(NATE'S JAZZ CLUB) Le jour J est enfin arrivé. Je m'apprête à sauter dans le grand bain. C'est le premier événement des garçons depuis que l'ancien manager à fait ses bagages pour me laisser sa place. Je sais qu'il m'attend au tournant tout comme la majorité des fans du groupe. La toile aussi n'est pas de mon côté. Après tout, il est plus facile de défendre un homme qui a déjà fait ses preuves plutôt qu'un mec qui a encore tout à prouver. Personne n'ose se mouiller. Ce que peu de gens savent, c'est que mon prédécesseur était un bourreau qui pensait plus à sa gueule qu'au bien-être du groupe. Un connard, ni plus, ni moins. Il exerçait une pression sur Cameron qui dépassait largement les limites imposées par son contrat de travail. Même s'il aime dire, à qui veut bien l'entendre, que sa 'démission' a été un choix murement réfléchi alors qu'en fait, c'était soit ça, soit un licenciement pour harcèlement morale. Les mecs ont été sympas, parce que je ne lui aurais pas donné la possibilité de s'en tirer à si bon compte. Ce soir, c'est l'occasion rêvée pour commencer à faire mes preuves. J'ai bien l'intention de prouver aux haters du dimanche qu'avoir de l'expérience, c'est cool, mais qu'avoir la niaque, c'est mieux. Je n'aurais pas pu dénicher cette date sans l'aide de Jo, c'est en grande partie grâce à ses conseils que le groupe se retrouve en tête d'affiche du jazz festival. Ils en font même l'ouverture, ce qui n'est pas rien, surtout pour un groupe dont le style musical est à l'opposé de ce qu'on pouvait trouver dans les années 20. Et, même si je reconnais quelques visages familiers dans la salle, la moyenne d'âge reste relativement plus élevée que celle de leur fanbase. Adossé contre l'un des murs du hall d'entrée, j'observe les convives s'avancer vers la salle principale tout en donnant des notes fictives à leurs tenues. Jusqu'ici, ils m'ont donné de quoi créer trois catégories de personnes : celles qui ont l'air d'être tout droit sortie des années folles et qui ont dû débourser pas mal de billets pour l'occasion ; les groupies du groupe qui n'ont pas dilapidé la totalité de leur argent de poche pour laisser leur merch à la maison ; et celles qui ont gentiment accepté de tenir compagnie à un proche, mais qui n'ont franchement pas l'air très emballé par le thème de la soirée. C'est cette dernière catégorie qui retient le plus mon attention, car c'est elle qu'on doit rallier à notre cause. Hors de question que ces personnes repartent d'ici sans passer par le stand de merchandising ou sans ajouter ne serait-ce qu'une chance du groupe dans les titres likés de leurs comptes Spotify. Ce n'est que lorsqu'un groupe de filles s'évaporent dans la pièce d'à côté que je distingue la minuscule silhouette de Bonnie. Je m'avance pour faire signe au vigile de la laisser passer puis dépose mon bras sur ses épaules afin de la serrer contre moi. "J'ai menti, le concert ne commence pas avant une bonne vingtaine de minutes." J'avais juste peur qu'elle arrive en retard donc j'ai préféré prendre les devants en prévoyant quelques minutes de rab juste au cas où, histoire de ne pas la voir débarquer en plein milieu du concert et voler la vedette aux sandwiches. "T'as mangé ?" Je demande tout en l'accompagnant vers la table que je nous ai réservée. J'inspecte sa tenue en la faisant tourner sur elle-même puis plisse le nez. Elle prend soin d'elle, Bonnie, mais je la trouve tout particulièrement en beauté ce soir. "T'as l'intention de repartir au bras d'un serveur ?" C'est vrai qu'ils ont la classe avec leurs petites bretelles et leurs pantalons pincés. J'en profite d'ailleurs pour les prendre en photo et ajouter une story sur le compte Instagram du groupe. Si ça peut ramener plus de personnes, je dis oui.  "Pas touche aux membres du groupe." J'ajoute sur le ton de l'humour même si je n'en reste pas moins sérieux. Cameron est hors limite puisque je le considère comme mon frère et que s'il y a bien une règle d'or qui constitue les fondements même d'une amitié, c'est de ne pas toucher à la famille, jamais. J'aurais trop l'impression de voir mon grand frère et ma petite sœur se bécoter, écœurant. Edison est tout sauf fréquentable et j'aurais trop peur qu'il lui propose un rail de farine pour la laisser ne serait-ce que passer une soirée seule en sa compagnie. Quant à Ambrose, il est fiancé et hors de portée.

