@SETH MORIARTY & MAISIE MORIARTY ⊹⊹⊹ and all these sorrows i have seen, they lead me to believe that everything's a mess but i wanna dream, i wanna dream, leave me to dream.

(c) rcsegif & ttenvely.

(SPRING HILL, CENTRAL BUSINESS DISTRICT //  FIN SEPTEMBRE).
7h00. J’éteins mon alarme à la première sonnerie, me redressant avec peine pour m’asseoir au bord de mon lit. À travers la fenêtre, j’aperçois les rayons du soleil bien plus affirmés qu’au moment de me coucher, alors que l’aube commençait à peine à se lever. Je m’empare de mon téléphone, soupirant quant aux notifications désespérément absentes, m’obligeant à rester seule avec mes pensées dès l’éveil. Un instant, j’ai envie d’appeler Angus, sans autre raison que le besoin d’entendre le son de sa voix et de l’écouter me raconter sa journée de la veille pour oublier les dernières heures que je viens de passer – qui ressemblent à toutes les autres depuis quelques jours. La seconde alarme m’oblige à guetter l’heure et à ranger cette idée dans la catégorie des « mauvaises » alors qu’il est bien trop tôt pour que je le dérange. J’ouvre Instagram, scrolle dans les dernières stories, m’intéresse plus aux heures auxquelles elles ont été postées qu’à leur contenu, soupirant une fois encore alors qu’aucune n’est suffisamment récente pour justifier d’une conversation en dm qui saurait être active et m’occuper l’esprit. À défaut, je fatigue mon pouce contre l’écran, scrollant et m’arrêtant à peine sur les publications qui composent mon feed, me perdant dans des suggestions dont je me tiens d’ordinaire éloignée, guettant la silhouette d’une mannequin qui promeut un maillot de bain, m’en fichant bien de celui-ci.

7h21. La douche chaude a manqué de me brûler la peau et je n’ai pas pour autant l’impression d’être plus réchauffée, enfilant un jean et un t-shirt par-dessus lequel j’ajoute un pull, prenant le temps de me maquiller en suivant un tutoriel trouvé sur Youtube, répétant toutes les étapes qui me semblent trop vagues ou dont le résultat ne me satisfait pas, trouvant toujours une raison de recommencer pour me permettre de consacrer toute ma concentration à cette tâche.  

8h03. Je me glisse dans la chambre de Llewyn que je viens enlever à ses rêves, et la prochaine heure me paraît la plus agréable de ma journée tandis que je m’assure qu’il se prépare en temps et en heure, vérifiant ses affaires et blablatant sur le contenu de sa journée, glissant dans son sac un déjeuner que j’ai pris soin de cuisiner la veille, avant que l’on se mette en route pour l’école – à pieds. J’ai abandonné le van parce qu’il fait encore beau, parce que c’est important qu’il conserve une activité physique, et moi aussi. Il s’en agace, il m’en veut, pointant du doigt une mauvaise habitude qui était la mienne auparavant sans m’offrir le bénéfice du doute, se plongeant dans un mutisme auquel s’oppose ma tendance à tout commenter, constamment, des banalités qui l’agacent autant qu’elles m’insupporteraient dans d’autres circonstances.

9h42. C’est vers le cinéma que je me dirige ensuite, guettant mon compteur de pas à intervalles réguliers, pressant celui-ci quand je constate l’heure et qu’il faut m’abstenir d’être en retard. Le schéma est le même depuis une semaine, j’implore Rosemary de me laisser reprendre mon poste, elle me l’interdit sous prétexte que j’ai besoin de temps, j’exagère mes supplications, verse une larme ou deux, m’agace quand elle me rappelle que je suis une excellente comédienne et qu’elle ne se laissera pas faire.

10h27. J’abdique, je tourne les talons, j’appelle Angus, Carl, Aiden, Ava, Richard, Emery, Theo, Sara, Jo, Megan, Jess, quiconque accepte de décrocher au moment venu ; je passe au suivant sur la liste quand le destinataire est inatteignable. Je trouve une excuse pour justifier l’appel, le prolonger plus que de raison, tente de le transformer en rencontre autour d’un film, d’une expo, d’une séance de sport en pleine nature ; jamais un café, encore moins un déjeuner.

