« Je ne me sens pas très bien. » Se plaint David. « Roh, ferme-la, tu n’as juste pas les couilles. » Grogne Archie en faufilant sa tête à travers le feuillage du buisson. De l’autre côté, une grotte de laquelle s’échappent un courant d’air froid et l’écho de gouttelettes qui tombent de façon saccadée. « On va se faire coincer par les profs. » « Tout le monde dort à cette heure, abruti. » Le plus courageux des deux fait quelques pas en direction de cette intrigante déformation de terrain. Dans le plus grand des silences, il pose un pied à l’entrée de la cavité. Le trou n’est pas bien grand ; un mètre de largeur, tout au plus. Archie rigole nerveusement. Son rire réverbère. Il n’arrive pas à en voir le fond même à cette distance. Sa lampe torche éclaire à peine la paroi rocheuse. « Tu crois qu’il y a un animal qui vit dans ce truc ? » Il se retourne. C’est la pleine solitude qui accueille son regard. David est parti malgré son oblativité envers Archie. Il l’appelle à voix basse, deux, puis trois fois, et il finit par soupirer : « Espèce de froussard. » Ne souhaitant pas continuer l’exploration seul, il rebrousse chemin.

La noirceur ne l’effraie pas mais cette nouvelle intimité ne le rend pas tout à fait à l’aise. Il marche d’un pas rapide et sa semelle fait craquer les brindilles. Bientôt, il retrouve au loin la faible lumière qui irradie des souches de braise au milieu du feu de camp. Tous les élèves de la classe ont été distribués dans des tentes. Archie partage celle de Limace (Jonah) et Dieu sait qu’il n’a pas choisi. Tandis qu’il contourne leur tente, où l’autre adolescent s’est certainement assoupi depuis, une idée idiote lui traverse l’esprit. Il attrape un bâton, éteint sa lampe torche, s’approche de la tente sans un bruit et se met à frotter la toile pour feindre le passage d’un animal.    

@Archie Kwanteen

Dans la pénombre de la tente, Jonah sombrait dans un sommeil paisible, option filet de bave. Il n’aurait jamais pensé pouvoir dormir aussi bien sur un maigre tapis de sol, lui qui avait les lombaires si délicates que le moindre matelas trop dur ou trop mou lui engourdissait le dos pour le reste de la journée. Mais, jusqu’à présent, le seul point négatif de cette classe verte était Archie. Ce qui, au final, ne le changeait pas des autres jours ; Archie était un cauchemar quotidien. Cette proximité forcée avec lui ne rendait pas l’adolescent à l'aise du tout. Il ne pouvait pas supporter d'être près de lui, de partager la même tente, de respirer le même air. Sauf qu’il n’avait pas le choix. Dieu seul savait ce que leur prof avait derrière la tête lorsqu’il les avait assignés à la même tente. Etait-il assez naïf pour croire que cela allait faire cesser le harcèlement régulier dont Jonah était la cible ? A ses yeux, cela n’allait faire qu’empirer les choses.

Un bruit de pas s'approchant l’arracha au train du sommeil qui quittait tout juste la gare. Son esprit, encore embrumé, tentait de rationaliser le son, attribuant cela à l'activité nocturne habituelle de la nature environnante. Cependant, le bruit persistant de frottement sur la toile de la tente éveilla sa curiosité. Il ouvrit légèrement les yeux et tendit l'oreille, cherchant à distinguer le moindre détail du son. Ca se rapprochait, de plus en plus proche. Un animal sauvage venu voler les provisions de la classe ? Un psychopathe ayant un penchant pour massacrer les camps de classes vertes ? Un fantôme hantant le terrain précis où ils avaient monté le camp ?

Sans faire de bruit, Jonah glissa sa main moite et tremblante vers sa lampe torche qu'il gardait toujours à portée de main. D'un geste rapide, tant et si bien que la lampe manqua de lui glisser des mains et de balancer un high-kick droit dans son front, il l’alluma et la dirigea vers le bas de la tente où se trouvait le bruit. Et là, à la lueur vacillante de la lampe, il vit Archie, un sourire sournois aux lèvres, en train de s'amuser de sa petite farce cruelle. Jonah sentit la rage monter en lui, mais il savait qu'il devait garder son calme, sinon cela ne ferait qu'encourager l’autre abruti congénital à continuer. "T’es con," cracha-t-il avec mépris, ses poings se serrant de frustration tandis que son rythme cardiaque ralentissait peu à peu. "La classe verte de l'école préparatoire c'était la semaine dernière, demeuré." Le Fletcher bouillonnait de rage, mais il refusa de lui donner la satisfaction de le montrer. Il se leva silencieusement et quitta la tente, décidé à s'éloigner de cette situation avant que le ras-le-bol couplé à la fatigue de la journée ne lui fasse monter les larmes aux yeux, ce qui le ferait bien rire, Archipétédethunes.

