I said, "better late than never
@Mavis Barnes (crédit gif/Popcornsoul)

The less i know the better. Comme un rappel. Les notes sifflaient là-haut s’en vouloir se disperser, et en oubliant le propos, le rythme était parfaitement adapté à ce qu’il attendait de cette nouvelle journée. Une douce énergie, l’ambition forte de ne plus avoir à penser du tout. La bande-son le suivait inlassablement depuis ce matin, depuis le saut du lit, et c’était efficace. Moins j’en sais mieux c’est. L’état de fait le plaçait dans les meilleures dispositions à ce jour et rien, pas même cette visite de la veille chez son père n’allait altérer les bonnes ondes. Hors de portée l’excitation du patriarche concernant son énième maîtresse, son groupe de parole du vendredi soir et l’acquisition d’une Chevrolet toute équipée qu’il mettrait une fin de vie à rembourser. Les nouvelles de son fils, il en avait pris en surface. Bientôt propriétaire, une augmentation, tu ne vas pas quand même finir ta vie comme chauffeur ? Ce à quoi Dan avait répondu de façon binaire, pour évacuer les sujets. Le temps n’arrangeait rien, si ce n’est qu’il ne faisait que l’endurcir, lui, ce pauvre driver sans ambition. Derrière lui l’entretien nombriliste et les questions existentielles. Sa fuite du jour ? Sa Triumph vintage bon marché, lui et Mavis, direction le spot de surf de renom qui bordait le long de Goldcoast. Périple envisagé sur un coup de tête. Il avait suffi d’une heure pour l’imaginer, à peine moitié moins pour l’organiser. Il ne lui restait plus qu’à convaincre son acolyte en restant flou dans la présentation du projet. Toi et moi au bout du monde ? Si tu as des questions, je n’aurai pas de réponse. C’était à prendre ou à laisser, et c’était plutôt audacieux de sa part quand on prenait en compte les actualités récentes entre les deux amis. En surface il ne subsistait rien. Ils riaient toujours, se comprenaient toujours. Comme d’habitude. Il était pourtant indéniable qu’il se tramait quelque chose entre ces deux-là, ce malaise palpable qui vous fait éviter certains sujets, de peur d’abîmer quelque chose de précieux. La définition du déni ? Un Dan et une Mavis.

Son pull beige oversize flottait dans les airs, cintré à la taille par les bras de sa partenaire qui s’accrochait parfois à lui, surtout dans les virages. The less i know the better. La mélodie s’infiltre encore, l’air est frais mais le soleil réchauffe, lui qui est au zénith. L’insouciance des temps légers, Mavis est là, la moto défile dans un paysage qui dévoile toute la diversité du Queens, des villages côtiers jusqu’aux mangroves, en passant par de longues routes désertiques. Ca faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi libre et soulagé. Tandis qu’il s’éloignait de la ville, il s’écartait aussi de son fléau. Et plus il s’éloignait plus il était saisi d’une impression de non-retour possible. Cette perspective ne l’effrayait pas, au contraire, elle l’intriguait, simulait un champ des possibles certes éphémère mais bel et bien à portée de main. Et puis, elle était-là. Au plus près. Sur la route il lui désignait du doigt des photographies, des scènes insolites ou juste du grand nulle part, pour partager avec elle un regard sur les choses. Parfois ils criaient pour se faire entendre, souvent sans succès, tant le bruit de l’engin empêchait tout échange fluide. Et ça n’allait pas en s’arrangeant. Pas du tout, même. Elle avait du cachet cette bécane, mais c’était une menace permanente. Bientôt, dans une côte, le moteur s’emballe, puis saccade. Pas normal. Dan est contraint de s’arrêter sur le bas-côté, avant de rallumer la bête. Qui ne se rallume pas. En retirant son casque il jette un coup d’œil bref sur la mécanique apparente, omettant avez zèle ses maigres compétences en la matière. Consistant dans la forme, il fronce les sourcils en cherchant une solution aux problèmes. Vainement. Il tente de réactiver le moteur, plusieurs fois. Rien à faire. "C’est la première fois qu’elle me fait ça.." Pratiquement vrai, mais il restait solidaire avec le véhicule, et trop fier pour admettre que son plan prenait une tournure inattendue. Autour d’eux du sable et quelques arbres, et un panneau qui annonce le prochain village à quelques minutes à pied. "Bon, voila… alors, elle te plaît ma surprise ?" Provoque-t-il, espiègle. Avant de se ressaisir pour trouver une suite. L’automatisme moderne, il dégaine son portable pour tenter de trouver un début d’issue. Fail "Tu as du réseau toi ? Moi pas du tout … Sinon on se dégourdit les jambes jusqu’au village prochain pour trouver un garage, une épicerie, ou même un bar, quitte à être dans le déni." La situation ne l’inquiétait pas, et rien ne saurait l’arrêter dans son entreprise, aussi chaotique devient-elle.    

