Happy mistake
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La journée a été tranquille, en prévision d'une soirée plus agitée; presque un jour de repos, si l'on considère l'unique danse lascive proposée à un ponte d'elle ne-sait-quelle organisation, et les quelques heures passées comme une "fille normale", bouquinant dans son bain, un verre de blanc à la main. Oui, en somme, c'était une douce journée.

La somme, d'ailleurs, c'est bien là ce qui a motivé Danaë à accepter le rendez-vous, sorte de fête privée pour gentleman plein aux as. Son intérêt s'est arrêté sur le chiffre, un cadrat aux multiples zéros, suffisant pour qu'elle opine sans poser de questions. (elle aurait dû). La perche songeait à une sorte de numéro privé, le clou du spectacle, la cerise sur le gâteau; un illustre inconnu s'offrant ses faveurs pour terminer en beauté, à qui elle donnerait la sensation d'être tout puissant. Bien apprêtée, la belle doit commander un taxi pour se rendre dans une villa, aux abords de la ville; l'espace est grandiose, le chemin s'illumine devant sa silhouette, tandis qu'elle se déhanche jusqu'à l'entrée où l'attend son hôte.

Tout est digne des meilleurs clients de Raelyn : l'environnement, la prestance du costard, un sourire éclatant et une atmosphère propice à l'ivresse, cette opulence qui atténue légèrement le sentiment luxurieux, la décadence qui se profile devant leurs ombres viciées. Il la salue, glisse naturellement une main à sa hanche, là où la courbe de sa fesse se fait pressentir; aventureux sans être trop intrusif, quoique déjà confiant et rapace sur les bords. Elle se contente de suivre, découvre des pièces plus grandes les unes que les autres; une piscine d'intérieur, jointe à la remarque qu'elle pourrait - évidemment - s'y baigner nue, pour le plaisir de son regard carnassier.

Une porte s'ouvre sur une sorte d'appartement privé. Là, le sentiment change : une certaine tension s'immisce entre ses reins, accentuée par la brûlure d'une main étrangère; trois hommes sont présents, deux sont absorbés par une console de jeu quand le troisième, déjà torse nu, fume nonchalamment un cigare. - Effectivement, c'est d'la pute de premier choix que tu ramènes. commente ce dernier, se redressant avant de s'approcher. Le courant ne passe pas, le malaise se fait pressentir chez Danaë, qui ressert instinctivement les jambes, et se crispe plus que de raison. Le jeu est mis sur pause; Fifa ne peut rien contre les courbes graciles et aisément monnayées d'une donzelle à son image. - J'espère que sa beauté est proportionnelle à ses talents.. m'en faut pour mon argent ! faites comme si je n'étais pas là, merci... songe-t-elle, peu encline à adhérer au jeu, lorsque les vautours se mettent à battre des ailes à son côté. - Enlève ta robe, qu'on voit c'que t'as là-dessous ! pas franchement le temps d'obtempérer, d'autres mains agissent pour elle : guêpière et talons hauts, de quoi tirer une salve de sifflets contentés. Cette fois, elle a compris, et ce pseudo-argent facile dont elle rêvait se dissout dans l'acide réalité; on a mis le prix pour la faire tourner, pour l'utiliser comme une poupée, alors qu'elle n'a jamais accepté de plan à plusieurs. L'instinct lui dégote une réplique, avant que quiconque n'ait eu le temps de la mettre à genoux, ou de lui donner un ordre qu'elle ne pourrait refuser. - J'peux utiliser vos toilettes ? J'aimerais arranger un ou deux trucs.. Histoire que tout soit parfait. un sourire timide, consciente qu'un "non" lui ferait regretter d'avoir naïvement accepté le contrat.

Soulagement, un signe de la main indique la pièce adjacente. Elle y file en vitesse, son sac à main fermement agrippé de ses doigts. La porte fermée, le verrou enclenché, un accessoire de bain placé dans l'interstice - porte-sol - et Danaë dégaine son portable, pianotant à l'arrache jusqu'à composer le numéro de sa mentor. Raelyn, décroche. S'il te plait, décroche. Les secondes sont comptées, et chaque sonnerie est une torture; adossée à la fenêtre, prudemment ouverte, elle prie silencieusement pour entendre la voix de la blonde - sa seule option, l'infime barrière entre l'espoir et sa propre perdition.

happy mistake crédit gif - crédit/fuckyougifs Raelyn Blackwell & @Danaë Lescaut

Alors que nos lèvres dansent un tango lascif, je laisse mes bras glisser le long des épaules de l’homme tandis qu’il pose les siennes au creu de mes reins pour m’attirer contre lui. Le désir de - Jace ? Jackson ? Jaime ? quelque chose comme ça - devient une évidence, à l’instant où il presse mon bassin un peu plus proche du sien. Nos vêtements constituent une barrière qui, de toute évidence, l’incommode, puisqu’il cherche à présent et dans mon dos la fermeture éclair de ma robe moulante. Peu incline à le faire à sa place - un homme qui ne parvient pas à déballer son cadeau le mérite-t-il vraiment ? - je sépare toutefois nos lèvres pour pivoter et lui présenter mon dos. Je dois admettre que le brun s’y prend merveilleusement bien, en atteste la chair de poule sur mes bras lorsque, de ses lèvres, il suit le tracé du dessin noir encré le long de ma colonne vertébrale tout en descendant la fermeture éclair de ma robe. La première sonnerie de mon téléphone portable, abandonnée dans mon sac à main sur le meuble de l’entrée depuis que nous sommes rentrés du bar où j’ai rencontré mon partenaire du soir, ne m’incommode pas assez pour que je lui prête la moindre attention. Surtout pas alors que l’homme s’est redressé et dévore à présent de baisers mon épaule, puis la courbe de mon cou en collant son torse nu - il s’est à présent débarrassé de sa chemise - sans mon dos.

Mais l’appelant insiste et la sonnerie produite par ce maudit appareil parvient enfin à me tirer de l’agréable moment que je partage avec un l’inconnu. « Je vais l’éteindre. » Que je lui glisse dans un chuchotement, le timbre empreint de désir, en me dirigeant finalement vers l’entrée. Sauf qu’une fois que je tire le portable de mon sac à main, j’aperçois l’identité de l’appelant.

Danaë ne m’appelle pas pour discuter futilités. Il n’y a personne qui le fasse, hormis peut-être Alec mais qui sais toutefois qu’à partir d’une certaine heure il vaut mieux éviter de me déranger, et elle ne le ferait certainement pas alors que la soirée est plus qu’entamée et a même laissé place à la nuit. Alors, bien que je pousse un soupir, je décroche toutefois avant de porter le téléphone à mon oreille. Derrière moi, le brun m’a rejointe et glisse à présent ses doigts sous la robe ouverte mon caresser mes flancs en embrassant ma nuque. « J’espère que tu as une bonne raison de m’appeler. » A cette heure. Ou non, de m’appeler tout court. La jeune escort n’est pas auprès de l’un de mes "contacts" ce soir. Autrement dit, elle ne travaille pas pour moi et je prie tous ces dieux en lesquels je ne crois pas, pour elle, pour qu’elle ait une bonne raison de me déranger.