À l'extérieur, il prit de grandes inspirations pour se calmer, en quête d’équanimité, mais il était clair que cette cohabitation forcée avec Cantine allait être un véritable enfer. Il ne savait pas comment il allait supporter cela pendant toute la durée du week-end de classe verte. C’était pas faute d’avoir supplié ses parents de lui faire une note bidon pour lui épargner le séjour. Il dormira à la belle étoile, bouffé par les moustiques, plutôt que de subir la présence d'Archie une seconde de plus.

Le jeu s’éternise un peu. Son bâton, plus large à la base est plus mince à sa poigne, lui rappelle la forme d’un didgeridoo, et Archie se met à fantasmer à l’idée de pouvoir produire un son avec cet instrument de musique dont la mélodie s’apparente à une danse exotique lugubre. Fletchierait forcément dans ses culottes s’il était réveillé par ce son ! Hélas le garçon doit se contenter d’imiter le passage d’un animal, mais il semblerait que c’est bien assez car l’attention de Jonah est captée ; quelques secondes plus tard, une lumière s’allume dans la tente. Un visage bleu de terreur apparait à l’entrée de la tente, et aussitôt Archie s’esclaffe d’un rire muet (pour ne réveiller personne et, surtout, pour ne pas se faire punir). "La classe verte de l'école préparatoire c'était la semaine dernière, demeuré." Il a du mordant, quand il est à moitié endormi, celui-là ! « Ouch, mon cœur ! » Se lamente Archie, main sur la poitrine pour bander ses maux imaginaires. « J’espère que tu n’as pas inondé la tente avec ta salive, ou je te fais dormir dans le bosquet de cactus. » Il se débarrasse de son bâton dans les hautes herbes. Il jette un coup d’œil autour de lui après avoir rallumé sa lampe torche. Le jet de lumière se pointe en direction de la tente de David, qui lui avait faussé compagnie une dizaine de minutes plus tôt. « Hey, ducon, tu as entendu quelqu’un d’autre marcher dans le camp avant moi ? » Qu’il s’assure à voix basse, pas vraiment alarmé, mais un peu quand même. Ce n’est pas son genre de s’inquiéter pour autrui mais il faut dire que sa disparition l’avait surpris. Ils avaient fait des conneries bien plus stupides ensemble dans le passé, et ce n’est pas un peu de noirceur et une forêt qui lui auraient fait perdre son sang-froid.

@Archie Kwanteen

Il pouffe comme une hyène, l’autre, et Jonah leva les yeux en l’air, si haut qu’ils se seraient retournés dans leurs orbites à trois-cent-soixante degrés. Sa réplique ne fait pas mouche et il s’en fiche, cracher un peu de venin lui avait fait du bien, qu’importe à quel point l’égo d’Archiduc pouvait lui servir de bouclier. « J’espère que tu n’as pas inondé la tente avec ta salive, ou je te fais dormir dans le bosquet de cactus. - Ça sera toujours plus agréable que ton haleine de ragondin du matin. » fit-il avant de pousser l’autre adolescent pour se frayer un chemin hors de la tente, histoire de prendre l’air après ces montagnes russes émotionnelles. Il se mit à ruminer sa colère et son ressentiment envers Archie, se rappelant toutes les fois où il avait été humilié ou maltraité par ce porcelet arrogant. Leurs différends remontaient à des années, mais ils semblaient encore plus aigus maintenant qu'ils étaient coincés ensemble dans cette satanée classe verte. Le destin lui jouait un sale tour. « Hey, ducon, tu as entendu quelqu’un d’autre marcher dans le camp avant moi ? » Le jeune homme réprima du mieux qu’il le pouvait le sursaut que la soudaine prise de parole de l’autre seigneurie -il allait encore se payer sa tête sinon. “Pourquoi ? Tu te fais annoncer par tes valets maintenant ?” Qui en serait étonné ? Personne. Il pourrait aussi se faire porter sur les épaules de ses sbires pour prendre le monde d'un peu plus haut si seulement son égo n’était pas aussi lourd. Leur dispute fut interrompue par un bruit étrange venant d’un peu plus loin. Jonah se figea, ses yeux cherchant à percer l'obscurité de la forêt. “Si tes copains sont dans le coup Kwant-titties, je…” Jonah, se battre ? La blague. Lui et sa dégaine difforme et molle d’adolescent en pleine de croissance n’avaient pas la coordination nécessaires pour lever le poing et ne pas se le prendre soi-même dans les dents. “Je vais crier si fort que tout le camp va se réveiller et t’auras des problèmes.” Ouah, menace de compet, Fletcher, t’as été entraîné par le KGB, non ?

