Tous les doutes étaient dissipés depuis leur première rencontre. Cette fois, il était bien question d'un rendez-vous, et la perspective enchantait Charlie autant qu'elle le terrifiait, résolu à faire comprendre à Jayden qu'il lui plaisait, et qu'un tout petit signe de consentement de sa part était tout ce qui les séparait du baiser duquel il rêvait depuis des semaines. Leurs échanges par message avaient achevé de réchauffer son cœur, qui avait retrouvé sa vigueur d'adolescent, ces trépignements de joie qui infectaient son visage pour en tirer un sourire impossible à dissimuler. Posté derrière l'accueil, Charlie n'avait eu d'autre choix que se confier à Fran sur ce rendez-vous, tâchant néanmoins de rester vague pour ne pas divulguer l'identité de celui qui lui provoquait des gloussements niais de temps à autres. Il avait eu besoin de le dire à quelqu'un, et même si Fran s'était montré moins intrusif face à son patron que ne l'aurait fait sa sœur, il n'avait pas pu contenir une pointe de curiosité que Charlie laissa sur sa faim. A ce stade, il ne voulait pas se porter malheur, alors aussi difficile que cela lui semblait, il était préférable de ne pas mettre trop de monde dans la confidence de ses sentiments réveillés par un coup de pouce du destin, une odeur agréable de mandarine, et des mains fantômes qu'il sentait encore parcourir ses épaules et son dos. Surtout, il avait ressenti le besoin de se livrer à Fran pour justifier son évidente distraction et la liberté qu'il prendrait à partir plus tôt ce jour, car il savait bien que la tâche de s'habiller serait longue et perilleuse, ce malgré tous les efforts qu'il avait déployés pour anticiper cet ineluctable moment d'indécision. Jayden avait eu beau mettre en avant d'autres prétextes, une partie de lui ne pouvait s'empêcher de croire qu'il faisait le trajet entre son lieu de tournage et Brisbane pour le simple plaisir de le voir. L'intention, adorable de prime abord, mettait une énorme pression sur les épaules de Charlie, détérminé à ne pas lui faire regretter le temps et l'énergie qu'il mettait à son service.

Comme prévu il était parti plus tôt de la salle, laissant à Fran la responsabilité de fermer à sa place alors qu'ils venaient tout juste de se sortir d'une sombre galère pour tout remettre sur pied. Charlie devait bien admettre qu'une partie de lui s'inquiétait de devoir revivre ce cauchemar à n'importe quel moment, mais il était plus obsédé encore à l'idée de revoir Jay après des semaines à fantasmer sur son profil Instagram et à s'envoyer des allusions virtuelles. Arrivé chez lui et une fois face au dilemme, il resta figé plusieurs minutes par ses errements vestimentaires. S'il n'avait pas su quelle tenue était la plus appropriée pour lancer des haches, il n'était pas plus inspiré pour une excursion nocturne en kayak dans la jungle urbaine de Brisbane. Charlie adorait leurs choix audacieux en matière d'activités, mais ils n'étaient pas sans poser quelques problèmes d'ordre pragmatique. L'avantage avec l'arrivée imminente du printemps était que les températures restaient relativement douces et que l'écart était dérisoire entre le jour et la nuit. Si Charlie se montrait plus doué avec des rames que des haches, et qu'ils ne finissaient pas à l'eau, ils n'auraient aucune raison d'avoir froid. Il porta donc son dévolu sur une tenue sobre qu'il agrémenta d'un cardigan en laine blanche et liseré noir. Pour s'épargner les bouchons de fin de journée, et aussi parce qu'il l'avait promis à Jay, il enfourcha sa moto non sans oublier d'embarquer un second