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@Cristina Weatherton ☆ crédit/keetika

Tout s’était enchaîné trop vite pour qu’Evie ne remporte le droit d’émettre la moindre protestation. L’habitude de gérer des imprévus l’avait rendue réactive à la moindre variation des aiguilles d’un cadran quelconque, son perpétuel besoin de contrôler ce qui se passait autour d’elle affinant sa sensibilité en la matière. Foncièrement, quelque part entre son envie de faire une pause, mal à l’aise dans les bureaux de La Fondation, et de profiter d’un moment avec une amie, elle était dérangée par la succession des événements qui les avaient menées à prendre la route toutes les deux, Cristina et elle. Mais à la vitesse d’un éclair marbrant le ciel, elle s’y était acclimatée avec l’élégance qui était la sienne pour suivre les pas de la jeune femme qu’elle regarda, d’un oeil fasciné, mener cet imprévu avec un flegme qu’elle lui enviait sûrement un peu en secret.

Elles déjeuneraient plus tard, c’était ce qu’elle lui avait dit quand elles avaient quitté leur restaurant de prédilection pour prendre une voiture qui ne s’était pas arrêtée avant d’atteindre le point de chute ultime de la péripétie qui avait été mise sur le chemin de la jeune femme. Elle s’était figurée de l’endroit où elles étaient arrivées, constata qu’elles n’étaient plus à Brisbane, et chaussa ses lunettes de soleil pour accueillir l’éclat mirobolant du soleil de la Sunshine Coast. C’était intrigant, cette manière qu’elle avait de gérer les choses de front sans se départir de sa grâce. Evelyn était persuadée d’avoir beaucoup à apprendre d’elle, et c’était d’autant plus le cas que l’échéance du temps de réflexion dont elle avait eu besoin concernant la MHI arrivait à grands pas. Elle comptait accepter la tache qu’on cherchait tant à lui confier, le suspens n’était pas si entier que ça, mais la vérité c’était que si elle s’était abreuvé de tous les conseils qu’on lui avait donné, tous plus ou moins bons selon la source, elle n’était pas certaine d’être la plus à même de faire remonter l’entreprise à la surface. Il lui semblait que tout ça était une marée de soucis dont elle ne savait pas bien quoi faire finalement, la réputation de Saul Williams l’effrayant plus qu’elle ne l’impressionnait. Elle devrait essuyer ses manquements, expliquer ses délits, promettre des changements sur la durée, et tourner la page d’un règne fait sous le prisme de la terreur, fait qui marquerait un tournant décisif dans l’éthique de l’entreprise qui jouerait ainsi d’une image toute neuve. C’était stimulant de songer à l’éventualité qu’on la convoitait et qu’on ferait tout ce qu’on pourrait pour la faire accepter le poste, lui donnant ainsi l’impression d’être le salut d’une cause chère au coeur d’un groupe de personnes. Toutefois, elle n’aimait pas assez l’attention pour vouloir qu’on la courtise de cette manière ; elle avouait tout de même que c’était agréable de sentir l’anticipation autour de soi. Elle ne venait pas uniquement du clan Pearson, c’était un tout qui la rendait soudainement digne d’un intérêt qu’elle méritait amplement en dehors des scandales et des rumeurs. Elle avait toujours été importante Evelyn, il suffisait de la regarder pour le savoir, mais en prenant la tête de la MHI, elle le deviendrait davantage. Alors apprendre de Cristina, elle qui avait le pouvoir, dans le premier sens du terme, dans le sang, c’était une aubaine qu’elle ne boudait pas. Ça l’excitait d’une curieuse façon d’être présente lorsqu’elle traita avec des acquéreurs qui avaient quémandés sa présence, arguant, selon ce qu’elle avait compris de la conversation qu’elle avait eu tout à l’heure, que la présence d’un membre des Kearns se devait d’être présent pour finaliser un deal aussi important. La réaction de Cristina avait été immédiate, et bien qu’Evie n’avait jamais douté de sa capacité à démontrer qu’elle valait la confiance que sa famille avait placé en elle, elle avait la preuve en direct que sa beauté n’avait d’égal que son talent pour les affaires.

