(jurassique) D’un mouvement sur la droite puis d’un autre sur la gauche, il fait craquer sa nuque par deux fois. Il n’a que quinze secondes d’avance sur Murphy-la-révoltée, si bien qu’il ne peut pas se permettre de prendre davantage ses aises et le voilà déjà qui reprend ses grands airs de gamin perdu et apeuré. Déjà, le numéro doit reprendre. « Attends, stop, je... » Une seconde, deux secondes pour mimer le doute dans son esprit. « C’est pas… Tu crois… Ce qu’on a entendu, sur la plage ? » A croire que tous les dinosaures sont entrés en hibernation, ils n’en ont pas croisé un seul en route. Bon sang, Ambrose doit tout faire lui-même, même pointer du sa main tremblante une patte d’un dinosaure de la taille de son torse, le tout à moitié englouti sous un liquide violacé s’échappant du marais. Rien de naturel, à aucun moment. « Non, c’est impossible. » Il joue les deux camps à la fois, lui qui montre l’indice évident pour mieux rationaliser ensuite : impossible, ces bestioles là ont disparu il y a des millions d’années et de ça il n’y a aucun doute. Tous les gamins l’apprennent à l’école.

A moins qu’ils ne soient plus réellement là où ils pensaient aller ? Bali, le Japon, la Corée, le Mexique ; tous les pays ont été proposés mais aucun n’est évidemment le bon. « On s’est cognés au moment du crash. Je me suis cogné. » Pauvre petite chose à nouveau, le revoilà qui remet faussement la faute sur sa personne, comme si une possible contusion (qui ferait du sens, ceci dit) pouvait expliquer l’immense trace d’un dinosaure juste sous leurs pieds, à tous les deux.

La seule chose qui finit par rappeler à Ambrose qu’il n’est qu’un humain, c’est le cri terrorisant du dinosaure, bien plus proche que tout ce qu’il aurait pu espérer - et croire - pour leur propre survie à tous les deux. Cette fois-ci, la terreur n’est pas feinte dans son regard.

(twisty twist c'est Saül en fait) Il y a de quoi paniquer. D’abord, parce que sur cette île de con, il n’y a pas de champagne. Dans ce qu’il reste de l’avion, Saül n’a pas trouvé son bonheur. Les bouteilles d'alcool trouvées dans certaines valises vont servir à désinfecter les blessures des mourants. C’est franchement une connerie de merde, si on demande son avis à l’italien. Il n’y a rien ni personne à sauver sur cette île, les blessés ne seront qu’un boulet aux pieds des survivants. Voilà pourquoi Saül a pris le parti de s’engager dans les marais accompagné de… C’est quoi, son nom, déjà ? C’est comme une sorte de fleur. Ce n’est pourtant pas oubliable, mais Saül a morflé à l'atterrissage. Une rigole de sang lui barre le côté du visage et ses genoux le font franchement souffrir. Il faudra faire avec, parce que la menace s’annonce plutôt… « Attends, stop, je... » Alors, Saül s’arrête et observe. Y’a une patte et on ne peut pas dire qu’elle soit petite. Dieu que son chien lui manque… « C’est pas… Tu crois… Ce qu’on a entendu, sur la plage ? » « Non, c’est un mannequin qui a atterri là. » Il n’en est pas possible autrement. Une période de la vie ecclésiastique de Saül a été marquée par un prêtre qui croyait dur comme fer que les dinosaures n’avaient jamais existé. Saül se souvient des prêches – un peu fous – qui justifient la présence d’os de dinosaures par une manipulation issue des USA. Heureusement que les croyances de Saül ont récemment été ébranlées par certaines de ses nouvelles habitudes. « Non, c’est impossible. » Quand la chose bouge, Saül blêmit. « Bouge pas. Tais toi. » qu’il souffle, aussi aimable que d’habitude.

« On s’est cognés au moment du crash. Je me suis cogné. » Un regard en biais renseigne Saül sur son acolyte : il ne l’avait pas remarqué avant le crash. Aurait-il remarqué quelqu’un d’autre que lui-même, Saül ? Probablement pas. « C’est moi qui vais te cogner si tu ne la fermes pas. » Le cri achève de le convaincre que quelque chose ne tourne pas rond, sur cette île de con. Dans un étrange réflexe, Saül attrape le jeune homme par l’épaule. « Tu recules doucement. T’as déjà été chasser ? C’est pareil. » Sauf que la bête les a repéré. Sauf que Saül espère désormais que s’être cogné ne va pas ralentir son acolyte, parce qu’il n’hésitera pas à le laisser derrière pour ne pas crever. « On cours. »

« Non, c’est un mannequin qui a atterri là. » Ah oui ? Celle-là, on lui avait jamais faite à Ambrose. Fort heureusement, les doutes de l’homme s’effritent quand l’ouïe s’ajoute à ses autres sens mis à rude épreuve sur l’île : tant mieux, l’inverse aurait été parfaitement ennuyeux. « Bouge pas. Tais toi. » Ambrose s’exécute, autant parce qu’il reste dans son rôle que parce qu’il doit bien avouer que l’homme est convaincant dans ses ordres, sans doute aussi parce qu’il prend le temps de menacer physiquement Ambrose et que rien dans le manuel du petit scientifique n’anticipait que les expériences puissent se retourner contre eux volontairement. Cela ne fait partie d’aucun plan imaginé pour eux, à leur place.

« Tu recules doucement. T’as déjà été chasser ? C’est pareil. » Non, bien sûr qu’il n’a jamais chassé. Il est un rat de laboratoire, rien d’autre. « On cours. » Et il ne discute pas, il ne négocie pas. Il prend ses jambes à son cou, suivant de près un Saül qui court vite malgré son âge, le bougre. Il est étonnament en forme, mais Ambrose n’en est pas moins celui qui leur trouve un abri de fortune, à l’attraper par le bras au dernier moment pour lui demander de faire volte-face. « Ici, ici, shht. » Le sol tremble derrière eux à chaque nouveau pas du mastodonte. Ils n’ont jamais rien connu de tel au cours de leur existence, ils n’ont aucun moyen de comparaison, et même les éléphants que Saül aurait pu payer pour chasser ne sont pas comparables avec cet animal disparu. Dans le renfoncement d’un arbre, ils trouvent à peine de place pour eux deux, la proximité avec l’inconnu dégoûtant un brin Ambrose. « Je vais éternuer. Je vais… » Eternuer. Oh mince, quel dommage vraiment, pile au moment où l’immense patte musclée du dinosaure vient de passer devant eux. Il est bien trop proche pour qu’ils puissent tenter de fuir en courant uniquement.

Ils ont besoin d’une autre stratégie.
D’une stratégie, tout court.

« Il leur manquait pas un sens ? Je, euh… l’ouïe ? »

De toute évidence, lui sait que ce n’est pas l’ouïe qui leur fait défaut, mais qu’importe. Il n’est pas un sujet, lui.