casque dans le coffre de transport installé spécialement pour l'occasion. La soirée s'annonçait belle tandis qu'il roulait dans le décor du soleil couchant, peintre exalté qui dessinait des volutes roses et orangées dans le ciel. Sur sa moto, Charlie n'avait pas trop le temps de penser, ondulant entre les voitures ou concentré sur la route qui s'étendait devant ses yeux, si bien qu'il oublia toute la pression qui avait rythmé sa journée. Il arriva sur les lieux du rendez-vous l'esprit vidé, et exalté de voir que Jay l'attendait déjà. Il rangea ses affaires avant d'effacer les quelques mètres qui les séparait d'une étreinte dont Charlie ferait un rituel maintenant qu'il se l'était autorisé une fois. « Enfin, je suis content de te voir. » admit-il en reculant pour détailler l'acteur, qui n'avait pas perdu de son charme. Il remarqua même quelques nouveautés, dont cet anneau qui ornait le lobe de son oreille. « J'aime beaucoup, ça te donne un côté  affirmé. » commenta-t-il avec un regard contemplatif. Il regrettait presque d'avoir choisi une activité où il n'aurait pas le loisir d'admirer le visage de Jay pendant une heure. Pour sûr il se rattraperait par la suite, malgré la gêne évidente que cela suscitait chez le principal intéressé. « Tu es rentré aujourd'hui ? J'espère que je t'ai pas trop fait courir... quoique non visiblement, puisque tu es plus ponctuel que moi. »

En quelques semaines Jay avait ensorcellé son esprit, s'immiscant jusque dans des rêves que Charlie n'avait encore osé décrire à personne. Cet engouement soudain et inéspéré, à la limite de l'obsession, demeurait trop jeune pour se transformer en confession, ou même se risquer à l'imaginer tout à fait réciproque. Jayden était célèbre, et malgré ses recherches Charlie n'avait trouvé aucune trace de ses relations passées, encore moins avec un homme. Si cela ne mettait pas forcément les chances de son côté, Charlie préférait croire que Jay était, comme il avait pu le déceler lors de leurs premiers échanges, un homme discret et ancré dans la réalité, qui n'avait pas pour habitude de faire la une des magazines pour d'autres raisons que celles qu'il décidait. Quoiqu'il en soit, Charlie était prêt à profiter de l'intérêt que pouvait bien lui porter l'acteur, même si cela devait se révéler être éphémère. Pour rien au monde il ne voulait troquer les sentiments affectueux qui naissaient dans sa poitrine contre un pragmatisme qu'il appliquait rarement dans ses relations avec les gens. Il se laisserait porter, comme il avait l'habitude de le faire, sans spéculer sur l'avenir ou sur le potentiel rapport que Jay entretenait avec sa sexualité ou son image publique. Après tout, s'il était prêt à retenter l'expérience, à prendre encore une fois le risque d'être photographié en sa compagnie, peut-être que Jay avait lui aussi trouvé que la balance penchait en leur faveur. Charlie avait passé une main négligée dans ses cheveux aplatis par son casque avant d'effacer la distance qui le séparait de Jayden. Il paraissait si beau, si angélique dans la lumière du crépuscule, dont les derniers rayons étincellaient dans ses yeux. Charlie dû se mordre discrètement la joue pour se convaincre qu'il ne rêvait pas. Qu'il se dirigeait vraiment en chair et en os jusqu'à lui pour assouvir cette envie irrésistible qui l'avait hantée des semaines de sentir son torse contre le sien, et se remémorer les notes envivrantes de son parfum. La réalité surpassait ses fantasmes car elle était tangible et sollicitait le moindre de ses sens. Face à Jay, ils étaient en effervescence.