J'enlève ma veste de costume et retrousse les manches de ma chemise lorsque nous sommes installés. J'ai jamais été aussi bien placé. D'habitude, y'a quelques inconvénients à se retrouver au premier rang : la barrière qui nous rentre dans l'abdomen et nous couple le souffle, les longues heures d'attente interminable devant la salle, les gens qui poussent et s'amusent à jouer des coudes pour nous voler la place. Pas ce soir et c'est fortement appréciable. Je sors mon téléphone portable pour appeler Dinis en FaceTime avant de tendre un de mes écouteurs sans fil à Bonnie. C'est Samuel qui décroche, je peux reconnaître l'assise de notre canapé. Le bougre est déjà devant la télé. "Gus, t'es pas cool. Tu nous déranges en pleine partie de Mario Kart !" Il me montre l'écran de jeu qui est sur pause avant de tourner la caméra vers mon voisin qui me fait un signe de la main en chuchotant ce qui ressemble à un "send help". Je me retiens de rire puis me penche vers Bonnie pour la faire apparaître dans le champ de la caméra. "Tu nous as demandé de t'appeler quelques minutes avant le début du concert et je vois que t'as l'air d'aller beaucoup mieux ! Tu trouves pas Bee ?" Je lui fais remarquer à voix basse avant de me retourner vers sa baby-sitter. Il se sentait barbouillé ce matin, mais mon petit doigt me dit qu'il avait juste envie de rester à la maison pour passer la soirée à se prendre pour un fou du volant. "Chut, ça commence !" Les lumières s'éteignent pour donner une ambiance encore plus tamisée à la salle. Je baisse la luminosité de mon portable et le dépose sur le socle que j'ai prévu pour l'occasion afin de pouvoir avoir les mains de libres pour prendre des photos avec mon appareil et faire des vidéos avec le téléphone de Cameron. Il me faut de quoi alimenter le compte Instagram du groupe et je ne peux plus me permettre de profiter du concert sans avoir à bosser un peu. Les garçons font leur entrée sur scène suivi de près par des applaudissements et quelques cris étouffés de fans qui, Dieu merci, ne sont pas aussi hystériques que lors de leurs vrais concerts. Je peux entendre Sam crier un "Go Cam, whoop whoop !" À travers, mon écouteur et ça me fait sourire. "Ne sont-ils pas trop mignons ?" Je chuchote à l'oreille de Bonnie. Je dois me faire violence pour ne pas éclater de rire quand je les vois dans les tenues de jazzman que j'ai réussi à leur dénicher pour trois fois rien dans une friperie. Comme quoi, ça sert d'avoir des contacts et qu'il ne faut pas sous-estimer l'aide des petits commerçants de quartier. Ils ont l'air d'un groupe tout droit venu de la Nouvelle-Orléans avec leurs petits chapeaux Pork Pie et leurs vestes de costume rayées aux couleurs de notre pays à l'exception du blanc qui a été remplacé par un somptueux doré. "Quoi de mieux que voir Cam dans cette tenue pour te faire oublier le stress de la rentrée ?" Je me penche pour attraper la pancarte que j'ai cachée sous la table puis la montre discrètement à mon meilleur ami en souriant comme un enfant. Sur la première face, on peut y voir marqué "BREAK A LEG" tandis que la deuxième est recouverte d'un dessin de Samuel qui dépeint Cameron sur le devant de la scène avec un "YOU'RE THE BEST" écrit en pattes de mouche.