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Quand apprendra-t-elle ? Quand cessera-t-elle de courir après l'argent ? Peut-être demain, si cette nuit ne la voit pas franchir le Styx avec Charon. Trompée par l'opulence, par le cadre à l'allure d'idylle, sa méfiance usuelle s'est gentiment étiolée, et le piège n'a pas manqué une occasion de venir l'enlacer. Danaë la naïve, fourvoyée par quelques billets de banque, par une construction mentale moins dégradante de son travail, alors que la réalité lui pète à la gueule dans toute sa laideur. La salle de bain sera bientôt son corbillard, à défaut de soutien extérieur. Raelyn est l'unique gardienne du monde des morts, qui peut encore accrocher sa main et faire mentir le sablier. Elle ne l'appelle jamais, se contente en général de répondre à ses demandes de rendez-vous, et de pointer à l'horaire et au lieu indiqués par message.  

Répondeur. Répondeur. Répondeur. Décroche Raelyn, s'il te plait. Décroche, décroche. Danaë tenterait presque de se plier en vingt-cinq pour se glisser dans la petite poubelle du lavabo, pourvu qu'on lui foute la paix et qu'on la laisse repartir. Sa silhouette, dans le miroir dévoilée, est une ode pathétique, un poème scindé entre pitié et dépravation. Elle a besoin d'une clope, d'un joint, d'une bouteille d'alcool, ou d'une pilule pour s'endormir, pour ne pas sentir ce que les trois hommes s'apprêtent à lui faire. Réponds, je t'en supplie. Fredonne-t-elle dans sa tête, crispant ses phalanges sur le téléphone, alors qu'enfin, au bout du fil, tonne la voix de sa matrone. - j'suis dans la merde, Rae.. chuchote-t-elle, le souffle court, saccadé, jetant des coups d’œil par dessus son épaule pour vérifier la porte, scellée de visu. - j'ai b'soin que tu viennes me sortir d'un mauvais plan. ne pas pleurer, ne pas concéder les larmes de la panique au téléphone. - S'il te plait, s'il te plait, s'il te plait. Perds pas de temps, j'en ai pas beaucoup. et soudain, en concordance avec ses dires, une voix s'élève de l'autre côté; - t'as bientôt fini, beauté ? On est prêts à t'recevoir ! ça pue l'impatience, comme le poing qui s'abat sur la porte pour lui intimer de réagir. - Rae, Rae.. Ils vont m'violer, j'vais pas sortir vivante. Viens m'chercher, please please please.. les mains jointes entre le téléphone et sa tête pour couvrir sa voix, alors qu'une autre salve de frappes la fait sursauter. - Magne ton cul, pute ! il fera sauter les gonds avant qu'elle n'ait pu réagir, et Danaë ne peut que tenter d'acheter des secondes supplémentaires. - J'arrive..! Encore un peu de maquillage, et le tour sera joué..! mais sa voix a perdu de sa superbe, et l'homme est déjà prêt à venir la chercher lui-même. - Ouvre cette foutue porte, m'force pas à venir te traîner par les cheveux ! c'est l'instinct de survie qui pousse les doigts à pianoter une adresse, et à l'envoyer à sa mentor; elle n'est plus certaine d'entendre, ou d'être capable de focaliser son oreille sur le son de sa voix. Dans quelques minutes, ces hommes entreront, et finiront de briser son âme, en un millier d'éclats.

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L’homme, j’aurais oublié son prénom demain. En revanche, j’aurais préféré avoir l’occasion de le connaître un peu plus intimement avant qu’il ne disparaisse de ma vie aussi vite qu’il y est entré. Comme tous ceux que je fréquente il ne représente pas grand-chose, il ne sert qu’à tromper la solitude, qu’à me donner l’impression que je vis, que j’ai quelque chose en dehors du Club qui me fait sécréter un peu d’endorphines. Mais il représentait une distraction plus intéressante ce soir que Danaë dont la voix chevrote au bout du téléphone. Aussi fragile qu’elle est insolente, la brune est intéressante de contradictions. Je me demande encore souvent si elle a ce qu’il faut dans le ventre pour perdurer dans l’univers froid et cruel des gangs, mais j’ignore même si elle vaut l’attention que je lui accorde, mais toute aussi sensible qu’elle soit, je ne l’ai jamais sentie si effrayée. Le mot est faible : au bout de la ligne, elle m’a même l’air terrorisée. Je ne suis pas empathique. Certains me qualifieraient même de cruelle. Mais bien que n’adhérant pas à 100% au mantra de Mitchell qui érige le Club en grande et même famille, je ne suis pas du genre à la laisser dans la merde dans laquelle elle s’est fichue, quelle qu’elle soit.

Et puis, Danaë est pratique. Loyale. Docile.

« J'suis dans la merde, Rae.. » Les doigts de ma main libre pincent l’arrête de mon nez tandis que je pousse un long et léger soupir. Je sais déjà que je vais devoir écourter mes plans qui impliquaient des préliminaires brûlant et une nuit agitée, pas une virée en voiture pour voler au secours d’un prostituée idiote alors que je suis plus qu’imbibée d’alcool. « J'ai b'soin que tu viennes me sortir d'un mauvais plan. » - « Qu’est-ce qu’il se passe ? » En guise de réponse, des coups sont portés sur une porte derrière elle. J’entends une voix masculine, mais je distingue mal les mots prononcés. Elle ne m’est pas familière, en tout cas. « S'il te plait, s'il te plait, s'il te plait. Perds pas de temps, j'en ai pas beaucoup. » - « Donne-moi le temps de m’organiser. » Ailleurs, je manque de la lucidité nécessaire réagir rapidement. Pour y parvenir, je m’écarte de mon compagnon du soir et pose une main à plat sur son torse, pour l’arrêter. Il fronce les sourcils, mais je ne me formalise ni de sa surprise, ni de son agacement. « Rae, Rae.. Ils vont m'violer, j'vais pas sortir vivante. Viens m'chercher, please please please… » Qu’elle exagère ou qu’elle n’exagère pas, la terreur dans sa voix n’a rien de simulée. Du reste, j’entends à nouveau des coups sur la porte, plus brutaux que les premiers, et des éclats de voix. Des insultes, il me semble. A présent, je crois même discerner plusieurs types. Je jure et amorce ma décuve alors que je semble saisir que la situation est préoccupante. « Tu es où ? » Je n’entends plus la voix de la brune. Seulement quelques cris de frayeurs étouffés alors que les coups sur la porte redoublent. « Dis-moi où tu es. » Je lâche un putain alors qu’un nouveau coup me fait sursauter. La communication coupe, et je détache mon téléphone de mon oreille. « On va devoir remettre ça. J’ai du boulot. »  En parlant, je pianote un message à destination d’Eric, l’un des gros bras du Club qui fait souvent office pour moi de garde du corps, de bras armé et, accessoirement, de chauffeur. D’un geste du menton, j’enjoins avec fermeté l’homme – devenu intrus - à remonter la fermeture éclair de ma robe. Il s’exécute docilement et, rhabillée, j’arrange mes cheveux que je rejette en arrière. « Et toi, tu bouges. » Au cas où si ce n’était pas clair, il n’a plus rien à faire ici. Sourde à ses protestations, je l’abandonne pour traverser ma chambre et rejoindre mon dressing. J’enfile une veste en cuir ample par-dessus ma robe moulante noire, et je troque mes talons aiguilles pour une paire de bottes plus confortables. Je constate en regagnant le salon que le  brun n’est plus là - parfait, il a compris - et qu’Eric d’une ponctualité remarquable puisque, déjà, mon téléphone vibre pour m’annoncer qu’il est en bas.

Alors que je m’installe à l’arrière du véhicule, je pianote du bout des doigts un message à l’intention de Danaë, je lui dis que j’arrive dans moins de dix minutes avant de donner la destination à l’imposante armoire à glace du Club : il ne peut pas m’arriver grand-chose à ses côtés. Il démarre dès que l’adresse passe la barrière de mes lèvres, et nous conduit jusqu’à l’hôtel indiqué par la brune pendant que je lui expose la situation : arrivés là-bas, il devra descendre avec moi et armé de préférence.

