heaven knows that's what he ain't
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alfie maslow 1 & lily beauregard amérique du sud (ua)

Elle a pleuré dans l’avion. Dans le premier ou dans la correspondance, elle ne saurait plus exactement le dire, mais elle a évidemment pleuré. Enfermé dans les toilettes du compartiment Business, ses yeux sont devenus rouges avant d’être maquillés de nouveau avec soin pour cacher toutes les traces. Dans la soute, une seule valise l’accompagne, le reste étant resté à Brisbane, où Ezra prendra sûrement le temps de tout brûler ou bien de le donner à des associations. Ce n’est plus son problème, ce n’est pas de son ressort non plus. Tout ce qui peut arriver ou non sur le sol australien n’est plus son rpoblème, maintenant, pas même le sort de ses propres enfants.

Ezra a découvert le poteau rose, ou tout du moins une partie de ce dernier, et cela a suffi à faire voler leur couple en éclats et leur mariage avec. Elle a laissé sa bague, elle a gardé uniquement sa rancoeur, et sans doute avec une pincée de remords. Lily avait tout pour être heureuse à ses côtés, elle avait tout pour enfin profiter de cette vie dont ils avaient tant rêvé et mis tant d’années à obtenir. Pourtant, c’est justement en ayant le monde à portée de mains qu’elle a décidé avoir besoin de la seule chose qu’elle ne pouvait obtenir en un claquement de doigts : Alfie Maslow. Celui qui n’a jamais été, celui qui a toujours été. Le seul qu’elle n’a jamais été capable de faire ployer sous ses désirs, sauf peut-être quand il a (rarement) été question qu’ils se retrouvent dans un même lit. Les occasions se comptent aisément sur le doigt d’une main au cours des trente années écoulées, cela ne devrait même pas compter, cela n’aurait jamais dû être la source d’une fin de route. Peut-être qu’Ezra a associé les idées, peut-être qu’il a fini par comprendre pourquoi un de ses enfants a toujours été élevé si différemment par Lily. Là encore, pourtant, elle en doute. Si tel avait été le cas, il aurait explosé entre ses mains bien avant. Il l’a fait uniquement face au fait accompli, son ego d’homme ne pouvant accepter de ne pas suffir à combler les désirs et le bonheur de sa femme. Mais Ezra est Ezra, et si cela est la raison pour laquelle elle l’a aimé sincèrement toutes ces années, être Ezra ne le fait pas le désirer. Être Alfie, en revanche, fait de lui le fruit interdit et donc celui vers lequel elle tend naturellement.

Celui à qui elle a acheté des billets pour qu’il traverse le globe pour la rejoindre.
Celui pour qui elle vient d’acheter des billets pour le rejoindre.

Elle n’a plus d’avenir sur le sol australien, alors elle préfère vivre encore cette vie auprès de lui. Le message a été envoyé au décollage de son dernier vol, à l’instant où les roues venaient de quitter le sol : l’adresse de l’aéroport, l’heure d’arrivée. Le commentaire “c’est moi, cette fois”. Ils n’ont jamais su être expensifs, ou plutôt ils n’ont jamais voulu l’être, toujours trop occupés à décrypter les paroles et les envies de l’autre pour trouver quoique ce soit de grisant dans l’idée de se mâcher le travail l’un de l’autre. « J’espère que tu as réservé l’hôtel. » Elle finit par concéder en guise de premières paroles, son menton relevé, son regard perçant posé sur le visage d’un Alfie qu’elle trouve toujours plus amaigri et fatigué à chacun de leurs retrouvailles - rares, mais existantes. Dans un pays comme celui-ci, par ailleurs, elle espère bien qu’il leur a réservé un véritable hôtel digne de ce nom, surtout après le voyage qu’a été le sien. « Et un grand taxi. » Pas pour étendre ses jambes, elle n’irait pas jusque là, mais bien pour accueillir sa valise qui n’avait rien à voir avec le petit sac qu’Alfie avait ramené à Brisbane. Sans doute parce qu’elle, elle ne compte pas rentrer.

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alfie maslow & lily beauregard amérique du sud (ua)

“C’est moi, cette fois”

Alors, Ezra sait.

