner dans la pratique. Ils se retrouvent dans l’espace dédié aux sacs de frappe et, alors qu’elle réajuste l’élastique contraignant ses cheveux pour solidifier son emprise afin qu’ils ne viennent pas la gêner dans les minutes qui viennent, son partenaire improvisé vient s’enquérir sur l’identité de June. Il croit la reconnaître, sans pour autant être capable de mettre un nom sur le visage de la brune. Elle lui adresse un regard, plissant les yeux en cherchant à deviner l’étendu du sérieux motivant la question. Ce qui est sûr, l’explication qui s’enchaîne ne lui donne pas vraiment envie de décliner son blase. « T’es au courant que tu te vends très mal ? J’suis pas certaine de vouloir répondre vu qu’apparemment, y a de fortes chances que je loupe le sac volontairement pour te viser dans moins de vingt minutes. » Surtout, elle profite de l’anonymat à chaque fois qu’elle arrive à le trouver, pas prête à l’abandonner aussi facilement qu’à l’aide d’une simple demande maladroite. « Va falloir être plus convaincant. » Qu’elle lui lance tout en resserrant ses gants avant d’envoyer plusieurs coups sans prétention dans l’un des sacs, histoire de se chauffer.

« J’dois me considérer chanceuse d’avoir eu le droit à ton aide ? » Il aurait facilement pu l’envoyer chier sans le moindre remord au moment où elle est venue querir son assistance, encore plus avec l’attitude désagréable affiché dès les premiers mots échangés. Pourtant, il a accepté sans la moindre réticence, de ce qu’elle a pu percevoir, tout du moins. Au fond, elle comprend la volonté de ne pas chercher à se mêler des problèmes d’autrui quand ceux personnels se font déjà légion et occupent l’ensemble des ressources mentales. « Pour un mec qu’en a rien à foutre des soucis qui ne le concernent pas, t’as tout de même été assez prompt à me filer un coup de main. » Pas pour autant qu’elle va laisser passer le sujet, bien au contraire, la dualité entre les paroles et l’action lui donne envie de fouiller un peu plus loin. Réaction totalement hypocrite, elle qui se plaît dans un anonymat temporaire en vient à jouer les investigatrices de pacotille, tentant de dégoter un semblant de vérité qui, au fond, ne le concerne pas le moins du monde. « C’est le regard vénère qui t’a fait flipper ? Compréhensible, je l’entraîne depuis pas mal de temps, il est grand temps qu’il soit efficace. » L’art de faire comprendre la pensée sans utiliser le moindre mot, elle sait jouer des traits de son visage afin de transmettre ses émotions, ce qui ne l’empêche pas d’agrémenter ses froncements de sourcils de quelques insultes à son bon vouloir.

L’hypocrisie est un peu plus marquée encore quand elle évite de répondre à la question de son identité, sans chercher à déployer trop de subtilité, ça l’amuse autant que ça l’arrange. Elle frappe, à plusieurs reprises, afin de se chauffer autant que de tâter le sac lui faisant face, jusqu’à ce qu’Edison vienne le sécuriser. « Décidément, un second coup de main en si peu de temps, j’vais vraiment finir par me sentir flattée. » Elle arque un sourcil en entendant la suite. « Y’a une histoire qui vaut d’être partagée ou c’est juste pour faire passer le message que t’es un dur ? » L’un dans l’autre, la réponse ne l’intéresse pas vraiment, touche d’humour ayant pour simple vocation de garder la conversation loin de sa question à lui pendant quelques secondes de plus, avant de prendre position. Pieds ancrés sur le sol, June vient de nouveau frapper le sac, cette fois avec un peu plus de panache, dans une série de coups rythmés durant une bonne minute, jusqu’à sentir ses muscles tirer. Contrôle de la respiration afin de faire redescendre la vitesse de son palpitant et pouvoir parler entre deux inspirations. « Pas si mal, même pas d’accident. » Qu’elle sort en lui adressant un sourire amusé. L’ensemble des coups envoyés ayant percuté le sac exclusivement. Elle se rapproche d’un sac voisin, plus en adéquation avec le gabarit d’Edison, pour venir le maintenir. « À ton tour. Et fais pas le con, je tiens à mon visage, j’en ai besoin. » Déjà qu’elle n’est pas certaine de pouvoir tenir l’impact trop longtemps, si elle pouvait éviter d’y gagner un cocard.

« Ouais, je vois le genre. La technique d’esquive classique. » Pratique approuvée de manière universelle lorsque l’envie de sociabiliser est absente, la gestuelle vient presque avec la notice attachée, venez pas me faire chier, ce qu’il faut automatiquement comprendre dès l’instant où les écouteurs sont vissés aux oreilles. Utilisatrice convaincue de la méthode, même si, avec l’expérience de la popularité ces dernières années, elle n’a besoin d’aucun artifice dans l’optique d’ignorer les gens, les ajouts n’ont que simple vocation à transmettre le message sans une once d’ambiguïté. Mettre un filtre sur les perturbations extérieures ayant le potentiel de déranger la concentration s’effectue naturellement. « T’as fait une connerie ? Ou tu comptes faire une connerie ? » Rapport au travail sur le karma, une telle entreprise est rarement innocente. Soit on met des points de côté avec l’idée qu’ils serviront à limiter la casse dans un moment de galère, soit on essaye de compenser une action controversée pour se retaper un tant soit peu la conscience. C’est toujours dans ce sens qu’elle imagine le fonctionnement du karma, avec une certaine absence d’optimisme, sans se dire qu’il pourrait simplement vouloir s’assurer la réussite d’un futur événement. « Moque-toi autant que tu veux, mais ça sera la version officielle si jamais je dois la raconter un jour. T’as pas tenu la menace d’une meuf qui fait la moitié de ta carrure. » Et elle y mettra les formes nécessaires pour que personne ne doute de l’histoire, malgré la différence de gabarits qui les oppose.