(NATE'S JAZZ CLUB) Bonnie ne manque jamais une occasion de s'apprêter pour une soirée et là encore plus puisqu'il s'agit d'une grande occasion. Cameron se produit au Nate's Jazz Club avec son groupe. Et bien sûr pendant ces dernières semaines, Angus comme Cameron l'ont bassiné avec ça. Elle entra alors dans le club avec une robe dans le style années 20 mais modernisé, pas question de ressembler à une grand-mère non plus. Elle remarqua bien vite son meilleur ami et colocataire qui tient en réalité plus d'un grand frère, installé à une table. Elle n'attendit pas pour s'avancer vers lui, perchée sur ses talons aiguilles mais comme toujours, le brun restait le plus grand.

Pouffant légèrement de rire à ses remarques, elle haussait les épaules à ses paroles, elle ignorait si elle repartira au bras de quelqu'un, ce soir et en réalité elle ne préfère pas prévoir ce genre de détails.

« Avoue, t'as fait exprès pour que je sois à l'heure. Mais t'as bien fait sinon je serais encore dans la salle de bain à me maquiller. » s'écria-t-elle, amusée.

Elle n'avait pas encore manger, après tout se préparer prenait du temps et elle a passé beaucoup trop de temps dans la salle de bain à parfaire son maquillage inspiré de celui de Mary Crawley de Downtown Abbey. Elle fit non de la tête et se demandait si le club proposait des trucs à grignoter.

« Non, pas du tout. Ressembler à une fille Crawley, ça prend du temps. Qu'est-ce que t'en penses d'ailleurs ? Est-ce que je pourrais épouser un beau lord ? » demanda-t-elle, enthousiaste.

Riant ensuite, elle jeta un regard au serveur, plutôt pas mal mais elle ne voulait pas paraitre non plus trop insistante, elle reporta son regard sur Angus pour lui répondre sur le ton de la plaisanterie.

« Nous verrons, très cher, nous verrons. Qui sait j'aurais peut-être de nombreux prétendants ce soir. » lança-t-elle, en tâchant d'imiter un accent anglais à la manière d'une lady.

Pas très convaincant mais au moins, elle avait essayé et elle se retenait bien sûr de lui dire qu'en réalité, elle a déjà eu une aventure avec Cameron il y a plusieurs années, c'était mieux qu'il ne sache pas. Rapidement, le concert commença et elle se montrait excitée tout en applaudissant et lâchant des cris d'encouragement. Bonnie ne fait jamais rien à moitié, après tout. Fidèle à elle-même, extravertie et tout sauf discrète, il valait avoir l'habitude mais c'est bien ce qui fait son charme. Adressant un clin d'œil à Sam alors en face-time, elle échangea quelques mots avec le petit garçon avec qui elle a une complicité à toutes épreuves et qu'elle considère comme son petit frère.

« Ton frère abuse comme toujours, j'espère que vous vous amusez bien, chouchou. Nous, on va s'éclater. » déclara-t-elle, alors.

Elle adressa un regard à Angus et reporta ensuite son regard sur la scène alors que le groupe commençait à montrer leurs talents. Elle hochait alors la tête aux paroles d'Angus, particulièrement mignons oui dans cette tenue, elle était d'accord.

« Très bon choix de tenues, oui je valide. Ils sont magnifiques. » s'esclaffa-t-elle, ensuite.

Elle hocha de nouveau la tête aux paroles d'Angus, il avait raison, rien que de mieux qu'une soirée de ce genre pour évacuer le stress de la rentrée. Elle le fixait alors qu'il agitait la magnifique pancarte qu'il avait fait et se sentait un peu bête de ne pas en avoir fait une, elle aussi.

« Oui, t'as trop raison. J'y suis déjà allée avec Megan mais franchement avec toi et pour soutenir Cameron, c'est encore mieux. » ajoutait-t-elle, excitée.

Elle adressa un sourire à Cameron qui semblait gérer comme personne et prenait alors confiance en lui au fur et à mesure des chansons. Elle ne pouvait qu'être fière de ce qu'il a accompli.

BY PHANTASMAGORIA