"Très impressionnant." souffla-t-elle à la jeune femme quand la porte vitrée du bureau qu’elles avaient rejoint après être descendues de voiture se ferma derrière les acquéreurs en question. Les mains jointes devant elle, la tête inclinée sur le côté, elle accorda à son amie un sourire bienveillant qui reflétait là toute la solidarité qu’elle avait toujours eu pour ses comparses. Malgré les failles de son éducation, elle avait grandi dans l’idée que c’était important de se soutenir entre femmes. Cristina ne mangeait pas de ce pain-là, Evelyn le savait tout aussi bien qu’elles n’étaient pas faite du même matériau. Ça ne changeait pas les faits : elles étaient proches depuis des années, elles se soutenaient malgré leur façon différente d’envisager la sororité, et c’était encore tout ce qu’il y avait d’important à retenir. Du reste, elles s’étaient apprivoisées, et c’était tout ce qui comptait.
Toupillant doucement sur ses talons, la tête toujours vrillée sur son épaule, elle lui demanda avec curiosité, la prévenant avant toute chose, ses mains se levant pour repousser une éventuelle attaque — qui ne viendrait jamais, mais elle parlait avec les mains, Evelyn "Ne me juge pas de te poser la question, d’accord ? Garde à l’esprit que je suis une novice dans le monde des affaires au sens large du terme, tu veux bien ?" Une novice, pas vraiment à dire vrai. Evelyn avait été sa propre patronne, elle connaissait la marche à suivre de ce genre de deal, quand bien même elle n’avait pas eu à traiter avec autant d’argent au cours de sa carrière — son nom en revanche, il n’était pas synonyme de pauvreté, grand bien lui faisait de prétendre le contraire pour se donner bonne conscience. S’assurant que Cristina ne veuille la fustiger d’être aussi naïve avec un léger regard rieur, un sourire suivant juste après, elle se lança en s’installant au bout de la grande table en acajou qui supportait les reliefs d’une négociation polie sur la forme, musclée sur le fond "Comment va se dérouler la suite des événements ? Ton rôle s’arrête ici, ou tu es susceptible de les revoir à nouveau ?"

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Sunshine Coast, Queensland.
Cristina Weatherton & @Evelyn Pearson

« Gardez à l’esprit que ce ne sont que des énoncés prévisionnels et que nous sommes disposés à en éclaircir les termes si quelque chose vous interpelle. » Éclaircir, pas discuter ; encore moins réviser, cela allait sans dire. Les mains croisées sur la table, Cristina maintenait sa posture, la voix grave, timbrée, de celle ayant l’habitude de parler pour convaincre. Choisissant avec précision chacun des mots employés, elle ne se privait pas non plus de jouer habilement avec les silences pour imposer son rythme. L’homme lui faisant face n’avait plus rien d’un néophyte, elle l’avait compris dès les prémisses de leur face à face imprévu. Les détails de l’accord en question, elle les connaissait sur le bout des doigts et n’avait pas eu besoin de s’y replonger davantage avant de pénétrer dans l’arène. Le trajet jusqu’au lieu de rendez-vous avait néanmoins été le bienvenu et elle s’était employée, en ligne avec le collaborateur maintenant à ses côtés, à s’imprégner de ce qui lui serait réellement nécessaire pour couper court aux tergiversations de dernières minutes du cédant lui faisant face : que désirait-il réellement ? La revalorisation de leur offre était à exclure, tous en étaient conscients. Et lorsque ça n’était pas l’aspect financier qui était en jeu, la négociation avait alors cette tendance à prendre un cours nettement plus subtil et complexe, ressemblant soudainement davantage à un exercice de diplomatie qu’à une épreuve de force où un nombre plus élevé suffisait bien souvent par l’emporter. « L’idée n’est pas de dénaturer l’identité de votre enseigne, elle en perdrait tout son intérêt. » C’était consciente des cartes qu’elle avait à jouer que Cristina avait donc déployé son argumentaire au cours des dernières minutes, entérinant les doutes des uns par des démonstrations factuelles et chiffrées, ménageant les ego des autres en faisant mine de leur révéler des informations dont ils seraient les seuls privilégiés, finissant enfin par instiller ici et là la légèreté nécessaire à la création d’un climat propice au consensus – à ce qui devrait paraître comme un consensus tout du moins, lorsqu’il demeurait évident qu’aucune ligne de l’accord initial n’allait changer ; elle s’était déplacée néanmoins et sa présence à cette table devrait suffire à brosser le poil de ceux qu’elle et son entreprise s’apprêtaient à absorber.

