« Je reviens début janvier. » À quoi pouvait-il bien s’attendre, de toute façon ? Les deux hommes sont en compétition pour gagner la médaille de l’agenda le plus chargé. Sans surprise, leurs temps des fêtes ne s’emboiteront pas comme ils le désirent. Pas seulement Noël ou le jour de l’An, d’ailleurs. Archie a déjà réfléchi à ce que ça entrainerait, de s’attacher à une personne qui réussit à rentabiliser son jet privé en une seule année. Ils ne pourront pas se suivre. Il voyait ça comme un positif, quand l’hypothèse de l’amour ne lui servait qu’à rêvasser dans l’interdit, parce que la distance l’aidera à tempérer ses sentiments pour qu’ils ne soient ni trop chauds, ni trop froids. Aussi, comment refuser la couverture des milliers de kilomètres pour arriver à faire semblant d’être encore en couple avec une femme ? Caitriona est toujours là. Heureusement, elle sait. Il ne peut pas la blesser puis qu’il s’agissait d’un arrangement. Compte-t-il lui annoncer la nouvelle ? Non, absolument pas. Personne ne saura. Autant il veut préserver son intimité de sa famille, autant il a conscience que les répercussions d’un coming out du côté de Carmine ruinerait bien plus que ses parents. Aucun n’aura envie de trahir l’autre. Cette histoire se tissera dans l’ombre. « D’accord. » Il n’a pas envie de faire la moue. Son visage est neutre, contemplatif de la mer qui tangue et de ses vagues en colère. La mélodie timide jouant en fond lui permet de faire se reposer ses idées sur un coussin moelleux.

« Si tu dors maintenant, nous pourrons profiter ce soir. » L’autorisation de dormir est aussi contagieuse qu’un bâillement. Elle alourdit encore plus les paupières d’Archie, dont l’occiput épouse la courbe des cuisses de son appui-tête temporaire. Il n’est plus assez éveillé pour sentir la lumière s’éteindre sur sa peau. Sa poitrine accueillie une plus importante quantité d’air et chacune de ses inspirations rythme le moment. S’il lutait encore pour garder une certaine posture, au moment où il tombe véritablement endormi, confortable comme un lapin dans un champ de lilas, son corps s’affaisse pour de bon. La main de son…

amoureux –

caresse machinalement ses cheveux, dont la danse s’est jointe au tout premier rêve animant les esprits embués d’Archie. Un rêve qu’il accueille avec un sourire timide pointant à ses lèvres, contrairement à tous les autres qu’il a toujours tant détestés et qui transformaient son sommeil en une sempiternelle bataille insurmontable.

Une voix de mêle au silence dans lequel Archie se laissait bercer depuis plusieurs heures. Il n’a pas senti les cuisses de Carmine se déloger de la prise entre sa tête et le canapé et son esprit a cru être accompagné du début à la fin. Le sommeil dans lequel il était plongé avant été des plus revigorants. Quand il revient à la conscience, ce n’est pas un poids lourd de réalisation qui s’affaisse sur sa poitrine et lui coupe la respiration. Non. Contrairement à toutes ces derniers mois, il n’est pas submergé par la vie quand il se réveille. Un sentiment d’apaisement l’accompagne. S’il pouvait lui donner une couleur, il choisirait le rose. « I know you are pretending to sleep to force me to kiss you. » Cette phrase, il en entend mieux les syllabes et la connotation. Elle lui arrache le sourire le plus discret qu’il soit. De toute façon, sa bouche est nichée au creux de sa main alors l’homme penché sur lui ne peut pas lire ses émotions. « Une petite minute encore… » Il s’entend bafouiller dans cet état de confort extrême où les odeurs sont délicieuses et où chaque mouvement exécuté lui donne la sensation de se faire masser. Le canapé sent la viande fumée. Étrange. « Étais-tu au fait de la présence de douches dans ce bâtiment ? »  Archie ouvre un œil curieux. « Unh unh… » Qu’il acquiesce. Il fait quasi noir dans la salle de réception et ça lui prend quelques secondes pour comprendre que l’électricité a été coupée. « Ça fait longtemps que la panne a commencé ? » Il s’interroge, sentant une aiguille lui transpercer le ventre maintenant qu’il se rappelle l’endroit où il se trouve. Dehors, les vents se sont calmés mais règne encore une atmosphère tamisée et surnaturelle. Se redressant sur le canapé, il s’ébouriffe le visage pour défaire les plis des coussins imprégnés dans sa peau. Lunatique, il s’empare d’un raisin bien rouge et le croque. Son jus acide le réveille, coup de fouet. Il regarde Carmine afin de s’assurer qu’il ne rêve pas. Heureusement, ce n’est pas la première fois qu’il le voit dans cet état végétatif ; de toute façon, Archie en a rien à faire de sa coupe défaite et de ses yeux rouges. S’il y a un des garçons qui pourrait marcher nu dans la rue sans s’en rendre compte, ce n’est pas Carmine.