« La fille, elle est où ? » J’ai quitté la voiture à l’instant où Eric a coupé le moteur. L’homme de main a filé une correction à l’idiot qui nous a accueilli à l’entrée, qui a demandé si je venais pour rejoindre ma copine et, à présent, il tient deux autres abrutis en joue. Le propriétaire des lieux hurles des injures : pourtant, je sens à son aura qu’il est sur le point de se pisser dessus. « Je t’ai posé une question. Une question simple. » L’idiot numéro un ne répond pas. Une balle dans son genou rend en revanche l’idiot numéro deux plus bavard. Dès que j’ai l’information que je veux, je me dirige vers la pièce désignée par le rustre alors qu’Eric finit de leur faire passer l’envie de s’en reprendre à nouveau à la marchandise du Club. Pour moi, ils n’existent déjà plus. « Danaë ? » Du dos de ma main, je dépose un coup doux mais ferme contre le bois de la porte. « C’est moi. »

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Du temps, elle n'en a pas. Ou trop peu. Tout juste assez pour se permettre de réfléchir, d'avoir un éclair de lucidité en partageant sa localisation à Raelyn. Du reste, l'issue probable semble sur le point de se concrétiser, puisque l'homme tente désormais d'enfoncer la porte. Les injures pleuvent autant que les coups sur le bois, mauvais remake de Shining en préparation. Danaë arrache le rideau de douche, qu'elle enroule grossièrement autour de ses hanches - comme si cela pouvait lui épargner quoi que ce soit, puis envoie valser son poing dans la glace du miroir, afin d'en obtenir un éclat. Pute, peut-être, mais pas moins sans ressources, et dangereuse. (ou du moins essaie-t-elle de s'en convaincre). Le plan est simple : elle visera les yeux, et les parties génitales. En réalité, seule l'adrénaline montée en flèche l'empêche de trembler, et tempère la crainte - euphémisme - qui étreint sa psyché.

Aussi brutalement qu'ils ont commencé, la pluie de coups cesse de s'abattre sur la porte. Le bois est légèrement gondolé, créant un interstice depuis lequel elle tente d'observer. Mais rien, elle n'entend rien. Les trois hommes semblent avoir quitté la pièce. Pas de quoi lui donner envie de sortir pour autant. A trop serrer son poignard de fortune, sa paume s'est ouverte, quelques gouttes carmines maculent le carrelage sous ses pieds; Naë s'en moque, tend l'oreille face au silence assourdissant, point assez audacieuse pour ouvrir et tenter de s'échapper. Soudain, un coup de feu. Pour toute réaction, la brune sursaute, manque de lâcher un cri. Puis, des bruits de pas, et le stress s'intensifie. Mille scénarios se jouent et se superposent dans sa tête; du moins bon au pire, jamais vers le meilleur. Pourtant, c'est bien la voix de Raelyn qui émerge de l'atmosphère pesante, un knock knock assuré et ô combien différent des lourdes frappes de ses assaillants. L'arme en main, sa vigilance n'en reste pas moins de mise et le loquet n'est déverrouillé qu'après avoir jeté un coup d’œil de l'autre côté. Tout à coup, la perche se sent affreusement conne, honteuse, d'avoir traîné Raelyn dans ce merdier, pour lui sauver les fesses d'un plan pourri. Honteuse, mais reconnaissante, malgré la distance qui sépare les deux femmes, et empêche la cadette d'étreindre son aînée. - Je.. Je suis désolée. le verre tombe à ses pieds, la main resserre ce qui lui sert de couverture ridicule, tandis que son regard peine à épouser celui de sa mentor. - ça s'reproduira pas. tente-t-elle d'affirmer, malgré son timbre à la stabilité douteuse; le corps trouve un temps durant le rebord de la baignoire, et une profonde inspiration est prise pour ne point sombrer, tant physiquement que psychiquement. Un instant, elle songe à lui demander de rester à son côté, de lui offrir une nuit en sécurité, avant de repenser à l'image qu'elle renvoie d'ores et déjà : celle d'une gamine effrayée, qui fait des choix douteux et manque de payer au prix fort les conséquences; une jouvencelle inconsciente, bien loin de l'image forte qu'elle tente de se construire. - Merci. finalement, à défaut de pouvoir dire les choses autrement, la simplicité est tout ce que sa tête parvient à dénicher pour faire valoir sa loyauté. Qu'a-t-elle d'autre à offrir, sinon son éternel dévouement ?  

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La scène a peut-être l’air surréaliste. Je n’ai jamais fait montre d’instinct de protection à l’égard de qui que ce soit, et encore moins d’instinct maternel. Il n’y a que peu de personnes pour lesquelles je me fais du souci, à vrai dire, il n’y en a qu’une : Alec, mais le grand brun est assez grand pour s’occuper de lui-même ainsi que pour savoir gérer ses problèmes. Pourtant, bien que je n’irai pas jusqu’à dire que je suis prise d’un élan de compassion et d’empathie envers la jeune femme, mon regard trahit qu’elle me fait un peu de peine, lorsque je le pose sur celle qui m’ouvre enfin la porte. Enveloppée dans un rideau de douche comme s’il l’aurait protégée en cas d’attaque, le bras qui brandit un morceau de verre et une lueur de détresse dans les yeux, elle me fait l’impression d’un oisillon brisé. Du sang coule le long de son avant-bras avant de venir s’écraser en gouttelettes sur le sol, et je l’observe un instant en restant silencieuse, sans trouver que dire. Je considère Danaë sous ma protection, d’une certaine façon. Et si personne ne s’en prend à quelqu’un sous ma protection sans prendre le risque d’avoir à faire à moi - question de crédibilité, ce n’est pas uniquement de ça qu’il s’agit. Je ne sais le contrôler : la brune possède une fragilité qui me projette plus d’une décennie en arrière et qui m’a poussée à répondre à son appel à l’aide. « Je.. Je suis désolée. » Ses doigts lâchent le morceau de verre. Il tombe à nos pieds et, les lèvres entrouvertes, je le suis du regard, interdite. « Ca s'reproduira pas. » Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne me préoccupe pas de ça pour l’instant. Avoir été dérangée alors que j’étais à l’aube d’une soirée prometteuse n’a pas la moindre importance, j’en connaîtrais d'autres. Je suis consciente de ce que ces types allaient lui faire, je n’ai jamais fermé les yeux devant la laideur du monde et du genre humain. Je suis contente d’avoir pu éviter un tel sort à une jeune femme imprudente et sotte peut-être, mais qui ne mérite pas ça. « Merci. » Sans aucun geste brusque, je m’anime finalement. Je tends la main pour attraper un ample peignoir de bain blanc qui sèche accroché au mur le plus proche de moi, avant de le tendre à Dani. Sa robe ne cache pas grand-chose et doit lui sembler bien trop impudique dans des circonstances telles que celles-là. « Viens. On va te sortir d’ici. » Du bout de mon escarpin, j’écarte le morceau de verre ensanglanté qu’elle a laissé choir, avant de reculer de quelques pas.