« Ça sera toujours plus agréable que ton haleine de ragondin du matin. » C’est quoi un ragondin ? Il se gardera bien de lui demander pour ne pas paraître plus bête qu’il ne l’est. Ce doit être une sorte d’animal. « J’sais pas ce qui est plus bas entre tes réparties et ton QI. » Les deux doivent planer au même niveau, à quelques centimètres du sol. Mais ce n’est pas l’heure de tester les capacités intellectuelles de Jonavorton ; quelque chose d’autre interpelle l’attention d’Archie alors qu’il réalise que le camp est bien trop silencieux et que David n’a toujours pas donné de signes de vie. Il aurait pensé le revoir avant de se coucher, lui échanger un highfive et planifier la prochaine bêtise qu’ils feraient ensemble le lendemain matin ou la nuit suivante. “Pourquoi ? Tu te fais annoncer par tes valets maintenant ?” Oui, notamment, mais ce n’est pas exactement ça le problème. « Ferme-la une seco…. » Il ne peut pas terminer sa phrase qu’un froissement au loin le coupe. Il s’immobilise et envoie son jet de lumière vers la forêt. Son cœur se débat dans sa poitrine. Il ne veut pas paraître effrayé, mais ses traits sont bel et bien affaissés et de sa bouche entrouverte s’échappe une respiration sèche. “Si tes copains sont dans le coup Kwant-titties, je…” Il fronce les sourcils, soulève la main pour lui imposer le silence. “Je vais crier si fort que tout le camp va se réveiller et t’auras des problèmes.” « Mais ta gueule ! » Qu’il souffle comme il le soufflerait à un chien pour le rendre obéissant. Il fait du babysitting ou quoi ?

Basculant la lumière vers les tentes, il se surprend à voir du mouvement à travers les toiles. Aussi, une sorte de gémissement plaintif s’élève en crescendo, de plus en plus fort, jusqu’à ce que de la terre semble émettre un bourdonnement. « C’est quoi ça… » Archie couine. Il regarde Jonah pour analyser son visage. « C’est toi qui fais une blague. Vous avez prévu ça quand vous m’avez vu partir avec David. Ha ha ha. Hilarant. » C’est moins drôle quand il n’est pas le cerveau derrière le mauvais coup, tiens.    

