1er décembre 2023

Elle n’a plus fermé l’œil depuis plusieurs heures, tenue éveillée par le vent qui souffle de plus en plus fort, s’engouffrant entre les hauts immeubles du quartier de Redcliffe. L’inquiétude a également eu raison de son sommeil, même si elle sait qu’elle, elle ne risque rien en principe. Pas ici. Pas dans un immeuble, éloigné du front de mer, sans arbres autour qui pourraient être déracinés. Le pire qu’elle pourrait devoir supporter serait sans doute une coupure d’électricité alors, à côté des maisons qui risquent la destruction en bordure de l’océan, elle est bien lotie ! Pourtant, elle ne peut s’empêcher de penser aux autres, à ses proches. Elle ignore où ils sont, ce qu’ils font. Elle craint que certains veuillent braver la tempête pour faire des clichés incroyables, comme Chelsea, sa nièce, une vraie tête brûlée. Elle craint également pour la sécurité de Gaby, sa meilleure amie, dont la villa donne sur la plage, mais qui a refusé d’évacuer les lieux et d’abandonner sa maison. La voilà d’ailleurs qui appelle, depuis sa voiture, vraisemblablement, vu les difficultés que les jeunes femmes ont à s’entendre. L’inquiétude de de la Cavanagh grimpe d’un cran, imaginant sa meilleure amie sur la route, le long de la côte, dans sa voiture en proie aux rafales de vent. Elle hurlerait presque, au bout du fil, quand elle lui demande où elle se trouve. Heureusement, Gabrielle lui apprend être en route pour Redcliffe, où elle a enfin accepté de trouver refuge chez la détective, mise à la porte par les forces de police.
L’avocate raccroche pour se concentrer sur la route, et Lucy ne peut maintenant qu’attendre. Les minutes défilent, et Gaby devrait déjà être là. La détective essaie de se convaincre que c’est la météo catastrophique qui l’a retardé, que Gabrielle a été obligée de réduire sa vitesse, et qu’elle ne va pas tarder. Elle refuse d’imaginer un accident, mais fait les cent pas dans l’appartement. Et lorsque l’avocate débarque enfin à sa porte, les ongles de Lucy ont presque entièrement disparu.

« Je sais, j’ai compris, j’aurais dû venir plus tôt et t’écouter. »

Les yeux bleutés de la Cavanagh lancent des éclairs.

« Evidemment ! »

Son ton est tranchant, mais de suite, elle laisse la colère et l’inquiétude s’évaporer et être remplacées par le soulagement, celui de savoir Gaby saine et sauve, ici, avec elle. Alors, son regard s’adoucit et elle sert son amie trempée contre elle dans une brève étreinte, avant de la laisser entrer.


***


Début décembre

Gaby s’est installée, à moitié dans le salon, à moitié dans la chambre de Lucy. Sa villa est détruite, ou presque, et les conséquences de la tempête rendent sa maison inhabitable. Les jeunes femmes ont donc décidé de mettre en place une garde alternée du lit de Lucy, pour éviter de se tuer le dos avec le canapé du salon, qui n’est pas prévu pour de longs séjours. En rentrant d’une mission à l’extérieur, la détective retrouve son amie installée sur ce fameux canapé, à regarder les photographies de sa villa en ruine, un verre de vin à la main. Cette image lui serre le cœur, mais sans doute pas autant qu’à l’avocate, qui voit une partie de sa vie complètement détruite. Lucy pince les lèvres en refermant la porte d’entrée derrière elle.

« Tu devrais arrêter de te torturer avec ces photos … »

Elle les connait par cœur, les dégâts, et ce n’est pas en contemplant des images qu’elle trouvera la solution miracle : il n’y en a pas, d’ailleurs. Elle va devoir avancer, soit en faisant tout reconstruire, soit en tournant la page et en s’installant ailleurs.

« Comment s’est passé ta journée ? »

Lucy hausse les épaules, ôte ses chaussures et vient s’installer sur le canapé à côté de Gaby, repliant ses jambes sous elle.

« Bien. Rien de particulier. »

C’était une journée plutôt calme, et elle n’a rien de particulier à souligner.

