Est-ce que tu étais nerveux? Non, pas du tout. Accueillir quelqu’un dans ta demeure ne te faisait ni chaud ni froid. À vrai dire, il fallait que cette personne accepte de vivre dans le bordel qu’était ta vie ou plutôt, ton esprit. La veille, tu avais fait l’effort de ranger. oui, toi, tu avais décidé par toi-même de faire du ménage. Ta nouvelle coloc’ allait arriver aujourd’hui et tu n’avais aucune intention de la faire fuir dès ses premiers pas dans l’appartement. Tu étais habitué à vivre avec une présence féminine, alors tu savais comment elles étaient. La vaisselle était donc faite, et tu avais mis des draps neufs et propres sur le lit vide de l’une des chambres inhabitée. Elle choisirait bien où elle voudrait s’installer. Tu n’avais aucune préférence. Tu te sentais bien seul dans cet endroit. Lorsque ta mère avait atterri aux soins palliatifs, tu étais parti de la minuscule maison que ta mère louait. Elle n’y retournerait jamais, tu en avais parfaitement conscience. Il t’avait fallu te débarrasser progressivement de ses affaires. Bien que Linnea soit toujours en vie, elle n’était plus qu’une pâle copie de la femme qui t’avait élevé. Ta seule façon de te sortir de la prison mentale de la maladie qui allait lui être fatale était de commencer dès à présent à faire ton deuil. Bien sûr, Antigone savait pour ta mère, tu lui en avais glissé un mot sans t’étaler lors de votre première rencontre autour de plusieurs verres dans un bar. Elle n’en savait pas plus parce que tu cachais toujours ta souffrance derrière un sourire. Tu n’avais pas le choix, tu ne pouvais pas t’effondrer. Tu n’en avais pas le droit. Tu poussas un profond soupir en regardant autour de toi. On ne pouvait pas croire en regardant l’appart que la veille, tes vêtements étaient étalés partout sur le sol et qu’il y avait une vague odeur de renfermé. Ta mission était accomplie, alors il n’y avait plus qu’à l’attendre.

Assis sur le divan, bien calé dans les coussins, tes écouteurs sur les oreilles, tu étais en train de démolir quelques zombies. Quand tu ne travaillais pas,  que tu n’écumais pas les bars,  tu étais là à dégommer des morts-vivants. Il n’y avait pas grand chose qui arrivait à te changer les idées et à t’éloigner de la colère qui bouillait en toi. La plupart du temps, tu n’avais qu’une seule envie, te mettre à hurler, mais ça ne changerait absolument rien. Ta mère allait mourir tout de même, tu allais manquer d’autres contrats et tu allais continuer de te faire chier dans ta vie minable. Perdu dans tes pensées, tu n’entendis pas les premiers coups contre la porte, mais tu eus un sursaut lorsqu’on sonna. Tu étais certain qu’elle était cassée cette foutue sonnette. Visiblement non! « c’est ouvert! » Tu te levas de ta place, laissant du même fait les écouteurs. « hey salut! bienvenue dans mon ou plutôt notre humble demeure… » ou pas, hein? Il y avait tout de même quatre chambres dans l’endroit. Une chambre pour toi, une pièce chambre noire et ton matériel de photographie, et deux autres pièces spacieuses. L’endroit était exempt pour le moment de toute décoration, parce que ça ne faisait qu’un mois que tu étais présent en ce lieu. Elle pourrait faire ce qu’elle en voudrait. Tu t’en fichais. « tu n’as pas eu trop de difficulté à trouver l’endroit? » Un sourire s’étira sur tes lèvres. « je te montre ta chambre? pour que tu puisses y déposer tes affaires, comme ça je te montre le reste après?»

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Aussitôt qu’il y avait des gens autour de toi, ton visage s’illuminait. Il s’agissait d’un véritable contraste avec la tempête qui t’habitait. Personne ne voyait le raz-de-marée à l’intérieur de ton esprit, parce que tu ne laissais personne entrer. Une carapace de sourire et de bonheur empêchait quiconque de voir et surtout de comprendre ce que tu vivais. Tu ne laisserais pas Antigone voir tout cela ni qui que ce soit d’autres d’ailleurs. Personne ne pouvait comprendre et personne ne voulait de toute façon se confronter à ta douleur. Si quelqu’un un jour y parvenait, cela relèverait du miracle. Tu accueillis donc la jeune femme en bon et dû forme avec un immense sourire sur les lèvres. « Hey, salut, contente d'être là ! » Antigone n’avait qu’une valise sur roulette et un cactus dans les mains. T’étais quand même étonné qu’elle ne soit pas là avec vingt-cinq boîtes de vêtements, mais c’était bien comme ça, non? Maladroitement, tu allais lui faire un accolade. Les gens étaient toujours petits à tes côtés, Antigone ne faisait pas exception à la règle. « Mon GPS m'a perdu et tout est rentré dans l'ordre ! Je savais bien que j'aurai dû me fier à mon instinct pour trouver la route ! » Tu eus un petit sourire amusé. C’était vrai que parfois les GPS n’étaient pas clairs. « bon bah tant mieux alors. la prochaine fois, ce sera plus facile vu que tu connais la place. Faudrait pas que tu te perdes pour revenir à la maison, à moins que tu boives un peu trop comme l’autre jour. À ce moment-là, même si tu as le meilleur GPS au monde, j’crois pas que tu t’en sortes! j’ai pas envie de te retrouver dans un ravin…» Il s’agissait de taquinerie. Fallait bien interagir en société et les blagues avaient tendance à te détendre. « En tout cas, ça a l'air hyper sympa ici ! » - « ravie que l’endroit te plaise. » Tu étais sincère en disant cela. Tu l’avais trouvé sympa et il te fallait une coloc pour payer cet appartement. Tout le monde gagnait dans l’histoire. Tu pris les devants, lui montrant tout d’abord ta chambre que tu avais soin de ranger aussi… tant qu’à y être… Ensuite, tu lui montras la chambre noire. « évidemment, tu ne pourras pas y entrer, mais je voulais juste te la montrer pour ne pas que tu penses que c’est une pièce louche… » Après tout, vous ne vous connaissiez pas tant que ça. Qui sait ce qu’elle pourrait penser? Autant mettre les points sur les i. « et voici les deux chambres disponibles. tu choisis celle que tu veux. un jour, peut-être on aura un autre coloc, mais pour l’instant, tu as le choix entre les deux. Premier arrivé, premier servi… » Après qu’elle ait déposé ses affaires, tu la guidas jusqu’à la terrasse. « et voici la pièce de résistance… » L’endroit était sympa pour faire éventuellement pousser un jardin, pour regarder le couché ou le levé du soleil ou même profiter d’une soirée entre amis. Pour l’instant, il n’y avait que deux chaises pliantes et une mini table, mais tu étais ouvert à tout. « veux-tu que je te laisse t’installer? après, on peut faire un peu plus connaissance ou peut-être que tu travailles aujourd’hui? »

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