« C’est rassurant d’en avoir la confirmation – de votre bouche, j’entends. » Les sourires passèrent sur toutes les lèvres tel un coup de vent, tous policés, tous clairvoyants également quant au sous-entendu à peine voilé venant du bientôt-ex-propriétaire des lieux. Elle lui accordait ça, Cristina, bonne joueuse puisque de toute façon certaine de l’emporter à la fin – il n’y avait bien qu’à ces occasions qu’elle se révélait l’être en réalité. Il avait sommé, menaçant de revenir sur l’acquisition si l’un des dirigeants ne prenait pas la peine de se déplacer en personne et il avait eu Cristina, elle-même. Était-il temps de passer à autre chose à présent ? « Et nous ne disons pas non à être maintenus dans la boucle, nous avons évidemment pas mal de concepts que nous jugeons plus qu’intéressant de conserver. » Mais pas au point d’avoir su résister aux promesses d'une telle offre, hm ? Pour ce qu’elle en avait à faire en réalité, de l’hypocrisie planquée derrière la posture de l’homme d’affaires. Pas grand-chose, elle en avait l’habitude de ceux-là et du prétendu attachement qu’ils avaient tous pour leur entreprise ; ce dernier s’amenuisait toujours lorsque les zéros commençaient à s’aligner. Ses phalanges repliées, Cristina tapa deux fois sur la table puis recula sa chaise, marquant enfin la fin de l’entrevue. « On rédigera ça en consultation avec votre équipe dorénavant. Rahim reste votre contact, il a hâte de poursuivre avec vous. » Tous s’étant levés de concert, Rahim, à ses côtés, inclina sobrement la tête comme pour réaffirmer la position qui était la sienne et qui aurait dû le rester. L’affront d’avoir eu à appeler Cristina à la rescousse lui restait encore au travers de la gorge, il y avait de quoi – sa poker face était pourtant digne des plus grands, songea-t-elle alors qu’il se contentait de lisser sobrement sa cravate. « Quand nous y mettons-nous ? » « On vient de le faire, non ? » De nouveau, les sourires se répondirent au-dessus de la poignée de main échangée et, lisant entre les lignes, Rahim se dirigea vers la porte qu’il leur ouvrit en grand. « Suivez-moi, je vais vous présenter au reste de l’équipe. »

« Très impressionnant. » Elle s’était tournée en direction d’Evelyn, un sourcil arqué en sa direction comme pour l’inciter à envoyer sa première salve de commentaires ; elle en avait sûrement et contrairement à ceux des autres, Cristina se montrait toute disposée à les entendre. Les deux femmes étaient aussi différentes qu’elles n’avaient su devenir complémentaires au fil des années et d’abord persuadée qu’elles partageaient toutes deux une échelle de valeurs trop éloignée l’une de l’autre, Cristina avait ensuite su admettre que c’était sans doute dans le terreau de ces divergences que l’étendue de leur complicité était finalement vouée à s’épanouir. Ça l’intéressait de recueillir les premières impressions d’Evelyn, ça l’intriguerait d’autant plus de savoir ce qu’elle aurait su faire différemment. Mais elle était spontanément solidaire, Evelyn, et ça ne surprenait pas Cristina que le premier mot glissé à son encontre soit une approbation aussi affirmée ; elle lui en était reconnaissante par ailleurs lorsqu’elle aurait eu tous les droits finalement d’enfin laisser parler son agacement d’avoir été entraînée dans tout ça. « Ne me juge pas de te poser la question, d’accord ? Garde à l’esprit que je suis une novice dans le monde des affaires au sens large du terme, tu veux bien ? » Les lèvres rouges de Cristina laissèrent échapper un rire, l’un de ceux qu’elle éparpillait un peu partout, comme s’il s’agissait d’une ponctuation et elle se redressa, après avoir fini de rassembler les quelques affaires disséminées lors du rendez-vous. « T’es loin d’être ce que