« Et toi ? »

A-t-elle bougé d’ici ? Est-elle allée au bureau, ou a-t-elle fini par prendre racine dans cet appartement, face aux photos des vestiges du passé ?

« Je sais que je ne suis pas la meilleure des colocataires mais voilà ton verre et je nous ai commandé à manger. »

Lucy se saisit du verre de vin avec envie et le porte immédiatement à ses lèvres. Elle ne peut cependant s’empêcher de faire la grimace à la vue des nouveaux plats à emporter que Gaby a commandé. Elle en a marre, de la nourriture grasse de tous les restaurants du coin. Déjà quand elle était seule, elle commandait énormément, par flemme, n’ayant pas envie de se mettre aux fourneaux alors qu’elle ne partageait ses repas avec personne. Mais maintenant, Gaby est là, et c’est peut-être l’excuse rêvée pour se remettre à mitonner de bons petits plats.

« Ok, voilà ce qu’on va faire : pour la nuit prochaine, je récupère mon lit, mais demain, c’est moi qui cuisine. Deal ? »

Lucy était un véritable cordon bleu, alors l’avocate devrait être ravie. Loin d’être fâchée pour autant de ne rien avoir à faire ce soir, épuisée, elle se saisit d’une barquette de pâtes commandée par Gaby et commence à manger.

« Netflix ou sélection naturelle ? »

C’est ainsi que les jeunes femmes ont surnommé la sélection que Lucy doit faire, à partir d’un énorme fichier, du donneur de sperme pour concevoir son bébé. La base de données est énormément fournie : photographies, origines, éventuels problèmes de santé, niveau d’études, centre d’intérêts … Les hommes sont passés au peigne fin par les filles depuis plusieurs jours, afin de trouver le meilleur donneur. Et si la détective a envie de trouver le bon et apprécie faire la mauvaise langue avec son amie et critiquer tout ce qui est critiquable, elle se sent dépassée par toutes ces informations et incapable pour l’instant d’avoir un coup de cœur.

Rentrant d’une mission à l’extérieur, les yeux bleus de Lucy se posent sur son amie, perdue dans la contemplation des photographies de sa villa détruite. Le regard de la détective se voile alors qu’elle observe Gaby, avec qui la vie n’a pas été tendre. Son passé et son enfance ont été traumatisants, la fusillade à Los Angeles a été terrifiante. Puis en 2023, elle a finalement tourné la page sur son histoire avec Chan, pour maintenant devoir envisager de quitter sa maison. Nul doute que Gabrielle a vécu plus d’épreuves que la plupart des gens, et la Cavanagh sera toujours là pour l’aider à se relever. C’est ainsi qu’elle l’invite à ranger ces photos qu’elle connait déjà par cœur, bien décidée à ce que son amie tourne la page et se construise, comme elle l’a déjà trop souvent fait. Contre toute attente, l’avocate lâche son portable sans protester, et les jeunes femmes échanges sur leur journée.

« C’est pas de tout repos au cabinet. L’emploi du temps est totalement chamboulé, on doit faire face à l’impatience de certains et on fait au mieux pour prêter mains fortes à certains associés qui se retrouvent avec une tonne de dossiers sur le dos suite au passage de la tempête. »

Lucy ne peut s’empêcher de faire la grimace : elle se souvient des cours de droit des assurances à la fac, et se souvient également très bien à quel point elle avait pu détester ça.

« Hum, du droit des assurances, quel bonheur ! »

Elle raille, en mimant le fait de vomir, de manière tout à fait classe et distinguée, deux caractéristiques de Lucy. Elle se moque gentiment, laisse échapper un rire, mais elle est ravie que les journées de Gaby soient remplies. Au moins, quand elle était au bureau, occupée sur tel ou tel dossier, elle devait moins penser à sa maison détruite. Attrapant le verre de vin tendu par l’avocate, Lucy s’installe sur le canapé et en boit une gorgée, réclamant son lit en échange du repas de demain qu’elle cuisinera elle-même.

« Deal ! Je te dirai bien que je vais t’aider mais on sait que ça peut vite tourner à la catastrophe. »

Le rire de la détective se joint à celui de son amie alors qu’elle secoue fermement la tête.

