Cousins are the family members who become lifelong confidants. -- @Matilda Middleton

Depuis son incarcération, Caelan n’était plus que l’ombre de lui-même. Il avait beau s’être fait répéter maintes et maintes fois que le retour à la réalité pourrait être difficile, il ne s’était pas attendu à ce que ce le soit autant. Il était content de passer du temps avec les membres de sa famille, mais les rencontres familiales étaient difficiles pour l’homme qui se mettait beaucoup de pression pour être celui qu’il était avant de se dénoncer. Cette pression, il se la mettait tout seul parce qu’il ne voulait pas inquiéter ses proches, plus particulièrement Norah qui en avait déjà bien assez sur les épaules avec le délit de fuite dont elle avait elle-même été victime en 2020 et la mort de Frank, son mari, décédé en service à l’Halloween 2016. Alors il les évitait un minimum, même si ça lui déchirait le cœur, en restant cloitré entre les quatre murs de sa chambre. De toute manière, même s’il était d’ordinaire extraverti et qu’il ne restait pas en place plus de deux minutes, il n’avait pas envie de sortir ces temps-ci. Sa déprime prenait toute la place, ses craintes de tomber sur des gens peu recommandables au tournant d’une ruelle sombre aussi. Il devait réapprendre à être libre et à apprécier sa vie qui ne serait plus jamais comme celle qu’il avait avant. S’il avait fini par prendre ses responsabilités en allant se dénoncer deux ans et demi après son crime, accepter qu’il avait perdu la femme de sa vie, sa maison et son emploi qui le passionnait à cause de sa décision était beaucoup plus difficile. « Peut-être une autre fois Diablo… » Il sourit tristement au beagle de son colocataire qui tentait tant bien que mal d’attirer son attention en pleurant et en branlant la queue, sans doute dans l’espoir d’aller jouer à la balle ou d’aller faire une balade en ville pendant que son maître était au travail.

Aujourd’hui, Caelan allait plutôt passer du temps avec sa cousine Matilda qu’il n’avait pas vue depuis des mois. La jeune femme lui manquait terriblement, mais il n’avait pas eu le courage d’aller vers elle parce qu’il craignait d’être incapable de la soutenir convenablement quand elle aussi traversait une période difficile avec la mort récente de son mari. Il était conscient qu’il n’y aurait jamais eu de moment idéal, que quelque chose l’aurait toujours retenu, mais il culpabilisait d’avoir choisi de se dénoncer au moment où sa cousine avait le plus besoin de lui. Il avait vu Norah vivre la perte de Frank avec des enfants à sa charge, il était donc bien placé pour savoir que Matilda avait besoin de tout le soutien nécessaire et il n’avait pas été disponible pour le lui donner. « Entre! » cria-t-il de l’autre côté de la porte lorsqu’il entendit toquer pendant qu’il mettait ses chaussures, assis dans l’escalier. « Hey Mat. » Il se força à lui sourire en se relevant, scrutant son visage avec attention à la recherche du moindre indice pour savoir comment elle allait aujourd’hui. « Je suis content de te voir. » Dire qu’il n’avait pas songé lui servir une excuse bidon pour annuler leur rencontre serait mentir, mais c’était simplement parce qu’il n’avait pas le cœur à prétendre que tout allait bien quand tout son corps criait le contraire. Au moins, Channing était venu lui couper les cheveux et lui tailler la barbe, il faisait un peu moins dur à voir. Cependant, la couleur de son teint ne laissait aucun doute sur le peu d’heures qu’il avait passé à l’extérieur ces derniers temps, tout comme sa forme physique qui en avait pris un coup. « Tu m’amènes où? » demanda-t-il pour repousser un peu le moment où ils aborderaient les sujets plus sérieux. La question « ça va » le rendait particulièrement crispé ces temps-ci. « Je suis désolé de ne pas avoir pu être là… j’ai beaucoup pensé à toi et les enfants… » Et à tout ce qu’il aurait pu faire pour leur remonter le moral s’il n’était pas derrière les barreaux à purger sa peine, tout ça parce qu’il avait paniqué ce soir-là et qu’il n’avait pas eu assez de couilles pour se rendre directement au poste de police. Il aurait même pu appeler Anwar, mais il ne l’avait pas fait… Il regrettait.

Cousins are the family members who become lifelong confidants. -- Matilda Middleton & @Caelan Leckie

