Voilà presque une année que Lena avait eu la mauvaise surprise de voir cette photo affichée partout, que sa réputation s'était vue bafouée, emportant au passage celle de Micah avec elle. Une année pendant laquelle elle n'avait fait que de s'accrocher aux branches d'un arbre en train de s'effondrer, travaillant d'arrache pied pour ne pas voir tout ce qu'elle avait pu construire être détruit à cause de certains choix, de certaines erreurs. Une année pendant laquelle elle aurait largement pu passer à autre chose, pendant laquelle cette mise en scène avec Micah aurait dû sortir de son esprit : c'était loin d'être le cas. En réalité, repenser aux derniers mois qu'elle avait vécu créaient chez Lena une énorme frustration parce que depuis ces évènements, rien n'avait avancé dans sa vie. Professionnellement, elle ne faisait que poursuivre sa route sans plus évoluer. Personnellement, elle profitait de son entourage, faisait de nouvelles rencontres parfois plaisantes mais pour autant, elle avait la sensation de stagner. Il lui manquait quelque chose. Ses journées passaient sans saveur et elle avait la désagréable sensation de passer à côté de sa jeunesse, surtout lorsqu'il lui arrivait de penser à Micah et à la façon dont les choses s'étaient terminées. Malgré quelques échanges des plus désastreux au moment du drame, ils avaient pris la décision de poursuivre leur chemin chacun de leur côté sans avoir gardé aucune animosité l'un pour l'autre, simplement avec un arrière goût d'inachevé et une vague promesse de tout recommencer à zéro un jour si une occasion se présentait à eux. Est-ce qu'elle avait passé un peu trop de temps à penser à cette porte ouverte qu'ils s'étaient laissé ? Pour être honnête, c'était le cas. Mais elle n'était plus suffisamment naïve pour y croire sérieusement, au point qu'elle avait passé des mois sans donner de nouvelles à Micah. Parce qu'à quoi bon ? Puisqu'il n'avait pas officiellement pris la parole pour démentir cette situation et que leur situation était tout sauf simple à régler, il était évident qu'il ne pourrait plus risquer de se montrer avec elle en public. Tout comme d'ailleurs Lena aurait mieux fait de rester loin de lui, car si elle était la cause de ce tourbillon médiatique, lui avait cruellement manqué de lui apporter le moindre soutien, touché dans son égo. Retourner vers Micah pouvait être une erreur et elle en était consciente, pour tout un tas de raisons. Mais elle refusait de continuer à avancer avec cette sensation de regret qui empoisonnait trop souvent son esprit. Cette sensation, elle avait finie par disparaître à l'instant où Lena s'était décidée à le recontacter, juste comme ça, et que cet échange de quelques messages s'était transformé en une invitation à passer une soirée ensemble. Elle n'aurait raté cette occasion pour rien au monde et s'était donc présentée chez lui, à sa maison de Bayside, inquiète sur tout le trajet de s'être faite voir en route pour chez son ex qu'elle avait trompé selon le monde entier. Cette maison elle la connaissait bien moins que l'appartement auquel il résidait en plein cœur de la ville, et alors qu'elle y était entrée, accueillie par Paul, Lena prenait le temps d'en observer les moindres détails. La dernière fois qu'elle avait arpentée ces murs c'était pour une occasion bien spéciale. Aujourd'hui, la maison était bien plus calme et apaisante que dans ses souvenirs, et heureusement. Elle avait sourit naturellement en voyant Micah arriver et s'approcher d'elle. « Cet endroit est encore plus beau quand il n'est pas plein de monde. » Son air assuré n'était qu'une façade qui aurait facilement pu être brisée. Revoir Micah était réellement satisfaisant mais savoir qu'elle n'était plus protégée par leur fausse relation et cet accord qui les liait par le passé lui donnait une sensation de se jeter en haut d'une falaise sans filet de sécurité. « Je suis contente de te voir. » Surtout sans le poids de sentir chacun de ses gestes observés. « Comment tu vas ? » Qu'elle demandait en venant l'enlacer brièvement pour le saluer.

La conversation avec Lena, qui s'était étirée sur plusieurs semaines, apparaissait désormais à Micah comme une providence. Les pièces du puzzle s'imbriquaient de nouveau les unes après les autres, reformant une harmonie dans la vie que son coup d'éclat dans les locaux d'ABC avait brisé en mille morceaux. La réconciliation avec Jo était amorcée, il s'épanouissait de plus en plus dans son rôle de bienfaiteur, si bien que Micah avait désormais le recul nécessaire pour réaliser que la pièce manquante résidait dans cette promesse lointaine qu'ils avaient formulé, Lena et lui, de se donner une nouvelle chance un jour. Les espoirs qu'il portait à ces retrouvailles le rendaient anxieux. La plupart des fois où ils s'étaient vus, Micah avait joué un rôle, mais il avait surtout eu l'assurance de ce contrat qui les liait l'un à l'autre. Il n'avait pas eu besoin de lui plaire pour garantir sa présence, tout ça n'était qu'une façade, un marché qui leur avait échappé lorsqu'il avait justement fallu jouer franc jeu. Ce soir, il était vulnérable. Il ne pouvait pas se réfugier derrière les certitudes que leur fausse rupture, qui l'avait déchiré autant qu'une vraie, avait rendues caduques. Il n'était qu'un homme comme les autres, s'efforçant de donner une chance à une histoire qui n'était plus écrite d'avance. Lena semblait dans le même état d'esprit, et c'était bien ce qui le rassurait le plus. Elle était néanmoins prudente, tous comme les conditions qu'elle exigeait pour leur rencontre, qui devait se passer loin des objectifs curieux des paparazzi. Micah regrettait le manque d'empathie dont il avait fait preuve le soir où il s'était emporté. Aveuglé par la honte, il n'avait pas un instant pris en considération ce que ces révélations pouvaient impliquer dans la vie et la carrière de Lena. De ce qu'il avait compris des nouvelles ponctuelles qu'ils s'étaient données, la jeune femme allait bien, mais combien de temps avait-il fallu pour qu'elle se défasse de cette image que les médias avaient relayé d'elle ? Tout comme Micah suite à la polémique qu'il avait essuyée, avait-elle dû se faire discrète, refuser des projets ou même se les voir retirés parce qu'elle ne correspondait plus aux valeurs qu'elle incarnait autrefois ? Lena avait déjà prouvé son attrait pour le risque et les relations compliquées, sinon pourquoi aurait-elle accepté de le revoir ? Elle était forcément consciente qu'ils ne pourraient pas éternellement se cacher, d'autant que Micah avait suffisamment subi cette