tu prétends, Evelyn. Ils étaient prêts à te manger dans la main dès les premières minutes, t’y peux rien, c’est ton aura. » Les fins bracelets autour de son poignet tintèrent discrètement alors que, illustrant son propos de ses mains, elle agita ces dernières d’un air un peu mystique pour englober la silhouette d’Evelyn. Elle plaisantait, Cristina, mais n’en pensait pas moins ou elle n’aurait jamais pris le risque de la vouloir à ses côtés aujourd’hui - amie ou non, ça ne changeait pas grand-chose. Il y avait, chez Evelyn, cette présence tranquille et assurée que Cristina avait toujours su estimer à sa juste valeur et rien dans son parcours ne permettait de crier à la candeur de débutant. « Mais soit, c’est ta stratégie de prétendre le contraire et je respecte ça, j’accepte de marcher, vas-y. » Se servant de ces deux mains pour cette fois-ci dégager l’épais rideau de cheveux par-delà ses épaules, elle cessa ensuite de les mouvoir pour les joindre devant elle, inclinant légèrement son menton et ancrant son regard, brillant, dans le sien pour affirmer ses mots.

« Comment va se dérouler la suite des événements ? Ton rôle s’arrête ici, ou tu es susceptible de les revoir à nouveau ? » « Sauf s’ils trouvent une nouvelle excuse pour menacer de capoter le deal, ça ne sera pas nécessaire – ils t’ont paru susceptibles à toi aussi ou c’est simplement ma patience qui s’entame plus vite que la tienne ? » L’interrogation était purement rhétorique, bien évidemment : ils l’étaient, plein d’ego, mais Cristina aussi avait de quoi se défendre en la matière ; quant à leur patience respective, était-il vraiment nécessaire de développer davantage ? « Si c’était le cas, l’entretien en question serait nettement moins cordial que celui-ci et pas d'inquiétude, je te laisserai en dehors de ça cette fois-ci. » Ça n’était que la certitude que l’affaire serait rapidement entendue qui avait poussé Cristina à ne pas reporter leur déjeuner, lui suggérant à la place de simplement le déplacer ailleurs. « Rahim est à la tête de la marque que cet établissement intègrera, il mène à bien les négociations tout en me consultant, jusqu'à la signature finale. » À ces mots justement, la tête de Rahim passa dans l’entrebâillement de la porte pour leur signifier que tout était réglé et Cristina poursuivit, l'air de rien : « De toi à moi, quand je suis obligée de me déplacer, c’est qu’il n’a pas fait son boulot correctement mais passons, il doit suffisamment être mal à l’aise comme ça. » L’incrimination était délibérée et aucunement destinée à passer inaperçue, sans surprise. Il avait sa confiance, Rahim, mais Cristina étant Cristina, elle tenait néanmoins à appuyer l’agacement relatif qui l’avait parcourue en étant convoquée de la sorte. « D’autant plus que le cadre aide, non ? » Le resort dans lequel elles se trouvaient avait vue sur Golden Beach et Cristina jeta un œil à l’heure de son téléphone avant de proposer : « Tu as toujours envie de déjeuner ? Tu l’as entendu, il y a une table qui nous attend et tu pourrais en voir plus en chemin, ça me plairait d’avoir ton opinion. »

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"Cristina." Le prénom était prononcé avec le ton d’un professeur déçu, celui qui s’apprêtait à faire un sermon à son élève le plus brillant venant d’échouer à un test important quand évidemment, son intention ne pouvait pas être plus éloignée de ça. Jamais elle ne se permettrait de sermonner qui que ce soit, et surtout pas Cristina. Mais malicieuse, plus que moralisatrice, elle reprit sur sa lancée "Tu es la mieux placée pour savoir que la flatterie ne fonctionne pas avec moi. C’est agréable, mais ce n’est que ça." Alors les compliments de ce genre, non merci. Elles n’étaient pas