Le début de la journée avait été plutôt doux. Tu t’étais réveillé dans les bras de Mathilde alors qu’Helena venait sauter sur votre lit pour que vous lui prépariez son petit déjeuner. Tu t’en étais occupé alors que ta femme se préparait pour partir travailler. Elle amènerait Helena avec elle pour la déposer à la crèche alors tu voulais profiter de ta fille. Tu l’écoutais te raconter dans des mots pas toujours compréhensibles les rêves qui étaient venus occuper sa nuit. Beaucoup ne devaient être que des histoires qu’elle avait imaginées mais tu ne la coupais pas, bien au contraire. Entretenir la moindre fibre créative et artistique de tes enfants était primordial pour toi car tu ne voulais pas te transformer en vieux cons comme tes parents. Tu les aimais de tout ton cœur mais ils n’avaient pas eu la meilleure approche éducative possible, c’était au moins quelque chose sur lequel tes frères et toi vous pouviez tomber d’accord même si vous n’en aviez pas tous souffert de la même manière. Une fois le petit déjeuner pris, tu allais habiller Helena avant que Mathilde ne vous rappelle à l’ordre. Tu laissais filer les deux femmes de ta vie pour ne pas les mettre en retard et tu appelais Jacob pour prendre de ses nouvelles. Tu l’attrapais sur le chemin pour ses cours, comme tu l’espérais, ce qui vous permit de discuter une dizaine de minutes. Une fois les obligations familiales passées, tu te dirigeais vers le piano que vous aviez installé dans le salon de cette petite maison de Logan City. La maison de rêve de Mathilde se trouvait à Bayside mais pour l’instant, vous louiez une petite maison pas très chère dans un quartier moins huppé pour mettre de l’argent de côté. Cela te convenait très bien pour tes créations artistiques et tu avais promis à une future mariée un morceau original pour sa première danse, il était temps de te mettre au travail.

Quand la sonnette retentit, tu fus sorti de cette transe dans laquelle tu te plongeais quand tu composais. La mariée t’ayant donné la composition du petit groupe de musicien qui jouerait à l’occasion de son mariage, tu étais en train d’écrire la partition de chacun en essayant de t’assurer que tu n’oubliais rien. Il faudrait tester cela bien entendu mais c’était prévu pour la fin de la semaine. Largement suffisant pour te laisser le temps de faire les arrangements avant le mariage la semaine suivante. Posant ton crayon par terre, tu te levais pour aller ouvrir te demandant bien qui cela pouvait être. Tu n’eus même pas le réflexe de regarder ton téléphone portable pour vérifier si tu avais manqué un message de Mathilde. La dernière personne que tu t’attendais à voir derrière la porte était Amos. « Je te dérange pas ? J’ai besoin de vider mon sac. » Les questions se bousculaient déjà dans ton esprit. Déjà parce que tu avais du mal à croire que ton frère était chez toi, ensuite parce que tu étais la dernière personne à qui tu l’imaginais vider son sac et enfin, parce qu’il n’avait jamais voulu répondre clairement aux questions que tu avais eues pour lui depuis quelques temps, notamment au sujet de son catamaran. « Je composais mais j’ai besoin d’une pause de toute façon. Entre. » Dis-tu en lui laissant le passage dégagé pour qu’il puisse passer. Amos était déjà venu quelques fois dans la maison, tu n’avais pas besoin de lui faire visiter les lieux. «Mais, j’ai aussi besoin que tu me promettes de ne jamais rien répéter et de ne pas essayer de comprendre si tu n’y arrives pas. Ce n’est pas ce que j’attends. J’attends pas de jugement non plus. Juste qu’on me propose des alternatives pour faire au mieux.» Les confidences de ton frère allaient venir avec un prix à payer. Ce n’était pas le fait de garder le secret qui te dérangeait, ça, tu pensais pouvoir le faire sans problème. Mais il t’inquiétait à te dire que tu ne pourrais pas comprendre et qu’il ne voulait pas être jugé. Cela te laissait penser que ce qu’il allait te confier n’allait pas vraiment te plaire. Avais-tu le choix cependant ? « Je te promets de ne rien dire et d’essayer de faire au mieux pour le reste. » Tu ne te voyais pas t’engager sur plus que ça, il fallait rester réaliste. « Je te sers à boire avant de commencer ? » Tu ouvris le frigo où se trouvaient toutes sortes de boissons non alcoolisées et qui pourraient intéresser ton frère. Une fois les boissons récupérées, tu lui indiquais le salon où tu allais ranger les différentes feuilles de ta composition qui trainaient un peu partout. « Je t’écoute. » Lui dis-tu ensuite en t’installant en face de lui.