volonté de discrétion lorsqu'il était sorti avec Penny. Il n'avait pas envie d'être un vilain secret toute sa vie. Pour un début néanmoins, il ne trouvait pas l'idée mauvaise. Sa récente discussion avec Jo avait démontré que les interactions à l'abri des caméras étaient plus authentiques et beaucoup moins oppressantes. Ils ne prenaient pas énormément de risques avec ce rendez-vous à la villa. Les accès étaient limités et les rues surveillées, un critère duquel il n'avait pas démordu lors de sa recherche immobilière. Lorsqu'il avait entendu Paul saluer Lena à l'entrée, Micah s'était levé machinalement pour la retrouver à mi-chemin. Il avait suivi les conseils de Jo et s'était apprêté modestement : habillé d'un t-shirt blanc basique et d'un jean, il n'avait même pas pris la peine d'enfiler des chaussures. Il espérait que son apparente détente n'enverrait pas les mauvais signaux à Lena, car il était lui aussi profondément heureux de la voir, juste elle, sans avoir à trouver d'autre prétexte. « C'est bien plus souvent calme qu'autre chose, même un peu trop si tu veux mon avis. » C'était d'ailleurs pour fuir ce silence assourdissant que Micah investissait parfois son bureau de la Fondation la nuit. Ici, personne ne lui faisait le plaisir de l'attendre. Incertain de la posture à adopter, il fut soulagé lorsque Lena prit d'elle-même l'initiative de l'enlacer. Comme avec toutes les femmes qu'il fréquentait, Micah avait l'air d'un géant, mais son étreinte fut aussi fugace que délicate. « Moi aussi je suis content que tu sois là. » admit-il tout sourire. « Ça va vraiment bien, j'ai l'impression de revenir sur les rails après avoir complètement perdu le contrôle de ma vie. Faut croire que ça fait pas de mal de s'éloigner un peu des réseaux de temps en temps. » répondit-il en se dirigeant vers l'ilôt de la cuisine, situé à quelques mètres. « Et toi, j'espère que ça t'a réussi autant que moi ? » demanda-t-il, se souvenant que Lena lui avait fait la même confession. Il savait aussi qu'il avait une part de responsabilité dans sa décision de prendre du recul, et lorsque le moment serait le plus opportun il n'aurait aucun mal à s'excuser d'avoir contribué malgré lui à salir sa réputation. Ils avaient précisément fait ce marché pour les raisons inverses. « Je te sers quelque chose ? Il y a à peu près tout ce qu'il faut pour faire des cocktails, il y a du vin dans la cave, et il reste des jus pressés de ce matin. »

Lena s'était souvent demandée à quoi cela pouvait servir de posséder de si grandes bâtisses en y vivant seul, en dehors du fait qu'elles pouvaient facilement accueillir de sublimes soirées. Elle avait la sensation qu'il y était aisé de s'y sentir seul rapidement, ce qui semblait se vérifier au vu de la réponse que Micah lui apportait. « C'est bien plus souvent calme qu'autre chose, même un peu trop si tu veux mon avis. » Elle avait haussé la tête, compréhensive, avant de laisser s'échapper une remarque en riant. « Alors il faudrait que je vienne un peu plus souvent, paraît que je suis de bonne compagnie. » Elle n'avait aucune envie de sous entendre qu'il aurait dû l'inviter plus tôt, juste de le taquiner un peu. Mais elle avait reprit un air un peu plus sérieux pour lui avouer qu'elle était sincèrement contente de le retrouver. « Moi aussi je suis content que tu sois là. » Comme toujours, une part d'elle ne pouvait s'empêcher de croire qu'ils étaient toujours coincés dans des faux semblants. Elle luttait intérieurement pour se détacher de cette idée. « Ça va vraiment bien, j'ai l'impression de revenir sur les rails après avoir complètement perdu le contrôle de ma vie. Faut croire que ça fait pas de mal de s'éloigner un peu des réseaux de temps en temps. » Elle ne pouvait qu'être ravie de le voir remonter la pente après ce qu'elle avait pu voir sur lui sur les réseaux pendant une certaine période. « Je suis contente pour toi. » Qu'elle avait lancé en le suivant vers la cuisine. « Et toi, j'espère que ça t'a réussi autant que moi ? » « Le nombre de messages haineux que je reçois tous les jours est retombé à son rythme de croisière, alors je pense qu'on peut dire que oui. » Un léger rire était venu accompagner son propos même si elle regrettait que bien souvent, les écarts des femmes leurs soient trop souvent reprochés plus longtemps et plus vivement que ceux des hommes. Lena ne pouvait en vouloir à Micah de s'être sorti d'une période compliquée médiatiquement parlant, mais elle avait la sensation que de son côté, le calme qu'elle vivait depuis quelques temps ne tenait qu'à un fil. « Je te sers quelque chose ? Il y a à peu près tout ce qu'il faut pour faire des cocktails, il y a du vin dans la cave, et il reste des jus pressés de ce matin. » « Si tu te sens d'ouvrir une bouteille de vin, je ne dis pas non. » Depuis le temps, Lena avait oublié ce que c'était d'avoir envie de se rapprocher de quelqu'un de cette façon. Elle avait toujours l'habitude de se montrer sous son meilleur jour devant ses clients ou aux yeux de la société, alors ses sourires discrets feraient probablement l'affaire ; mais ça n'avait rien à voir avec ce qu'elle osait espérer de leurs retrouvailles, avec Micah. Malgré ce que beaucoup pouvaient penser d'elle, dans sa vie, Lena n'avait pas eu tant d'occasions que ça de se lancer dans un jeu de séduction avec quelqu'un comme lui. Pas en se disant qu'elle pouvait réellement en attendre quelque chose en tout cas. Sa seule relation sérieuse avait été chaotique dès son démarrage et elle s'était soldée par toujours plus de drames ; les quelques autres hommes qui lui avaient tourné autour étaient soit des amis dont elle avait finit par se rapprocher, soit des inconnus qu'elle n'avait côtoyés que brièvement. Pour tout ça et parce qu'elle avait encore du mal à jauger les intentions de Micah envers elle, Lena se sentait légèrement anxieuse. Et bizarrement, elle adorait cette sensation. Elle se mordrait probablement les doigts d'oser croire que s'ils étaient dans cette immense villa tous les deux à cet instant, c'est qu'il y avait une raison. En attendant, elle était bien décidée à essayer de déconnecter le flot de pensées qui polluaient habituellement son esprit pour profiter du moment ; jusqu'à ce que son regard croise à nouveau celui de Paul alors qu'il quittait l'entrée, et dans lequel elle avait le sentiment de déceler une pointe d'inquiétude mal dissimulée. « J'ai l'impression que tout le monde n'est pas emballé par ma présence, je me trompe ? » De toute évidence, elle n'était pas la plus sereine et avait besoin d'être rassurée.