12h38. J’ai passé la dernière heure à cuisiner, à préparer des œufs mollets passés à la panure que je dépose sur un pesto de cresson, m’appliquant quant à la présentation pour mieux ravir les papilles d’Ava, m’asseyant un instant face à elle quand elle insiste pour que je l’accompagne, m’excusant platement du retard qu’a pris la préparation et qui se rapproche dangereusement de l’heure à laquelle Richard doit venir la chercher. Il n’est pas en retard, et je lui souhaite une bonne après-midi, débarrasse son assiette puis abandonne la mienne en constatant que le temps me manque à moi aussi.

13h01. À l’ouverture du poste de police, je suis là, prête à suivre les consignes, à répondre aux questions qui n’amèneront pas grand-chose, à quémander l’avancée de l’enquête quant à ce chauffeur qui a préféré ne pas se retourner derrière lui. La réponse est la même que la veille, la même que le lendemain ; ils n’en savent rien.

13h49. Ce n’est pas grave, je peux me pencher sur le mail de l’entreprise de pompes funèbres que j’ai contactée il y a trois jours, avec une première proposition que j’étudie dans le moindre détail, la batterie de mon téléphone diminuant à mesure que j’ouvre des onglets pour m’assurer que le chêne vaut mieux que du hêtre, que je cherche des exemples de pierres tombales, d’épitaphes qui seraient à la hauteur.

14h36. Je n’ai pas encore remis les pieds dans l’appartement, mais armée d’un bloc note, je fais la liste des priorités. Prévenir le bailleur, quémander un sursis pour vider ses affaires, m’adresser à des œuvres de charité qui voudraient bien conserver le surplus. Son employeur, non, ses employeurs. La famille, les amis, même éloignés – je crois qu’elle a une tante du côté de Melbourne, et une amie d’enfance qui est repartie à Sydney. Les compagnies d’assurance, demander les primes payées d’avance, m’informer quant aux documents à fournir pour la succession, nettoyer cet appartement, m’organiser pour Lee, informer son école, demander les aides qui peuvent nous être accordée pour que je m’occupe de lui, annoncer à Rose que mon temps de travail devra être aménagé, trouver un autre appartement où il pourrait avoir son espace, prévenir Jo que je vais devoir m’occuper de mon frère avant sa grand-mère, trouver une autre activité pour payer les factures.

15h57. J’ai griffonné trois pages entières d’informations à ne pas oublier, de procédures à suivre, et mon regard s’arrête sur l’horloge alors que mon cœur manque un battement, et bien trop d’autres à intervalles réguliers, en découvrant l’heure avancée et en réalisant le retard qui sera le mien. J’appelle le notaire, m’excuse platement avant de me mettre en route, préférant les transports en commun à mon van qui croupit dans le garage depuis une semaine.

16h25. J’ai dix bonnes minutes de retard quand j’arrive dans le cabinet du notaire, déboulant à la hâte, perdant l’équilibre un instant, m’arrêtant quand je constate qu’il n’est pas tout seul. Une femme dont j’ignore le rôle est présente, de même que mon frère que je ne pensais pas retrouver dans ces circonstances. Ou plutôt, je m’en doutais, mais j’espérais avoir le temps de m’y préparer. Je me glisse sans un mot pour lui sur la chaise qui m’est réservée, m’excusant auprès du notaire alors que je me maudis de ne pas avoir pris une veste avec moi ; je suis glacée et je frissonne. Mes yeux vers le notaire, j’en oublie la présence de Seth alors que, paradoxalement, pour la première fois depuis plus d’une année, j’ai envie que la rencontre avec mon frère s’éternise. J’ai besoin qu’elle s’éternise, j'ai besoin de continuer à garder le contrôle sur mes pensées, les empêchant de déraper vers la raison pour laquelle nous sommes là aujourd'hui.