Ton monde ne tourne plus rond. Des mois que tu cherches à faire sens des malheurs qui s’empilent les uns par-dessus les autres dans ton quotidien sans que tu n’arrives à trouver la moindre explication, la moindre justice. Des mois que tu vis sur le pilote automatique. Des mois que tu ne sais plus faire la distinction entre toutes les émotions que tu ressens, coincée quelque part dans un tourbillon de détresse et de vide, qui s’alternent et ne te laissent aucun moment de répit. Tu aimerais pouvoir dire que tu profites moindrement des premiers mois de la vie de ta fille, mais la vérité c’est que tu te noies dans des émotions si négatives que tu n’arrives plus à filtrer les émotions positives qui essayent pourtant de se frayer un chemin. On ne cesse de te dire qu’il faut que tu te changes les idées, que Nico voudrait que tu continues de vivre de vie, qu’il détesterait de te voir dans cet état second, n’étant plus que l’ombre de toi-même. Mais c’est trop difficile, la plupart du temps. Dans tes mauvaises journées, tu n’arrives qu’à faire le strict minimum, et tu crains que ce ne soit pas assez. Pas suffisant pour les enfants qui n’ont plus que toi. Pour Eli qui cherche encore son père un peu partout. À Issy qui n’aura jamais l’occasion de voir à quel point elle ressemble à son père. Dans tes moyens jours, tu survis. Doucement, difficilement, avec chaque heure une nouvelle réussite que tu encaisses dans une banque au coin de ta tête, avec l’espoir d’un jour pouvoir revisiter vaguement ces souvenirs et te dire que tu as réussi. Que tu as survécu tes jours les plus sombres et que tu en es sortie vainqueure. Dans tes meilleures journées, comme aujourd’hui, tu arrives à faire des plans et à les mener à bon. Dans les bonnes journées, tu arrives à troquer tes pyjamas sales et tes pantoufles pour une paire de jeans qui te fait encore étonnamment et une paire de chaussures qui donne l’impression que tu as encore un certain contrôle sur ta vie. Dans tes bonnes journées, tu parviens à apprécier la musique de la radio qui emplit ta voiture, le vent qui fouette ton visage et qui te rappelle que non, tu n’es pas sous l’eau et que non, tu ne manques pas d’air.

Le chemin qui mène de ta maison jusqu’à la résidence de Caelan n’est pas long, mais ce serait mentir de dire qu’il n’est pas légèrement anxiogène. Ça fait longtemps que tu ne l’as pas vu, ton cousin. Entre son incarcération, la maladie et la mort de Nico, et tout le reste, il faut dire que les tentatives de contact d’un côté comme de l’autre se sont perdues, incapable de devenir une priorité. Ce n’est pas que tu ne voulais pas être là pour le Leckie, pas que tu ne t’inquiétais pas pour lui et ce qu’il devait vivre, mais tu n’étais pas en mesure de faire pour lui ce que tu aurais voulu et tu sais que la réciproque est sans doute aussi vraie. Mais aujourd’hui, c’est une bonne journée, et tu as envie de croire que tu peux faire face à tout ça. Tu veux croire qu’aujourd’hui, il peut être là pour toi et tu peux être là pour lui. « Entre! » La voix de ton cousin résonne de l’autre côté de la porte, et s’il y a une légère hésitation dans tes mouvements, tu finis par tourner la poignée de porte et entrer dans le domicile. C’est une bonne journée, alors il est presque sincère, le sourire qui se place sur ton visage lorsque vos regards se croisent. « Hey Mat. Je suis content de te voir. » Tu t’approches de l’escalier où Caelan fini d’enfiler ses chaussures, et si vos gestes sont légèrement maladroits, l’étreinte que tu lui offres te fait tout de même du bien, le genre que tu ne t’autorises pas assez souvent. Une main posée sur son avant-bras, tu ne peux t’empêcher d’inspecter son portrait de plus près. C’est frappant, les ressemblances qui perdurent entre vous deux, qui vont bien au-delà de caractéristiques physiques. Les traits tirés, les cernes sous ses yeux, son teint pâle, tout cela fait reflet à ton propre mal-être, et ça ne fait que te briser le cœur un peu plus de réaliser que vous êtes tous les deux coincés dans un temps bien trop sombre de vos vies. « Je suis vraiment contente de te voir aussi. » que tu lui souffles, bien incapable de camoufler l’émotion qui s’empare de toi trop facilement depuis un moment. Refusant de faire perdurer le moment au point de le rendre inconfortable, tu reprends le chemin inverse jusqu’à ta voiture, t’installant derrière le volant alors que ton cousin prend place à tes côtés sur le siège passager. « Tu m’amènes où? » La question était légitime, mais tu n’avais pas de bonnes réponses à lui offrir. « J’ai rien décidé. Je me suis dit qu’on pourrait conduire un peu, et se laisser guider. » Les rues de Brisbane finiraient bien par vous guider quelque part, tu en étais certaine. « Les enfants sont avec mes parents, on peut toujours passer les voir si tu veux. » Mais pour commencer, tu avais jugé qu’il était sans doute plus sage que vous passiez un moment seul à seule, pour pouvoir faire le point sur les derniers mois, pour que vous puissiez parler sans redouter les petites oreilles curieuses ou bien être constamment interrompue par les besoins de tes enfants. Il aurait été facile de te cacher derrière eux, de les utiliser tel un bouclier comme tu l’avais fait à de nombreuses reprises dans les derniers mois, mais pas aujourd’hui. Pas avec Caelan. « Je suis désolé de ne pas avoir pu être là… j’ai beaucoup pensé à toi et les enfants… » « Je sais. » Le sujet est abordé bien plus vite que tu ne l’aurais voulu, mais il aurait bien été impossible de l’éviter plus longtemps. « Je t’en veux pas, tu sais? » Pas vraiment, du moins. Encore une fois, il est difficile pour toi de démêler tout ce que tu peux ressentir tant c’est douloureux de t’y attarder trop longuement. « J’ai l’impression que tout s’est enchaîné si vite, entre ton incarcération, la maladie de Nico, et… » Rappeler qu’il est mort t’est toujours impossible, les mots restant coincés au fond de ta gorge. « J’ai pas pu être là pour toi non plus, pas comme je l’aurais voulu. Moi aussi je suis désolée, Caelan. » que tu parviens à dire, non sans des larmes ayant déjà mouillées ton regard, avant même que tu ne démarres ta voiture.