Jay n'avait évidemment rien perdu de sa candeur. Charlie avait pourtant senti davantage d'entrain et de lâcher prise dans l'étreinte qu'il lui avait imposée. Encerclé par ses bras, il s'était senti à sa place, et lorsque le contact s'était rompu, Charlie avait pu se consoler d'observer son visage à nouveau, jusque dans les moindres parcelles. Ce nouvel accessoire, qu'il ne manquait pas de triturer pour tromper sa nervosité, n'était de fait pas passé inaperçu. Et pour sûr, n'avait pas non plus manqué d'éveiller la curiosité de Charlie pour un rôle qui semblait à nouveau aux antipodes de sa personnalité. « Tu peux en parler de ce rôle ou c'est top secret ? » demanda-t-il avec la conviction que Jay ne pourrait pas trop en révéler. Il se contenterait de ce qu'il voulait bien divulguer, et laisserait son imagination combler les trous, avec autant d'inventivité que celle qui rythmait ses nuits. Il sourit à la réponse de Jay, qui lui semblait une preuve pudique que l'acteur avait rêvé de ces retrouvailles autant que lui. « Pour être tout à fait honnête, j'adore courir. Encore plus quand la récompense en vaut la peine... Je t'ai dit que je faisais partie d'un club de course associatif ? » dit-il, changeant de sujet pour ne pas mettre Jay trop mal à l'aise avec ses sous-entendus. Charlie n'avait pas besoin d'un prétexte pour courir, mais si les ambitions de Run for Judy étaient motivantes, celles de retrouver Jayden, même à des milliers de kilomètres, l'était bien davantage. « Marchons alors, à défaut de courir. » dit-il alors qu'ils se mettaient en route, côte à côte, leurs bras se frôlant dangereusement à chaque pas. Indiquant la marche, ils se promenèrent le long du fleuve, qui scintillait des lumières de la ville. « Moi aussi je suis content de te voir, ça me semble tellement... surréaliste. J'ai beaucoup pensé à toi. Et pourtant j'ai peu de temps pour penser. C'est... agréable. » avait-il confessé, faute de trouver des mots plus précis pour qualifier les sentiments qui avaient pu l'agiter ces dernières semaines. Se retrouver près de Jay, avec la perspective de se rapprocher encore plus de lui, alors qu'il avait vu son visage sur un panneau publicitaire pas plus tard que ce matin, lui semblait au-delà de toute espérance. Alors qu'il devrait se trouver banal à ses côtés, c'était tout l'inverse. Consciemment ou non, Jayden lui donnait l'impression d'être spécial. « Tu as déjà fait du kayak ? Non attends... je parie que t'en as jamais fait et que tu vas te débrouiller comme un pro. » Car il semblait que tout ce que Jay touchait, y compris lui, se transformait en or.

Le silence s'était installé, à l'improviste, comme un compagnon invisible. Il n'était pas gênant, plutôt de ceux qu'on laissait s'inviter pour s'abandonner au reste de ses sens. Ecouter son cœur battre dans ses tempes, s'exalter de la possibilité d'un contact charnel, ou encore s'émerveiller d'une nature qu'on ne réduisait d'ordinaire qu'à un décor figé autour de l'agitation urbaine. Les teintes du crépuscule, qui ruisselaient sur le fleuve, lui donnaient l'impression de rougir face au bleu cristallin des yeux de Jayden. Marcher à ses côtés, c'était comme être transporté dans un autre monde, suspendu entre l'éclat miroitant de l'eau et le clapotis apaisant des rives. Les premiers lampadaires s'éveillaient timidement, projetant des lueurs vacillantes, comme autant de lucioles qui s'agitaient dans la nuit naissante. Les branches des arbres s'étiraient au-dessus de la rive, formant une haie d'honneur sous laquelle s'engouffraient, insouciantes, les silhouettes de Jay et Charlie. Un cadre magique, au-delà de tout ce que ce dernier avait pu imaginer. Dans cette discrète cacophonie, leurs voix étaient calibrées, comme s'il ne fallait surtout pas interrompre le murmure du vent ou le grésillement des insectes, musiciens imperceptibles. De sa réponse laconique, Charlie comprenait que Jayden n'était pas autorisé à en dire beaucoup plus que ce que la presse avait pu glaner, et ils n'étaient à l'évidence pas encore assez proches pour s'en offenser. « Ok, donc ça a l'air top secret. Mais j'ai hâte d'en savoir plus. » rétorqua-t-il avec un sourire en coin, refusant d'insister pour ne pas mettre Jay plus mal à l'aise qu'il ne l'était. Il aperçut d'ailleurs ce dernier glisser ses mains dans ses poches, enrayant l'éventualité d'un nouveau contact accidentel. Difficile néanmoins de contenir son enthousiasme en découvrant qu'ils auraient pu, si le destin en avait décidé autrement, se rencontrer dans d'autres circonstances. « T'es sérieux ? Comment c'est possible qu'on se soit jamais croisés ? Est-ce que tu cours seulement entouré de tes gardes du corps ? » demanda-t-il sur un ton moins retenu, la tête penchée avec malice. Il avait toujours du mal à imaginer que Jayden, en dehors de leurs moments privilégiés, devait composer avec sa célébrité. A ses yeux, il n'était que cet homme aussi attirant que pudique qui avait conquéri ses pensées. « On devrait courir ensemble. C'est quoi ton circuit de prédilection pour t'entrainer ? » demanda-t-il naïvement, comme si ce n'était pas une information qui valait son pesant d'or pour les médias.