« Elle sera là dans une quinzaine de minutes. » qu'il annonce monsieur moustache en raccrochant le téléphone. Elle est jamais en retard. que t'as envie de lui répondre comme s'il se foutait ouvertement de ta gueule. Maisie sera en retard et toi, t'es en avance. C'est du grand n'importe quoi. Moustache et la meuf au gros nez se parle tout bas comme si t'était pas là, comme si tu ne pouvais pas entendre leurs chuchotements. Tu piges pas grand chose à leur charabia et ça ne t'intéresse pas vraiment non plus. Sauf que c'est pas comme si t'avais vraiment mieux à faire. Après avoir regardé chacun des diplômes au mur avec aucun intérêt, après avoir tellement attendu que la chaise te donne mal au cul. Ta seule distraction s'est de fixer ces deux idiots qui parlent tout bas et griffonnent des trucs de grandes personnes sur des papiers importants.

L'ambiance est lourde, mais elle est deux fois plus lourde lorsque Maisie entre dans la salle. Elle a une sale tête. De vous deux, on dirait pas que c'est toi qui vient de se claquer quarante-deux heures d'avion pour être ici. Ton regard suit sa silhouette jusqu'à ce qu'elle prenne place sur la chaise à côté de toi. Non, pardon, deux chaises à côté. Faudrait surtout pas que vos coudes se touchent. Elle pourrait attraper des poux. À aucun moment elle n'a posé un regard sur toi. Surprenant. Ça t'agace. T'as envie de balancer une connerie pour la faire réagir sauf que ce n'est ni l'endroit, ni le moment et ce ne le sera pas non plus tout le temps de ton séjour. Qu'importe, tu fermes ta gueule et retourne ton regard vers les deux personnes en face de vous deux qui ont pris la parole. Ils se présentent à tour de rôle. Tu oublies leur prénom dès qu'il ouvre la bouche. Tu comprends pas ce que la meuf des services sociaux fout là, mais elle pu les emmerdes. T'as du mal à te concentrer sur ce qui se passe tellement tu attends juste qu'elle crache le venin qu'elle a à cracher. Qu'est-ce qu'elle veut ? Faut qu'elle signe des papiers pour approuver Maisie comme tuteur légal de Lee ? Madelyn n'a quand même pas été assez conne pour désigner quelqu'un d'autre à la place ? Genre une cousine que personne ne connaît ? Ce ne serait pas si surprenant. Moustache réussit tout de même à regagner ton attention lorsqu'il place des papiers en face de vous deux en énumérant trois banques australiennes différentes. C'est du foutage de gueule, c'est ça ? Tu ne peux pas t'empêcher de rire. Un rire jaune. N'importe quoi. C'est n'importe quoi. « On va pas payer ça. » que tu énonces en repoussant les feuilles vers lui comme Maisie semble incapable d'aligner deux mots à voix haute. Comme si vous aviez les moyens de débourser une telle somme. Tu te doutais que ton héritage serait bien maigre. Un petit cinquante dollars tout au plus. Tu t'attendais certainement pas à devoir donner de l'argent et recevoir que dalle. « Je crains que ce ne soit pas une option. Pas si vous désirez conserver la tutelle de Llewyn. » - « Pardon ? » Ok, ça y'est, tu vas le buter. C'est des putains de menaces ça ? Non, c'est une explication de procédure judiciaire à laquelle tu piges absolument rien et dont tu ne veux rien comprendre surtout. C'est là que la meuf décide enfin d'ouvrir sa gueule. Maisie est celle qui a été désignée pour prendre soin de Lee en cas de décès. Tout va bien jusque là. Sauf que son dossier médical a bien trop de drapeaux rouges pour qu'elle puisse avoir la garde d'un mineur. Et toi, le deuxième choix, ton dossier est tout aussi pire pour des raisons différentes. Deux mauvais candidats, voilà ce que vous êtes. Rembourser les dettes de Madelyn serait un gage de maturité, une preuve que vous êtes capable de prendre vos responsabilités. N'importe quoi. N'im-por-te-quoi. « Maisie, putain… » que tu siffles à voix basse pour la sortir de son mutisme. Dis quelque chose. Comme si son intelligence pourrait vous sortir de cette situation contre cette personne qui a fait bien trop d'études pour ne pas savoir de quoi il parle. Comme si vous pouviez gagner avec de plates excuses. Désolé d'être une famille de détraqués, mais on sait prendre soin l'un des autres. M'enfin Maisie elle sait.