Dans la pièce d’à côté, Eric tient toujours les trois hommes en joues. Le malheureux dont la rotule est certainement fichue est au sol, ramassé sur lui-même et laisse échapper jurons et gémissements de douleur. Je les observe tous les trois d’un regard impavide, dégoûté par la faiblesse que leur soumission laisse transparaître. « Lequel ? » J’adresse ma question à la jeune femme. Lequel l’a traînée dans ce piège ? Lequel lui a fait le plus peur ? Lequel a tenté de lui faire du mal le premier ? Lequel hurlait derrière la porte au point que je l’entende dans le téléphone ? Elle choisira la question qu’elle veut, consciente - je l’espère pour elle - de ce que sa réponse entraînera. « Dans quelles pièces tu es allée ? » Il faudra toutes les nettoyer pour effacer sa présence, la mienne, celle du Club, de façon plus générale. « N’en oublie pas, c’est important. » L’endroit se transformera bientôt en scène de crime et je doute qu’elle veuille y être rattachée. Choisie Danaë, l’un de ces hommes se verra loger une balle dans le crâne en guise d’avertissement : on ne touche pas aux filles du Club. « C’est Steven qui t’a envoyé ici ? » Je ne la jugerai pas si elle effectuait une passe en solo et de son propre gré. J’ai besoin d’une réponse honnête pour déterminer le niveau d’emmerde dans lequel elle s’est fourré et avec quels arguments préparer sa défense, la mienne aussi, puisque cet enfoiré de maquereau avec une noix de cajou à la place de la cervelle est incapable de supporter l’idée qu’une femme - moi - soit bien plus capable de chuchoter à l’oreille de Mitch que lui. Il arguera que je m'immisce dans ses affaires, si j’abats son client. Toutefois, je me moque de ses attaques : voilà quatre ans qu’il tente de discréditer sans parvenir à rien d’autre qu’à avoir l’air d’être parfait idiot. Tout en posant mes questions à la brune, je balaye la pièce du regard. Il accroche une caméra de vidéosurveillance, que je pointe discrètement du menton à Eric. Les données stockées - si elle enregistre réellement, devront être effacées.

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La honte du travail, Danaë a toujours prétendu s'en être affranchie. Pourtant, c'est son propre reflet qu'elle évite lorsque, se redressant, elle enfile rapidement le peignoir que lui tend Raelyn. La petite pute aux atours immaculés entache le fin coton et le resserre prestement à sa taille, crispant les mâchoires pour refouler cet affreux tremblement qui fait valoir sa vulnérabilité. Je me déteste. Elle n'en dit rien. Tirer des conclusions, plus, des enseignements, est encore prématuré. Elle apprendra, à n'en point douter, plus tard, à tête reposée. Elle repensera à l'attrait des billets verts, à la fragrance illusoire d'une opulence superflue, qui aurait pu lui coûter ce qu'une vie ne saurait racheter : dignité, intimité. Quand a-t-elle pour la dernière fois juré se foutre de ces mots ? - Merci. d'être là, à l'image de Saint Martin offrant sa cape au mendiant, quoique Raelyn se passerait bien d'une telle comparaison.

Guère d'assurance dans la démarche féminine, lorsque celle-ci quitte son cachot d'infortune; le monde semble prêt à lui tomber dessus, une fontaine de dangers sur laquelle se promènent ses doigts, quémandant l'aumône et la brûlure. Trois hommes, vauriens surjouant l'élégance de pseudos gentleman, pourtant dévoués à briser une catin, tenus sous l'arme échafaud. Une punition de taille, faisant d'elle une complice, assassin indirect ayant sciemment désigné sa proie au Reaper, dont l'ombre glisse tour à tour sur leurs épaules affaissées. Qui ? - Lui. la vengeance est facile, laconique; un geste du menton placarde la cible sur le front du supplicié. Celui qu'elle jugea le plus intelligent, le plus sournois; une prestance qui avait valu à sa garde de s'échouer, et qui a peut-être coûté cher à d'autres avant elle. Une correction suffira aux autres, tant qu'elle est infligée aux précieux bijoux, cette  indicible fierté masculine. - Seulement ces deux là. Je n'ai fait que passer dans les autres. affirme-t-elle, ne retrouvant qu'à peine de sa superbe. Danaë ignore les intentions de sa Matrone, et se contente de répondre avec toute l'honnêteté dont elle peut faire preuve. Ses plans sont toujours simples, et n'emploient (jamais) de pareilles complications; je veux partir, songe-t-elle, pour laisser derrière cette villa de malheur.

- Non.. C'était personnel. doit-elle reconnaitre, une grimace déformant sa commissure, tant elle se fustige d'avoir été si conne. - Il m'avait promis quatre fois le tarif habituel.. J'aurais dû voir venir l'affaire. après coup, cela lui semble tellement évident, comme une tâche acide au milieu d'une briquette dorée. - Est-ce qu'on peut partir ? J'veux.. Juste oublier tout ça. le regard, désabusé, ne descend qu'à peine sur celui de sa mentor, et se perd plutôt dans une brume hagarde; c'est un paysage qu'elle souhaite déserter, mais dont le souvenir persistera à vie dans sa mémoire. 

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tw : meurtre de sang froid

« Merci. » La fougue de Danaë. Dans son regard, plus la moindre flamme ne brûle : au contraire, elle semble plus éteinte que jamais. Je me garde de la moindre raillerie. Aucun commentaire sarcastique ne s’échappe de mes lèvres parce que je suis beaucoup de choses, mais jamais gratuitement cruelle. Sans pitié oui, et je me délecte de la souffrance lorsqu’elle sert un plus grand dessein, mais faire souffrir la jeune prostituée ne m’intéresse pas. Me réjouir de son malheur non plus, au contraire, si l’image de sa silhouette ramassée sur elle-même et emmitouflée dans son peignoir d'emprunt fait naître une émotion chez moi, sans doute se rapproche-t-elle de la compassion. Je suis incapable de la ressentir de la même façon que les quidams - j’ignore la définition du mot empathie - mais je n’en ressens pas moins un princement au coeur. Il est là, quoi qu’il veuille réellement dire, même si je le soupçonne de prendre racine dans ma certitude que, si je n’avais pas fait la bonne rencontre au bon moment, mon destin aurait pu suivre la même trajectoire que celui de la brune.

Pas d’effusion d’émotions cependant. Je lui fais signe de me suivre d’un simple signe de la tête, sans ajouter la moindre injonction, sans lui frotter le dos pour la rassurer et sans glisser un ne t’inquiète pas, je suis là rassurant qui ne me ressemblerait pas. Je suis là et j’ai réglé son problème, je suppose que cela devrait la rassurer bien plus que des mots ou des gestes réconfortants.

« Lui. » Bien. Elle désigne son bourreau avec l’aplomb d’une personne qui sait ce qu’elle fait, qui a parfaitement de ce que ce choix, pourtant simple en apparence, implique. J’espère pour elle que c’est réellement le cas : puisque j’ai un principe. Celui qui décide de la sentence, s’il ne l’applique pas, se doit au moins de ne pas détourner le regard lorsqu’elle tombe. Alors, d’un simple hochement de la tête, j’autorise l’impensable. Des années à me protéger et à assurer mes arrières ont rendu Eric capable de me comprendre en un seul regard. Il presse la détente. Le bruit assourdissant de la détonation me fait carrer la mâchoire, mais je ne détourne pas le regard : je m’applique mes propres principes. J’ai donné l’ordre, je n’aurais pas la lâcheté de chercher à m’épargner la mise à mort de cette ordure dont j’ignore le prénom, j’ignore même si nous sommes chez lui. Je devine que si, si la brunette l’a choisi, il ne peut être que le cerveau derrière les sévices qu’ils s'apprêtaient à lui faire subir. Je ne cille pas, je le faisais au début, mais il faut croire que l’on s’habitue à tout, même au bruit d’un corps inerte qui tombe au sol, même à la vue du sang qui forme une flaque qui s’étire rapidement. Au moins, nous nous tenons loin ; aucune goutte de sang chaud n’est projetée jusqu’à moi. « Seulement ces deux là. Je n'ai fait que passer dans les autres. » Une trace de pas, un cheveux tombé de sa tête, je me moque qu’elle n’ait fait que passer, elle peut malgré tout y avoir laissé une trace dudit passage. « Donne quand même la liste complète à Eric, même si tu n’as fait que passer. » Parce qu’elle est secouée, visiblement bouleversée même, je suis plus pédagogue et patiente que je ne le suis en temps normal. En prêtant attention, il est même possible de discerner une trace de douceur dans le ton de ma voix.