La promenade s'étirait, languissante et aussi légère que l'air que chariait la lune, spectratrice de moins en moins discrète de leurs flatteries. En confiance, Charlie s'autorisa à pousser encore plus loin le curseur de l'honnêteté. Il s'arrêta pour attendre Jay, qui s'était immobilisé face à cet aveu candide. L'acteur semblait moins surpris qu'il était perdu, comme s'il n'était pas habitué à une sincérité aussi brute. Il se ressaisit pourtant assez vite, relançant leur marche silencieuse. Le sourire qui illumina le visage de Charlie à sa déclaration était plus vif encore que la lumière qui se reflétait dans l'eau calme du fleuve. Il lui plaisait, et Jayden ne semblait pas se rendre compte de toutes les possibilités qu'entrouvrait cette réalité. « Vraiment ? J'avais peur que tu te sentes obligé... vis-à-vis d'Izan et tout ça, et aussi parce que tu m'as pas l'air d'être du genre à aimer contrarier les gens. » répondit-il, cherchant à obtenir cette confirmation indubitable que cette soirée pouvait se terminer comme dans les rêves qui avaient bercé ses nuits depuis leur première rencontre. « Alors tu m'en voudrais pas si je te dis que je te trouve absolument charmant ? » avait-il ajouté, sans soutenir le regard de Jay trop longtemps, mais suffisamment pour qu'il puisse constaster l'éclat chaleureux qui dansait dans le brun de ses yeux. Leur arrivée sur les lieux du rendez-vous leur fit l'effet d'un brutal retour à la réalité. Les moniteurs s'agitaient pour distribuer les gilets de sauvetage et répéter des consignes dont ils ne donnaient jamais l'impression de se lasser. Jayden se figea, comme s'il était un daim égaré en pleine ville, sur lequel se tournaient des regards curieux. Charlie comprit rapidement qu'il voulait garder ce moment pour lui, aussi se posta-t-il de sorte à bloquer les oeillades indiscrètes. « J'ai passé une bonne semaine oui, mais ça m'a paru extrêmement long. Tu sais, comme les derniers jours qui précèdent les vacances ? » dit-il l'air de rien, en faisant abstraction du reste du monde. « Enfin, je sais pas trop comment ça se passe pour toi. C'est comment, tu pars quelques semaines en tournage et après tu as un peu de répit ? C'est quoi le rythme de travail d'un acteur dis-moi ? » le questionna-t-il tandis que les curieux s'éloignaient petit à petit de la rive, ne laissant dans leur sillage que le clapotis de l'eau. Lorsque leur tour fut enfin arrivé, Charlie se délesta de son cardigan pour enfiler le gilet qu'on lui tendait avec bienveillance. Après quelques minutes rapides d'explications, ils s'installèrent dans le kayak, Charlie à l'arrière, avant de s'élancer d'un coup de rame énergique. « Sur une échelle de 1 à 5, à quel point tu as peur de te mouiller les cheveux ? »

A chaque pas timide, chaque parole murmurée comme un aveu pudique, une bouteille jetée à la mer qu'il espérait tomber entre des mains bienveillantes, Jayden semblait semer une partie de lui, de l'homme un peu égaré qu'il était hors des caméras, ou de celui, heureux, qu'il aspirait à devenir. Charlie se sentait privilégié, investi d'un don que personne n'avait eu avant lui, d'être l'objet de ces compliments qu'il proférait à voix basse, à la fois effrayé et pourtant si soucieux qu'il puisse les entendre. Car il les entendait, tout comme il avait eu la chance de voir Jayden vulnérable et sincère dès leur première rencontre, plus intimidé que ne pouvait l'être le plus acharné de ses fans. Charlie se sentait d'autant plus spécial que ces mots, ces gestes qui l'enveloppaient encore chaque jour et chaque nuit, semblaient inédits, témoignés rien que pour lui. En dépit de son assurance, Charlie n'était pas non plus expert en la matière. Certes il avait été marié, et avait profité d'un divorce en bons termes pour explorer sa sexualité, mais jamais il n'avait véritablement ressenti