Je me doutais que Seth serait là ; la perspective d’empocher de l’argent sans même à lever le petit doigt est bien trop intéressante pour qu’il manque la lecture du testament de notre mère. Oh, je sais, lui-aussi vient de perdre sa génitrice, je devrais sans doute être plus clémente envers lui, mais j’y arrive pas. J’y arrive pas, parce qu’envisager qu’il puisse aussi souffrir de cette perte m’oblige à me confronter à la mienne ; alors que j’arrive bien mieux à compartimenter mes pensées quand je suis en colère. Alors je lui trouve tous les défauts, sans même poser mon regard sur lui. Je ne sais pas s’il a changé en un an, et j’aimerais m’en ficher, mais le fait est que je regrette de ne pas avoir dérivé mon regard sur lui en arrivant, pour le détailler et énumérer tous les éléments qui seraient susceptibles de m’aiguiller quant à ce qu’il a fait durant ses douze derniers mois. Est-ce que des poches ornent désormais le dessous de ses yeux ? Est-ce que la prison a endurci ses traits, lui donnant quelques années supplémentaires ? Est-ce qu’il est bronzé, ou cruellement pâle, signe qu’il serait resté – ou non – dans le coin ? Je ne sais même pas depuis quand c’est un homme libre, ma mère m’a bien glissé l’information au détour d’une conversation, mais je refuse de me la remémorer pour obtenir ce détail ; je refuse de penser à elle, à tout ce qui l’implique encore, de près ou de loin, dans mes souvenirs autant que dans mon cœur. Je conservais malgré tout le faible espoir que Seth se soit évaporé dans la nature, et surtout, que si retrouvailles il devait y avoir, ce ne serait pas dans de telles circonstances. Les affaires de famille et les héritages ne sont jamais un bon moyen de se réconcilier – bien que j’en ai aucune envie – et je ne doute pas qu’il saura me faire regretter ma mise à l’écart. Je doute que la prison lui ait permis de se mettre du plomb dans la cervelle, et j’imagine au contraire qu’il a eu le temps de ruminer et de renforcer sa rage envers moi, pour avoir eu la bonne idée de préférer Angus à lui au moment de sa merveilleuse idée de l’été dernier. Et s’il veut tout savoir, je n’ai jamais regretté ma prise de position et le parti auquel je me suis rangée. Parce qu’aujourd’hui c’est bien Angus qui me soutient dans tout ça, et certainement pas mon frère.

Pour preuve, son rire jaune qui embaume la pièce lorsque le notaire nous présente une situation que j’ai écoutée, mais que je n’ai pas compris. Les éléments sont clairs, pourtant, et les preuves sont désormais sous nos yeux, mais ce n’est pas plus compréhensible pour autant. Je ne suis pas stupide ; mais je n’arrive pas à éclaircir tout cela ; non. Ma mère n’a pas pu faire d’emprunts, au contraire, elle se plaint constamment de ne pas avoir suffisamment d’argent. Elle vit au-dessus de ses moyens, c’est vrai ; d’autant depuis que sa crise de la quarantaine s’est enclenchée quelques années plus tôt, mais pas au point d’être aussi déraisonnable que de contracter des dettes dans plusieurs établissements. Ça ne lui ressemble pas. Elle est frivole, impulsive, et sans doute immature, mais irresponsable. Pas totalement. Elle ne l’était pas, en tout cas. « On va pas payer ça. » - « On peut refuser la succession, c’est aussi simple que ça, n’est-ce pas ? Si on signe le document, les dettes ne nous suivent pas et sont effacées ? » Que je demande, avant de rapidement reprendre à mesure que je m’active à chercher des solutions, sans m’alarmer. La situation est invraisemblable, mais pas sans issue. « Et même, elle doit bien avoir quelques biens, une assurance vie, des comptes bancaires, tout ce qui peut permettre d’éponger avant que ça nous revienne, ça doit être suffisant, pas vrai ? » - « Pas si les comptes sont co-signés. » Et pendant un instant, mon cœur s’arrête de battre, tandis que je suis incapable de respirer.