faites pareilles, un fait immuable qui ne semblait pas les déranger, mais elles venaient du même monde : celui de l’éloge facile, fait en fonction du poids du compte en banque qui allait de pair avec le nom qu’elles portaient. Parce qu’elles étaient des femmes, on pensait que les complimenter était la seule méthode efficace pour les faire adhérer à quelque chose, quand en vérité elle ne faisait qu’asseoir la différence notoire qu’on leur imposait. Personne n’aurait idée de complimenter un homme en costume trois pièces au beau milieu d’une salle de réunion remplie de ses pairs, n’est-ce pas ? La tête penchée, Evelyn garda son regard posé sur Cristina, et l’air vaguement sévère qu’elle lui offrait à ce moment-là, il se craquela doucement pour laisser place à un rire qui fila, suivant ses mots auquel elle ne répondit pas, préférant procéder au reste de son discours qu’elle ponctua d’une question à laquelle Cristina ne tarda pas à donner la réplique.

Sans le vouloir vraiment, Evelyn se rassit à la table de réunion. Elle dégagea ses épaules de ses longs cheveux bruns, passa brièvement sa langue sur ses lèvres, et la pointe de son menton termina par trouver l’arrondi de sa paume qu’elle laissa ouverte, captivée par les mots de la jeune femme. Elle aimait apprendre des femmes dans son genre, qui avaient une force de caractère assez robuste pour s’imposer avec puissance, sans pour autant déroger à la délicatesse qui lui était innée. Une main de fer dans un gant de velours, cette expression ne pouvait qu’avoir été écrite en pensant à Cristina. Ça lui venait peut-être de Celie, d’être autant portée sur ce rapport particulier qu’il y avait forcément entre les femmes. Pas peut-être en vérité, c’était une certitude qui n’était pas simple à caresser, d’avoir tiré un apprentissage, une tolérance, aussi marquée grâce à l’éducation d’une mère qui ne l’avait pas épargnée, mais sa volonté d’imposer la destinée de sa famille à ceux qui la croyaient perdue à la mort de Kai, ça avait indéniablement forgé la femme qu’elle était devenue aujourd’hui, Evie. Son rapport avec son clan était compliqué, mais elle leur devait des valeurs saines ; et d’autres qui l’étaient moins, et c’était à ça qu’elle avait voulu échapper en quittant l’Australie il y avait déjà quelques années. Attentive à Cristina, elle fronça subtilement les sourcils, faisant mine de réfléchir à la question qu’elle lui posa en retour "Ils m’ont paru convaincus de pouvoir te faire changer d’avis à la seconde où tu as passé la porte." Typique, seulement elle se retint de le dire "Mais à part ça, ce sont des hommes, Cristina. Bien sûr qu'ils sont susceptibles." Elle haussa les épaules, l’évidence voilant son visage qu’elle redressa pour faire avec une moue dubitative "Je ne verrais aucun inconvénient à t’accompagner dans toutes tes négociations de ce type." Sincèrement, elle avait besoin de se rendre compte de comment évoluait une femme dans ce genre de sphère sans être guidée par quelqu’un qui lui reprocherait son ignorance et sa naïveté ; en d’autres termes, sans que ce ne soit sa mère, ou ses soeurs., qui réussiraient à la faire se sentir de trop, c’était à redouter. Ce n’était pas son petit entreprenariat qui lui permettrait vraiment de prouver de quoi elle était capable, si elle acceptait le poste à la MHI, et elle en était consciente, alors pourquoi pas après tout ? Pinçant les lèvres tout en rassemblant ses genoux sous la table, elle continua "J’ai toujours rêvé de trouver une mentore, et ça ne te surprendra pas si je te dis que c’est le moment pour moi de faire passer des sélections." Cristina n’avait pas vraiment de concurrente à dire vrai, ce serait facile pour elle de remporter le titre. Elle lui sourit, opinant