Avec un peu de bon sens, n'importe qui aurait pu trouver disproportionnées les exigences de Micah en matière d'immobilier. Il avait fallu des mois à Tanya pour lui trouver ce bien, après une multitude de visites qui n'avaient jamais trouvé grâce à ses yeux, l'amenant même à soupçonner son client de ne pas être si prêt qu'il le prétendait à emménager dans une villa aussi spacieuse que celle qui n'avait su contenir le mariage de ses parents. Micah avait grandi avec l'idée que l'ostentation était une manière habile de masquer des problèmes ordinaires qu'on n'associait pas aux modes de vie extraordinaires. Il était si habitué au luxe et à la démesure qu'il lui était impensable de revoir ses critères à la baisse, sous prétexte qu'il serait bien trop seul pour remplir tout l'espace auquel son succès lui permettait d'accéder. Alors si cela pouvait lui permettre d'émerveiller son entourage une fois de temps en temps, d'organiser des galas en grande pompe en jouant les hôtes parfaits, il pouvait bien subir quelques nuits silencieuses et solitaires, avec ses regrets pour seule compagnie. Ce soir, il était ravi d'accueillir Lena, s'autorisant presque à rêver qu'un jour, elle puisse égayer les moments qu'il redoutait habituellement. Il n'aurait pas pu être plus heureux de l'entendre elle-même aborder cette perspective de faire de sa présence un rituel. « Je sais pas qui le dit, mais cette personne a certainement raison. Et de la chance. » La chance d'avoir pu bénéficier de sa compagnie tandis qu'il l'avait rejetée, pour des raisons qui lui semblaient désormais idiotes et injustifiées. Micah aurait mis bien davantage les petits plats dans les grands, si on ne lui avait pas reproché d'être justement trop attentionné avec tout le monde. Finalement, il n'y avait peut-être pas meilleure moyen de prouver à Lena qu'elle était spéciale qu'en se montrant aussi simple, bien loin de sa traditionnelle grandiloquence. Il fallait néanmoins le connaître suffisamment pour remarquer qu'il s'éloignait rarement de ses excès de romantisme. La tempête qu'ils décrivaient tous les deux derrière eux avait charié quelques brins d'incertitude. Lena était prudente et elle avait raison de l'être, malgré la légèreté avec laquelle elle désignait la haine qu'elle avait subie des mois durant. Micah se confortait toutefois de songer qu'elle aurait refusé l'invitation si elle gardait une rancune envers lui. Le rire qu'il ne put réprimer était nerveux, un réflexe compatissant. Il savait très bien de quoi elle parlait. « Désolé, je ris mais c'est absolument pas drôle. Je m'en veux d'avoir provoqué ça, et surtout d'avoir rien fait pour tempérer un peu les gens. » amorça-t-il, renonçant à la posture de victime qu'il avait prise lorsque la vérité avait éclatée. Il aurait dû la défendre, c'était ce que lui intimait sa conscience avec un an de retard. Micah n'avait pensé qu'à lui, aux conséquences sur sa carrière, et avait préféré faire l'autruche plutôt que de faire preuve d'intégrité. Il valait mieux entâcher une carrière que deux, c'était ce qu'on lui avait appris. « Tu crois que je suis égoïste ? » demanda-t-il naïvement, sans s'attendre à ce que Lena essaye de le ménager comme son équipe ou son père l'avaient fait toute sa vie. Il savait bien qu'il était égoïste mais personne jusqu'à aujourd'hui ne lui avait donné de bonne raison d'agir autrement. Le bonheur de Penny et Jo était si manifeste qu'il était incapable de ressentir le moindre remord à l'idée d'avoir favorisé sa carrière. A l'évidence elles n'avaient pas eu besoin de lui pour embrasser leur propre destin. « Du vin rouge ça te va ? J'ai un pommard premier cru de 2009 qui est excellent. » demanda-t-il en ouvrant la porte de la cave, où les bouteilles étaient alignées sur des clayettes en bois. Ce n'était pas vraiment du vin à siroter nonchalamment en faisant le tour de ses erreurs, mais Micah n'était plus à une exagération près. Il sortit la fameuse bouteille qu'il disposa sur le plan de travail en attendant l'approbation de Lena. Paul, qui filait comme une ombre dans la maison, semblait ne passer inaperçu qu'aux yeux accoutumés de son propriétaire. Micah oubliait facilement que tout le monde n'était pas habitué à avoir une présence constante et pourtant presque invisible chez soi. « T'occupe pas de Paul, il fait partie des murs. » dit-il sans prendre la peine de baisser la voix. « J'étais jeune quand mes parents l'ont embauché, il m'a vu grandir. Et faire pas mal de conneries aussi, sans jamais rien dire à mon père. » De plus en plus souvent, Micah redoutait le moment où Paul lui annoncerait sa retraite imminente. Il avait travaillé toute sa vie pour les Tomlinson, sacrifié tellement de projets auxquels rêvaient les gens normaux. Micah lui devait bien plus que le salaire généreux qui lui était versé tous les mois. « Il dit rien, mais je sais qu'il est parfaitement au courant de ce qui s'est passé et il s'inquiète juste pour moi. Tu sais, je pensais pas que ce serait si long et compliqué de... tourner la page. » avoua-t-il en référence à cette pause sur laquelle ils s'étaient entendus comme si ce n'était pas un crève cœur quelque part. Pendant des mois Micah avait goûté à ce que serait sa vie avec quelqu'un pour le soutenir et l'accompagner, et tout ça lui avait été arraché par des photographes qui ne voyaient pas au-delà de leur butin. Pour eux, il n'était qu'un gagne-pain. « Bref j'étais attaché à toi, et il m'a vu un peu déprimé, c'est tout. » conclut-il en essayant de minimiser la situation. « Il va s'en aller, si ça peut te rassurer. Il attendait juste que tu arrives. »