I said, "better late than never
@Dan Sachs (crédit gif/perfectdisastcr)

Toutes les idées de Dan étaient bonnes, c’était une maxime à laquelle Mavis croyait. Basée uniquement sur son manque de partialité, elle n’avait jamais eu de mal à la suivre sans jamais y déroger, disciple endoctrinée depuis la première seconde, il y avait de ça un milliard d’années. Tout ce temps, elle s’était accrochée à lui en lui attribuant la lourde tache d’être son pilier, celui qui réussissait à l’ancrer dans le côté lumineux de la vie, celui qui parvenait à accueillir ses confessions sans qu’elle ne se sente honteuse de les partager avec lui. À l’exception d’une seule, et pas la moins difficile à faire. Faire l’autruche, c’était aussi facile que de se fier à lui. Ils le faisaient depuis des années, c’était une danse qu’ils connaissaient par coeur, et dont ils se figuraient des mesures pour l’exécuter sans même y penser parfois. Un-deux-trois-quatre, un-deux-trois-quatre, le décompte restait toujours le même, et c’était parfois confortable de s’y accrocher à ça aussi. Ça ne partait pas d’un sentiment quelconque de se mentir, c’était seulement pour éviter les sujets qui fâchaient parce que même pour eux, il y en avait. Alors oui, toutes les idées de Dan étaient bonnes, et toutes les occasions l’étaient tout autant de ne pas l’oublier, en profitant pour échapper à la pression du quotidien, aux horaires impossibles, et aux pensées qui l’étaient plus que tout. Elle n’avait pas refusé celle qu’il lui avait soumis sans craindre un instant qu’elle refuse, elle pouvait le lire dans ses yeux autant qu’il lisait dans les siens qu’elle le suivrait bel et bien au bout du monde, qu’importe ce que ça voulait dire.

Le trajet leur offrit une porte de sortie confortable à convoiter pour ne pas avoir à se demander c’est quoi le problème ? Il y en avait un, il datait de plusieurs semaines désormais, et il savait déjà lequel. Mais c’était doux de faire semblant que tout allait bien, ses bras passés autour de sa taille, la pression du casque autour de ses joues imposant un cadre aux observations qu’il lui conseillait de faire en ne quittant pas la route des yeux ; jusqu’à ce que le cahotement de l’engin sur lequel ils étaient montés les force tous les deux à revenir sur terre. Mavis fût la première à crier dans son casque, près de l’oreille de Dan qui manoeuvrait pour s’arrêter sur le bas-côté "C’est quoi le problème ?" La question qu’elle ne tenait pas à poser, elle l’avait posée pour autre chose, et c’était presque une perche tendue qu’il n’attraperait pas, contrit par l’affront de sa moto dont elle descendit pour mieux retirer son casque. Elle lui adressa un regard critique, mais son expression se fendit aux mots qu’il prononça après avoir lâché l’affaire, son ultime tentative s’avérant encore moins fructueuse que les précédentes "Hm, c’est ce qu’ils disent tous." rétorqua-t-elle malicieuse. Le sous-entendu était facile, pas moins drôle, pensait-elle. Le bout de son nez se fronça en le voyant se lever, sa silhouette se déployant devant elle alors que, ses deux bras entourant son casque qu’elle avait posé contre son abdomen en attendant que les doigts de fée de Dan parlent à sa moto, elle se détourna de lui pour jeter une oeillade par-delà son épaule pour admirer le panorama dans lequel ils s’étaient arrêtés, contraints et forcés "Le chauffeur laisse à désirer, mais la vue est superbe." Elle le charriait, sachant qu’au fond, la déception qu’il ressentait sur l’instant n’était rien à côté de l’idée que ce n’était pas du gâchis de toute façon, que la journée qu’ils passeraient, même s’ils la passeraient à arpenter le bas-côté de la route jusqu’au prochain village, ils en feraient quelque chose sur lequel bavasser des semaines, des mois, des années.

