Les vacances, c’est trop cool, hein ? Hein ? Farley n’en est pas si sûr. Le meilleur est passé et c’était l’explosion. Pif paf pouf. Quelle bonne idée de la part de son grand-père de le faire participer à cet incroyable Grand Prix ! Participer, pas exactement, mais Farley lit dans sa boule de cristal qu’un jour, il y sera pour de vrai. Pas dans les tribunes, collé à des sportifs du dimanche transpirant dans leur t-shirt aux couleurs de leur écurie préférée – certainement pas la sienne –, non. Il sera au volant d’une de ces incroyables monoplaces qui vont vite, vroum vroum, soulevant toute la poussière de la piste. Il a plu, un peu. Ce n’était pas très confortable d’ainsi suivre les progrès de ses pilotes préférés, mais il a su saisir le moment et en profiter aux côtés de son grand-père qui définitivement, voulait lui faire plaisir. Enfin un allié dans cette famille de tarés ! Entre maman et papa qui ne le soutiennent pas – alors que maman est la fan numéro un des courses automobiles, elle n’a pas raté un seul Grand Prix depuis 1920 – dans ses projets fous de gamin qui veut briller – et il brille, et ils s’en fichent, il a envie de hurler dans son oreiller – et ses frères jaloux aux gestes grotesques – parce que juste avant de partir, il les a copieusement insultés, bien fait – le gamin ne sait pas se faire sa place. Pas facile d’être le héros que tout le monde attend mais que personne ne respecte. Ou Cassandre, la femme qui dans la mythologie… Elle a fait quoi encore, celle-là ? Oh, il ne sait pas. Pourquoi diable leur a-t-on enseigné quelques histoires qui jamais n’ont existé ? Les écoles anglaises sont bizarres. En Amérique, ce n’était pas comme ça. Était-ce mieux ? Peut-être, peut-être pas. Dans tous les cas, il détestait aller en cours. Il n’écoutait pas les paroles divines du professeur – parce que Mace, le premier de classe, c’est ce qu’il disait. Foutaises. Ses yeux grands ouverts, à suivre chaque mouvement de l’enseignant, buvant ses mots, levant frénétiquement la main à chaque question. Mace n’avait pas beaucoup d’amis, et Farley comprenait pourquoi. Il ne se moquait pas de lui, sauf lorsqu’il rentrait à la maison et qu’il racontait à sa famille les dernières folies du chouchou. L’autre jour, il a presque fondu en sanglots lorsque Dana a remis en question les affirmations de son dieu sur pattes. Allons, les idiots, ça va deux minutes. Mais n’est-ce pas lui l’idiot avec ses points négatifs ? Il s’en fiche. Il est futur pilote, les interros ne lui donneront pas la money qui le rendra riche et célèbre. Et beau, au passage, car il pourra faire de la chirurgie esthétique.

En a-t-il vraiment besoin ? Ce passage par la Grande-Bretagne n’a pas que du négatif. Il peut réaliser ses rêves de gamin, il est entré en F4. Ses parents lèvent les yeux au ciel mais laissent faire. Dans tous les cas, s’il est très occupé par ses nouvelles responsabilités, en cours, ça va mieux. Les professeurs ne l’apprécient pas davantage mais les filles s’intéressent enfin à lui, à sa gueule de petit con et à ses prouesses. Un jour, elles se vanteront d’avoir séduit le célèbre Farley Cafferty ! Que l’on est bête lorsqu’on a quatorze ans.