« Je sais pas qui le dit, mais cette personne a certainement raison. Et de la chance. » Dans un monde parfait, la romance que Lena et Micah avaient feint de vivre n'aurait pas été qu'une illusion et ils auraient perdu bien moins de temps en faux semblants pour en gagner à apprendre à se connaître vraiment. Dans ce monde là, elle n'aurait pas eu besoin de balayer de son esprit la pensée qui était venue sous entendre que là encore, Micah ne faisait que jouer un rôle. Pourtant ils en étaient là, à commenter le drame de leurs carrières en riant comme si ces mois n'avaient pas été douloureux pour l'un comme pour l'autre. « Désolé, je ris mais c'est absolument pas drôle. Je m'en veux d'avoir provoqué ça, et surtout d'avoir rien fait pour tempérer un peu les gens. » « J'ai appris à en rire aussi t'en fais pas. » Parce que si Lena n'avait pas trouvé de la légèreté dans cette situation, elle n'aurait jamais trouvé le courage de se tenir à nouveau face à Micah. Elle avait digéré les choses, ou en tout cas s'en était convaincue. « Tu crois que je suis égoïste ? » Évidemment qu'elle l'avait trouvé égoïste lorsqu'elle s'était retrouvée seule face au déferlement de haine qu'elle avait subit. Elle avait trouvé cette situation injuste au possible et elle avait finit par détester Micah, parfois, quand elle repensait à tout ça et au silence qui en avait suivi les évènements. Puis elle se rappelait qu'elle avait accepté cet arrangement de son plein gré, qu'elle y avait autant à gagner que lui et qu'elle avait fait preuve d'imprudence, pas lui. Si Micah avait vu quelqu'un pendant la période où le monde les croyait follement amoureux, il s'était montré bien plus discret. Et Lena n'avait pu s'empêcher de se demander comment les choses se seraient passées si leurs rôles avaient été inversés : ç'aurait été hypocrite d'affirmer qu'elle aurait agit différemment quand en réalité, elle n'en savait rien. « Si je dis oui tu me laisseras quand même profiter de ta salle de projection ? » A ses yeux, le fait de le sous entendre était bien suffisant pour la soulager d'un certain poids, mais elle refusait de le laisser croire que c'était le seul adjectif qui le qualifiait selon elle. Après tout, en dehors de cette fin chaotique, Micah avait fait beaucoup pour elle. « Je crois surtout que t'as une bien meilleure pr team que moi et que t'as raison de protéger tes intérêts avant tout. » Personne n'était mieux placé pour le faire après tout, et de toute manière, jamais elle ne lui aurait demandé de sacrifier quoi que ce soit pour sa propre carrière. Sans que cette conversation n'en engendre une plus profonde, Micah s'était éloigné pour chercher de quoi trinquer à leurs retrouvailles. « Du vin rouge ça te va ? J'ai un pommard premier cru de 2009 qui est excellent. » L'air enthousiaste de Lena avait suffit pour faire comprendre à Micah qu'elle était partante pour cette bouteille qui paraissait exorbitante pour cette soirée - mais après tout, ce n'était pas surprenant de sa part. Lena n'avait pu s'empêcher de faire remarquer que sa présence ne semblait pas plaire à tout le monde après avoir intercepté un regard désapprobateur dans sa direction. « T'occupe pas de Paul, il fait partie des murs. » Malheureusement pour Lena, elle n'avait pas encore eu tout le loisir de s'habituer à cette présence. « J'étais jeune quand mes parents l'ont embauché, il m'a vu grandir. Et faire pas mal de conneries aussi, sans jamais rien dire à mon père. » L'air que prenait Micah prouvait qu'il était bien plus qu'un simple employé, presque un membre de sa famille. « Je saurais qui soudoyer si j'ai besoin d'informations à ton sujet. » Qu'elle avait lancé juste pour le taquiner. «  Il dit rien, mais je sais qu'il est parfaitement au courant de ce qui s'est passé et il s'inquiète juste pour moi. Tu sais, je pensais pas que ce serait si long et compliqué de... tourner la page. » Elle fuyait son regard à l'instar d'une adolescente un peu intimidée par l'écho ses premiers amours. « Bref j'étais attaché à toi, et il m'a vu un peu déprimé, c'est tout. » L'utilisation du passé dans sa phrase venait de faire naître en elle une certaine frustration qu'elle ravalait sans l'avoir laissée s'exprimer. Et dans un sens, elle aimait savoir que cette période sans contacts l'avait atteint autant qu'elle. « Il va s'en aller, si ça peut te rassurer. Il attendait juste que tu arrives. » Elle avait hoché la tête en souriant doucement, observant Micah s'occuper d'ouvrir la fameuse bouteille. Et alors qu'elle était sans doute en train de rater une occasion de se taire, elle brisa le silence d'une voix presque inquiète. « Tu crois que c'est une erreur, qu'on se retrouve là ? » Paul, lui, semblait le penser. Parce que si ça avait été long et compliqué de tourner la page, pourquoi s'entêtaient-ils à vouloir s'y replonger ? Elle s'agaçait à réfléchir autant même après s'être promis qu'elle tenterait de se laisser porter. « Non pardon, oublie. J'ai pas le droit de tuer l'ambiance alors qu'on à même pas encore goûté à ce pommard. »