« C’était une simple question, sans prétention. Tant pis si tu veux pas partager, j’vais pas te forcer. » Elle n’a pas pour habitude de prendre des pincettes quand la curiosité vient réellement pointer le bout de son nez, et si elle voulait jouer au détective, le colosse se serait déjà retrouvé ensevelie sous pléthores de questions jusqu’au craquage. Elle s’exécute sans plus d’attente, frappant le sac jusqu’à sentir ses muscles s’épuiser face au rythme imposé, aussi bref qu’intense. « Tu peux, c’en est un, en quelque sorte. » Au moins autant que le fait que le bonhomme ne l’ait pas envoyé chier au tout début de leur interaction, quand elle est venue l’interrompre sans la moindre esquisse d’amabilité, et qu’il ne soit pas reparti dans son coin en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Les deux échangent de place, en passant sur un sac plus en accord avec la carrure du brun, il frappe une fois, deux fois, puis s’arrête. June le fixe, légère interrogation dans le regard, à deux doigts de sortir une remarque en rapport avec un quelconque problème de performance, sans toutefois en avoir le temps avant qu’il ne prétende enfin la reconnaître, avec un grand sourire, sans partager plus de détails. L’Anglaise plisse les yeux, cherchant à discerner s’il s’agit d’un bluff ou non. L’investigation doit attendre, au moins le temps qu’il termine la série de coups qu’il vient de reprendre. June, elle doit peser environ le même poids que le sac qu’elle est censée sécuriser, autant dire que la chanteuse fait plus office de figuration que de réelle aide. C’est l’intention qui compte, après tout. À peine l’enchaînement terminé qu’elle l’interroge sans le laisser reprendre son souffle. « T’essayes de me mindfuck pour que je te donne la réponse en me faisant croire que tu l’as ? » La fameuse tactique, je sais que tu sais que je sais. « C’est un jeu dangereux, je suis ici incognito. Si tu sais vraiment, j’vais être forcée de te faire disparaître pour préserver le secret. »

Elle cherche à percevoir le moindre indice pouvant lui indiquer si, effectivement, son identité n’est plus un mystère, ou s’il s’agit d’un simple bluff ayant vocation à la faire se trahir. Analyser une personne en détail, jusqu’à remarquer d’infimes changements susceptibles de dévoiler la vérité, ne fait cependant pas partie de son éventail de compétences, et la tentative reste vouée à l’échec. « C’est exactement ce que dirait une personne essayant de se faire passer pour plus débile qu’elle ne l’est. » Et même s’ils avaient eu l’occasion, à l’époque, de s’adresser quelques mots, les chances que June ait la capacité de s’en souvenir restent maigres. Beaucoup de moments ayant pris place ces dernières années se trouvent floutés lors des tentatives de s’en souvenir, entravés par des excès appliquant un voile sur l’ensemble de ce qui n’est pas crucial. Impossible, donc, de se baser sur la prétendue rencontre afin d’en tirer la moindre conclusion. « Merci pour l’avertissement. T’inquiète pas, un coup de téléphone aux bonnes personnes et tu disparais sans la moindre trace. » Comme si elle avait ce genre de numéro dans son répertoire, grande criminelle qu’elle n’est pas, se contentant de sortir des fausses menaces ayant leur place dans le mauvais script d’une série policière.

C’est presque un soulagement, cet aveu qu’il n’est pas au courant de toutes les conneries ayant émaillé la vie de l’Anglaise durant les dernières années. Pourtant, elle est apparue dans certains tabloïds, jamais pour les bonnes raisons. Au moins, la conversation ne risque pas de s’orienter vers un sujet que la brune souhaite éviter. « Une pause. » Point. Pas besoin d’y accoler quoi que ce soit d’autre, elle n’avait même pas vocation à rester aussi longtemps, mais les événements lui ont fait réviser son jugement. « J’me suis dit que quitter les US pour aller de l’autre côté du globe et s’acheter un peu de tranquillité, c’était une bonne idée. » Des personnalités cherchant le calme d’une vie sans notoriété, rien de plus courant, une bonne excuse derrière laquelle cacher les véritables raisons de son exil en terre australienne. « Faut croire que c’est pas aussi efficace qu’espéré. » Elle en rajoute, car depuis des mois, son plus grand compagnon reste la solitude, avec comme seul objectif de supprimer l’ensemble des stimuli ayant une chance de foutre en l’air les efforts des derniers mois. Facile, de ne pas être reconnue à chaque coin de rue, lorsqu’on quitte son lieu de résidence qu’en de très rares occasions, après s’être réfugiée à l’autre bout du monde. « Encore une fois, c’est le discours de quelqu’un prêt à faire tout le contraire. » Si elle n’était toujours pas certaine que le colosse ait connaissance de son identité, la musique fredonnée vient lever le doute sans équivoque, voyant June abdiquer à la suite d’un léger sourire en coin. « Ok, c’est bon, j’ai compris. » Elle retire ses gants, avec un peu de mal, avant de tendre le poing en direction du brun. « June. » Et d’enchaîner par un brin de curiosité. « Quand est-ce qu’on s’est déjà croisés ? »