Son grand-père dort dans la chambre d’à côté. Que font-ils là, déjà ? Il n’arrive pas à trouver le sommeil. Après le Grand Prix, il l’a emmené dans d’autres villes australiennes. Ils ne restaient jamais plus d’une journée. Mais pourquoi Brisbane ? Sydney, admettons. Canberra, ça lui dit vaguement quelque chose. Mais Brisbane ? Oui, il y a des kartings. Chouette, il n’en a plus besoin, et en plus il y en a partout. La plage est plutôt jolie. Y’a une vie la nuit. Mais peut-il y participer ? Bien sûr que non. L’alcool, c’est pour les grands, et il peine à grandir le Farley. Les centimètres se foutent de sa gueule et il passe pour un gamin. Il a déjà essayé d’entrer dans un bar, le mec baraqué de deux mètres lui a barré le chemin. L’insulter n’a servi à rien. « Vous savez qui je suis ? » tout le monde s’en fiche ici. Ce n’est pas un pathétique pilote de F4 de quatorze ans et presque toutes ses dents qui va l’impressionner. Vous ne passerez pas. Au propre comme au figuré. Bref, il est une heure du matin et Farley se fait chier. Son téléphone dernier cri ne lui offre pourtant pas un plaisir incroyable. Ses copains sont occupés, ils dorment, il ne sait pas vraiment, parce que le décalage horaire le rend tout chose. Puis, il se prétend malade. Il est sous certificat. Sinon, comment faire le déplacement ? L’école n’aurait jamais accepté. Motus et bouche cousue, ce sera un petit secret qu’il dévoilera lorsqu’il ne risquera plus rien en clamant que les nullos, eux, étaient à Londres plutôt qu’en Australie à suivre cet incroyaaaaable Grand Prix. Etudier, quelle douce erreur. Farley avait besoin de vacances. Le jour après la rentrée aussi.

Il tourne et retourne dans les draps. Il ne veut plus être ici. Demain, ils quittent Brisbane pour leur dernière destination. Il a déjà oublié le nom. Il sera crevé mais il s’en fiche. Il sort de son lit pourtant moelleux, enfile un t-shirt et un pantalon, ouvre délicatement la porte. Son téléphone faiblement éclaire le couloir mais les lumières automatiques se mettent en marche. La porte est doucement refermée pour ne pas attirer l’attention du grand-père au sommeil léger et il file vers l’ascenseur. L’homme de la réception est envoûté par la lecture de son journal. Que se passe-t-il en Australie ? Il file vers l’air frais, s’éloigne le plus possible de l’hôtel maudit et retrouve sa liberté. Son grand-père n’en saura rien. Il rentrera dans une heure, deux heures, il dormira quatre heures et il sera temps de se lever et de prendre le train. Ça fait beaucoup d’heures, trop de calculs pour l’esprit en vacances. Les rues bien sûr sont désertes et Farley est tout excité par les folies qu’il se permet. Il sera puni s’il se fait choper, mais il se plaindra et protestera, prétextera un alien entré par la fenêtre et l’ayant déposé il ne sait où. Un banc, il s’y installe. Les jambes balancent et il retient un petit air musical de quitter la barrière de ses lèvres. Ne pas se faire repérer. Il est un adulte aujourd’hui. Si la police le croise, il prétextera une majorité majeure. Il n’a pas ses papiers. Ce n’est pas grave. Ils ne sauront rien prouver. Il est libre et il en profite. Mais des parasites entrent dans son esprit, les pensées négatives de l’école qui planent au-dessus de sa tête. La semaine prochaine, sa « maladie » sera terminée et frais comme un gardon il retournera parmi les élèves. Une interro l’attend. Il n’a pas bien compris la matière, c’est pas comme si ça l’intéressait. Pourtant, des mots précis lui reviennent à l’esprit. Alors, à voix basse, il susurre « L’anthropogénèse, c’est l’étude de l’apparition de l’espèce humaine » mais il manque des mots à sa définition. Il la répète un peu plus fort, mais c’est peine perdue, ils ne viennent pas. Tant pis. C’est de la merde, de toute façon. Ils sont là, tous, et savoir comment ne l’intéresse pas. Mais il parle trop fort, Farley. Il entend bientôt des pas qui se rapprochent, des rires, deux garçons qui ont sûrement fait des conneries et rentrent chez eux pour qu’on ne les chope pas. Ils rient de son intelligence ? Farley est coupé dans ses incroyables explications. La bouche close, il les foudroie du regard. Ils ne le remarqueront pas, de toute façon et au pire, il leur dira sa façon de penser. Honteux de l'interrompre alors qu’il disait enfin quelque chose de sensé.

@Jordan Fisher

“I am no bird; and no net ensnares me: I am a free human being with an independent will, which I now exert to leave you.”