« Non.. C'était personnel. » Aucune émotion ne passe sur mon minois ; j’ai pris l’habitude de dissimuler mes pensées et ressenti. Quelle idiote. Le prétexte de la jeunesse explique sa naïveté, mais je sais qu’il ne s’agit pas que de ça. Je commence à connaître et à comprendre la jeune femme, et elle est bien plus cupide qu’elle ne veut bien le laisser paraître. « Il m'avait promis quatre fois le tarif habituel.. J'aurais dû voir venir l'affaire. » - « Tu aurais dû. » Je tranche, sans être froide ou agressive cependant. Ma déclaration n’est rien de plus, rien qu’une affirmation. Elle n’a pas besoin que je lui dise que l’appât du gain l’a rendue imprudente, elle est parvenue à cette conclusion sans avoir besoin de mon aide. « Est-ce qu'on peut partir ? J'veux.. Juste oublier tout ça. » Un soupir las mais bref m’échappe, et je jette un regard aux deux hommes restants qui, terrorisés suite à l’exécution de leur partenaire de méfaits, tremblent comme des feuilles et se sont ramassés sur eux-même. Je m’approche d’eux, je m’approche tant qu’ils pourraient me sauter à la gorge s’ils le voulaient. Mais Eric les tient en joue et, de toute façon, ils sont sur le point de se faire dessus. Je n’ai pas peur d’eux. Arrivée à leur niveaux, je m’agenouille. « Vous allez passer un mauvais quart d’heure. » Je l’annonce d’un timbre neutre, dénué de toute émotion ou empathie. « Mais vaut mieux ça que… » Je désigne la dépouille de leur camarade d’un signe de la tête. « Vous ne vous souviendrez pas de nous. D’aucun d’entre nous. » Je ne fais pas ça par bonté d’âme. Tout le monde se moque de la disparition d’un déséquilibré. Personne ne s’inquiète immédiatement lorsqu’un adulte s’évanouit dans la nature et, lorsque les gens commencent à chercher, il est bien trop tard. Trois personnes qui s’évaporent, c’est une autre histoire. « Vous n’avez pas passé la soirée avec lui. » Je n’ai pas besoin de désigner à nouveau le malheureux. Je tends une main dans leur direction. « Vos papiers. » Cette fois, l’ordre claque, mon ton est froid, dur. Les deux ordures glissent leur main moite dans leur pantalon, avant d’en tirer des portefeuilles que je fouille pour sortir deux permis de conduire. « Mon ami va noter votre adresse, au cas où l’un d’entre vous retrouve sa langue. » Je me redresse, et tends à Eric les deux permis de conduire, ayant au préalable abandonné les portefeuilles sur le sol sans me soucier d’y laisser mes empreintes : mon homme de main est un professionnel. J’adresse un dernier regard aux deux hommes, pathétiques, répugnant, et je tourne les talons pour rejoindre la brunette. « On rentre chez moi. » Elle n’est pas en état d’être seule et si je suis un monstre, je ne suis pas l’un des siens.

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Le cauchemar est terminé, en apparence. Une autre forme de réalité s'accroche à ses mirettes, distordant l'ancienne pour n'en laisser que de malheureux vestiges. Sa perception du monde a pris un tournant, irrévocable; plus encore lorsque son âme sursaute, s'emmêle et se torture avec l'image grandiloquente d'une détonation létale. Elle n'était qu'une gamine de Harlem, elle est désormais la fille du Reaper, celle qui de son index, désigna la funeste destinée d'un homme. Danaë observe le corps, cadavre en devenir; sous le choc, ou fascinée, difficile - même pour elle - de déterminer l'émotion dominante. A-t-elle peur ? Moins qu'avant. Pas de fierté, mais une sournoise impression de puissance, lorsque Raelyn abat l'apocalypse sur les mécréants. En définitive, elle ne sait pas vraiment. La fatalité est trop éminente, les sens sont bouleversés, corps et esprit ne sont plus qu'un fatras de cellules désorientées.

Elle donnera la liste à Eric, avec l'impression grandissante de flotter hors de la scène, d'avoir été projetée derrière un rideau; le cerveau se protège, la mure dans un mutisme contemplatif, faisant de chaque détail une rune éternelle, ou un oubli abyssal. Elle aurait dû, oui. Elle ne l'a pas fait, pourtant. Rien ne pourra changer les faits. Elle n'aurait pas dû se vendre la première fois, peut-être. Car tout est parti de là. Le cerveau remonte loin, dans l'arborescence de ses décisions : la moitié des racines sont pourries, son noyau est infecté. Le vice pullule d'entre ses pores, galvanisé par l'attrait d'une force toute relative; elle se croyait au dessus du lot, n'était en fait qu'une poupée quelconque, bafouant son génie pour de pauvres billets. Grotesque. Danaë observe, néanmoins, l'attitude de sa mentor; sa froideur exemplaire, son autorité sans faille, dont elle ne peut que rêver. Raelyn est devenue plus qu'un employeur; c'est son icône, sa figure d'exemple. Je veux être insensible. Intraitable. Implacable. Avoir le pouvoir de personnifier la peur, d'en incarner l'allégorie; avoir des projets, plus grands que l'intérêt futile pour une belle veste en vitrine. Buy the fucking store instead. Raelyn n'est certainement pas devenue ce qu'elle est aujourd'hui, en acceptant des arrangements douteux pour un prix soit-disant correct.

Sans un regard pour ses ravisseurs, la brune se détourne. Elle n'avait pas imaginé finir la soirée chez la blonde, mais ne cherche pas même à négocier. Inutile de rentrer et de s'enfermer dans sa piaule, avec le mini bar pour seul réconfort. Sa sœur ne comprendrait pas. Il faut attendre l'extérieur, et un semblant de tranquillité pour qu'elle ose à nouveau sortir de son silence. - Comment tu fais pour être si.. détachée ? t'as même pas tremblé, concède son regard, plus admiratif qu'elle ne saurait l'admettre. Sa petite vingtaine lui semble bien dérisoire, en comparaison. Minuscule, mais douée d'ambition. Si la soirée lui a bien appris une chose, c'est qu'elle souhaite recevoir l'enseignement de la Blackwell, grandir sous son aile et lui prouver que son intervention, ce jour, ne sera jamais oubliée. J'ai une dette envers toi, gravée au fer rouge jusque dans mon ADN.   

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Il y a quelque chose de jouissif dans le fait d’observer ces homme, eux qui possédait certainement jusque là la conviction d’être des gros durs, des mâle alpha, à genoux, prostrés contre le même mur contre lequel ils avaient certainement l’intention d’écraser le visage de Danaë en abusant d’elle, et sur le point de se pisser dessus. Alors que je me redresse et que je les observe pour la dernière fois avant de tourner les talons, je réalise qu’une part malsaine de moi s’amuse comme une folle, peut-être même davantage que si ma soirée avait suivi son cours initial. J’ignore ce que cela fait de moi - une folle, résumeraient certains - mais je m’en moque. La façon dont je suis perçue n’a jamais compté pour moi, tant que je suis perçue, tant que je laisse un souvenir impérissable, qu'il soit positif ou négatif, je suis satisfaite. Je préfère être haïe qu’ignorée. Je préfère être haïe qu’appréciée ou aimée, du reste.  