Sa tête retrouvant le sens du nord, là où Dan se trouvait, elle joignit le geste à ses paroles pour pêcher son propre téléphone portable, dissimulé à la ceinture de son short en jean, sous le sweat aussi large que le pull que Dan portait sur lui. Elle vérifia les barres de réseau dans le coin de l’écran, grimaça en relâchant son casque qui pendit au bout de son bras quand, d’une toupille, elle fit une vrille sur elle-même pour soupirer sans agacement, juste un peu de fatalisme. Sa tête bascula en arrière, elle laissa un petit gémissement filer, rien de grave "Pas du tout non plus. On va en faire quoi ? On la laisse-là, ou on la tracte jusque là-bas ?" Puisqu’en effet, elle n’était pas contre se dégourdir les jambes. Mais avant, retrouvant une posture digne, elle fit un tour de l’autre côté pour le regarder à nouveau, et puis elle s’approcha pour, avec une attitude soudainement suspicieuse, retrouvant les expressions de l’adolescence qu’ils avaient passé tous les deux — tous les trois, en vérité —, elle glissa son bras libre autour du sien et lui demanda sur le ton de la supplication inutile "C’était quoi ta vraie surprise, où tu voulais m’emmener ? Allez, tu peux me le dire, je garderai le secret." Tu sais que je sais garder les secrets, aurait-elle pu ajouter, mais comme ça englobait tant de choses à la fois, elle se prit un revers de conscience. Pour autant, elle ne le lâcha pas, elle s’affaissa contre lui, posée à ses côtés, et appuya sa joue tout contre son bras sans cesser de le regarder avec l’espoir qu'il craquerait pour lui dévoiler son plan de départ ; et la question qui lui brûlait les lèvres, c’est quoi le problème, elle lui revint en mémoire sans qu’elle ne réussisse à se résoudre à la poser différemment que tout à l’heure, c’est-à-dire au premier degré.

I said, "better late than never
@Mavis Barnes (crédit gif/Popcornsoul)

Peut-être qu’il fallait en arriver là. Une impulsion soudaine qui souhaite l’embarquer lui et Mavis loin de l’asphalte et du centre tourbillonnant, à l’écart d’une société et des maux qui composent leur quotidien, une mécanique fragile qui met à mal la suite de leurs aventures, une absence de connexion au monde moderne, oui, probablement qu’il fallait au moins tout ça, une rupture au normal pour s’extirper du facile, du confortable, du sécurisant, pour enfin jouer cartes sur table. Parce qu’il s’agissait de ça entre eux, depuis quelques semaines. Des non-dits et des interrogations en suspension, rangées dans le tiroir pour ne pas se déchirer. Dan ne voulait pas de ça, pas avec elle. Alors en lui fulminait l’ambition de se livrer à cœur ouvert, oui, ne plus craindre les conséquences parce qu’il était convaincu de la solidité de cet ensemble, d’eux, puis la seconde d’après, ses intestins se nouaient à l’idée de poser des mots sur ses émotions au risque de tout gâcher. Une dualité qui l’emportait toujours dans la même direction : nulle part. Mais ce nulle part lui suffisait amplement tant qu’il était à ses côtés. De beaux idiots. Au fond il se savait lâche, à attendre. Attendre quoi ? Qu’elle fasse le premier pas, sans doute, qu’elle lui pose la question une bonne fois pour toute, celle qui annihilerait la pesanteur qui chargeait l’air à chaque fois qu’il était en sa présence, et qu’il y repensait. Parce qu’il y repensait, souvent. Tout le temps ? Après tout c’était elle qui lui avait menti, c’était donc à elle de crever l’abcès. Probablement qu’on aura l’occasion d’y revenir. Pour l’heure, il s’agissait d’œuvrer pour trouver une piste, une solution pour la suite. Le tout dans une atmosphère légère et pleine d’insouciance. C’était eux. "Rectification. Le chauffeur est superbe mais la vue laisse à désirer, je peux lire en toi." Qu’il objecte sans l’analyser et sans attendre de retour, avec un petit sourire en coin, alors qu’il se concentre à trouver une explication au désormais non consentement de sa moto. Rien à faire, l’âge l’avait rendu revêche et capricieuse. Il était temps alors d’imaginer la suite "Tu songes vraiment à laisser ce piège à filles ici sans surveillance ?" Le contraste était évident. Sa carlingue fumante avait bel et bien perdue de sa superbe, et la vérité était ailleurs. Mavis était l’une des rares personnes à monter derrière lui, ce qui était assez évocateur de son pouvoir d’attraction. A elle, la moto. "Le prochain village n’a pas l’air très loin d’ici, on y va tous les trois. Avec un peu de chance on trouvera un garage." Confiant dans ses mots et son ton, sans trop vraiment savoir si la solution se trouvait bien à quelques minutes d’ici. Ca n’était pas un modèle patriarcale qu’il tentait d’appliquer là, ni même une tentative de prendre une posture virile pour rassurer Mavis. Pas son genre. Sa définition de la virilité résidait dans tout autre chose, aux antipodes du tristement normé et culturel. Il était confiant simplement parce qu’il était pleinement convaincu que ça ne pouvait que bien se passer, pourvu qu’ils étaient tous les deux voguant vers un même point. The less i know the better, toujours résonne.

