Jusque-là, elle s'y était refusée : mettre l'appart en vente, c'était tirer un trait définitif sur leur mariage, c'était rendre les armes et accepter les papiers qui allaient venir, et c'était, aussi, bien malheureusement, dire au revoir à Backseat French Fry. Les dernières semaines, Elena les avait donc passées entre leur repaire derrière la laverie, les appartements des potes et sa voiture, infoutue de retourner dans leur chez-elles qui était devenu singulier :  moitié des meubles disparus, penderie vidée, espace du chien désespérément vide, jusqu’à la putain d’odeur tenace de croquettes qui s’était envolée. Tout ce qui lui avait manqué pendant l’Arabie Saoudite, son avant et son après, allait désormais lui manquer à perpétuité : voilà le facteur qu'elle avait oublié de prendre en compte quand elle était partie en mission avec perte et fracas, insistant qu’elle n'aurait pu faire autrement même avec un couteau sous la gorge…

Elle devait se faire à la chose, à présent : Victoria était partie, et il ne s'agissait plus de grand romantic gestures où elle la demandait en mariage au bout du monde pour sauver ce qui restait d’elles. La condamnation était ferme et sans appel, alors elle prenait son envol. Avec la grâce d'un colibri passé sous des trois tonnes sur l'autoroute en pleine canicule, mais quand même : l'effort était à saluer. Le premier pas, c'était de reconnaître qu’elle ne saurait plus jamais retourner dans l'appartement qu’elles partageaient, et donc en trouver un nouveau : de préférence, un où elle ne serait jamais assez seule pour contempler le profond vide que son ex-femme laissait derrière elle. La première victime s’appelait Maxine et elle cherchait une personne pour remplir le vide laissé par un coloc parti : de quoi s’imbriquer à la perfection. Elle avait répondu à l'annonce avec des messages courts et enthousiastes, placés sous le signe de l'urgence, et elles avaient convenu de se rencontrer aujourd'hui.

C'était pas Bayside, mais c'était peut-être tant mieux : elle frappe à la porte indiquée à West End avec une appréhension croissante, elle qui n'avait jamais vécu en coloc sinon avec son père et sa sœur ; elle se demande même à quoi ça ressemble, de vivre avec trois inconnus parfaits qu’elle va larguer pendant des mois d’affilée pour le boulot, comme elle le faisait avec sa femme. Pas le temps d’y réfléchir : une voix répond à l’interphone et une tête blonde l’accueille en bas, et Elena doit se souvenir qu’elle n'est pas venue pour un enterrement ou une performance d’art dramatique, parce qu’elle a carrément l’air de sortir d'une séance chez le psy ou au PMU le plus proche. « Maxine, c’est ça ? Elena. Désolée, j'ai galéré à trouver. » La Brésilienne force un sourire, voulant désespérément avoir l'air de quelqu'un qui n’a pas perdu toute envie d'être là en chemin. Ce n'est même pas le cas, en plus : Maxine a l'air de quelqu'un de chaleureux et sympa, et l’appart est sûrement super. Elle préférerait simplement retrouver sa femme, aussi utopique que ça soit.

@Maxine Bloom