Ceux-là se souviendront sans aucun doute du sourire carnassier que je leur ai adressé en m’accroupissant face à eux. Ils se souviendront de la nuance exacte de mes iris, de la forme de ma bouche et de l’emplacement de toutes les ridules d’expressions sur mon visage. Ils n’oublieront ni le son de ma voix, pas plus que l’odeur de mon parfum. D’Eric, ils retiendront uniquement la puissance de ses coups mais il ne les hantera pas autant que mon rictus malsain et, forte de cette certitude, je jette un coup d’oeil à Dani pour voir si elle aussi elle se délecte de la souffrance de ses bourreaux. Je la trouve quelques pas en arrière, tétanisée, déçue, et je suis déçue par ce rappel de sa fragilité. Mon sourire s’évanouit et j’abandonne ces ordures à leur douloureux sort. Leur passage à tabac n’est pas la pire chose qui les attend ; ils vivront dans une angoisse bien pire, bien plus pernicieuse que ces quelques minutes de souffrance. Je compte sur elle pour qu’ils tiennent leur langue : de toute façon, je doute que tout ce qu’il se passe ici soit très légal. Et quand on a peur pour sa peau, on devient égoïste, si bien que je doute que l’envie de de rendre hommage à leur compagnon d’infortune en informant sa famille - ou qui que ce soit d’autre - de son véritable sort ne prenne racine en eux. Je l’ai vu dans leurs yeux : morts de trouille, ils ne diront rien. Ils emporteront ce qu’il s’est produit ce soir dans leur tombe et, si jamais je me trompe et s’il leur venait l’envie de parler, ils seraient morts avant de pouvoir me placer dans une position compliquée. Le Club a des alliés partout, et plusieurs alertes se déclencheraient si les forces de l’ordre étaient contactées pour parler de cette affaire.  

En proie à un mélange d’empathie pour la jeune femme et de déception - celle qui naît de l’absence apparente de jouissance à la vue de la souffrance de ses bourreaux, je la guide jusqu’à l’extérieur où, prévenue sur la route, une seconde voiture nous attend. « Comment tu fais pour être si.. détachée ? » Je plonge mon regard d’acier dans le sien mais je ne réponds pas. Pas pour l’instant. D’un geste du menton, je lui désigne la berline pour qu’elle la contourne et s’engouffre du côté du conducteur tandis que j’ouvre moi-même la portière la plus proche du trottoir. Je m’installe à l’arrière, en bonne princesse, comme je le fais avec n’importe qui d’autre que les frères Strange puisqu’ils appartiennent au groupe restreint des rares personnages que je considère comme des égaux. Ce n’est qu’une fois que le moteur démarre et nous flatte de son ronronnement régulier que je romps le silence. « Détachée de quoi ? De la mort, ou de ce qu’il a failli t’arriver ? » La réponse est différent en fonction de ce sur quoi elle s’interroge réellement : contrairement à ce qu’elle pense peut-être, je ne suis pas tout à fait indifférente à son sort et à celui qu’ils lui réservaient. « Je me moque qu’il soit mort. » Le sang qui risquait de tâcher mes escarpins me préoccupait davantage que le corps sans vie sous mes yeux. « Il aurait pu te tuer si on lui en avait laissé la chance. Pourquoi je compatirais pour lui ? » Il est difficile pour moi d’expliquer mon indifférence, mon insensibilité et ma cruauté : elles font partie de mon ADN. Cela revient à me demander pourquoi je préfère les vêtements noirs aux blancs, l’acidité à l’amertume, ou tout autre variable intrinsèque. En résulte ma question, posée avec le ton non feint de celle qui ne comprend pas. « Je ne me fous pas de ce qu’il peut t’arriver. » Aurais-je quitté les bras de mon amant du soir pour voler à son secours, si cela avait été le cas ? Danaë est un investissement intéressant, mais elle n’est pas que ça, au fond. « C’est bien pour ça qu’il est mort et que je suis furieuse que tu aies été aussi stupide. » Je laisse ma phrase flotter un instant, avant de lever un sourcil. Satisfaite ?

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Tout semble si simple, lorsqu'il est question de la blonde. La tournure des évènements n'aurait même aucune importance, si elle en croit sa démarche, pas déroutée une seconde, comme si tout cela n'était qu'une vulgaire répétition. Mais ce n'est pas le cas et, pour Danaë, c'est la première fois qu'elle aborde la Mort de ce point de vue. Plus habituée aux défunts qui croupissent depuis siècles et millénaires, qu'aux cadavres encore chauds, l'écho du corps qui s'écroule retentit encore à l'ombre de ses tympans. Il est trop tôt pour juger d'une réaction, surtout lorsque son instinct est biaisé par le traumatisme précédent; deux pour le prix d'un, le constat d'une belle soirée. Sa bêtise coûte cher à la psyché.

Mais là ne réside pas la source de sa curiosité. Raelyn la fascine, l'hypnotise, la subjugue autant qu'elle peut la déstabiliser, elle qui semble à des années-lumière de toute réaction. Pourquoi est-ce si facile ? Comment as-tu fait pour en arriver là ? S'il existait un bouton ou une pilule pour l'imiter, la brune n'hésiterait pas un instant. La berline offre un confort rassurant, le vrombissement du moteur confirmant qu'elle s'éloigne bien du théâtre de tous les méfaits. Le regard file d'abord à l'extérieur, avant de revenir graviter vers celle qu'elle tend à considérer comme un exemple à suivre. - Prendre une vie. ce n'est pas le mort en lui-même, mais l'acte qui amène à ce résultat. Se soulage-t-elle la conscience en confiant le geste à son bourreau ? Mais sa question retournée soulève une toute autre idée : serait-ce inné ? - J'sais pas. C'est pas comme si j'avais les idées claires de toute façon. un haussement d'épaules, peut-être a-t-elle posé la mauvaise interrogation. Raelyn est sans doute plus lucide, et l'absence d'empathie reflète simplement la gravité du bourbier dans lequel elle était tombée. Elle aurait volontiers replongé dans les bras du paysage défilant au dehors, si la Reine de la nuit n'avait pas ajouté cette réplique - inattendue, surtout compte tenu de son "statut". - Tu m'étonnes.. J'suis une garantie de contrats signés. le rire est bref et sonne d'ailleurs tout aussi faux; j'suis qu'une pute utile, mais affreusement stupide. - J'oublierai pas cette leçon de sitôt. Ça s'reproduira pas. le rictus de la honte abandonne l'échange de regards; elle gravite encore loin de l'étoffe d'une femme de son acabit, quoiqu'elle s'en inspire progressivement. Mais Raelyn ne s'avilit pas pour une question d'argent - ou pas qu'elle ne le sache tout du moins. - Désolée d'avoir contrarié tes plans du soir. mieux à faire que de s'coltiner une jeunette trop naïve, n'est-ce pas ?  