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« Mais ta gueule ! » Surpris, choqué, Jonah s'exécuta immédiatement, malgré lui. Il referma doucement la mâchoire, toute onomatopée offusquée ayant disparu du fond de sa gorge. A la place, il afficha une moue renfrognée et boudeuse. Du coin de l’oeil, il suivit le faisceau lumineux de la lampe de poche d’Archiasse, la curiosité piquée par le bruit qui les avaient interrompus. Ce qui ne servait à rien puisque sans ses lunettes, Jonah ne voyait pas à deux mètres. Cela renforçait le côté inquiétant de la situation. La tension dans l'air était de plus en plus palpable, et même si Jonah aurait aimé garder son calme, il ne pouvait s'empêcher de sentir une pointe d'appréhension lui serrer le cœur. Les échanges verbaux acerbes avaient cédé la place à un silence lourd, perturbé uniquement par le froissement dans la forêt et le gémissement étrange qui enflait peu à peu. « C’est quoi ça… » Qu’est-ce qu’il en savait ? C’était pas Monsieur Kwantarte qui lui estimait un QI sous le niveau de la mer deux minutes plus tôt ? “Avoue que t’as pété, c’est bon.” fit Jonah dans l’espoir de détendre l’atmosphère -ou ne détendre que lui, lorsqu’il était nerveux il avait besoin de lancer des âneries. « C’est toi qui fais une blague. Vous avez prévu ça quand vous m’avez vu partir avec David. Ha ha ha. Hilarant. » Archie, d'habitude si sûr de lui et moqueur, semblait comme… déstabilisé ? Son arrogance se dissipait devant l'inconnu qui se profilait, c’en était presque satisfaisant pour l’adolescent si le bruit ne l’effrayait pas autant. "Tu te fais des films.” Des films dans lesquels il était le personnage principal, à voir l’importance qu’il se donnait. La terre semblait vibrer sous leurs pieds, et Jonah sentit une montée d'adrénaline qui lui donna envie de fuir. Mais il était pris au piège, tétanisé, les jambes enfoncées dans la terre comme dans des sables mouvants. "Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" s'exclama-t-il, perdant toute contenance. “Qui que ce soit, c’est bon, vous avez réussi votre coup, c’est plus drôle !” hurla-t-il au hasard vers la forêt -ou ce qu’il en distinguait.

“Avoue que t’as pété, c’est bon.” Une guerre de ping pong. Ils se renvoient la faute sans arrêt, priant pour que l’autre se rende finalement et admette qu’il ne s’agit que d’un coup monté. Hélas, plus Archie regarde Jonaze et plus il doit se rendre à l’évidence : aucun des deux n’a la moindre idée de ce qu’il se passe. Leur raison les pousse à trouver des explications logiques mais, en attendant, ils ne font que perdre leur temps devant l’inévitable.  "Tu te fais des films.” Ils s’en font tous les deux. La sueur commence à perler sur le front d’Archie, qui tente en vain de garder son calme pour ne pas perdre la tête devant sa victime. "Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" Et la tension monde en flèche, la gorge du garçon est trop serrée pour qu’il n’arrive à prononcer le moindre mot. Il est celui qui se trouve le plus près du camp réveillé ; il se sent nu, vulnérable, alors que la toile de plusieurs tentes se met à se froisser. Aucun zipper ne s’ouvre pourtant, comme si les animaux (ce sont des animaux, c’est sûr !?) ne savaient pas comment sortir de leur petit chapiteau triangulaire, et bientôt des ongles s’enfoncent, déforment, dégradent le tissu imperméable sans pour autant le percer. « Peu importe ce que c’est… » Commence Archie en se reculant de quelques pas. « Ça n’arrive pas à sortir… » Il fait un signe de la main à l’autre élève, insiste pour qu’il se lève à son tour. Puis, du coin de l’œil, une silhouette le fait sursauter.

« David ! » Qu’il s’exclame, reconnaissant le profil de son ami alors qu’il se faufile à travers des arbres. David, ou ce qu’il reste de lui, se tourne aussitôt qu’il entend ce cri. Ses deux yeux noirs, veineux, coulant de pue, s’ancrent dans ceux d’Archie dont la respiration se coupe. Tétanisé, il reste immobile. Ses jambes sont devenues de la pierre. Même quand l’étrange créature se met à marcher lentement en sa direction, il ne bouge pas.  

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« Peu importe ce que c’est… Ça n’arrive pas à sortir… » Sortir ? Ca suffit, Jonah retourna rapidement dans la tente pour récupérer ses lunettes et sa lampe torche, et enfin voir nettement ce dont parlait Archillétré. A tous les coups, il se payait royalement sa tête. Lorsqu’il émergea, ses épais binocles sur le nez, une silhouette émergeait de la forêt. « David ! - Ew. » Effet instantané sur le Fletcher de la vue d’un autre idiot de la bande de Kwanteigne. Un mélange de dégoût et de ras-le-bol. Sauf qu’à y voir de plus près, ce n'était pas vraiment David. Ca ne faisait que lui ressembler. Une caricature difforme et monstrueuse de qui il avait été.

La terreur gelait les entrailles de Jonah alors qu’il réalisait le danger. La créature avançait lentement vers Archie. Dans une seconde suspendue dans le temps, la situation s'éclaircissait dans le cerveau de l’adolescent. La version purulente de David, les grognements qui s’élevaient dans le camp, les griffes qui trépanaient les toiles de tente. “C’EST UN ZOMBIE KWANTEEN ! Casse-toi de là !” qu’il hurla à l’intention de son camarade de classe. Parce qu’il avait beau le haïr viscéralement, il ne saurait pas le laisser finir en encas de minuit pour mort-vivant.

