(FLASHBACKS - 01.2017) Détresse et désespoir. Deux sentiments qui m'ont poussé à poster une annonce de recherche dans la rubrique 'job étudiant' qu'on peut trouver sur le site internet du campus. La culpabilité, elle, n'est arrivée qu'après avoir appuyé sur la touche Entrée. En ayant passé la première année universitaire à courir à droite, à gauche pour subvenir aux besoins de ma mère et de Samuel, je n'ai pas eu d'autres choix que d'abdiquer sous peine d'y laisser ma santé. Cette deuxième année s'avère être bien plus difficile que la première. Les indemnités journalières de ma mère ayant été revues à la baisse, je me retrouve dans l'obligation d'augmenter mon quota d'heures au bar pour ne pas voir les huissiers de justice débarquer devant la porte du domicile familial. Le calcul est vite fait, puisqu'il n'y a que 24 H dans une journée. Mes matinées sont entièrement consacrées à Samuel jusqu'à ce qu'il soit l'heure pour moi d'aller en cours et pour lui d'aller à la crèche. Par chance, celle du quartier a accepté de le prendre. Sans doute parce que la directrice connaissait mon grand-père et éprouvait beaucoup d'affection à son sujet, mais aussi parce que j'y ai moi-même été quand j'étais petit. Tout le monde se connaît à Logan City, le fils de la directrice faisait partie de mon ancienne équipe de rugby. Voilà pour mes après-midi. Quant à mes soirées, je les passe au bar qui se trouve dans une rue parallèle à celle de l'université. Non pas pour boire comme mon pochtron de géniteur, mais pour bosser. Dinis, mon voisin de palier, m'aide énormément. Il habitait la porte d'à côté alors que je n'étais même pas encore né. Je sais pas ce que je ferais sans lui, malgré tout, il n'est pas toujours dispo, et même si j'arrive à m'arranger avec le patron en échangeant mes horaires pour ne jamais avoir à laisser Sam tout seul avec ma mère. Ça requiert une gymnastique mentale que mon cerveau a de plus en plus de mal à accepter. J'aimerais trouver une personne sur qui je pourrais compter et qui me délivrerait de toute la nervosité que cette situation irrégulière a le don de me provoquer. C'est pour toutes ces raisons que j'ai accepté de demander l'aide d'un tiers. Qu'importe si ça me fait culpabiliser ou ça me donne l'impression d'être un mauvais grand frère tant que la sécurité de Sam est assurée. Néanmoins, je ne suis pas désespéré au point d'accepter l'aide de n'importe qui. Et croyez le ou non, on trouve de tout sur le campus. C'est pas pour rien si je me retrouve dans un café à attendre l'arrivée de la septième candidate. Les six précédentes avaient un pète au casque. La première avait une haleine qui sentait le Jet 27 à plein nez, elle n'a pas eu le temps de se commander une boisson chaude que j'avais déjà quitté les lieux. La deuxième m'a juré d'être majeur avant de faire tomber son porte-monnaie et sa carte d'identité dont la date de naissance aurait suffi à m'envoyer en prison. La troisième m'a exaspéré avec ses bruits de bouche. Je croyais que faire des bulles de chewing-gum, c'était dépassé ? Même une vache ne fait pas autant de bruit en ruminant. La quatrième connaissait tous les films pour enfants, mais n'a pas su me donner une seule idée d'activité manuelle. La cinquième aurait nécessité un sous-titrage parce qu'elle ne savait pas dire une phrase sans échanger les syllabes d'un mot. Du verlan, drôle de communication. Quant à la sixième, je n'ai pas eu l'honneur de la rencontrer puisque je n'étais déjà plus là quand elle a dû se pointer. Dix minutes de retard, c'est non.