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« Prendre une vie. » Évidemment, notre chauffeur ne bronche pas. La mort n’est pas un concept étranger lorsqu’on évolue dans un univers comme le nôtre et, sans forcément y avoir été confronté, la plupart d’entre nous avons fini par la banaliser. J’ai tué avant même de donner le moindre ordre : j’ai tué à chaque fois que j’ai pendu des comprimés ou un sachet de poudre à un gamin perdu, sachant pertinemment que je nourrissais son addiction, la même addiction qui le conduisait tout droit jusqu’à sa tombe. Dani elle-même est en un sens déjà complice de tout ça ; à chaque fois qu’elle me rend service, elle participe à sa façon. Mais les drogués iraient se fournir ailleurs si je n’étais pas là et l’idiot de ce soir aurait finir par rencontrer le même genre de mort violente, à en croire ses penchants dangereux. Je ne suis pas née insensible, j’ai vomi tripes et boyaux la première fois que j’ai vu Mitch pointer son arme contre la tempe d’un type et l’abattre de sang froid, toute dénuée d’empathie que je suis. « J'sais pas. C'est pas comme si j'avais les idées claires de toute façon. » - « C’est normal que tu sois en état de choc. » Même si j’ai été déçue de constater qu’elle ne semblait même pas jubiler un peu. Le type le méritait après ce qu’il a voulu lui faire, non ? « Allume-toi un joint. Respire. Ça passera. » Autant de conseils que ne donnerait pas un psy, mais ce sont les seuls auxquels j’ai eu le droit à l’époque. Aaron avait relevé mes cheveux sur ma nuque avant de prendre mon visage entre ses deux mains et de me souffler des mots similaires à ceux-là. Puis fin de l’histoire. Lui comme les autres attendaient de moi que j’encaisse, alors c’est ce que j’avais fait. La seconde fois n’était déjà même plus si terrible.

« Tu m'étonnes.. J'suis une garantie de contrats signés. »
« C’est pas ce que je voulais dire. »

Danaë est sous ma protection alors, quoi que ça veuille dire, je ne veux pas qu’il lui arrive le moindre mal. Ironique, puisque je la mets en danger sur une base hebdomadaire. « Personne est irremplaçable. Pas même moi, pas même Mitch. » Mitch le prouve d’ailleurs sur une base quotidienne ces derniers temps, occupé à noyer son chagrin dans l’alcool. « C’est pas parce que je te prends pas dans les bras ou que je te tapote pas le dos pour te dire que je suis fière de ton que ça me ferait plaisir qu’il t’arrive quelque chose. » C’est la plus grosse marque d’affection qu’elle obtiendra de ma part, il faudra qu’elle s’en contente ou qu’elle se fasse une raison. « J'oublierai pas cette leçon de sitôt. Ça s'reproduira pas. » Je hoche la tête avec sévérité. Le fait que je me sois adoucie l’espace d’un instant ne veut pas pour autant dire qu’elle n’a pas merdé. Elle a merdé, avec un m majuscule, ce genre de chose ne serait pas arrivé si elle avait été officiellement sous la protection du Club ce soir, ou en tout cas, il y a moins de chance. Elle s’est mise en danger parce qu’elle a été idiote, là-dessus je ne reviendrai pas. Tant mieux, si elle a appris sa leçon de la plus violente des façons. « Désolée d'avoir contrarié tes plans du soir. » - « Ah ça. Pour les avoir contrariés… » Ce que je projetais pour ma soirée n’incluait pas de traverser la ville pour sauver ses fesses et, dès lorsqu’elle posera un pied dans mon appartement, elle s’en rendra compte. Je n’ai rien débarrassé en quittant mon domicile, bouteilles de vin, de scotch, verres à pied et en cristal trainent tous encore sur la table basse. Mais ce n’est pas important.

« C’est pas grave. Okay ? » Je l’interroge du regard tandis que la voiture se gare au pied de l’immeuble de standing que j’habite à Spring Hill. Je quitte l’habitacle et, si j’ouvre la marche, je jette de réguliers coups d'œil derrière moi pour m’assurer qu’elle me suis toujours. Une fois dans l’appartement et débarrassée de ma veste en cuir, je me laisse tomber sur le sofa blanc et attrape l’un des deux verres de vins pas tout à fait vides posés sur la table. Je me moque de savoir si celui dans lequel je bois à présent m’appartenait. « Ils t’ont fait mal quelque part ? » Je l’interroge sans la scruter du regard, elle qui a déjà l’air si peu à l’aise.

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Viendra un jour où elle saura faire preuve de discernement. Les pensées, limpides, permettront une gestion optimale des émotions; après quoi, touchera-t-elle du doigt le détachement. Ou peut-être trouvera-t-elle (plus) simplement encore, le moyen de refouler, d'annihiler ses effusions de faiblesse en frappant directement à la source : neutraliser la psyché, sans plus de cérémonie. Danaë gravite entre deux courants; l'état de choc et la lucidité, le second accusant le coup du premier, détestant principalement tout ce qui la rend aussi vulnérable. Le conseil de Raelyn n'en est pas vraiment un, mais ce sera tout comme; embrume ton esprit, souffle, demain sera bientôt là. C'est ainsi que fonctionnent les choses, et la brune se contente de hocher la tête. Face à l'expérience, ne peut-elle qu'opiner doucement, en espérant pouvoir en tirer profit.

Elle est un atout dans sa manche, et ce n'est pas faute de le savoir. Une carte joker qui entend bien gravir les échelons, et doit d'abord, pour se faire, s'inspirer de la Maîtresse du jeu. - Alors une catin.. J'imagine pas. Rien de plus qu'un fait divers dans le journal. ce n'est pas un reproche, ni une façon de se rabaisser; c'est surtout la preuve qu'elle comprend, entrevoit désormais toutes les raisons qui font de sa bêtise, une énorme connerie - à ne jamais répéter. Personne n'est irremplaçable, et encore moins une fille qui fait déjà le trottoir. Les déchets de sa classe, on en retrouve tous les quatre matins dans le caniveau. - Ce serait un peu sadique de ta part, sinon. le sourire est léger, et traduit un amusement d'une même finesse; elle a compris où se trouve le pic sentimental de la soirée, et le lui renvoie à sa façon, avec une tendresse piquante.

Pour le reste, la perche assimile les leçons au rythme même où elle laisse ses pensées décanter. La morale est multiple, suivant les points de vue; le regard courroucé de Raelyn en exacerbe la réalité, ne rendant cette introspection que plus prégnante et forte en réprimandes insidieuses. Le regard se relève ensuite vers sa mentor, cherche à percer le voile des évènements de sa soirée; une bonne nuit en perspective ? - Mmh.. Pas grave, pas grave.. Je ne serai probablement pas une compagnie aussi agréable. répond-elle enfin, une fois entrée, son menton désignant justement les verres sur la table. Accompagnée, donc. Quant à sa question.. - Non, j'ai filé dans la salle de bain dès que j'ai flairé l'embrouille. pourtant, sa main commence à picoter, et son regard s'abaisse pour trouver le vestige sanguinolent laissé par l'arme de fortune qu'elle tenait plus tôt. Danaë cherche encore sa place entre ces murs, sans être certaine de la trouver pour autant; difficile de se sentir légitime, quand bien même Raelyn l'a invitée. - Pourquoi moi ? demande-t-elle soudain, son regard cherchant une réponse dans le sien; - Je sais que j'suis utile, et que j'dois être un investissement intéressant. Mais.. pourquoi moi ? - Qu'est-ce qui a fait la différence ? avec les autres - quand bien même Danaë n'est pas totalement à plaindre en terme d'estime personnelle; elle n'est pas la seule sur le marché, avec un corps bon à croquer, un regard perçant et un passé sulfureux. Pourtant, elle est là. C'était quoi ta raison, le soir où tu m'as approchée ? 