Et quand il se remet à fonctionner, il cogne si fort dans ma poitrine que ma respiration en devient saccadée. J’ai la nausée, et un sentiment de malaise qui s’installe dans mon estomac, remontant dans mes muscles jusqu’à m’en priver de l’usage, mes bras ballants sur les accoudoirs de cette chaise inconfortable alors que je suis incapable de me saisir des documents pour prendre la pleine mesure du chiffre inscrit sur celui-ci. Sans même le regarder, je sais que je suis dans une merde incommensurable. Les comptes. Je les ai co-signés. Ces dettes-là ne sont plus celles de Madelyn, et certainement pas celles de Seth. Ce sont les miennes, désormais.

« Je crains que ce ne soit pas une option. Pas si vous désirez conserver la tutelle de Llewyn. » Et je n’entends plus rien, pas alors que le seul élément qui me paraissait tangible au milieu de toutes ces incertitudes finit par m’être enlevé. Lee est resté avec moi jusqu’à aujourd’hui, et à aucun moment je n’ai pu imaginer qu’il en serait autrement. Il ne peut pas en être autrement, parce que son père s’est barré dans la nature avant même qu’il naisse, et que la question de sa garde n’en a jamais été une ; putain, Madelyn n’avait même pas cinquante ans, elle n’était pas supposée le laisser derrière elle avant sa majorité, et cette situation ne se serait jamais présentée. Silencieuse, j’exploite toutes les possibilités – c’est inconcevable, la tutelle de Lee ne reviendra à personne d’autre et je ne m’alarme pas, il y a des solutions. J’ai toujours trouvé des solutions, je refuse qu’aujourd’hui fasse exception à la règle, quoi qu’en dise des putains de papiers et des lois qui n’ont pas été éditées depuis des décennies. « Maisie, putain… » - « Tais-toi. » Je lui ordonne fermement, car je n'ai pas le temps pour se pleurnicheries ou ses réflexions qui ne nous aideront pas. « Il doit bien y avoir une… brèche dans le contrat dans ce genre de situation, non ? J’ai co-signé les comptes parce que ce serait plus facile pour nous quant à l’éducation de Lee, mais j’ai jamais signé pour qu’elle en fasse n’importe quoi, ça doit peser dans la balance, n’est-ce pas ? » Ça nous paraissait évident d’agir ainsi, dans l’hypothèse où il lui arriverait quelque chose – sans jamais prendre en compte que ça puisse effectivement être le cas. Jamais je n’aurais cru qu’elle en profiterait pour les vider et s’endetter par la même occasion, ce n’était pas dans le plan de base. « Et il doit y avoir des arrangements. Quelque chose, j’en sais rien, si je m’engage à payer ces dettes-là, à signer tous les documents dont vous avez besoin pour prouver ma bonne foi ? J’ai des biens, je peux les vendre, je peux augmenter mon taux d’occupation pour avoir un temps plein, j’ai des jobs fixes et stables, vous pouvez vérifier, ce sera pas un souci, ça prendra juste un peu de temps, mais j’ai pas de dettes, j’en ai jamais eu avant celles-ci, je suis parfaitement capable de gérer un budget et de m’y tenir, c’est pas un souci. » Je parle vite, trop vite sans doute alors que mes mots se chevauchent à mesure que mes pensées s’accélèrent. Mon van n’est pas en très bon état, mais je dois pouvoir en tirer un bon prix entre l’aménagement intérieur et les pièces mécaniques. Ma basse a vécu l’usure du temps, mais c’est une Thunderbird de 1978 qui vaut son prix auprès de collections aguerri. J’ai jamais voulu aller dans la nudité sur OnlyFans, mais je suis sûre que ça peut être une rentrée d’argent non négligeable. Je peux faire adopter Tracker pour ne plus avoir ces frais-là, j’ai pas beaucoup de vêtements de marque, mais eux aussi passeront à la vente, de même que tout ce dont je n’ai pas besoin en l’état actuel des choses, je peux même soudoyer Rose pour qu’elle me donne quelques objets de cinéma collector pour les mettre en gage, j’en sais rien, mais je trouverai. « Et Lee ! Et Lee, je m’occupe de lui depuis des années, vous pouvez lui demander, vous verrez, vous pouvez demander à ses enseignants, aux parents de ses copains, à son prof de danse, à son dentiste, son médecin, je peux vous faire la liste si vous voulez, ils m’ont tous vu au moins une fois si ce n’est pas plus, et lui-même vous le dira, je suis déjà en grande partie responsable de lui, ça changera rien, rien du tout, je peux aménager mon temps de travail et je... » Je m’arrête, mon souffle venant à manquer alors que j’ai de plus en plus de peine à respirer à mesure qu’ils posent un regard sur moi qui me fait comprendre que mes tentatives resteront vaines. « Ça peut pas se passer ainsi. Je suis sur le testament, ça peut pas se passer comme ça. » Je répète, tentant de rester calme alors que je suis à deux doigts de l’explosion. Regardez-moi, je suis totalement capable d’être la tutrice d’un gosse. « Je crains que ça ne soit pas suffisant. » L’assistante sociale marque une pause, et je l’implore du regard de ne pas poursuivre ce que je sais être inévitable. « Les critères financiers ne sont pas les seuls pris en compte. Il y a aussi la stabilité du foyer dans lequel l’enfant grandit. » Et stables, nous ne le sommes pas. Madelyn ne l’était pas, mais elle était malgré tout sa mère et ça suffisait. Un frère et une sœur ne peuvent prétendre jouer dans la même cour ; et quand bien même, c’est vraisemblablement un fait avéré même pour des inconnus qu’entre une malade et un taulard, on s’en sortira pas. « Je suis désolée. » Elle peut l’être, oui, mais je ne l’entends déjà plus, alors que mes coudes sont venus s’enfoncer dans mes genoux, et que, penchée en avant, mes mains tremblantes soutiennent ma tête, tentant de réfléchir à d’autres arguments qu’ils n'arriveraient pas à contredire, cette fois-ci. Mais j’y arrive pas, j’en suis incapable ; parce que mes pensées ne répètent que la même phrase en boucle, comme une vaine tentative de me résigner à l’inacceptable ; Lee va m’être retiré.