de la passion pour un homme. Ces sentiments nouveaux, qu'ils exploraient ensemble, le rassuraient sur sa légitimité à devenir, peut-être, un chapitre déterminant de la vie de Jayden. Un chapitre qu'il voulait rédiger avec lui, seul, sans se soucier du monde. Il ignorait pourquoi, mais il tenait à ce que Jay se sente aussi beau et charismatique qu'il l'était dans son regard. Sa modestie attendrissante n'avait d'égale que la confiance que Charlie feignait à chaque instant, sans savoir le moins du monde où il mettait les pieds. Il ne se lassait pas de voir son reflet dans ses yeux. Des yeux de moins en moins fuyants, qui détonaient avec un sourire embarrassé. « Je te remarquerais n'importe où. » objecta-t-il, moins par envie de le désarmer que parce qu'il en avait de plus en plus la certitude. « J'ai aucun doute que tu le fais simplement par altruisme. C'est d'autant plus admirable. » dit-il, impressionné par la capacité que Jayden avait de le surprendre un peu plus alors qu'il ne pouvait pas lui imaginer davantage de qualités. « Le rendez-vous est pris alors. Promis je me ferai discret. » Dans la limite de ce qu'imposaient ses tenues colorées et extravagantes.

Testant les limites, Charlie eut peur de les avoir atteintes lorsque Jayden se figea, interdit, et laissa le silence parler à sa place. Peut-être était-il allé trop loin en flirtant ouvertement avec lui. Peut-être qu'il s'était fourvoyé, et que les signaux qu'il avait cru déceler n'étaient que les mirages de ce que son cœur et son corps entier avaient voulu comprendre. Charlie observa l'acteur, incapable de déchiffrer ce mutisme soudain, ni même l'éclat dans ce regard intrépide qu'il avait relevé vers lui. Son cœur semblait s'être arrêté de battre, suspendu à une réponse, une moindre réaction. Lorsque la main de Jay attrapa la sienne, ce fut comme si une décharge venait de traverser ses doigts jusqu'à la plante de ses pieds, réveillant par la même occasion les palpitations dans sa poitrine. Elle était douce, rassurante, si bien qu'il aurait voulu ne jamais la lâcher. L'audace de Jay, certainement motivée par la crainte d'être incompris, lui arracha un sourire soulagé. L'espace d'un instant, Charlie avait envisagé l'idée de s'avancer encore, effaçant la distance dérisoire qui demeurait entre eux pour embrasser Jay et achever de faire vibrer son cœur. Mais ce dernier relâcha sa main, soudainement conscient de son geste, que Charlie continua néanmoins de déculpabiliser d'un sourire béat.

Ils arrivèrent au lieu du rendez-vous, revigorés par le secret de cette tension entre eux, par la promesse tacite d'un rapprochement. Du moins elle obsédait Charlie, qui ne pensait plus qu'à cette main dans la sienne, et ces lèvres qu'il avait failli goûter. Ce serait pour plus tard, songea-t-il, alors qu'ils revenaient à des discussions plus triviales pour brouiller les pistes et ne pas éveiller de soupçons. C'était en tout cas l'ambition de Charlie, qui avait délibérément haussé le ton pour prouver à qui voulait bien l'entendre que Jayden, malgré sa célébrité, avait des conversations comme tout le monde. Ce qui, contre toute attente, semblait avoir décontenancé l'acteur, qui s'était embourbé dans des explications superflues que Charlie accueillait cependant avec un sourire attendri. Venait-il encore une fois de lui avouer qu'il avait fait le voyage rien que pour le voir, et qu'il serait prêt à le refaire ? « Je suis content que tu l'aies fait. Ça aurait été long d'attendre encore des semaines. » admit-il pour rassurer Jayden à son tour. Si ça ne tenait qu'à lui, il aurait même revu Jay bien plus tôt, mais il ne voulait pas non plus s'imposer dans sa vie à une période si décisive. Et, même si c'était difficile, cette attente avait quelque chose d'euphorisant. Elle rendait leurs retrouvailles plus significatives encore.