« Je vais me débrouiller, ça ira ! »

Elle rajouterait bien qu’elle tient à ce que son appartement reste entier, mais il est sans doute trop tôt pour faire de telles blagues et rappeler à Gabrielle le fait qu’elle avait failli mettre à leur colocation, à l’époque où elles vivaient ensemble à Los Angeles. S’emparant d’un plat de pâtes que la Strange a commandé, Lucy commence à déguster son plat avant de proposer deux options de programme pour la soirée : Netflix ou sélection naturelle, autrement dit, choix d’un donneur de sperme pour la FIV qu’elle envisage d’effectuer. Gaby n’hésite pas longtemps.

« Sélection naturelle ! »

Récupérant son ordinateur sur lequel se trouve le fichier volumineux, Lucy pose le portable sur la table basse, entre les filles, après avoir poussé les boîtes de repas italien.

« Bon, si on veut être efficace, on devrait peut-être faire une liste de ce que tu ne veux pas. »

Lucy hoche la tête, d’un air déterminé, mais la réponse ne vient pas. Elle a déjà parcouru le fichier plusieurs fois, sans jamais avoir de révélation. Elle aurait espéré un coup de cœur pour un donneur, mais rien. En même temps, il était difficile de se faire une idée sur trois photographies, sans pousser la lecture plus loin. Ce soir, elle était prête à aller de l’avant. Elle devait aller de l’avant ! Alors, hochant une nouvelle fois la tête, elle précise.

« Ok, on va éliminer tous les moches déjà ! »

Lucy était crue et directe, comme toujours.

« Ensuite, parmi ceux qui resteront, on éliminera ceux qui n’ont pas fait d’études -ou ceux qui ont fait du droit- et ceux qui ont trop d’antécédents médicaux ou avec trop de risques de ce côté-là. Et on notera la page de ceux qui peuvent convenir sur une feuille, pour pouvoir les retrouver facilement. »

Elle voulait un bébé en bonne santé -et dans l’idéal, beau et intelligent, bien évidemment. Regardant le donneur numéro un, Lucy fait la grimace.

« Houuu, non ! Je ne veux pas que mon enfant soit dégarni dès l’âge de 20 ans ! »

Le numéro deux n’était guère mieux, et la brunette n’y allait pas par quatre chemins.

« Ni qu’il se fasse surnommer Cyrano ou gros pif ou que sais-je à la récré ! »

Finalement, avec les exigences de la Cavanagh, le tri serait sans doute vite effectué.

Ce n’était pas la première fois que Gaby et Lucy partageaient le même appartement. Pendant leurs études à LA, elles avaient été colocataires. Mais à cette époque, le logement était adapté à une colocation, alors que l’appartement de Lucy ne comprenait qu’une chambre et un bureau. Les deux jeunes femmes alternaient donc pour se partager le canapé du salon, mais on sentait facilement qu’elles n’avaient plus vingt ans, et que le camping avait ses limites. Lucy ne mettrait jamais Gaby dehors, elle était sa meilleure amie, et elle serait toujours là pour elle. La détective savait à quel point la Strange souffrait de la destruction de sa maison. Pour autant, cette solution ne pourrait être que temporaire, et Gabrielle ne pourrait pas continuer éternellement à regarder des photographies des dégâts sur le canapé, avec un verre de vin à la main. Alors, pour la réconforter, Lucy propose deux activités différentes, série Netflix ou choix d’un donneur de sperme pour la FIV qu’elle envisage de réaliser, et l’avocate opte pour cette dernière option. Questionnée sur ses préférences et ses critères de choix, la Cavanagh explique qu’elles vont enlever les hommes qui ne lui plaisent pas, car elle veut que son enfant soit beau, évidemment ! Et qu’il ait un bon métier ou ait fait de bonnes études -sauf du droit.

« Après tout ça, je suis sûre qu’il restera pas beaucoup de candidats, je pense qu’avec nos deux mémoires on devrait pouvoir retenir les numéros de pages. »

Lucy adresse un regard blasé à sa meilleure amie : elle savait qu’elle la taquinait, évidemment, et elle ne prenait pas mal cette réflexion. Elle sait qu’elle était exigeante, évidemment. Mais on parlait de son futur enfant, grâce à un don d’une personne qu’elle ne connaissait pas. Il fallait bien qu’elle établisse des critères de sélection, et elle estimait ne pas être démesurée en voulant frôler la perfection.