Pando

Sauf qu’il y a toujours un « mais » dans la vie de Farley. Il est assis sur son banc, garçon pas sage qui devrait dormir et ces mecs passent devant lui sans se retourner. Ah bon ? Ce serait trop beau. Lui a quatorze ans, ils doivent en avoir seize, il est pas très grand, il est pas très fort, il est légèrement recroquevillé sur lui-même comme s’il allait lui arriver quelque chose et il fait bien parce qu’ils approchent, ils approchent un peu trop, et son accent à Farley et ses incroyables explications sur la parthénogenèse, enfin non c’était pas ça mais y’a « genèse » dans le mot mais où a-t-il donc entendu un terme pareil lui qui n’est pas très intelligent, ça se voit qu’il n’est pas d’ici, qu’il s’est paumé, qu’il aurait dû rester à côté de son grand-père et qu’il sera fâché lorsqu’il rentrera s’il rentre un jour parce qu’il s’est mis dans les ennuis. « Tiens, d’où tu viens petit ? T’as perdu ta maman ? » et Farley bouillonne car non il n’a pas perdu sa mère, elle est à des milliers de kilomètres en train de faire il ne sait quoi, le repas peut-être, ou travailler jusque tard, manger seule avec ses deux fils car le père est certainement encore absent. Quelle famille de merde, il n’aime pas l’Angleterre même s’il y a de chouettes quartiers à Londres et que l’Irlande n’est pas loin mais on aurait dû raser ce foutu payer de la surface du globe, n’est-ce pas ? Ils sont en terre ennemie, comment son père a-t-il pu accepter une chose pareille ? La haine de son prochain sans raison apparente, et pourquoi pas ? Comme ces deux mecs débiles, il les hait, et la réciproque est aussi vraie. Leur rire le foudroie et il serre ses petits poings. Ne pas répondre, ne rien dire, les ignorer simplement. Mais ils restent là, même ils s’assoient à ses côtés et Farley se lève pour s’éloigner le plus vite possible, retourner à l’hôtel et maudire tous les cons de la terre. Il en fait partie, mais il ne l’avouera pas. Bien entendu, ce serait si facile s’ils ne le suivaient pas, mais leurs pas le traque, et les choses deviennent horribles. Parce que Farley, il gère mal sa colère, alors son bras s’étend et frappe le premier. Il n’aurait pas dû faire ça, mais la confrontation était-elle vraiment évitable ? Il est convaincu que ce n’était qu’une question de temps.

Ils n’ont aucune pitié envers son jeune corps, son beau visage qui n’a pas encore connu sa première pilosité, ils rient et il ne fait que mettre ses bras devant sa tête en vaine tentative d’arrêter de recevoir cette pluie mortelle. Un contre deux, quelle grandeur d’âme, il a mal Farley mais il ne supplie pas, il les déteste, il les hait, il veut leur mort et celle de toute leur famille parce que c’est comme ça qu’il pense stupidement lorsqu’il est en difficulté. Puis, plus rien. Il a entendu une voix, les coups se sont peu à peu tus, les pas se sont éloignés. Son nez semble cassé, ses dents peut-être aussi, il n’ose les toucher avec sa langue mais y’a un goût désagréable dans sa bouche, le goût du sang qu’il connaît bien car il lèche ses blessures, plus sérieusement il s’est déjà battu, il a déjà perdu, et il serre les poings mais y’a plus personne à frapper, qu’un garçon qu’il observe curieusement parce qu’il ne comprend pas ce qu’il fiche là. Apparition divine, peut-être, il ne va pas mourir, pas ce soir, sauf si ces enfants de cœur reviennent avec des potes et des armes, mais il sera déjà loin. Il doit partir, sans un merci, mais le gars est au téléphone, il appelle les secours et l’enfer apparaît devant les yeux de Farley comme si ce sauveur n’en était pas un. « Non ! » il crie mais sa voix est étouffée par le sang qui emplit sa bouche. Beurk et rebeurk. « Faut pas… non ! S’il-te-plaît ! » Il tente de mesurer ses propos pour ne pas l’insulter – mais il en a envie, ça c’est certain – mais il a déjà raccroché. C’est trop tard, alors il tente de fuir, mais ses jambes sont faibles, elles tremblent et refusent de le porter vers l’hôtel – il est où ce con ? Papy viens me chercher. Mais s’il l’appelle, il ne répondra pas. Il a le sommeil lourd, le bougre. Et… oh, il s’est définitivement mis dans la merde.

@Jordan Fisher

“I am no bird; and no net ensnares me: I am a free human being with an independent will, which I now exert to leave you.”

Pando