Il a découvert le vrai visage de sa tendre épouse, celui-là même qu’elle ne réserve d’ordinaire qu’à Alfie, celui-là même que ce dernier n’a cessé d’attiser au cours des années, celui pour lequel il avait perdu espoir, aussi. Elle était devenue une Beauregard ; quelconque, faible, intolérable. Pourtant, toutes ces années, elle n’avait aspiré qu’à ça, Lily : une vie de femme mariée, un rôle de mère parfaite, toutes ces choses qu’il avait moquées, parce qu’il savait pertinemment que ce n'était pas elle – que ce n’était pas cette version-là d’elle que lui désirait, du moins. L’avis de Lily important bien moins que le sien, Alfie n’avait jamais cessé de s’imposer comme le cauchemar de cette existence rêvée, et la victoire qui avait été la sienne au moment où elle lui avait envoyé ces billets d’avion quelques mois plus tôt l’avaient définitivement convaincu que quelque part, Lily Keegan était toujours là.

Alors, à la lecture de ces quelques mots, il aurait dû se congratuler, Alfie, préparer son discours de victoire, perfectionner son air satisfait qui restera collé sur son visage à l’arrivée de Lily jusqu’à son départ. Mais c’est bien ça, le problème ; son départ inévitable, et ce n’est pas tant par nostalgie ou sentiments inavoués qu’Alfie songe déjà à celui-ci. Il le lui avait dit, lors de leurs retrouvailles : il ne serait pas sa porte de sortie, il ne serait pas le décisionnaire de son échec, non, seulement celui qui évoque l’idée, qui l’aide à mijoter, mais qui ne franchira jamais le pas – où est le plaisir, s’il vient de lui ? Lily le connait assez pour savoir qu’il campe sur ses positions, des positions chancelantes, souvent contradictoires, souvent comprises par lui et seulement lui ; elle ne s’étonnera donc pas s’il n’est pas celui qui l’attend à l’aéroport comme elle présage en lui donnant les informations pour que cela soit le cas.

Ezra sait, et c’est un problème sans en être un. L’anthropologue se fiche bien des états d’âme du Beauregard, mais Alfie ne supporterait pas d’être le lot de consolation d’une Lily qui n’a eu d’autres solutions que de quitter le domicile conjugal, abandonnant à contre-cœur une vie qu’elle s’est persuadée être merveilleuse. Elle ne l’est pas, c’est ce qu’il a cru comprendre entre les lignes au moment où la jeune femme a requis sa présence, des mois plus tôt, mais un départ aussi précipité ne lui ressemble pas – elle n’aurait pas disparu seulement sous couvert d’une humiliation que son égo ne lui permettrait pas de supporter. Elle aurait réécrit l’histoire, sans forcément en changer l’issue, sans forcément se donner le beau rôle, mais seulement pour avoir le contrôle d’une situation lui ayant échappé.

Il pourrait la planter, là, au milieu d’un aéroport qu’elle ne connaît pas, dans un pays dont elle ne parle pas la langue. Il pourrait lui faire payer son projet, la stupidité qu’elle lui associe en croyant qu’il ne lit pas clair dans son jeu. Mais, encore une fois, où serait le plaisir ? La satisfaction de voir son regard se décomposer, ses lèvres trembler, la perdition qui est la sienne, la chute dont il est à l’origine ? Il ne pourrait se contenter que de suppositions, alors qu’il veut des images.

« J’espère que tu as réservé l’hôtel. » - « J’ai pas encore décidé ce que j’allais faire de toi. » Grand luxe, boui-boui cauchemardesque, vol retour sans passer par la case tourisme. Penchant son regard tentant de sonder ses intentions, tout en sachant qu’avec Lily, ses tentatives sont souvent vaines. « Et un grand taxi. » Un instant, il est tenté de lui demander combien de marmots elle a ramenés avec elle, et comment elle a pu supposer qu’ils seraient les bienvenus. Puis, il se ravise, continuant d’aller droit au but, toujours planté devant elle, dans des retrouvailles bien plus glaciales que la dernière fois. « C’est lui qui a deviné ou c’est toi qui en as parlé ? »