Le déchirement d’un textile résonna jusqu’à ses oreilles et, s’extirpant de la tente à sa gauche, une main grise se saisit de la cheville osseuse de Jonah. “AAAAAAAH !!” couina-t-il du fin fond de ses poumons tandis qu’il secouait vigoureusement sa jambe. C’était un cauchemar, une illusion, un rêve issu d’une indigestion de Pom’pote pas fraîche. Puis, avec un hurlement terrifiant, la créature qui fut autrefois David se jeta sur Archie. La peur déchaîna enfin une réaction chez Jonah, qui réussit à se libérer de son immobilisation. Après quelques coups de pieds dans le coude du zombie qui le tenait, il arracha l’avant-bras comme un os de poulet cuit. Dans l’impulsion née de l’adrénaline, il se rua en hurlant vers David et lui asséna un coup en utilisant le membre comme une véritable batte de cricket. Il avait toujours été bon au cricket. Plus qu’au football.

“C’EST UN ZOMBIE KWANTEEN ! Casse-toi de là !” Figé. Complètement figé. Ses yeux n’arrivent pas à croire ce qu’ils voient. Les monstres n’existent pas. La réalité est loin des contes de fée. Derrière cette façade pourrie et pustuleuse, il cherche toujours la chair de son ami. Aussi, il attend de se réveiller, puisque son cerveau n’arrive tout simplement pas à accepter que cette vision est réelle. Il pourrait se pincer pour accélérer le processus mais plus le soi-disant zombie approche de lui, plus ses os se pétrifient. Dans le noir des pupilles de David, il se perd, et les sons autour de lui sont étouffés par un filtre opaque qui enveloppe tous ses sens. Même le cri de Flétan ne le sort pas de sa transe. C’est son cauchemar à lui ; Archie doit déjà s’occuper du sien.

Quoique, il ne sait visiblement pas comment s’y prendre parce qu’il reprend conscience seulement quand les restes de David se jettent sur lui en défonçant ses tympans d’un grognement immonde. « PUTAIN DE MERDE DE FILS DE PUTE ! » Enfin, le revoilà, bien vivant et alarmé, son naturel vocabulaire ayant repris les rênes, tandis qu’il se fait surplomber par le zombie dont les dents jaunies s’approchent dangereusement de son visage. Archie a toujours eu une forte musculature, et l’adrénaline qui est pompée en masse dans son cerveau lui permet de rejeter le corps pesant du monstre. C’est cependant un coup bien porté par Jonah qui le sauve de son emprise, et aussitôt libéré il se relève sur ses jambes, ne prend même pas la peine de regarder son partenaire de circonstance avant de fuir en courant vers la forêt, ayant complètement oublié de récupérer sa lampe torche. Oui, c’est un lâche. Il n’y a personne d’assez important à son cœur pour qu’il affronte le danger. C’est lui avant tout. Protégez le roi.

Mais, bientôt coincé dans la noirceur, il trébuche sur une racine et s’ouvre le genou sur un rocher pointu. « FLETCHER ! » Qu’il s’époumone maintenant qu’il a besoin de lui. « T’ES OÙ MERDE ! » Comme si c’était pas sa faute s’ils avaient été séparés.    

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La panique régnait en maître, et Jonah se retrouva entraîné dans cette folle course pour sauver sa vie. Archie ne l’avait pas attendu pour prendre ses jambes à son cou et c’était tout à son honneur. Ses jambes le portaient aussi vite qu'elles le pouvaient, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Il mettait de la distance entre lui et les grognements, s’empêchant de songer que, malheureusement, c'étaient ses camarades de classe qu’il fuyait. La forêt semblait soudain immense et oppressante, les arbres se refermant sur lui comme les troncs morts qui persécutaient Blanche Neige. Jonah ne savait pas où il allait, tant qu'il s'éloignait vite et bien. Il trébuchait, se relevait, trébuchait à nouveau, mais il ne s'arrêtait pas. Sa seule pensée était de rester en vie. Des zombies. C'étaient des zombies, putain.