Ca avait toujours été ça entre eux. Et là, il la voyait venir à des kilomètres avec sa moue enfantine, ses yeux de biches, se faisant faussement féline à en s’approchant vers lui. Dan réprime difficilement un sourire tout en secouant doucement la tête de droite à gauche, mimant l’exaspération. Tu penses vraiment m’avoir à ce petit jeu-là ? "Tu sais quoi, si on arrive entier au prochain village je te le dirais. Peut-être. En chemin je peux même te rappeler la définition du mot surprise, si tu veux ?" Un prêté pour un rendu. Dan avait envie de la tenir en haleine, même si la surprise finale demeurait finalement assez simple et sans artifices, il voulait juste avoir la sensation de pouvoir tenir les rênes sur ce coup-là, la guider, qu’elle le suive et se laisse surprendre. La surprendre, ça, c’était sa principale préoccupation du jour. Du jour et du lendemain, puis du surlendemain. Motivé par l’intarissable besoin de la savoir heureuse et épanouie, avec lui, et sans lui. L’empathie à son égard était telle que Dan avait parfois la troublante sensation de s’oublier un peu, de placer les besoins de sa jeune amie avant les siens. Peut-être aussi comblait-il un vide de cette façon ? Mais ça, pas question de l’envisager. C’était admettre l’existence d’une vertigineuse profondeur qu’il l’effrayait au plus haut point. Mavis en avait-elle seulement conscience ? S’inquiétait-elle parfois autant à son sujet, que lui se préoccupait de son état à elle ? Il ne douterait pas une seule seconde, en temps normal. Mais le doute subsiste aujourd’hui. Pourquoi ?

La route était peu empruntée. Une trajectoire bitumée en mauvais état, entourée de plaines de sable, d’habitations blanche au toit noir, et d’eucalyptus. Sur le bas-côté ils traînent, Dan pousse la moto par le guidon, son pull atour de la taille laisse désormais apparaître un débardeur blanc, pour mieux accepter l’effort. Le soleil était encore haut. Les complices se charrient, jouent, commentent, acceptent parfois quelques silences, le gage qu’une relation est saine et véritable. N’est-ce pas ? Le temps d’une légère transition, Dan se perd un temps, dans sa tête une pérégrination d’un point à un autre l’amène insidieusement sur un terrain glissant. Il ne sait pas comment le formuler, il aimerait le crier, pourtant. Pourquoi ? Pourquoi tu me caches la vérité ? Il aimerait savoir si il était en capacité de la rendre heureuse, lui, le doc', et si elle l’était ? Si ils se voyaient en cachette, dans son dos. Et pourquoi ? Mais rien ne sort. Si ce n’est "Tu sais, j’ai trouvé quelqu’un. Ma voisine. C’est tout récent mais elle est vraiment cool, il se passe quelque chose. Je ne sais pas vraiment quoi, mais c’est agréable, c’est frais.." ça. C’était factuel et réel, mais foutrement maladroitement annoncé. Comme un besoin intrinsèque et fourbe de remettre les compteurs à zéro, entre eux. Pathétique, tellement pas lui. Il y avait une part de vérité, un morceau de lui qui était tout de même un peu charmé par cette nouvelle rencontre, alors quoi de plus normal que de le confier à sa meilleure amie ? Il reprend, l’air doux. Et un peu con aussi, certainement."Et toi ? Je veux dire t’es heureuse, en ce moment ?" Au loin un amas de baraques, un panneau, le village approche, une issue de secours.