doucement lorsqu’elle souligna le rôle de son collaborateur à ses côtés, mais pas seulement ; elle s’arrêta sur ses manquements. Evelyn se laissa élégamment pencher en arrière, son dos trouvant doucement la courbe de sa chaise qui grinça à peine sous la délicatesse de son geste "Tu vas vraiment laisser passer ?" Elle en doutait, le demi-sourire qu’elle lui adressait en étant l’aveu concret. Elle n’était clairement pas de ce genre là, à transgresser la ligne de travail de son équipe pour préserver les sentiments de ses collaborateurs, Cristina. Evelyn ne connaissait pas personnellement Rahim, mais elle s’inquiéta succinctement pour lui, pour ce que ça impliquait de faire des erreurs lorsqu’on avait Cristina Weatherton comme collaboratrice. Sa tête suivant le ligne de l’horizon qu’elle voyait s’étaler au travers des grandes baies vitrées qui bordaient l’ensemble de la pièce, Evie hocha la tête au paroles de la jeune femme, et apposa un assentiment distrait juste après "Je suppose que ça aide à relativiser, oui." Elle perdit un instant son regard au loin, tourna la tête vers la jeune femme pour réagir d’abord avec ses traits à sa demande. Les sourcils haussés, déjà prête à se lever, elle le fit juste une seconde après "Une promesse de visite guidée et de déjeuner juste après, qui suis-je pour refuser ?"

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« Cristina. » Ça l’avait toujours amusée d’entendre Evelyn user de cette intonation à son encontre. Des deux, elle était bien la seule à pouvoir se positionner ainsi, même pour plaisanter. « Tu es la mieux placée pour savoir que la flatterie ne fonctionne pas avec moi. C’est agréable, mais ce n’est que ça. » C’était un avis qu’elle entendait bien entendu, et dont elle concevait les origines. Évidemment qu’elles avaient eu à tenir tête au même genre d’individus toutes les deux, et aux schémas allant de pair avec. Mais ça n’était pas une surprise, les expériences similaires n’avaient pas provoqué chez les deux femmes le même genre de réactions et secouant légèrement la tête, l’œillade que Cristina lança à Evelyn prépara sans doute le terrain à ce qui allait suivre. « Une flatterie acceptée aujourd’hui peut aisément être transformée en atout dès demain. » C’était un adage qu’elle avait rapidement décidé de faire sien, Cristina. Les mots étaient à tout le monde et ne restaient que des mots, jusqu’à ce que quelqu’un ne se mette à se les approprier pour en faire quelque chose. De la même sorte, une flatterie ne restait qu’une flatterie seulement si on décidait de ne pas s’en servir par la suite. Et ça n’était pas du genre de Cristina qui, elle, se souvenait de tout et se servait de plus encore, surtout ce dont les hommes usaient dans l’espoir de la mettre sous coupe. C’était ainsi qu’elle avait pris très tôt l’habitude de tous les accepter, les compliments, non pas parce qu’ils flattaient son orgueil mais parce qu’elle avait décidé d’aiguiser sa lucidité dès son plus jeune âge. Un compliment futile un jour pouvait prendre la forme d’un outil puissant plus tard, imprimant un nouvel élan aux choses, et ça l’arrangeait presque qu’ils puissent penser que ça n’était pas le cas. Cristina appréciait toujours à leur rappeler ensuite, prête à tenir chacun responsable de son discours et de ses actions lorsqu’elle avait à son tour quelque chose en tête : il devenait bien plus difficile de refuser quoique ce soit à une personne que l’on avait un jour encensée. Ils le savaient, ils évitaient de le faire entre eux. Ça n’était pas son problème s’ils oubliaient toutes leurs réserves et autres précautions face à elle, mais un avantage dont elle savait tirer profit sans s’émouvoir le moins du monde que certains puissent s’en sentir menacés.