Le soir même de leur rencontre, Micah et Lena avaient scellé l'avenir de leur relation. Leur arrangement, de par même son existence, était la preuve suffisante que l'éventualité d'une romance sincère n'était pas dans leurs projets, si bien que Micah avait fini par se persuader qu'il ne la méritait pas. S'ils n'avaient pas conclu ce marché ; s'ils n'avaient pas troqué leur authenticité contre le privilège d'être vus l'un avec l'autre, leur histoire aurait pu prendre une autre tournure. A ce stade, ils ne pouvaient plus effacer le mal qu'ils s'étaient infligés, mais Micah était bien déterminé à prouver que tout ce qu'il avait pu raconter, tout ce qu'il avait pu projeter sur Lena avait fini par dépasser le rang de simple stratagème. Que tout ce qu'elle avait découvert de lui, s'il serait arrogant de le qualifier de privilège, était du moins authentique. Il fut rassuré de savoir que Lena avait aussi tourné la page, et que si la blessure n'était pas totalement cicatrisée, elle ne lui laissait plus la douleur vive des débuts. Malgré lui, Micah se positionnait volontiers en victime, anticipant les reproches qu'on pourrait lui faire avec l'ambition cachée de susciter un peu de compassion. La manipulation n'était pas consciente, mais les mécanismes assez huilés pour être devenus des réflexes. Jo en avait fait les frais bien avant Lena. « Si tu réponds que oui, ça voudrait surtout dire que tu fais partie des rares personnes qui s'autorisent à être honnêtes avec moi. » rétorqua-t-il, bien au courant qu'il méritait d'être traité d'égoïste, mais qu'une faute avouée était de fait à moitié pardonnée. « Je sais même pas si je mérite autant d'indulgence, mais merci. Ma carrière c'est toute ma vie. J'ai jamais trop eu le choix de penser à quiconque d'autre que moi-même. » Le mensonge était suffisamment dilué pour le rendre convaincant. Bien-sûr qu'il ne méritait pas son indulgence mais c'était précisément le genre de nuance à laquelle il aurait pu s'attendre en entamant lui-même son propre procès. Lena comprendrait néanmoins son attachement à son travail et les sacrifices auxquels il fallait parfois se contraindre pour parvenir à ses fins. Jusqu'à aujourd'hui, personne ne lui avait donné de bonne raison de croire que sa carrière valait moins qu'une amitié ou une potentielle vie de couple. C'était le seul paramètre pour lequel il avait encore un semblant de contrôle, en dépit des obstacles que ses coups d'éclat balançaient sur sa route. « Et si t'as besoin de contacts pour être mieux conseillée, je t'en donnerai. On peut pas échapper aux polémiques, surtout à une époque où tout est sujet à l'interprétation. » Maintenant que les minorités ne laissaient plus aux oppresseurs le privilège de l'impunité, Micah n'avait plus celui de pouvoir s'exprimer librement sans devoir peser chacun de ses mots. C'était épuisant, et surtout cela nécessitait des cerveaux bien plus avertis que le sien à propos de discriminations auxquelles il avaient toujours été impérméable. Il était cependant satisfait de constater que Lena comprenait les enjeux. Si c'était un secret de polichinelle dans le milieu, peu de personnes se fendaient de prôner l'individualisme quand il leur était défavorable. Il entreprit d'ouvrir la bouteille avec l'approbation silencieuse de Lena, dont le regard était occupé à surveiller la présence de Paul. Lorsqu'il balaya ses craintes, la jeune femme sembla comprendre assez rapidement l'importance que Micah attachait à cette compagnie qui lui paraissait intrusive. Dans une maison souvent vide, Paul était devenu une présence familière et rassurante. Loin de lui l'idée de la mettre mal à l'aise, mais elle devrait s'habituer à abandonner un peu de pudeur pour côtoyer Micah. Paul ne l'avait jamais abandonné et il n'était pas question de le faire se sentir de trop pour ménager son intimité. « Oh je te cache pas qu'il serait ravi de cracher sur moi, mais t'as du boulot pour gagner sa confiance. Il connait très bien le prix des informations qu'il a sur moi et il y a une raison si rien n'a jamais été dévoilé à la presse. » dit-il en s'hasardant à ouvrir plusieurs placards pour dénicher deux verres à pied. A l'évidence il ne connaissait pas si bien l'organisation de sa cuisine. Il s'affaira à servir le vin lorsque Lena partagea des doutes qu'elle essaya de dissiper aussitôt. Il étaient légitimes et Micah préférait au contraire son honnêteté plutôt que le simulacre de perfection auquel ils s'étaient habitués. « Je crois pas non. Tu crois que c'est une mauvaise idée ? » demanda-t-il en relevant les yeux pour sonder l'étincelle dans les siens. « J'ai envie de te connaître Lena. Et ça fera encore de moi un égoïste, mais j'aimais la personne que j'étais, ou du moins que j'avais envie d'être quand j'étais avec toi. » assura-t-il en esquissant un sourire du bout des lèvres. Il offrit un verre à Lena tandis qu'il observait les larmes du vin qui glissaient dans le sien. « Alors on trinque à ça ? A nous ? » proposa-t-il en levant son verre avec assurance. Le tintement du cristal ne fut pas suffisant pour couvrir celui de la porte que Paul avait refermée derrière lui, les laissant enfin seuls avec leur volonté d'enterrer le passé. « Demande-moi un truc que tu voudrais savoir sur moi. Promis je serai 100 % honnête. » l'avait-il mise au défi après avoir trempé ses lèvres dans son verre.