Finalement, après ce qui parut être une éternité, Jonah finit par émerger de la forêt. Il était couvert de boue, de feuilles et de coupures, mais il était vivant. Il s'effondra à genoux sur le sol, la respiration saccadée, les yeux écarquillés par l'horreur de ce qu'il venait de vivre. Son regard scruta les alentours avec panique. Archignoble devrait déjà être là. Il était parti devant. Il était plus athlétique. L’adolescent jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, essoufflé. "Bon sang, Kwanteen, t'es où ?" marmonna-t-il à lui-même. Sans doute mort, dévoré, et ressuscité.

Un cri s’élève à quelques mètres, pas si loin. À contrecœur, mais sans hésiter, Jonah retourna dans le bois. Il était aussi nyctalope qu’il avait 20/20 à chaque œil : pas du tout. Dans la végétation, tout était sombre. Seul sa lampe torche éclairait ses pas hasardeux. « FLETCHER ! T’ES OÙ MERDE ! - MAIS T’AS PAS BIENTÔT FINI DE GUEULER COMME UN VEAU À L'ABATTOIR ? » Accélérant le pas, Jonah arriva à proximité d’Archie. Sans prendre de pincettes, il le releva à bout de bras spaghettis. "On doit trouver un endroit où se planquer !" suggéra Jonah entre deux respirations haletantes. Un nouveau grognement, cette fois beaucoup plus proche, rampa dans l’air nocturne. Ils réalisèrent que le zombie était toujours à leurs trousses.

Il va mourir. Il va mourir.

JE VAIS MOURIR !

Le cerveau d’Archie ne fonctionne plus correctement. Son instinct de survie s’est mis en marche pour la première fois de sa vie. Il ne réfléchit plus, ses jambes prennent des décisions à la place de sa raison et le résultat est catastrophique : il trébuche dans une racine qu’il n’a pas pu voir et son genou s’ouvre contre un rocher, envoyant couler d’épais tracés de sang sur la terre. Il ne sent pas la douleur tant ses sens sont occupés ailleurs. Avec frénésie, il sonde la forêt autour de lui, n’y voit rien de plus qu’une toile lugubre et mystérieuse. Et ainsi se terminera la vie du cuistre vaniteux. Le ronronnement des monstres s’approche dangereusement et il ne peut pas distinguer leur silhouette de celle des arbres et buissons.

- MAIS T’AS PAS BIENTÔT FINI DE GUEULER COMME UN VEAU À L'ABATTOIR ? » Il ne s’était même pas rendu compte qu’il hurlait comme un bambin en manque de lait. Son corps entier avait pris les rênes et il subissait chaque décision irréfléchie. « JE SUIS ICI ! » Qu’il gueule par réflexe, non sans baisser le ton, car il a besoin de se faire entendre. Il doit se faire entendre, ou ce sera la fin. Incapable de se relever seul, il a comprimé sa paume contre sa blessure pour interrompre le flux de sang. Il aurait honte de savoir qu’il pleure, mais il ne le réalise pas, ça non plus. Comme un coup de grâce, il aperçoit enfin Jonah et sa seule présence a le mérite d’apaiser son angoisse. Il se remettra à le détester plus tard, quand ils s’en seront sortis vivants. Dans un gémissement plaintif, il arrive à se relever grâce au soutien du garçon. « Vite vite vite. » "On doit trouver un endroit où se planquer !" « NON TU CROIS ? » Il peut à nouveau faire preuve d’ironie. Il est revenu.

Puis il se souvient la grotte. Un pari dangereux, mais il ne trouve pas meilleure solution pour l’instant. « J’ai trouvé une sorte de caverne tantôt. » C’est à prendre ou à laisser. « Vers là-bas, je crois, à quelques minutes de marche. » S’il était dans son état normal, il aurait profité de sa proximité avec Limace pour lui dire qu’il sent la porcherie mais il l’insultera plus tard.