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« Alors une catin.. J'imagine pas. Rien de plus qu'un fait divers dans le journal. » - « Tu penses vraiment qu’on te laisserait l’occasion de devenir un fait divers dans le journal ? » Ma question pourrait sous-entendre qu’elle sera protégée pour que cela n’arrive jamais, mais ce serait mal me connaître que de l'interpréter comme ça. Je ne suis pas mielleuse. Je ne tente pas de caresser qui que ce soit dans le dos pour mieux la duper après. Suis suis franche, souvent au point de paraître cruelle. Il n’y aurait aucun fait divers dans le journal s’il lui arrivait quelque chose ”en fonction" parce que le Club s’arrangerait pour effacer toute trace de son existence. Elle s’effacerait dans la nature et, avec elle, toutes les preuves d’un lien quelconque avec l’organisation. Heureusement pour elle, cette fois c’est son bourreau qui subira ce sort-là. « Ce serait un peu sadique de ta part, sinon. » - « Tu semble bien sure que je ne le suis pas.  » Un sourire étire mes lèvres. De toute évidence, il s’agit d’une provocation et dans les faits, elle a raison. La souffrance d'autrui ne m’émeut pas. Je ne cille pas lorsqu’il faut la dispenser, je pense pratique, rationnel, mais je n’y prends aucun plaisir malsain pour autant.

Ma soirée avortée me semble remonter à des semaines, maintenant que j’en ai les vestiges sous les yeux. Je ne prendrai pas la peine de ranger ce soir, pas plus que je ne l’ai fait avant de partir. Le ménage de mon appartement immaculé est de toute façon de toute évidence laissé à quelqu’un d’autre. « Mmh.. Pas grave, pas grave.. Je ne serai probablement pas une compagnie aussi agréable. » - « Je suppose que je ne le saurai jamais. » L’amant était éphémère et je ne rougis pas de l’admettre. Pêché dans un bar, nous n’avons pas échangé nos numéros et je m’en fiche pas mal. Il sera remplacé par un autre qui le sera à son tour. « Je n’ai pas de chambre d’amis. » Pour quoi faire ? Aaron l’avait remplacée par une salle de sport et j’ai gardé les choses telles qu'elles puisque la configuration de l’appartement m’est bien plus utile ainsi. « Mais tu pourras dormir sur le canapé. Après qu’on se soit occupées de ça. » Je désigne du menton sa main rougie de sang. Pas de sang sur mon mobilier blanc.

« Non, j'ai filé dans la salle de bain dès que j'ai flairé l'embrouille. » Rien d’autre que sa main, qu’elle a blessée elle-même pour se défendre. Elle a brisé le miroir et elle était prête à rendre la monnaie de sa pièce à son agresseur. « Tu l’aurais tué ? » Elle qui semblait si choquée par mon impassibilité face à un crime que j’ai ordonné, mais pas commis de ma main. « Si c’était lui qui était entrée à ma place. Tu l’aurais tué ? » Elle était prête à se défendre. Je n’ai pas besoin d’avoir assisté à la scène pour avoir recollé les morceaux en posant les yeux sur elle, en entrant dans cette salle de bain.

« Pourquoi moi ? » Même choquée, Danaë semble avoir toujours tout un tas de questions. A-t-elle besoin d’être rassurée au point de quémander de s’entendre dire qu’elle est spéciale ? Elle sait qu’elle demande à la mauvaise personne, pour ça. « J'suis utile, et que j'dois être un investissement intéressant. Mais.. Qu'est-ce qui a fait la différence ? » Je l’observe un instant, avant de finalement pousser un soupir et hausser les épaules. « Tu étais prête à tout. » Elle me demande pourquoi je l’ai choisie, pas pourquoi je l’ai secourue ce soir, alors elle reçoit la réponse qu’elle mérite. « Va te doucher. Il y a des serviettes propres dans le meuble de la salle de bain. » Je lui indique le chemin, en passant par ma chambre et au bout de mon dressing. « Je pense pas que tu auras besoin de points de sutures, mais je jetterai un oeil après. Appelle moi quand tu as fini. » Je l’observe un instant, avant d’ajouter. « Tu as besoin de vêtements de rechange ? »

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La brune cherche foncièrement sa place auprès de son icône, et ce n'est pas rien. Les contrastes sont flagrants : l'inexpérience de l'une face au recul de l'autre, sa médiocre ambition face à la réflexion empirique de Raelyn, l'ensemble pousse toujours Danaë à se remettre en question. Elle voudrait grandir plus vite, évoluer d'une traite et reprendre ses atours intouchables; la rendre fière, pratiquement à l'image d'une figure familiale. Ce soir, elle est très loin du compte. Frustrée de l'avoir déçue, amère de sa propre quête d'argent - dont le besoin semble à présent illusoire, c'est une véritable claque de conscience qui l'attend. Un hochement de tête approuve son programme : panser la plaie, s'allonger sur ledit canapé et laisser le soin à l'aube d'emporter les réminiscences viciées de la nuit. Simple, efficace; tout ira mieux demain.

Elles ont toutes deux des interrogations propres. Danaë recherche vraisemblablement son identité, sur l'obscur sentier de la légitimité - qui semble lui faire défaut. Jusqu'où aurait-elle été pour survivre, veut savoir Raelyn. - J'en sais rien. incapable d'un oui ou d'un non franc, se contente de secouer légèrement la tête. - Je l'aurais sûrement planté. lâche-t-elle finalement, tant le souvenir du bris de verre entre ses doigts lui semble prégnant. Dans l'impulsion du moment, sous le coup de l'urgence, c'est une quasi-certitude. Une fois ou dix fois ? Allez savoir.

En définitive, une conclusion s'impose, qui se vaut tant dans le présent que le passé. - Je le suis toujours. même si j'ai merdé. Sa jeunesse est en grande partie responsable de ses actes manqués, ou irréfléchis; le temps, et la proximité de la blonde corrigeront le tir, progressivement. L'objectif n'a pas changé : la naïade s'élèvera, tôt ou tard. A l'avenir, elle s'assurera seulement de mieux penser ses actes, de mieux préparer ses coups; anticiper, voir plus loin qu'une simple liasse de billets. - D'accord. souffle-t-elle, se réjouissant quelque peu à l'idée d'une douche chaude, propre à délaver les déboires de la soirée. - Je doute de pouvoir rentrer dans les tiens. fait-elle remarquer, leurs différences corporelles n'étant pas des moindres. - A moins que t'aies un grand pull, ou un truc du style. elle remettra la robe, s'il le faut, ou même un peignoir, le temps de rentrer. D'un regard entendu, la brune s'éclipse finalement à la douche, où l'eau chaude la dorlote, nettoie sa plaie tout en piquant le derme meurtri; le constat est doux-amer, mais les vapeurs fiévreuses ont au moins le mérite d'éclaircir ses pensées. La serviette tirée au meuble, enroulée ensuite autour de son corps, sa crinière sombre ramenée en arrière, une main tient le nœud de coton pour s'assurer qu'il ne glisse, et Danaë se présente à nouveau devant son hôte. - C'est superficiel, ça va. commente-t-elle, présentant sa paume et l'entaille rougie, aux contours désormais propres. - Et ça ira pour ce soir.. J'crois que j'en ai assez fait. l'ambivalence persiste, et existera peut-être toujours, entre une relation intéressée et une histoire sincère, construite sous l'égide de leurs personnalités atypiques; Raelyn l'a sauvée, lui a offert un travail et un toit, cette nuit. Qu'importe la raison, c'est plus que quiconque, et c'est là tout ce dont elle a besoin de se rappeler. Contre vents et marées, Raelyn incarne son phare particulier.