Elle avait bien eu cette impression à certains moments, juste dans cette pièce, et elle ne se priva pas d’interroger Evelyn à ce sujet, plus sarcastique qu’ingénue. « Ils m’ont paru convaincus de pouvoir te faire changer d’avis à la seconde où tu as passé la porte. » Le sourire en coin venant s’esquisser à ses lèvres ne tromperait pas son monde et encore moins Evelyn, Cristina se satisfaisait toujours de ses victoires, et celle-ci en était une à la hauteur des ambitions qu’elle dévouait à l’entreprise portant son nom. « Mais à part ça, ce sont des hommes, Cristina. Bien sûr qu'ils sont susceptibles. » Elle l’était aussi lorsque, dans son domaine d’expertise, l’on parvenait tout de même à la coincer dans les cordes. Mais elle s’était construite entourée d’hommes, Cristina, et avait appris à assumer que certains des a priori les concernant soient devenus ses propres travers. Ça n’avait plus grand-chose d’étonnant pour ceux gravitant autour d’elle depuis un certain temps pour la simple et bonne raison qu’elle n’en faisait pas un secret inavouable. Evelyn ne faisait pas partie de celle pouvant lui en tenir rigueur, ça n’était plus tellement à souligner, et l’attention avec laquelle cette dernière avait paru appréhender tout ce qui s’était déroulé au cours de cette matinée n’était pas passée inaperçu auprès de Cristina. « Je ne verrais aucun inconvénient à t’accompagner dans toutes tes négociations de ce type. » reprit Evelyn comme pour confirmer ses pensées et Cristina d’enchérir : « Ne me tente pas, c’est forcément plus drôle à deux. » Ça avait quelque chose d’ironique venant de celle qui, très tôt, avait quitté le nid de l’entreprise familiale, tournant le dos à ce que son seul nom de famille lui assurait afin d’aller prouver sa valeur seule et gagner ses galons de la même façon. Les choses avaient évolué depuis cette époque et bien évidemment que Cristina savait également jouer en équipe, il n’en restait pour autant qu’elle avait su savourer chacun de ces instants en solitaire, trouvant ces derniers plus exaltants les uns que les autres.