@Amos Taylor

La visite d’Amos est une surprise. Depuis ton retour sur Brisbane, vous ne vous étiez que très peu vus, tous les deux pris dans des réalités et des vies qui ne se croisaient plus depuis trop longtemps pour faire semblant d’être proches. Mais l’introduction de ton frère ne pouvait qu’aiguiser ta curiosité. Bien sûr que tu avais posé un certain nombre de questions sur les achats de ton aîné car les Taylor n’avaient jamais manqué de rien mais ils ne pouvaient pas être considérés comme riches ou aisés non plus. Et ton frère n’avait pas un métier qui pouvait lui garantir ce genre de revenus. En tout cas, pas le métier dont il te parlait. C’était une remarque que t’avait faite Mathilde, plus pour te taquiner qu’autre chose mais tu lui avais de suite rétorqué qu’avec ce qui était arrivé à sa fille, tu n’imaginais pas ton frère se lancer dans des métiers de l’économie parallèle. Donc tu continuais à t’interroger sans que cela ne prenne non plus trop de place dans ta vie. L’avoir chez toi, sans prévenir, pour qu’il vide son sac était d’autant plus intriguant que tu pensais qu’Abel serait celui qu’Amos choisirait pour ce genre de discussions. Tu ne savais pas encore si tu devais être touché qu’il t’ait choisi ou si le contenu de ce dont il veut se délaisser n’est entendable que par toi pour l’instant ce qui ne te disait rien qui vaille. « Si  tu bosses sur un truc très très urgent, je peux repasser une autre fois. » Cette remarque de ton frère te fit sourire. Amos n’avait jamais caché ne pas comprendre du tout le métier que tu exerçais. C’était déjà le cas quand tu étais simplement professeur de musique mais avec la composition c’était encore pire. Pour toi, rien n’était jamais urgent, c’était une question d’inspiration et de bon moment. « J’ai le temps, je m’y remettrai après. » La présence d’Amos chez toi était plus importante à tes yeux que cette composition pour une mariée que tu pourrais terminer plus tard malgré le fait que la date du mariage approchait. Tu avais appris à te laisser porter par le hasard de la vie, par les situations qu’elle mettait sur ton chemin et il était hors de question pour toi de mettre ton frère à la porte. « Mathilde est là ? » Tu secoues la tête avant de lui répondre : « Non, Mathilde est au travail et Helena à la crèche. Et Jacob est en cours bien évidemment. » Ca, tu n’en avais aucune preuve mais tu espérais que ton fils ne s’amusait pas à sécher les cours, lui qui avait la chance de pouvoir faire des études supérieures.

Parce que la discussion risquait d’être longue, tu proposais à boire à ton frère qui accepta volontiers. Tu attrapais deux canettes de soda au frigo avant de revenir dans le salon où Amos avait pris place sur le canapé. «Tu veux toujours savoir comment je me suis acheté ce catamaran ? Parce que tu devrais t’asseoir toi aussi.» Tu ne dis rien, tu regardes ton frère d’un regard curieux mais aussi inquiet. Tu as un mauvais pressentiment mais tu es incapable de dire pourquoi. Décidant de ne pas l’interrompre, tu hoches la tête avant de venir prendre place en face de lui, dans un fauteuil qui te permettait de l’observer. C’était étrange mais à cet instant, Amos semblait hésitant. Il t’avait toujours paru si sûr de lui, c’était déroutant. Tu focalisais toute ton attention sur lui, posant ta canette de soda sur la table basse pour ne pas être distrait. « J’ai fait un prêt… que je peux facilement rembourser parce que je bosse dans le monde du jeu, dans une espèce de bar clandestin. C’est le même bar qui a embauché Sofia, qui a prêté de l’argent à Sofia et qui… enfin… tu vois, quoi.» Les informations arrivent toutes en même temps, beaucoup trop vite. Qu’Amos ait fait un prêt, d’accord, ça ce n’était pas vraiment une surprise. Restait la question de pourquoi la banque avait accepté de lui prêter autant d’argent mais il y répondit lui-même. La suite par contre était plus que surprenante, elle était désarmante. Il travaille dans un bar clandestin, le même bar clandestin qui a tué sa fille ? Tu avais vite compris qu’il était préférable de ne pas trop parler de Sofia à ton frère et tu respectais ce choix. Par contre, tu ne comprenais pas du tout ce qu’allait faire ton frère dans ce bar. « C’est caché derrière un resto et… Et voilà, comme ça, tu sais..» Tu as l’impression d’être entré dans une autre dimension. Mathilde avait eu raison finalement, Amos semblait avoir intégré un monde que tu ne pouvais pas prétendre connaître et cela te convenait très bien. Donc, ton frère venait de t’avouer travailler dans un bar clandestin, tellement clandestin qu’il avait une couverture officielle. Et ce n’était pas qu’un bar, il avait parlé du monde du jeu. C’était un bar doublé d’un casino ou d’autre chose ? Les questions se bousculaient dans ta tête car en répondant à celle sur son catamaran, Amos avait ouvert la boîte de Pandore. « Si je comprends bien, tu peux te payer un catamaran parce que tu travailles dans un bar totalement illégal qui te permet de te faire de l’argent qui vient d’on ne sait où et qui est certainement blanchi à travers la couverture de ce restaurant ? » Ta connaissance du monde de la pègre, du marché parallèle et tout ce qui s’en rapprochait, tu l’avais des quelques films que tu avais pu regarder. Tu te doutais que c’était sans doute bien loin de la vérité mais ils te permettaient de lire un peu entre es lignes, peut-être. « Si tu es dans le monde du jeu, il y a un casino aussi ? » Car tu ne voyais pas bien à quoi les gens pouvaient jouer, à part aux cartes, dans un bar classique. Mais la question centrale pour toi n’est pas celle-ci, la question centrale est celle de Sofia. « Qu’est-ce que tu fous exactement à travailler à l’endroit qui a trainé ta fille en enfer ? Qu’est-ce que t’espères trouver ou y gagner ? » S’il arrivait quelque chose à Jacob, tu aurais envie de te venger, certes, mais pas d’aller te faire ami-ami avec les gens qui ont participé à son meurtre. Mais tu avais promis à ton frère d’être ouvert d’esprit alors tu espérais que derrière tout ça, il y avait une explication.

@Amos Taylor