@Seth Moriarty

« On peut refuser la succession, c’est aussi simple que ça, n’est-ce pas ? Si on signe le document, les dettes ne nous suivent pas et sont effacées ? » Comment ça se fait qu'elle soit au courant de tout ça ? À croire qu'elle a une mère qui meurt chaque mois et qu'elle sait parfaitement quoi faire pour ne pas amasser les problèmes qui viennent avec. Tant mieux. Tu ne peux pas t'empêcher de te sentir soulagé qu'elle te sauve la mise en se sauvant elle-même. Tu doutes pas qu'elle te filerait toute la merde si elle pouvait le faire. « Et même, elle doit bien avoir quelques biens, une assurance vie, des comptes bancaires, tout ce qui peut permettre d’éponger avant que ça nous revienne, ça doit être suffisant, pas vrai ? » - « Pas si les comptes sont co-signés. » Ton regard passe du notaire à Maisie. Elle a la tête d'une fille qui vient de se faire clouer le bec. Pourquoi est-ce que personne ne t'a jamais proposé d'avoir un compte co-signé ? Ouais, c'est vraiment très surprenant. La suite déboule bien trop rapidement alors que le demande de prise de garde pour Llewyn ne sera pas autorisée même si le prénom de Maisie est bien dans le testament. Maisie est silencieuse alors que l'information déboule bien trop vite à ton goût. Tu comprends rien et tu voudrais qu'elle trouve de nouveau une solution - parce qu'on ne se cachera pas quand c'est pas toi qui va en trouver une. « Tais-toi. » Sérieusement ? Très bien. Tu lèves tes paumes en face d'elle en guise de drapeau blanc juste avant de sceller ta bouche avec ton pouce et ton index. Elle veut que tu la fermes ? Très bien qu'elle se débrouille toute seule comme une grande.