@Archie Kwanteen

“Hé ta Majesté, si t’es si malin, j’te laisse te démerder tout seul !” Non, il ne le ferait pas, il n’en serait pas capable. De même qu'il n'avait pas la bassesse dans le sang pour lui souligner les sillons humides sur ses joues, il n'avait rien à gagner à faire le sycophante de service. Ce n’était pas dans son caractère, pas d’exception faite pour Archinutile. Pourtant, alors qu’il l’aidait à se déplacer dans l’oppressante forêt, Jonah réalisa à quel point son camarade le ralentissait. Peut-être qu’ils allaient crever ensemble, est-ce que c’était tellement plus malin que de sauver sa propre peau et obtenir un 50% de survie sur leur duo ? Il ne le saurait jamais. « J’ai trouvé une sorte de caverne tantôt. Vers là-bas, je crois, à quelques minutes de marche. » Est-ce qu’ils avaient quelques minutes devant eux avant d’être rattrapés par les créatures ? Des minutes allongées par le clopinement d’Archippopotame -qu’est-ce qu’il pesait lourd, bon sang. Les bouffeurs de cervelle n'étaient pas bien rapides. C’était donc le pari qu’ils risquaient.

Les adolescents se hâtèrent vers la caverne, guidés par les vagues indications d'Archie, s'enfonçant plus profondément dans la jungle obscure. Les sons des monstres se rapprochaient, mêlés aux bruits déjà habituellement inquiétants de la faune nocturne, et le Fletcher essayait de ne pas paniquer. Garder la tête froide. Leurs pas étaient rapides, leurs cœurs battant la chamade. Chaque bruit leur faisait dresser les oreilles, craignant qu’une créature ne les prenne en embuscade à tout moment.

Finalement, ils arrivèrent à la grotte. C'était sombre et humide, mais au moins ils étaient à l'abri des monstres pour le moment. Ou l’étaient-ils vraiment ? "On devrait essayer de bloquer l'entrée avec des branches ou des pierres", suggéra Jonah, cherchant des moyens de se protéger davantage. Il n’était pas certain de vouloir rester coincé dans cette grotte avec Kwantâche pendant des heures, cela risquait de se finir en tuerie avant la fin de la nuit, mais ils n’avaient pas le choix.

“Hé ta Majesté, si t’es si malin, j’te laisse te démerder tout seul !” Il se retrouverait bien bête à devoir survivre seul, Archie, maintenant qu’une de ses jambes a décidé de quitter la partie. S’il n’a pas l’intention d’implorer Jonabot, il a conscience que ce n’est pas l’heure de lui glisser une énième insulte, bien que ce ne soit pas l’envie qui lui manque. C’est aussi exigeant pour lui de traverser la forêt à un pied que de s’empêcher de râler. Heureusement il occupe son cerveau en orientant sa béquille et il est à l’affut de la moindre branche, buisson, pierre, qu’il aurait croisé en rentrant de son exploration nocturne une quinzaine de minutes plus tôt. Bingo ! Une liasse formant une arche traversant de part et d’autres deux arbres lui indiquent la voie à prendre. « C’est à gauche ! » Qu’il s’exclame sur un ton victorieux, montrant qu’ils arriveront dans quelques instants à peine et qu’ils survivront peut-être à cette mésaventure. « Allez, plus vite ! » Il geint enfin, retrouvant son esprit de compétition maintenant qu’il est certain de savoir où il est. Limace était vraiment le meilleur surnom à lui donner, à celui-là, entre la lenteur et la bave.

Enfin enveloppé d’un semblant de sécurité, Archie se permet enfin de respirer convenablement. Il semble avoir oublié de le faire trop longtemps, sa tête tourne, ses membres sont engourdis. Sa gorge lui brûle mais cette douleur n’est pas comparable à celle qui pulse de son genou ensanglanté. "On devrait essayer de bloquer l'entrée avec des branches ou des pierres" Archie est occupé à autre chose. Il a retiré son t-shirt pour faire un garrot de fortune autour de la plaie saillante. Il espère ne pas tomber dans les vapes parce que ce serait la fin. « Vas-y si t’en as envie, moi j’me vide de mon sang ici, alors excuse-moi de faire passer ça en priorité. » Même dans une situation de survie, il est le plus important. Lâchant un couinement de panique, il relève la tête pour poser l’arrière de son crâne contre la paroi rocheuse glaciale. « On va mourir on va mourir on va mourir on va mourir. » Il tente de réguler sa respiration mais c’est en vain. La crise de panique s’est bel et bien enclenchée. Il n’arrive tout simplement plus à penser.        