Ce qui nous amène à la septième candidate, Bonnie. Celle à qui j'ai donné rendez-vous avant les cours dans un café qui se trouve en dehors de l'université et qui reste bien moins fréquenter que ceux qu'on peut trouver sur le campus. Avant-midi, la plupart des étudiants sont des flemmards et préfèrent rester dans leurs dortoirs ou profiter des services que propose l'établissement. Casquette fétiche sur la tête, visière baissée. J'essaye de me faire le plus discret possible. Il lui reste cinq minutes pour arriver sachant qu'elle a déjà perdu des points pour ne pas s'être présentée un quart d'heure à l'avance. Oui, je suis intransigeant et j'en suis même pas désolé. Je donnerais n'importe quoi pour avoir les moyens d'offrir une vraie baby-sitter à Samuel et pas une étudiante qui a mon âge ou presque. Le problème avec les jeunes, c'est qu'ils ne sont intéressés que par l'argent et les soirées étudiantes. Le salaire que je promets ne paye pas de mine comparée aux tarifs alléchants que peuvent proposer les familles aisées de Bayside. Celles dont les parents préfèrent passer leurs temps à jouir de leurs privilèges plutôt qu'à s'occuper de leurs progénitures. Je relis la candidature spontanée de celle qui, je l'espère pour elle, ne devrait pas trop tarder à arriver tout en noyant mes lèvres dans un bon latte. "Une minute de plus et c'était ciao." Je rétorque sans lever les yeux. Mes pupilles toujours braquées sur l'écran de mon portable, je lui fais signe de s'installer sur la banquette qui se trouve en face de moi. Je suis trop occupé à trouver la huitième candidate parmi les mails que j'ai reçus pendant la nuit pour relever le nez. Je cherche aussi à la confronter au silence pour voir sa réaction, puisque mon frangin a un retard de langage, et qu'elle va devoir s'y accommoder si elle veut être embauchée. "Betty, c'est ça ?" Je demande d'un air tout ce qu'il y a de plus détaché. Il faut qu'elle me voie comme quelqu'un de déborder et qui vient de passer sa matinée à voir défiler un nombre incalculable de candidates pour arriver à se souvenir de son prénom. Plus la concurrence est rude et plus y'a de chance pour toucher son égo. Si l'égo est touché, alors elle fera tout pour se faire embaucher ; CQFD. Je relève enfin le nez pour la regarder. Elle n'a pas l'air d'être en train de décuver, ni même d'avoir l'âge d'aller au lycée ce qui rattrape presque les points qu'elle a perdu en se pointant à l'heure.   "Je t'explique comment ça va se dérouler. Tu vas avoir dix minutes, pas une de plus, pour te présenter. Dix autres pour me partager tes motivations et puis après, on pourra passer aux études de cas."  J'ai pas de temps à perdre. Mon cours de neurosciences commence dans moins d'une heure. C'est le seul créneau que j'avais à lui proposer, merci à Dinis qui a gentiment accepté de prendre le relais pour me permettre de me libérer. "Tu peux évidemment t'aider du questionnaire que je t'ai envoyé par mail." Je ne fais preuve d'aucune sympathie à son égard puisque ledit questionnaire est bourré de questions pièges. Parmi les six qui sont passées avant elle, aucune n'a réussi à passer le cap des dix premières minutes. "J'ai vu toutes les saisons de Lie to Me donc inutile de me mentir." J'ajoute en lui octroyant ma meilleure poker face. C'est faux, je n'ai vu que des extraits sur YouTube, mais j'ai lu assez de livres sur la communication non-verbale depuis que je suis confronté au mutisme de Samuel pour en connaître un rayon sur le langage corporel. Je dépose mon portable sur la table, appuie sur l'icône du chronomètre avant de laisser planer mon index au dessus de l'écran. "Prête ?" Je demande. Et, sans attendre une réponse de sa part, j'appuie sur Démarrer. Le compte à rebours est lancé.

(FLASHBACKS - 01.2017) Depuis qu'elle a quitté Sydney et que ses parents lui ont coupé tous ses comptes, Bonnie a bien été obligée de faire tout un tas de petits boulots pour déjà payer les frais d'inscription mais aussi son loyer. Lorsqu'elle est arrivée, elle a pu compter sur le soutien de sa cousine Ally qui l'a hébergé jusqu'à ce qu'elle trouve un appartement sur le campus mais loin d'elle l'idée de profiter de sa gentillesse. La blonde n'est pas non plus ce qu'on appelle une sainte, enfin quand quelque chose ne lui plait pas, elle n'a pas peur de le dire, ce qui lui a valut quelques renvois. Alors lorsqu'elle a aperçu cette annonce sur le site du campus, elle n'avait pas hésité une seule seconde pour envoyer sa candidature, après tout le matin même son dernier employer lui avait un message pour lui dire que ce n'était pas la peine de venir. Avant d'arriver au rendez-vous fixé par Angus, l'auteur de l'annonce, elle a dû attendre sa cousine pour lui confier Tom, ce qui lui vaut un retard de quelques minutes. Ce lui vaut immédiatement une remarque au moment où elle rejoignit la table où il l'attendait.

« Salut. Excuses moi, je gardais le fils de ma cousine et elle a pris un peu de temps avant de venir le récupérer. » s'excusa-t-elle, un peu gênée.