« Si tu réponds que oui, ça voudrait surtout dire que tu fais partie des rares personnes qui s'autorisent à être honnêtes avec moi. » Elle s'était figée un instant, surpris par la franchise de ses mots. Mais bien qu'une part d'elle avait envie de le bousculer, de lui crier ce qu'elle avait dû garder en elle des mois durant, elle avait fait la paix avec tout ça et rouvrir des plaies à peine cicatrisées ne lui donnait absolument pas envie. Peut-être était-ce une forme de naïveté ou juste une grande capacité d'empathie mais elle ne connaissait que trop bien les risques du métier et elle comprenait que derrière son silence se cachait un besoin de préserver son image, mais aussi et surtout une équipe qui lui disait comment agir au mieux dans ce sens. Dire qu'elle n'aurait pas rêvé d'être avec quelqu'un qui aurait envoyé en l'air toutes ces choses pour elle aurait été mentir. Mais elle savait aussi qu'elle ne pouvait pas attendre ça d'un homme qui, même s'il avait quelques sentiments à son égard, ne faisait que feindre d'être le sien. « Je sais même pas si je mérite autant d'indulgence, mais merci. Ma carrière c'est toute ma vie. J'ai jamais trop eu le choix de penser à quiconque d'autre que moi-même. » Elle l'imaginait sincère lorsqu'il tenait ce discours mais Lena ne pouvait s'empêcher de noter qu'il semblait se complaire dans cette position dans laquelle il ne faisait que subir lui même les choix qu'il se voyait forcé de faire. « Je pense pas être indulgente, juste consciente que tout est compliqué. T'as de bonnes raisons d'agir comme tu le fais mais ça n'enlève pas que ce soit égoïste. » Qu'elle avait lancé en souriant d'un air faussement innocent, s'amusant d'utiliser ça comme une taquinerie maintenant que les choses étaient claires entre eux à ce sujet. Ce qui l'était tout autant c'est que Lena se retrouvait bien moins entourée que lui pour l'aider à traverser ces turbulences médiatiques. « Et si t'as besoin de contacts pour être mieux conseillée, je t'en donnerai. On peut pas échapper aux polémiques, surtout à une époque où tout est sujet à l'interprétation. » La proposition était intéressante et partait d'une bonne intention. Elle hochait la tête, touchée par cette attention. Pour autant elle n'était pas certaine d'avoir envie de se sentir redevable envers Micah s'il lui donnait des contacts, la faute certainement à ce qu'il avait pu lui reprocher lorsque tout avait volé en éclats. « C'est clair. J'y penserais. » Qu'elle s'était contentée de répondre avant de l'observer chercher sa bouteille et de commenter les allers et venues de Paul qui ne semblait pas apprécier sa présence ici. « Oh je te cache pas qu'il serait ravi de cracher sur moi, mais t'as du boulot pour gagner sa confiance. Il connait très bien le prix des informations qu'il a sur moi et il y a une raison si rien n'a jamais été dévoilé à la presse. » Sa curiosité était piquée pour de bon. Lena savait que Micah avait tout un tas de secrets inavoués, ils avaient déjà pu parler rapidement de tout ce qu'ils devaient cacher au risque de se voir exposés au grand jour. Ils n'étaient pour autant pas rentrés dans les détails, ou en tout cas lui bien moins qu'elle. Se confier ainsi relevait certainement d'une erreur stratégique mais puisqu'il ne s'était jamais servi des informations qu'il avait sur elle, elle aimait espérer que les révélations qu'elle lui avait faites sur son histoire avec son ex, notamment, étaient en sécurité avec lui - autant qu'elle espérait qu'être revenue vers lui n'était pas une erreur stratégique de plus. Ses doutes, elle les lui avait partagés dans un élan de spontanéité. L'espace d'une seconde, Lena avait regretté d'avoir posé cette question mais le fait que Micah semblait lui répondre sincèrement avait le don de la rassurer. « Je crois pas non. Tu crois que c'est une mauvaise idée ? » Les quelques amies à qui elle avait confié son envie de le revoir étaient persuadées que c'était la pire des choses à faire mais en même temps, aucune d'entre elles ne connaissaient la vérité sur leur histoire. Mais Lena elle même avait de nombreux doutes. « En fait je suis pas encore totalement décidée. » Puisqu'ils semblaient jouer la sincérité ce soir, autant poursuivre sur cette voie. « J'ai envie de te connaître Lena. Et ça fera encore de moi un égoïste, mais j'aimais la personne que j'étais, ou du moins que j'avais envie d'être quand j'étais avec toi. » Et alors qu'il avait prononcé ces mots sans la quitter des yeux et qu'elle avait senti un flot d'émotions la traverser, sa présence auprès de lui apparaissait comme une évidence. « Peut-être que tu finiras par me convaincre que venir était pas une mauvaise idée après tout. » Elle attrapait son verre de vin sans lâcher Micah du regard. « Alors on trinque à ça ? A nous ? » « A nous. » Elle hochait vivement la tête, se laissant porter par le moment, par cette douce illusion d’un instant suspendu. « Demande-moi un truc que tu voudrais savoir sur moi. Promis je serai 100 % honnête. » Elle leva un sourcil, amusée quoi qu'un peu sceptique en y repensant. « Parce que tu l'es pas d'habitude ? » Bien sûr elle ne lui reprochait pas, mais peu à peu elle retrouvait sa confiance en elle et se sentait d'humeur à s'amuser un peu de lui. Tout en faisant mine de réfléchir elle trempait ses lèvres dans le vin, l'expression satisfaite de son visage suffisant à exprimer à quel point elle l'appréciait. « J'ai l'impression que tout ce que je pourrais te demander t'y aura déjà eu droit en interview. » Sauf que cette fois Lena avait la promesse d'une réponse parfaitement honnête, loin de celles qu'il aurait préparées à l'avance pour satisfaire le plus grand nombre. « Et puis c'est bête si j'avais su que tu me laisserais une opportunité de connaître tous tes plus noirs secrets j'aurais pu réfléchir pour trouver la question. » Mais il venait de la prendre de court et malgré toutes celles qui pouvaient lui brûler les lèvres, elle voulait jouer le jeu et n'en choisir qu'une. « Ça t'arrive de regretter cette vie, de te demander qui t'aurais pu être si t'étais pas "Micah Tomlinson, l'acteur à succès" ? » Oui, celle là pour sûre, il y avait déjà eu droit des dizaines de fois en interview mais bizarrement, ce qu'il pourrait répondre intéressait vraiment Lena. De toute manière, tout ce qu'elle aurait voulu lui demander d'autre concernait leur relation - ses relations à lui, en fait - plus qu'autre chose, et elle n'était pas sûre de vouloir en entendre les réponses. « Et me dis pas que t'aurais fini médecin ou un truc du genre, j'ai lu un article une fois qui racontait tout un tas de conneries et bizarrement, je t'imagine pas en blouse blanche. » Qu'elle ajoutait en plaisantant avant de se replonger dans son verre.

Micah aimait souvent refaire l'histoire, comme si sa vie n'était finalement qu'un script qu'il pouvait annoter quand bon lui semblait. A force d'inventer des alternatives aux erreurs et aux situations douloureuses, il était passé maître dans l'art d'incarner d'autres versions de lui-même, à puiser dans chaque univers parallèle pour donner vie à des sentiments qu'il aurait pu ressentir, si seulement il avait agi autrement. C'était le secret de son succès fulgurant, révélé par un personnage qui, à bien des aspects, lui ressemblait plus qu'il ne voulait l'admettre. Cette vie où il n'aurait pas blessé Lena n'existait pas, mais il ne tenait désormais qu'à lui de transformer cette expérience pour progresser et, peut-être un jour, se faire pardonner. Ce qu'il avait réussi à faire bien trop tard avec Penny. « Si t'es pas indulgente, alors t'es pas rancunière non plus. On m'a pourri pour moins que ça... même quand c'est compliqué, les gens cherchent pas plus loin que leurs propres intérêts. » En vérité, Micah avait un talent certain pour tourner les situations à son avantage, invoquer chaque coup dur de sa vie pour tirer profit de l'affection qu'on lui portait. Ce n'était pas toujours conscient, mais c'était devenu un mécanisme pour garder près de lui les personnes qui auraient pu lui tourner le dos des dizaines de fois. Tout le monde finissait toujours par tourner la page tôt ou tard sur ses choix égoïstes, ses trahisons et autres erreurs de parcours. « Je crois que je fréquente trop de gens égoïstes, ça aide clairement pas. » se justifia-t-il, Jo figurant en tête de la liste des personnes qui comprenaient que dans le monde dans lequel ils gravitaient, il fallait accepter d'effectuer des sacrifices. A entendre Lena, elle aussi avait suffisamment baigné dans le milieu pour savoir que l'individualisme était le secret de la longévité. Contrairement à ce qu'on pensait, Micah n'était pas si bien installé dans la célébrité pour avoir le luxe de faire des choix en accord avec des valeurs morales qui n'avaient de toute manière jamais guidé sa vie. Il suffisait de voir ce qu'un petit coup de sang avait bien pu infliger à sa réputation.