Tu écoutes sa plaidoirie d'une oreille inattentive. Tu te concentres surtout sur la réaction des personnes en face de toi. Sa voix sonne totalement désespérée et leurs têtes restent bien sérieuses. Ils n'en sont pas à leur première merde familiale. Votre cause n'est que du petit bonbon comparativement à la plupart des cas qu'ils doivent gérer. Y'a pas d'histoire d'horreur. C'est juste un gosse qui a perdu sa mère dont la plus proche famille, bien que majeure, n'est pas qualifiée pour élever un enfant. Tu as envie de lui dire de se taire à son tour. Tu as l'impression que plus Maisie insiste, plus elle s'enfonce. C'est peine perdu. C'est totalement ridicule, mais, ouais, c'est peine perdu. Tu l'as déjà deviné avant même que le verdict final ne tombe. Personne lui reprochera d'avoir espérer jusqu'à la dernière seconde hm. « Je crains que ça ne soit pas suffisant. Les critères financiers ne sont pas les seuls pris en compte. Il y a aussi la stabilité du foyer dans lequel l’enfant grandit. » Voilà. Vous n'êtes pas stable. Sauf que vous l'avez jamais été même quand Madelyn était encore de ce monde. Lee a l'habitude à l'instabilité. Ce n'est pas un problème pour lui de poursuivre sur cette lancée. C'est même mieux pour lui de continuer comme ça que de se retrouver auprès d'inconnus. « Je suis désolée. » Tu doutes qu'elle le soit vraiment, même si elle a l'air sincère. En même temps, qu'est-ce qu'elle pouvait dire d'autre devant l'air totalement détruit de ta soeur ? Tu peux pas dire non plus que tu sois particulièrement à l'aise devant la scène où Maisie se penche vers l'avant jusqu'à ce que sa tête s'enfonce dans les paumes de sa main. Elle va se mettre à chialer ? On dirait que oui. On dirait qu'elle va exploser à tout moment. Tu penses pendant une fraction de seconde à poser une main réconfortante sur son épaule - c'est ce qu'un frère et une soeur normal feraient dans ce genre de situation. Sauf que tu as bien trop peur de perdre ta main si tu oses traverser sa bulle alors tu t'abstiens. Tu te redresses plutôt dans ta chaise. Tu tentes de reprendre le contrôle de cette conversation puisque Maisie est k.o technique. « Et Lee ? Il va aller où ? » que tu te renseignes parce que tu ne sais pas quoi dire d'autre. Tu jettes un regard vers Maisie qui n'a sûrement pas envie d'en connaître la réponse avant de reporter ton regard vers l'avant. « Il sera placé dans une famille d'accueil pour l'instant. Vous pourrez le visiter quand vous voulez. » Pour l'instant. Ça veut dire quoi ? Que si Maisie ne réussit pas à leur prouver qu'elle est assez stable pour s'occuper de lui, il pourra être mis en adoption ? « On pourra ré-évaluer votre condition dans les prochains mois pour que Llewyn puisse rentrer à la maison. » Votre condition. Comme si ta condition à toi pouvait avoir une quelconque importance. Ton nom n'est pas dans le testament et tu n'auras jamais ton demi-frère à charge. Maisie va te buter si elle échoue par ta faute. « On va- on va trouver une solution. » Tu voudrais le lui promettre, mais on sait tous que quand tu fais une promesse, ça porte la poisse. Tu sais pas trop comment vous allez faire, mais tout va rentrer dans l'ordre pour Lee. Il faut que tout rentre dans l'ordre.

L'entretien se termine sur toutes ses bonnes nouvelles. À peine êtes-vous sorti du bureau que ta soeur semble déjà vouloir s'éloigner de toi le plus possible. « Maisie- » Elle n'a sûrement pas envie de te parler. Elle a sûrement envie d'aller éclater toute seule - ou pas avec toi du moins. « J'vais pas merder. J'vais- j'vais trouver le fric et, j'sais pas… On va trouver un moyen de le ramener à la maison. » Est-ce que c'est réalisable tout ça ? Peut-être pas, mais t'as quand même envie d'y croire.