« Il y a des douches très simplettes pour les employés. » Mais ce n’est pas ce genre de douche qui lui donnera envie de se lever. La qualité se trouve dans le haut du complexe, où l’hôtel passe aux cinq étoiles d’un étage à un autre. Suffit d’une clé, que tout bon propriétaire possède. Effectivement, Archie dispose d’une carte magnétique lui donnant accès à toutes les chambres et suites, dans le cas d’une urgence. Il ne s’en est jamais servi, l’urgence ne s’étant pas encore présentée.  

« Approximativement 6 heures. » Écarquillant ses yeux par l’effet de la surprise, Archie se redresse dans une impulsion nerveuse. Il se frotte les paupières pour mieux réaliser ce que cette réponse signifie : il s’est assoupi pendant plus de six heures. Il n’avait pas fermé les yeux pendant aussi longtemps depuis l’éternité. Même ses nuits à la maison ne se passaient pas dans une quiétude aussi profonde. Il n’avait pas l’impression d’avoir rêvé non plus. Cette pause avait été parfaite sur toute la ligne. Et pourtant, la nature effrénée avait sûrement essayé de le réveiller à plusieurs reprises en faisant taper les branches dans les fenêtres. Mâchant un fruit avec perplexité, il répond à la prochaine interrogation sans se douter qu’il confère à sa curiosité un deuxième degré. Il s’imagine qu’il sent mauvais, que Carmine souhaite qu’il se savonne pour faire passer les odeurs de la veille et celles dans lesquelles il a pataugé durant les six dernières heures (et +). « Et pour les directeurs, y en a-t-il aussi ? » Fronçant les sourcils en soulevant le nez, il le dévisage, tout à fait à l’ouest. Pour lui, rien ne fait sens dans ce qu’il demande. Il blâme les vapes soporifiques dans lesquelles il plane, comme un drogué qui a un joint pendu aux lèvres. « Les directeurs n’ont pas besoin de douche. Ils ne passent pas la journée à se rouler dans le chlore pour venir en aide à des gamins qui ont oublié comment nager. » Voilà l’intérêt qu’avaient ces fameuses douches pour les employés. S’efforçant d’utiliser un peu mieux sa cervelle, il se permet d’ajouter : « Cela dit, quiconque possède les clefs des suites possède aussi une douche, logiquement. » Détachant ses fesses du canapé, il s’étire tel un chaton engourdi, les poings cherchant le plafond, un ronronnement plaintif se soustrayant de ses poumons.

Du coin de l’œil, il perçoit la comédie de Carmine, qui entreprend de déguster un minicake avec impudicité. D’abord, il l’observe s’adonner à ce flirtage et il doit admettre qu’il arrive à lui voler un sourire. Cependant, la tête d’Archie ne nage pas dans les mêmes eaux – malheureusement. Bien qu’il se sente mieux que le matin, que la nausée s’est presque envolée et que sa migraine aussi, il ne peut imaginer une suite comme le jeune homme se l’imagine en gémissant un « Hm. » révélateur. Au tour d’Archie de battre des cils, mais il le fait avec une autre intention. Se rapprochant de Carmine, il vient lui choper la seconde part de cake à même ses dents mais il ne prolonge pas cette proximité. Quand il s’éloigne, il a déjà sorti son téléphone de ses poches pour vérifier l’état du monde maintenant que la tempête s’est assoupie. « Arrête de flirter avec Lola, tu veux bien ? » Il fait en marchant à reculant pour faire face à l’anglais. Le ton est comique et pas totalement détaché. Il veut lui faire passer un message sans avoir à utiliser les mots tels qu’ils sont : il ne va pas s’adonner au geste charnel interdit dans un endroit qu’il a bâti pour qu’il y réside l’âme de sa sœur ainée. « Tu vas me rendre jaloux. »