I said, "better late than never
@Dan Sachs (crédit gif/perfectdisastcr)

Elle grimaça, traits froncés dans sa direction, quand la correction de sa formulation de phrase fila de sa bouche, et qu’elle se donna pour mission de ne pas rétorquer autrement qu’en le singeant. Preuve au fond que Dan savait très bien ce qu’elle pensait de lui, l’interchangeabilité de ses propos lui venant aussi naturellement que le reste. Si Ruben craignait tellement celui qu’il prenait pour un rival, ce n’était pas pour rien, mais Mavis n’avouerait jamais rien. Parce que c’était bizarre dans le fond, d’avoir le béguin pour l’amoureux de sa soeur morte. Elle l’avait eu dés le début, ne savait plus très bien si elle l’avait encore aujourd’hui, mais des questions fusaient parfois, venant des autres qui s’apercevaient de l’alchimie, de la complicité, de la proximité aussi. Le chauffeur était superbe, la vue laissait à désirer, c’était presque une vilaine vérité à donner, et c’est pourquoi elle la tut de son côté, le laissant à sa malice pour s’occuper du factuel de leur situation.

Elle était la tête pensante, le cerveau des opérations. Ça avait toujours été le cas. Dan était débrouillard, il y avait été contraint ; Mavis était intelligente, elle n’avait pas vraiment eu le choix non plus — là encore, c’était une complémentarité qui les rendait redoutables, l’un sans doute plus dangereux que l’autre pourtant. Comme un gros bracelet, Mavis enfila son casque à son poignet, s’inquiétant de devoir tracter l’enfin défectueux de Dan qui s’en amusait pendant qu’elle, elle avait les sourcils froncés, à considérer la suite des événements avec un angle méthodique. Ils se relayeraient pour la pousser, cette fichue bécane. Est-ce qu’ils ne faisaient pas trop chaud pour s’aventurer sur le bord de la route sans aucune provision, à combien de kilomètres se trouvait le prochain village ? Elle voyait déjà loin, il ne voyait que le bout de son nez, le sien se relevant quand il statua sur la marche à suivre. Elle lui faisait confiance, c’était ce qui la forçait à ne pas remettre en doute ce qu’il décidait, absolument jamais. Elle hocha la tête "Avec un peu de chance, on pourra même repartir sur ton piège à filles." Et à ça de lui faire remarquer que la seule qu’il avait réussi à piéger avec ça, c’était elle, et que ça valait le doute quant au succès qu'il s’auto-attribuait en se pavanant dessus, elle décida de se détendre pour gratter quelques infos sur cette surprise qu’il lui avait vendue pour mieux la convaincre de passer la journée avec lui.

Elle lui lâcha le bras, mais elle reste à ses côtés, cessant de tirer sur la corde du chantage affectif en se montrant collante en plus d’être adorable. Mavis surprit son regard, y lut qu’elle ne l’aurait pas avec ses simagrées, et ricana juste un peu pour, de mauvaise foi lui faire juste après "Seulement si on arrive entier au prochain village ? C’est même pas ouvert à la discussion ? J’avais pourtant une longue liste de questions à te poser, je pensais au moins que tu me laisserais une chance." Caprice de la petite-fille riche qu’elle était. Ça avait beau de ne pas être sérieux, ça avait tout de même des accents de vérité qu’elle perdit juste après quand obligée de s’avouer vaincue, elle ajouta "Pendant que moi je me désolerai d’être tombée sur le seul type pas marrant de Brisbane. Tu vieillis mal, Daniel." Daniel. Avec le ton moralisateur d’une amoureuse un peu en colère ; sauf qu’elle n’était ni son amoureuse ni en colère, et que le sourire qu’elle lui accorda finalement, il annonçait les prémices de quelques longues minutes à s’asticoter sur le bord de la route pour ne pas avoir à entrer dans le vif du sujet.