@Archie Kwanteen

La silhouette sombre de l'ouverture de la grotte se profilait devant eux, comme une promesse d'un peu de répit dans cette aventure cauchemardesque. Pour Jonah, la marche à suivre était claire : se barricader autant que possible à base de système D. S’ils avaient de la chance, les zombies ne chercheraient même pas plus loin que leur palissade improvisée. S’ils n’étaient pas assez rapides, cela leur laisserait juste assez de temps pour s’enfoncer plus profondément dans la grotte à la recherche d’une autre sortie pendant que les créatures s’efforceraient d’en forcer l’entrée. « Vas-y si t’en as envie, moi j’me vide de mon sang ici, alors excuse-moi de faire passer ça en priorité. » L'attitude d'Archie prit un tournant dramatique, ce qui n'étonna guère Jonah. Pourquoi se rendre utile quand on peut être la drama queen de service ? « On va mourir on va mourir on va mourir on va mourir. » Les mots défaitistes, fatalistes, frappaient à ses oreilles comme des blatiers à sa porte. Le Fletcher, en plein travail pour leur survie, se retourna rapidement, ses yeux exprimant à la fois l'agacement et la préoccupation. "Ta gueule. Calme-toi, Archouineur," déclara-t-il d'une voix ferme, s'approchant de lui. "Respire, bordel. On a survécu jusqu'ici, on va continuer à survivre. Mais on va finir en chair à pâté si tu perds les pédales, et si on crève par ta faute, j’vais te botter le cul dans l’au-dela pour l’éternité."  Ils étaient dans une situation difficile, mais il était hors de question de céder à la panique. Vite, l’adolescent se remémora tout ce qu’il savait sur les zombies avec pour seule expérience un trop grand nombre d’heures devant des films d’horreur. Puisqu’Archie n’allait pas se bouger pour l’aider, il fallait opter pour le plan B : se camoufler et prier. Jonah prit de la terre dans ses mains et en étala sans cérémonie sur les joues de Kwantartanpion ainsi que sur son propre visage.

Ils vont mourir, ils vont mourir, ils vont mourir.

Ce n’est même pas Archie qui le pense, ce sont tous les scientifiques qui ont fait des statistiques et qui sont tous tombés sur la conclusion suivante :

Ils vont mourir.

Et ce ne sera pas une belle et honorable mort, aussi parce que de devenir un morceau de chair en putréfaction n’est digne d’aucun roi, aussi parce que le roi en question couine, pleure, bave, postillonne et cherche de l’aide vers le ciel. Son corps sera trop tôt remis au seigneur pas parce qu'il le veut, mais parce que le droit mortaille en veut ainsi (mon dieu c'est nul mais ptn ce mot ????). Ses prières se font murmurées contrairement à ses plaintes défaitistes. "Ta gueule. Calme-toi, Archouineur," Les mots solides et austères de face de rat myope n’ont pas l’effet escompté sur leur destinataire. « NAH ! » Il se défend tel l’enfant à qui on essaye de voler quelques friandises. Son cerveau a peut-être déjà été touché par le virus qui a transformé leur groupe en morts-vivants. "Respire, bordel. On a survécu jusqu'ici, on va continuer à survivre. Mais on va finir en chair à pâté si tu perds les pédales, et si on crève par ta faute, j’vais te botter le cul dans l’au-dela pour l’éternité." Ce ne sont pas ses propos rassurants qui arrivent à faire ralentir son rythme cardiaque, c’est l’idée de passer l’éternité avec Jonah dans le cul. Il le fixe avec de gros yeux ronds et terrifiés, cessant enfin de ruminer. D’un œil silencieux il l’observe tandis qu’il s’attèle à récupérer un peu de terre humide, son sourcil relevé en interrogation. Il reste immobile quand les doigts de Fletpascherdutout lui noircit les joues. Il le fixe toujours autant, deux questions lui planant au-dessus de la tête. La première : pourquoi lui a-t-il couvert le visage en priorité alors qu’il le déteste ? La seconde : « Comment tu sais tout ça ? » Il se corrige : « Comment tu sais que ce sont des zombies, et comment tu sais qu’il faut se tartiner le visage de terre ? » Pourquoi Archie, lui, a perdu toutes ses capacités cérébrales alors que l’autre arrive à agir comme si ce n’était pas la première fois qu’il se faisait chasser par une horde de monstres ? Il est encore plus bizarre qu’il ne l’aurait pensé mais cette réflexion ne lui inspire pas davantage d’insultes.