Elle riait légèrement quand il l'appela Betty, sérieusement elle a une tête à s'appeler Betty ? Bon, ses parents ne lui ont pas donné un prénom plus original vu qu'elle s'appelle Bonnie et ce n'était pas la première fois qu'on la renommait.

« Bonnie. Mes parents ont pas été aussi bêtes quand même. Et toi c'est Angus c'est ça ? Alors enchantée. » répondit-elle, un peu plus sûre d'elle.

Une légère envie de briser la glace, après tout il était plutôt agréable à regarder mais elle n'est pas là pour le mettre dans son lit mais bien pour le convaincre de l'embaucher. Elle avait bien évidemment déjà préparé ce qu'elle allait dire, histoire de marquer le plus de points possibles. Elle se doutait bien sûr que les candidates se feraient nombreuses, surtout pour ses beaux yeux. Mais elle sentait une certaine retenue dans son regard, il n'était clairement pas là pour draguer, plutôt pour qu'on lui enlève une épine du pied.

« Je m'appelle Bonnie mais ça je te l'ai déjà dit. J'ai dix-neuf ans et je suis étudiante en communication, j'ai pour projet de travailler comme community manager dans une grande entreprise. J'ai l'habitude des enfants, je garde souvent le fils de ma cousine, il s'appelle Tom. Mais aussi d'autres missions plus ponctuelles pour me permettre d'avoir un peu d'argent pour payer mon loyer et les frais scolaires. Je t'avoue que j'ai désespérément besoin de ce job, je ne suis pas faite pour travailler pour un fast-food ni dans un café, j'ai pas la patience pour les adultes mais je l'ai pour les enfants. J'adore les parties de dooble et de devine-tête avec mon petit neveu. » lança-t-elle, sérieuse et déterminée.

Prête, elle l'était et elle comptait bien rattraper les points qu'elle a perdu en arrivant en retard. Elle n'avait pas quitter son regard pendant tout son récit, à la recherche d'une quelconque interrogation de sa part. Elle reprit ensuite sa respiration et interpella le serveur pour commander un latte au caramel. Et reporta à nouveau son regard sur le brun.

« Je t'écoute, maintenant à toi. Sauf si t'as des questions, bien sûr. » ajoutait-t-elle, ensuite.

(FLASHBACKS - 01.2017) Je relève légèrement la visière de ma casquette pour observer la porte du café. Si ça ne fonctionne pas avec elle, je remplacerai ces petits rendez-vous par des interviews en visio. J’aurais dû y penser avant. Cette histoire me coûte du temps et de l’argent. Un café, c’est pas la mer à boire, mais c’est toujours de la thune dépenser dans quelque chose dont j’aurais pu me passer. « Salut. Excuses moi, je gardais le fils de ma cousine et elle a pris un peu de temps avant de venir le récupérer. » Je balaye ses excuses d’un revers de la main avant de lui faire signe de s’assoir face à moi. Betty a le sens de la famille, mais Betty vient aussi de griller sa seule carte joker.  “D’accord, donc les retards, c’est une histoire de famille ?” Je demande en arquant un sourcil. “Pourquoi t’es ici si tu gardes déjà le fils de ta cousine ?” J'aime bien les enfants et son excuse aurait pu m’attendrir, sauf que le seul qui m’importe vraiment, c’est Samuel. Et bien que je ne sois pas à la recherche d’une baby-sitter sans famille, je ne souhaite pas non plus placer ma confiance entre les mains d’une personne qui fera toujours passer les autres avant mon petit-frère.  « Bonnie. Mes parents ont pas été aussi bêtes quand même. Et toi c'est Angus c'est ça ? Alors enchantée. » -  “Non, moi c’est Clyde, son cousin. Il a eu un imprévu de dernière minute donc il m’a chargé de venir à sa place.” Je rétorque avant de boire une gorgée de ma boisson froide. Je mens pour rattraper la bourde que j’ai dû commettre en répondant à sa candidature. Je ne sais pas comment elle a réussi à choper mon prénom, mais je ne tiens pas à lui fournir plus d’informations sur mon identité. Ce que je m’apprête à lui confier est bien trop privé pour prendre le risque que cela s’ébruite dans les couloirs de l’université. Dans tous les cas, je n’aurais qu’à nier les faits si elle s’amuse a transformé le tout en rumeur bon marché.