Ça planait. C’était là. Mais leur volonté de rester fidèles à eux-mêmes était plus forte. Mavis enleva le sweat qu’elle portait sur le dos, crevant de chaud en plein cagnard. L’effort ne constituait pas un handicap pour la sportive qu’elle était, mais le manque d’eau vint tout de même rendre la tache un peu compliquée. Pour vainement se protéger, elle enfila sa capuche en laissant pendre le reste de son vêtements dans son dos, comme une cape de super-héroïne qui lui donna plus chaud encore qu’autre chose, mais ce n’était pas important. Elle était avec Dan, il avait préparé tout ça dans l’espoir qu’ils se voient, qu’ils passent du temps ensemble, et que l’harmonie habituelle reprenne ses quartiers pour continuer exactement là où ils s’étaient arrêtés ; ce matin là alors que son réveil sonnait l’heure de se lever, la menace du sujet docteur Hartfield ne pesant pas sur leurs épaules, s’extirpant d’un sommeil doux, plus perturbé depuis longtemps par le plus gros secret qu’ils partageaient tous les deux. Elle le savait, s’il n’y avait pas eu l’intervention de Ruben il n’y aurait jamais eu de malaise entre eux ; du déni sans doute, il y en avait toujours eu, mais il n’aurait pas été ponctué par un refus quelconque d’engager une conversation qui flottait dans l’espace qui les séparait. C’est quoi le problème ? Elle aurait pu lui demander maintenant, mais il la prit de court.

Elle arrêta de shooter dans tous les cailloux qui rencontraient le bout de ses tennis, mais ne s’arrêta pas de marcher pour autant. Tournant la tête vers Dan, elle fut trop rapide, et la bordure de la capuche de son sweat lui obstrua la vue juste un instant, celui qui lui fallut pour entendre ce qu'il avait à lui dire, encaisser le coup, et marquer une pause silencieuse pendant laquelle elle mima la réflexion. son coeur manqua un battement "Ta voisine ?" Elle ne dit que ça là, descendant un peu sa capuche sur l’arrière de sa tête pour mieux le voir, et constater qu’il était sérieux. Ça la fit quitter sa réflexion factice pour lui demander, sérieuse "Celle qui vient tout le temps te demander du beurre ?" Tactique pathétique si vous voulez son avis. Elle en foutait quoi du beurre qu’elle lui demandait un jour sur deux, cette pauvre fille ? "Et il se passe quoi exactement ?" Pas sûre qu’elle voulait vraiment le savoir. Mais c’était trop tard, et pour se protéger de la réponse, elle s’entendit lancer "Vu tout le beurre qu’elle a l’air de consommer, je peux demander à lui faire faire une ordonnance pour vérifier son taux de cholestérol." C’est agréable, c’est frais. Détournant la tête, elle laissa un rire résonner dans la petite vallée qu’ils traversaient à pied, retirant brusquement sa capuche de sa tête pour mettre en boule son sweat et le fourrer dans son casque qu’elle portait toujours comme un bracelet, mais au creux de son bras maintenant "On dirait que tu parles d’un dessert." Et ça non plus, elle n’était pas sûre de vouloir savoir si ça partait d’une constatation de la part de Dan dont la tendance à la nonchalance lui donnait soudainement envie de rebrousser chemin. Mais elle ne le fit pas, maîtresse de ses émotions malgré l’impression d’abrasif dans la rhétorique qu’elle lui adressa par saillies aux choses qu’il lui disait l’air de rien. Elle tourna de nouveau la tête dans sa direction, se sommant de rester elle-même, pas une version de sa soeur qu’elle s’était jurée de ne jamais devenir, surtout quand ça concernait Dan : elle ne le traiterait jamais mal, elle l’aimait trop pour ça. Mais sur le moment, quelque chose la contrariait — et de nouveau, elle laissa un rire lui échapper tandis que le défi dans sa voix s’enracinait "Si je suis heureuse ? C’est vraiment cette question que t’as envie de me poser ?"