(NATE'S JAZZ CLUB)  Si j'ai demandé à mon amie de me venir rejoindre ici, c'est parce que j'avais besoin de m'exprimer sans avoir peur d'être jugé. Elle a toujours su trouver les mots pour me rassurer sans pour autant avoir à se censurer. Je ne sais pas pourquoi j'ai attendu aussi longtemps avant d'avoir envie de me confier, mais ce soir, je panique plus que d'habitude et j'ai pas envie de me jeter sur un deuxième verre de vin blanc à la recherche d'un peu d'assurance. Un verre, c'est rien. Pourtant j'en ai bu plus durant cette dernière année que ce que je ne l'avais fait auparavant. Ça reste largement en dessous de la consommation moyenne des Australiens, mais toujours plus que l'objectif que je m'étais fixé, c'est-à-dire : pas du tout d'alcool, même pas dans les chocolats. Un addictologue me rirait au nez si je débarquais à son cabinet pour lui en toucher un mot ou deux. Il me dirait probablement que je suis jeune et que ce n'est pas parce que je bois un verre de vin, une fois toutes les trois semaines que ça fait de moi un alcoolique. Pourtant, c'est un détail qui vient s'ajouter à la liste des choses qui ne font qu'accroître une anxiété que je n'arrive plus très bien à canaliser. Je pose une main sur mon genou lorsque je m'aperçois que, si la table vibre, c'est parce que ma jambe tambourine contre le bois massif. J'écarte le verre à pied du dos de ma main en détournant le regard pour ne plus avoir à faire face au sentiment de culpabilité qu'il me renvoie à chaque fois que je vois mon visage déformé dans le reflet du verre soufflé. Assis à la table la plus excentrée de la scène, j'appréhende un peu de voir Hurley faire son apparition alors que je ne l'ai pas revu depuis nos brèves retrouvailles à l'Expresso Patronum. Non pas parce que je n'en avais pas envie, mais parce qu'après le mois passé à ne donner aucun signe de vie, je ne me sentais plus légitime de lui réclamer un peu de son temps libre, tout simplement. On a fini par s'éloigner, mais ça ne m'empêche pas de penser à lui ou à Esmée de temps à autre.

Je lève une main en direction de Penny quand je devine sa silhouette parmi la nouvelle vague d'invités. "T'es toute belle !" Je dis en me penchant pour venir embrasser sa joue. "Ceci dit, tu l'es aussi quand t'as les cheveux en bordel et le chemisier tâché de bouffe pour enfants." J'ajoute en souriant tendrement, car son rôle de maman lui va comme un gant. C'est juste que j'ai l'impression de retrouver celle que j'ai connu quelques années plus tôt. J'adore la personne qu'elle est devenue, mais c'est vrai que parfois ça me manque de ne plus la voir seule et non pas accompagnée de sa petite tribu ou de mon frangin. Ce qui ne signifie pas que je ne les aime pas, au contraire, ils me rendent niais. Elle me donnerait presque envie d'en avoir, c'est dire. Pour autant, je suis heureux de pouvoir passer la soirée à discuter avec elle sans être interrompu par les interventions de ceux sans qui notre vie serait beaucoup plus ennuyante. "D'ailleurs, je crois qu'on a un truc à célébrer !" Je dis en l'invitant à s'asseoir tandis que mes yeux s'attardent sur ce ventre qui n'est plus aussi rond qu'avant. Je l'ai déjà félicité, mais je pourrais le refaire encore une fois. Je la trouve si courageuse. Elle a donné naissance, non pas à un, mais à deux bébés en même temps. Un exploit, je vois que ça surtout qu'elle en avait déjà deux à la maison. Je fais signe à un serveur de venir prendre notre commande tout en jetant un rapide coup d'œil à la carte des mocktails. "J'imagine pas la tête que vous avez dû tirer avec Isy en apprenant qu'en fait, vous n'attendiez pas deux filles, mais une fille et un garçon." Ouais parce que de ce que j'ai compris, son accouchement a connu quelques rebondissements. "Elle a quelle âge ta gynéco ? Non, parce qu'il serait peut-être temps d'envisager une retraite anticipée. M'enfin, elle sait encore compter, c'est déjà ça." L'histoire aurait été beaucoup moins drôle si au lieu d'accoucher de jumeaux, on lui avait annoncé que trois autres bébés attendaient d'être expulsés de son utérus.