Une fois monté dans le kayak, Charlie ne put s'empêcher de détailler les muscles tendus à l'arrière de ses bras, ainsi que la forme de ses omoplates qu'on devinait sous son t-shirt. Il adorait les boucles qui recouvraient sa nuque, qu'il avait effleurée lors de leur premier rendez-vous, et dont il sentait encore les effluves sucrées. Le dos tourné, Jayden parut transformé. Il était plus assuré, plus taquin aussi. Lorsqu'il bascula la tête, Charlie dut se mordre l'intérieur de la joue pour résister à l'envie irrépressible de déposer un baiser sur son front, sur lequel glissaient des mèches de cheveux rebelles. Instinctivement, il les dégagea du bout de l'index. « Moi j'ai pas envie de me débarrasser de toi, mais je me décharge de toute responsabilité si mes bras commencent à faire n'importe quoi. » rétorqua-t-il alors qu'ils étaient déjà en bonne voie pour se synchroniser. La balade était plus belle encore que sur la berge, sous la lumière scintillante des étoiles. Ils progressaient insouciants de ce qui se passait dans la ville, scène muette au loin, profitant du raffut de l'eau et des insectes bourdonnant, tandis que l'embarcation projetait un halo dans les vagues. « Tu trouves pas que c'est magique ? Si seulement on pouvait rester là et ne jamais avoir à remettre les pieds sur la terre ferme. » dit-il, comme un souhait qu'il récitait pour lui-même. « Est-ce que parfois tu rêves pas de vivre comme ça, sans avoir à te soucier des gens autour ? » finit-il par demander. Lui même écrasé par les attentes de sa famille, Charlie ne pouvait pas imaginer ce que cela devait être pour Jayden d'être constamment scruté par le monde entier.

Chaque compliment que Jayden accueillait avec une modestie sincère était une énigme de plus que Charlie entendait déchiffrer. Comment l'homme qu'il avait aperçu si assuré devant les caméras pouvait lutter autant contre sa fierté ? Comment pouvait-il douter que Charlie n'était qu'une personne parmi tant d'autres qui l'admiraient, ou encore qu'il était si magnétique qu'il se démarquait sans efforts dans une foule d'inconnus ? La beauté de son âme résidait finalement dans cette candeur qu'il ne réservait qu'en privé, comme s'il était un super-héro qui se camouflait derrière des vêtements simples et des gestes sans extravagance, par peur d'être estimé à sa propre valeur. Charlie espérait qu'un jour, à force de persuasion, il finirait par réaliser qu'il pouvait concilier ces deux mondes. Qu'entouré des bonnes personnes, dans les bonnes conditions, il était autorisé à reconnaitre ses accomplissements personnels sans craindre d'être accusé d'arrogance. Du moins Charlie avait bon espoir de déteindre sur lui. Il n'était de fait pas le dernier à souligner ses propres succès. Après tout, c'était bien une chose que lui avait apprise son père en le privant de son honneur. C'était même devenu son travail, de redonner confiance aux gens, de leur offrir un endroit sûr dans lequel tout le monde avait le devoir de s'épanouir pleinement, sans limites, sans retenue.