Elle balaya poliment sa proposition de partager son réseau, feignant une réflexion remisée au placard des mauvaises idées. Micah la soupçonnait de le faire moins par méfiance que par fierté, ce qui était tout à son honneur. Ce dont elle se méfiait en revanche, c'était de sa propre inclination à retomber dans ses mauvais travers, comme si Micah avait la moindre jugeote pour admettre qu'il ne valait pas mieux que n'importe quel autre ex toxique vers lequel elle demeurait dangereusement attirée. Ce n'était pas faute de lui avoir partagé son histoire et ses mauvaises habitudes, dont il avait espéré la tirer. Finalement, n'avait-il pas agi comme tous les autres connards qu'elle était incapable d'oublier ? « Qu'est-ce que je dois faire pour te convaincre ? » avait-il demandé, tel l'homme en quête de rédemption qu'il croyait être. A vrai dire, depuis qu'il s'était retiré du cinéma pour se concentrer sur des projets plus altruistes, Micah pouvait se targuer d'être devenu un homme meilleur. Peut-être que les prémices de sa fondation étaient motivés par des blessures personnelles, une quête de sens légèrement narcissique, mais dans le fond n'était-ce pas le propre de toutes les ambitions charitables ? Se servir de ses propres expériences et traumatismes pour aider les autres à mieux les traverser. Et, par la même occasion, s'aider soi-même. Il ne mentait pas en affirmant qu'il était une meilleure personne grâce à leur couple fictif. Les limites, maintenant qu'il commençait à penser à d'autres que lui-même, lui paraissaient infinies.

Ils trinquièrent, enivrés par cette possibilité d'un renouveau, par la légèreté d'un avenir plus serein. Dans sa lancée, Micah s'exposa même à un instant de vulnérabilité. Il était prêt à prouver à Lena que ses paroles n'étaient pas vaines, qu'il était bien plus que les promesses qu'il prononçait avec une facilité convaincante. « Bien-sûr que je le suis, mais tu vois ce que je veux dire. » rétorqua-t-il, prêt à se livrer davantage que toutes les fois où il était resté sur la retenue de peur qu'on retienne des choses contre lui. Contrairement à d'autres femmes, Lena avait le privilège de ne jamais avoir eu Joel Tomlinson dans les pattes pour la forcer à signer un accord de confidentialité. « C'est pas ta seule chance tu sais, tu pourras m'en poser d'autres des questions. » la rassura-t-il en voyant qu'elle se torturait l'esprit comme une journaliste sur un tapis rouge, refusant de poser la même question banale que ses consoeurs sur sa tenue ou son état d'esprit. La force de la sienne était qu'elle appelait à des tas de réponses, qui changeaient toujours à plusieurs étapes de sa vie. Micah était arrivé à un stade où elle n'avait plus du tout le même sens que lorsqu'il avait bien pu y répondre de façon un peu nonchalante devant les caméras, balançant des évidences qui ne lui avaient jamais véritablement traversées l'esprit. « Médecin ? Ceux qui ont rédigé ça me connaissent vraiment pas. » dit-il en avalant une gorgée généreuse de vin.  « J'y pense tous les jours oui... » entama-t-il, laissant planer un léger silence le temps de rassembler ses esprits. « Je me demande surtout quel impact ça aurait pu avoir sur ma famille. » Voilà ce qui l'obsédait récemment. La perte imminente de son père, le retour de sa mère dans une vie qu'elle n'avait jamais souhaité pour lui, les retrouvailles timides avec des membres oubliés de son clan, à l'évidence ses choix avaient eu des conséquences sur son aliénation. « Ma carrière, c'est ce qui a déchiré mes parents... Peut-être qu'ils seraient encore ensemble aujourd'hui... Peut-être que j'aurais eu un frère ou une sœur si mon père était pas trop occupé à me faire passer des castings tout en continuant à me donner des cours à la maison. Peut-être que ma mère serait là pour prendre soin de lui comme elle l'avait certainement promis dans ses vœux de mariage. » énuméra-t-il, comme si les hypothèses de cette vie s'imposaient au fil de la discussion. Comme s'il n'y avait jamais réfléchi, alors que ces pensées le tenaient éveillées des nuits entières de solitude. « J'aurais peut-être été heureux, tout simplement. » conclut-il en relevant vers Lena des yeux résignés. Son ton paraissait un peu badin, mais ce n'était que sa façon d'accepter la réalité que, sous tous ces artifices, il n'était pas heureux. « Mais bon, en fin de compte j'étais condamné à devenir égoïste. Ils l'ont toujours été tous les deux, c'est bien la seule chose qu'ils ont pu m'apprendre. »

Peut-être que Lena finirait par comprendre qu'elle avait une part de naïveté, surtout lorsqu'il s'agissait de Micah, mais en attendant elle avait la sensation qu'il méritait sincèrement toute sa compréhension plus que de mériter une rancœur qu'elle aurait pu avoir du mal à laisser s'éteindre. « Si t'es pas indulgente, alors t'es pas rancunière non plus. On m'a pourri pour moins que ça... même quand c'est compliqué, les gens cherchent pas plus loin que leurs propres intérêts. » Et c'était peut-être précisément ce qui, dans cette situation, allait causer la perte de Lena. On avait essayé de la prévenir, elle avait elle même appris de ses erreurs de jugement et d'avoir fait confiance trop vite, mais elle avait trop de mal à associer Micah à une mauvaise personne pour être complètement lucide face au fait que tous les signaux lui criaient de rester éloignée de lui. Elle n'avait de cesse de lui chercher des excuses, parce qu'elle se sentait proche de lui, parce qu'elle aussi avait la sensation de devoir mentir sans cesse pour se protéger et parce que ce fait lui donnait la sensation qu'ils se comprenaient réellement tous les deux quand tous les autres ne savaient rien de la relation qu'ils entretenaient