« Et tu m’expliques pourquoi tu exclus ceux qui ont fait des études en droit ? »

A cette question -légitime-, Lucy laisse échapper un rire.

« Sans vouloir t’offenser, les avocats sont des requins à qui il est impossible de faire confiance. Et on sait comment sont les flics, alors … »

Alors pourquoi se compliquer la vie, quand elles pouvaient constater comment étaient leurs collègues – ou leurs anciens collègues, pour Lucy, qui avait été remerciée de la grande famille de la police comme une malpropre.
Le fichier défile sous leurs yeux, et la Cavanagh, franche comme à son habitude, et sans filtre, ne mâche pas ses mots, critiquant la calvitie d’un donneur et le nez proéminent d’un autre.

« Tu es dure. »

La détective hausse les épaules tout en poursuivant son étude.

« Attends. Regarde, lui. Il est charmant même s’il est un peu grisonnant pour son âge. Il est médecin et il n’a pas l’air d’avoir d’antécédents médicaux. »

Lucy observe les photos, la tête légèrement penchée sur le côté, avec une petite moue. Quelque chose la dérangeait, sans aucun doute, mais elle avait du mal à mettre le doigt dessus.

« Quoi ? Il te plait pas non plus ? »

Une nouvelle fois, Lucy hausse les épaules, et répond sans grand enthousiasme.

« Si … si. J’sais pas. Sur le papier, il est parfait, c’est vrai. Bon métier, pas de maladie chronique, c’est fondamental. Mais j’sais pas, il manque un truc … »

Bon, il fallait qu’elle se calme, elle n’était pas en train de chercher l’homme de sa vie. Alors, s’il avait l’air chiant à mourir, cela ne voulait pas dire qu’il ferait un mauvais donneur !

« Ton choix, c’est toi qui vois. Si tu veux, on peut faire deux colonnes : les approuvés d’office et les je réfléchis ? »

L’avocate la taquine, sans aucun doute, et si Lucy ne peut s’empêcher de rire, elle hoche également la tête avec enthousiasme.

« T’as raison, on va faire ça, ça me plait comme idée ! Tu peux le noter dans les « je réfléchis » ! »

Au moins, elles auraient quelques noms dans la liste, et pourraient revenir dessus plus tard, un autre jour, à tête reposée, avec un peu moins de vin. D’ailleurs, Lucy vide son deuxième verre de la soirée et s’en ressert un troisième, en profitant pour remplir à nouveau le verre de sa meilleure amie. Les pages du fichier défilent quand la Cavanagh arrête Gaby.

« Attends ! Stop ! »

Elle remonte d’un cran, examinant les photos d’un homme ténébreux, avec un air de bad boy. Pourquoi les femmes étaient-elles toujours attirées par les mauvais garçons alors que ce qu’il leur fallait, c’était le gentil prince charmant ? Et pourtant …

« Lui, il est carrément sexy ! On dirait ton frère ! »

Les mots sortent, spontanément, sans que Lucy n’y fasse réellement attention, absorbée dans la lecture du profil et sans doute légèrement embrumée par le vin et la fatigue des nuits passées sur le canapé.

La mission du soir est claire : commencer à éplucher le fichier des donneurs de sperme pour trouver le père du futur enfant de Lucy. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec les critères de la Cavanagh, le choix ne sera pas aisé. Mais en même temps, la responsabilité est grande. Si tout se passait bien, d’ici environ deux ans -le temps des examens médicaux, traitements d’hormones, tentatives d’insémination, et gestation- un enfant naîtrait. Il aurait sans doute des caractéristiques physiques du « père », peut-être également des traits de caractère qui pourraient l’orienter vers l’une ou l’autre carrière. Et si Lucy se fichait en réalité de son métier, elle voulait éviter d’élever un tueur en série ou un fainéant qui ne voudrait jamais rien faire de sa vie et la passer vautré dans un canapé. Alors le choix n’était définitivement pas anodin. En voyant la réaction de sa meilleure amie, la détective a cependant consciente d’être très exigeante.