On pouvait apercevoir au loin d'autres lumières éparses qui flottaient à la surface de l'eau, comme des lucioles qui viendraient s'abreuver dans le fleuve. Même sans embarcation Charlie aurait la sensation de flotter tant la vision de Jay, dont il ne se lassait jamais d'observer les moindres parcelles du corps, avait des allures de rêverie. Cet homme duquel il ne s'était jamais autorisé à fantasmer se trouvait désormais à une distance indécente de lui, et l'obsession d'effacer ces quelques centimètres ne semblait plus vouloir le quitter. Malgré toutes les questions qu'il voulait lui poser, tout l'intérêt qu'il portait aux réponses tantôt timides, tantôt effrontées, qu'il lui formulait, Charlie ne rêvait que d'une chose, c'était de mettre un terme à ce supplice. Il rit néanmoins lorsque Jay osa remettre en question la force de ses bras. Il n'avait pas tort, à côté des siens ils faisaient pâle figure, mais Charlie était d'une obstination telle que pas même la logique ne pouvait en venir à bout. « Serait-ce un défi monsieur Holmes ? » objecta-t-il sur un ton malicieux. « Malheureusement je crois pas que tu puisses faire grand chose, quand j'ai une idée en tête c'est difficile de me la retirer. » clarifia-t-il au cas où Jayden n'avait pas encore saisi cette facette de sa personnalité. Ponctuant cette aparté, la première d'une longue liste il le pressentait, Charlie recentra la discussion sur l'atmosphère romantique qu'il estimait propice au rapprochement tant désiré. Jayden approuva naïvement, lui arrachant un sourire attendri. « Exactement ! Est-ce que je dois en déduire que tu es Raiponce ? T'as de plus belles boucles que moi. » arbitra-t-il un peu taquin. Jayden semblait réceptif à ce petit jeu, abaissant petit à petit les barrières de sa pudeur.

L'ultime question de Charlie, soudainement plus sérieuse, sembla susciter un instant de réflexion. Mais le silence ne s'immisçait jamais, chassé par l'écho lointain de la ville, et le bourdonnement incessant de la nature. « Tu veux dire que tu te sentirais plus libre de faire certaines choses si tu étais un inconnu ? » demanda-t-il, curieux de savoir pourquoi il mériterait un traitement différent de sa famille. Peut-être que Jayden avait déjà compris que Charlie n'avait besoin d'être préservé de personne. Qu'il avait décidé de vivre sa vie comme il l'entendait, et arrêté d'attendre la validation des autres pour assumer ses choix. « Tu as le pouvoir de faire tout ce que tu veux Jayden... » avait-il ajouté, convaincu. Jayden avouait à demi-mot qu'il se retenait d'être tout à fait lui-même, mais peut-être n'avait-il encore rencontré personne qui lui avait donné l'espace ni la confiance nécessaires. Peut-être que les choses pouvaient être différentes entre eux, avec suffisamment de volonté. « Est-ce que tu arrives à te retourner ? Promis je vais pas te pousser à l'eau. » La manœuvre était périlleuse, mais la résignation de Jayden était à ses yeux la preuve suffisante qu'il était prêt à lui faire confiance. Charlie attrapa ses mains, rétablissant l'équilibre précaire de l'embarcation que le moindre faux mouvement menaçait de faire chavirer. Quelle ironie, quand on savait que le cœur de Charlie s'était déjà renversé à l'idée de mettre ses pensées à exécution. Les mains de Jay étaient douces et chaudes, comme la lumière qui les encerclait de ses bras bienveillants. Il patienta jusqu'à ce que Jay soit de nouveau installé, et le kayak stable, avant de reprendre. « Je veux pas que tu te sentes bridé avec moi. Je veux que tu sois décomplexé, fier, authentique. » Tout ce qu'il lui avait déjà montré, des sursauts de sa personnalité, lorsqu'il s'était saisi de ses hanches ou de ses mains. Ces petits gestes qui présageaient de toutes les possibilités enfouies sous des craintes dont il était le seul à connaître les origines. Le cœur de Charlie battait la chamade, si bien qu'il n'entendait plus que lui par-dessus le chant des insectes. « Il y a personne autour, et j'ai très envie de t'embrasser, alors est-ce que j'en ai le droit ? » finit-il par demander, incapable à ce moment d'imaginer une autre issue que celle dont il avait rêvé durant des semaines, et qui éluciderait enfin cette question qui ne cessait de le tarauder depuis : l'attirance était-elle réciproque ?