vraiment. Seul le temps parviendrait à lui dire si elle avait raison d'agir ainsi ou si elle faisait fausse route encore une fois. « Je crois que je fréquente trop de gens égoïstes, ça aide clairement pas. » Elle avait haussé les épaules, consciente d'évoluer dans un monde d'égoïste mais n'ayant pour autant pas l'impression qu'elle même avait fini par le devenir à son tour, bien au contraire. « Ça aide peut être pas, mais c'est pas une fatalité non plus. » Qu'elle ajoutait comme pour lui proposer une porte de sortie de ce cycle infernal duquel il semblait prisonnier, à moins qu'il ne s'en serve juste comme excuse pour ses erreurs passées ; erreurs qui refaisaient surface bien rapidement lorsqu'ils se retrouvaient à deux et ceux peu importe les efforts qu'elle tentait de mettre en place pour parvenir à les oublier. « Qu'est-ce que je dois faire pour te convaincre ? » L'envie de lui demander de la faire passer en priorité si la vie les amenaient à devoir traverser un nouveau scandale lui brûlait les lèvres mais elle le savait incapable de répondre à ce besoin autant qu'elle savait cette demande bien trop précoce. « T'es sur la bonne voie pour le faire, mais je pense que t'y parviendra qu'avec du temps. Parce que tu pourrais dire ce que tu veux, les mots vaudront toujours moins que les actes. » Elle était plutôt fière de son choix de tournure, qui elle l'espérait, suffirait à ce qu'il se bouge pour lui prouver les choses au lieu de les lui dire. Mais puisque l'heure n'était pas propice à prouver quoi que ce soit et qu'ils avaient cette conversation d'engagée, elle ne cachait pas non plus sa joie de le voir faire une promesse de s'ouvrir honnêtement sur le sujet de son choix. A bien y réfléchir, cette soirée était déjà un signe d'amélioration dans leur relation et Lena était plus que satisfaite de sa tournure jusque là. Elle s'était permis une plaisanterie au sujet de son entrée en matière, mais n'en jouerait pas moins le jeu pour autant. « Bien-sûr que je le suis, mais tu vois ce que je veux dire. » Elle riait doucement, trempant ses lèvres dans sa coupe sans jamais le quitter du regard. « C'est pas ta seule chance tu sais, tu pourras m'en poser d'autres des questions. » La promesse d'autres soirées telles que celle ci avait l'enchantait et il semblait qu'à chaque fois que Micah prenait la parole, Lena oubliait un peu plus à quel point elle avait pu souffrir à cause de lui. Elle s'intéressait alors à ce qu'il aurait pu faire s'il n'était pas devenu celui qu'il était aujourd'hui, consciente qu'il avait certainement dû répondre à la question lors d'une dizaine d'interviews mais se sentant privilégiée de pouvoir la poser dans un contexte privilégié. « Médecin ? Ceux qui ont rédigé ça me connaissent vraiment pas. » Elle se mit à pouffer plus franchement. « J'y pense tous les jours oui... » L'air pensif qu'il arborait prouvait qu'il était bien décidé à se montrer vulnérable pour de vrai, cette fois. « Je me demande surtout quel impact ça aurait pu avoir sur ma famille. » Lena vint appuyer sa tête sur ses mains, coudes posés sur le plan de travail, son intérêt piqué par les déclarations de Micah. « Ma carrière, c'est ce qui a déchiré mes parents... Peut-être qu'ils seraient encore ensemble aujourd'hui... Peut-être que j'aurais eu un frère ou une sœur si mon père était pas trop occupé à me faire passer des castings tout en continuant à me donner des cours à la maison. Peut-être que ma mère serait là pour prendre soin de lui comme elle l'avait certainement promis dans ses vœux de mariage. » Encore une fois elle avait l'impression de le comprendre, elle cochait elle même la case de la famille dysfonctionnelle même si elle ne pouvait être d'accord avec tout ce qu'il disait. « J'aurais peut-être été heureux, tout simplement. » Ses sourcils vinrent se froncer : était-il si seul et malheureux qu'il le laissait entendre ? « Mais bon, en fin de compte j'étais condamné à devenir égoïste. Ils l'ont toujours été tous les deux, c'est bien la seule chose qu'ils ont pu m'apprendre. » C'est là qu'elle décidait de réagir, l'ayant laissé jusque là s'exprimer sans intervenir. « C'est pas une excuse, je t'assure que mon père était le plus gros des cons et je n'ai rien à voir avec lui. Enfin j'espère. » Si Lena devait ressembler à celui qui l'avait élevé, elle n'aurait certainement pas eu le courage de se regarder en face dans un miroir à l'heure actuelle. Quoi que le fait qu'il l'ait envoyée en pension pendant toute son adolescence avait dû creuser un fossé suffisamment large entre eux pour qu'ils se différencient en tout point. « Si ça peut te rassurer, j'ai appris avec les années qu'un enfant n'est jamais la cause des problèmes de ses parents. Si c'était pas toi, ils auraient trouvé autre chose pour se séparer. » Elle même s'était flagellée bien longtemps pour le chaos qu'était sa famille avant de comprendre qu'elle n'était responsable de rien, qu'au contraire elle n'était qu'une victime. « Et tu peux me croire aussi sur le fait qu'avoir une famille nombreuse n'est certainement pas gage de bonheur. Mes six demi frères et sœurs sont là pour le prouver, je sais même pas si les plus jeunes connaissent encore mon prénom. » Cassie était la seule avec qui Lena entretenait un semblant de relation, et encore, elle était quasiment sûre que la dernière fois qu'elle était venue lui rendre visite c'était dans un but de trouver des renseignements sur Micah, même si Cass avait prétendu le contraire. « J'ai longtemps été jalouse de ceux qui ont une famille unie, mais je pense que ça vaut encore mieux de pouvoir choisir les gens qu'on veut avoir proches de nous. » Qu'elle lançait sans jamais le lâcher du regard, un léger sourire calé sur ses lèvres.