« Un truc ? »

Ok, sans doute en faisait-elle trop, et c’est avec un soupire que Lucy réexamine le profil de ce médecin, bien en tous points. Alors, quand Gaby propose de faire une colonne de « oui », et une colonne de « peut-être », la jeune femme ne peut qu’approuver. Après tout, peut-être qu’à tête reposée, avec moins de fatigue ou de vin dans les veines, elle y verra plus clair. Gabrielle note les références du médecin, puis continue à faire défiler le fichier, jusqu’à ce que la Cavanagh lui demande de revenir en arrière, interpelée par un homme incroyablement sexy, ayant un air de bad boy à la Mitchell. Les mots franchissent ses lèvres, sans même qu’elle ne les remarque, trop concentrée sur le profil, et l’esprit sans doute trop embrumé par l’alcool. Mais l’avocate, elle, n’a pas loupé une miette des propos de sa meilleure amie, et s’étouffe avec sa gorgée de vin.

« Mon frère ?! »

Immédiatement, Lucy se raidit, mais son regard reste fixé sur l’écran de l’ordinateur, alors qu’elle tente de dissimuler son trouble. Merde ! Elle avait gaffé, sans aucun doute, et son esprit tourbillonnait à grande vitesse pour se sortir du pétrin.

« Tu parles d’Alex ? Sérieusement ? Puis depuis quand tu le trouves attirant au juste ? »

Depuis quand ? Depuis qu’il l’avait aidé à mener à bien une mission en lui permettant d’infiltrer un club de striptease. Depuis qu’il avait posé ses mains sur son corps et ses lèvres dans son cou. Depuis qu’il l’avait invité à un gala sous un faux prétexte. Depuis qu’il l’avait fait tournoyer sur une piste de danse. Et enfin, depuis que ses lèvres avaient tracé des chemins de baisers sur son corps, enflammant tout sur son passage. Rougissant légèrement, Lucy balbutia une réponse.

« Il a toujours eu un petit truc, même sur les photos que tu m’as montrées. Tu sais, ce côté bad boy … »

Et si l’esprit de Lucy avait dévié vers des souvenirs agréables partagés avec Mitchell, l’évocation de ce dernier semble au contraire susciter la colère de Gaby, qui manque de casser son verre lorsqu’elle le repose sur la table basse.

« Rien que pour sa ressemblance avec mon frère, je ne prendrai pas le risque de m’attarder sur ce type. Alex ferait un terrible père. »

Sans aucun doute, la rancœur de l’avocate est palpable, et Lucy regrette définitivement d’avoir évoqué Mitchell.

« Je parlais juste de son physique, pas de sa capacité à être père … »

Reprenant l’ordinateur, la détective passe sur un autre profil, pour tenter de détourner la conversation. Elle pointe l’homme suivant, cherchant quelque chose d’intéressant à relever.

« Ho, tiens ! Regarde ! Un comptable ! T’en penses quoi ? »

Un comptable ?! Sérieusement ?! Mais évidemment, Gaby ne semble plus concentrée.

« Tu l’as croisé récemment ? »

Refusant toujours de croiser le regard de sa meilleure amie, Lucy déglutit difficilement. Elle tente de masquer un nouveau trouble qui la saisit à nouveau. Car si elle se souvient d’un Mitchell charmeur, qui lui a fait tourner la tête, elle se souvient également du silence qui a suivi leur rapprochement. Depuis qu’ils avaient passé la nuit ensemble, le Strange ne l’avait pas contacté – et la réciproque était également vraie. Lucy ne pouvait pas dire qu’elle regrettait d’avoir invité Mitchell entre ses draps, mais elle était mal à l’aise à l’idée d’avoir trompé Gaby. Elle savait bien évidemment l’aversion de l’avocate pour son frère, et n’aurait sans doute jamais dû se rapprocher de ce dernier. Mais une fois qu’ils avaient fait connaissance, le franchissement des limites était inéluctable : leur attirance était évidente. Le silence qui avait suivi la nuit qu’ils avaient partagé n’en demeurait pas moins blessant. Alors, desserrant les mâchoires avec difficulté, Lucy avait fini par répondre.

« Non. »

Parce que, non, elle ne l’avait pas croisé récemment, et que, finalement, ce n’était qu’un petit mensonge, non ?