« Je m'appelle Bonnie mais ça je te l'ai déjà dit. J'ai dix-neuf ans et je suis étudiante en communication, j'ai pour projet de travailler comme community manager dans une grande entreprise. J'ai l'habitude des enfants, je garde souvent le fils de ma cousine, il s'appelle Tom. Mais aussi d'autres missions plus ponctuelles pour me permettre d'avoir un peu d'argent pour payer mon loyer et les frais scolaires. Je t'avoue que j'ai désespérément besoin de ce job, je ne suis pas faite pour travailler pour un fast-food ni dans un café, j'ai pas la patience pour les adultes mais je l'ai pour les enfants. J'adore les parties de dooble et de devine-tête avec mon petit neveu. » Elle parle vite et déballe les cartes qu’elle a dans ses mains d’un seul coup sans me laisser le temps d’en placer une. J’ai l’impression d’être dans une partie d’uno et de me prendre des sens interdits à foison. J’ouvre la bouche, la referme à plusieurs reprises sans pour autant arriver à poser mes questions.  Je sors un stylo de la poche avant de mon sac à dos et attrape une serviette en papier sur laquelle je fais mine de griffonner. Après tout, je ne suis pas Angus, mais son cousin et si je veux que cela soit réaliste, il me faut de quoi pouvoir lui faire un compte rendu détaillé lorsque l’entretien sera enfin terminé. « Je t'écoute, maintenant à toi. Sauf si t'as des questions, bien sûr. » Je me masse les tempes puis relève la tête de mes écrits pour la regarder. “Tu parles toujours aussi vite ou c’est seulement quand t’es stressée ?” Je demande une fois que c’est à mon tour de parler. Betty, vient de me raconter sa vie en l’espace de deux minutes. J’en connais dorénavant plus sur elle que sur mes camarades de promotion. “Tu le gardes combien de fois par semaine ? Il a quel âge d’ailleurs ?” Elle a un planning si chargé que je vois même pas comment elle pourrait avoir le temps de garder Samuel. Néanmoins, je dois admettre qu’elle a touché une corde sensible quand elle a parlé de son loyer et de ses frais de scolarité. Ce n’est pas une fille à papa. Elle semble en vouloir et être plus motivée que toutes celles que j’ai pu rencontrer. Elle n’a pas l’air de compter ses heures et dernier point, mais pas des moindres : c’est une vraie pipelette qui n’aura aucun ma à remédier au  mutisme de Samuel en faisant la conversation pour deux. “Les missions dont tu parles, elles sont clean ?” Cette fois-ci je ne la lâche pas du regard. Un moulin à parole pour babysitter, passe encore, mais une dealeuse, non merci. Si son but, c’est de voler le lait en poudre des enfants pour faire passer ça pour de la cocaïne, elle a frappé à la mauvaise porte. Sam n’en boit plus depuis plus d’un an.  “Son frère a quatre ans et demi.” J’ajoute en repensant aux activités qu’elle a vient de me citer. “Le dooble et le devine-tête, tu peux d’ores et déjà oublier.” Son filleul doit sûrement se débrouiller comme un chef, mais mon frangin à des centres d’intérêts assez restreints et plutôt répétitifs. “C’est un gamin super intelligent, mais pas très bavard. Ce qu’il aime, c’est les jeux de constructions, les dinosaures et les planètes. ” J’ajoute en haussant les épaules. Je ne veux pas entrer dans les détails avant d’être sûr qu’elle pourrait faire l’affaire, mais il faut tout de même qu’elle sache que mon frère n’a rien de l’image qu’elle peut se faire des enfants de son âge. Il ne respecte pas non pas les normes qu’on peut trouver dans les bouquins de petite enfance. “Il préfère jouer seul. Ce que mon cousin, c’est une personne qui saura respecter cette singularité sans pour autant lui donner envie de s’isoler davantage. Ce que je veux dire par là, c’est que c’est pas parce qu’il se suffit à lui-même qu’il faut le laisser jouer dans le salon et passer son temps sur son téléphone” Il ne parle peut-être pas encore, mais je sais qu’il le fera même si le corps médical semble penser le contraire. Il n’a que quatre ans et je ne laisserai personne l’enfermer dans une case et sceller son avenir alors qu’il n’a pas encore vécu ne serait-ce que le quart de sa vie. “En sachant cela, est-ce que t’aurais d’autres activités à me proposer ?” Je sais que c’est pas facile. J’ai moi-même du mal à trouver de nouvelles pour l’aider à s’ouvrir un peu plus au monde qui l’entoure. C’est pourquoi je ne demande pas de réponse parfaite, puisqu’il n’en existe aucune. Tout ce que je souhaite, c’est des propositions cohérentes et adaptées à sa personnalité. Si elle arrive à en trouver, alors je pourrai envisager une période d’essai.