« J’ai toujours rêvé de trouver une mentore, et ça ne te surprendra pas si je te dis que c’est le moment pour moi de faire passer des sélections. » « Préviens-moi quand tu auras fini de ce côté-là, j’aimerais être prise en compte mais je ne fais pas dans les sélections. » Qu’elle laissa échapper avec amusement, Cristina décidant de ne pas réagir autrement sur l’instant qu’avec cette répartie facile et collant bien à son orgueil qu’elle n’exagérait qu’à peine. Si Evelyn était plus sérieuse qu’elle ne le laissait paraître, ce fut de toute façon Rahim qui les interrompit en refaisant son apparition dans la pièce pour leur signifier que les choses étaient en mesure de se poursuivre sans elles à présent. Égale à elle-même, Cristina en profita pour souligner ce qui était resté tu jusqu’à présent, ne prenant pas la peine d’abaisser sa voix pour que la remarque atteigne sans mal son collaborateur avant qu’il ne referme la porte. « Tu vas vraiment laisser passer ? » Evelyn, qu’elle aurait pu s’amuser à appuyer des mêmes inflexions sermonneuses que celles utilisées à son encontre quelques minutes auparavant. Elle préféra le laisser seulement entendre dans le regard entendu qu’elle lui lança, ses lèvres roulant l’une contre l’autre comme si elle s’autorisait un temps de réflexion avant de finir par hausser les épaules, laissant filer comme une évidence à laquelle elle essayait de se tenir : « Je ne fais pas d’esclandre là où je suis invitée. » Du moins, elle évitait. Intransigeante mais pas tyrannique, elle appréciait surtout à s’entourer de collaborateurs capables de supporter la pression qui devenait la leur, à ce niveau. Dans le fond, Evelyn s’inquiétait peut-être davantage que Rahim lui-même, rompu à l’exigence de Cristina ainsi qu’à la clarté de ses mises au point, qui auraient donc lieu entre eux de retour dans leurs propres bureaux. Aussi passa-t-elle à autre chose, sa paume venant se poser sur l’écran de son téléphone et sa chaise se reculant silencieusement comme pour manifester en actes ce qu’elle avait en tête. « Une promesse de visite guidée et de déjeuner juste après, qui suis-je pour refuser ? » Un sourire s’esquissant sur ses lèvres, Cristina admit sans mal : « J’espérais que tu dises ça. » avant de mener la marche pour sortir du bureau, ce dernier ne représentant en rien ce qui avait attiré son attention du domaine sur lequel elles se trouvaient.

Après plusieurs pièces d’exception que Cristina avait jugé pertinent de lui présenter sur leur chemin, ce fut naturellement vers les extérieurs qu’elle entraîna la suite de la visite. Cette dernière, bien que sommaire puisqu’il ne s’agissait pas d’abreuver Evelyn de détails dont elle ne tenait certainement pas à s’encombrer, se poursuivit ainsi jusqu’à cette terrasse surplombant les hauteurs et offrant aux yeux des quelques privilégiés y ayant accès un panorama devant lequel Cristina s’arrêta un instant, sa lèvre supérieure venant mordre celle du dessous en une mimique satisfaite alors qu’elle glissa à Evelyn, comme une confidence supposée répondre à l’une des observations qu’elle lui avait faites plus tôt : « Et ça, c’est exactement la raison pour laquelle ils n’auraient pas dû abandonner si vite l’idée de me faire revenir sur notre offre. » Une inspiration contenue gonfla imperceptiblement sa poitrine alors qu’une lueur certaine fit briller son regard, rappelant, s’il le fallait, qu’en dehors de la rigueur à laquelle elle était la première à s’obliger, elle demeurait surtout passionnée et électrisée par ce qu’elle était amenée à toucher chaque jour ; à convoiter également. Laissant passer quelques secondes supplémentaires, elle rompit finalement le silence avec calme. « Comment se passent tes débuts à La Fondation ? » Haussant légèrement ses mains, elle présenta avec amusement ses paumes à son amie, en signe de drapeau blanc. « J’ai attendu un certain temps avant de te poser la moindre question, admets-le. » Bien consciente de l’adaptation que cela nécessitait de quitter une zone pouvant être devenue trop confortable à la longue pour en conquérir une nouvelle, elle l’avait épargnée de questions qu’elle-même aurait jugées trop hâtives à sa place. « Mais il me semblait que tu te consacrerais principalement à l’évènementiel là-bas et corrige-moi si je me trompe mais c’était le cœur de ton métier toutes ces années à ton compte. » Elle n’avait pas tellement peur de se méprendre à ce sujet, Cristina, aussi elle n’attendit pas avant d’en venir à son point. « Alors cette plaisanterie au sujet du mentorat tout à l’heure… » Elle n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde tant elle avait appris que, sous couvert de plaisanterie, elles étaient pourtant rares les fois où Evelyn disait les choses à la légère.