Il n’est pas toujours évident d’être impartiale lorsqu’il s’agit du sort de mineurs, et plus particulièrement d’enfants. Mais ce métier est le mien et j’ai fait la promesse de toujours prendre des décisions les plus justes possible. L’audience d’aujourd’hui a été particulièrement difficile, mais je suis heureuse de l’issue du procès. Lorsque je sors du tribunal, je prends le temps de discuter un moment avec les avocats de l’affaire, et finis par rentrer à la maison. Lenny doit rentrer aujourd’hui après avoir déserté la maison pendant près d’une semaine, et je dois dire que je suis impatiente de la retrouver. Depuis notre rencontre, nous n’avons pas souvent été confrontées à l’absence de l’une ou de l’autre. Même entre notre cohabitation en colocation et le moment où nous nous sommes mises en couple, il ne se passait pas plus de deux jours sans nous voir.

Pourtant, mon coeur et mon esprit semblent embrouillés depuis quelques temps, depuis mes retrouvailles avec Leo. Ma compagne est au courant, nous en avons parlé, mais je ne lui ai pas dit que j’avais passé la soirée d’Halloween avec lui, ni tout ce qui a pu se passer pendant cette soirée. J’ignore si je compte lui en parler, en tout cas pas tout de suite, c’est certain. Je passe par l’école pour récupérer Mae et le reste de l’après-midi se passe sur les chapeaux de roues, comme depuis une semaine où je gère seule la maison et la petite fille après mes longues journées de boulot.

A peine le cliquetis de la porte d’entrée se fait entendre, que Mae fonce vers cette dernière avec l’énergie qu’on lui connaît. « Mommyyyyyyyyyy ! » Pas le temps de faire entrer sa valise que déjà la petite tornade est dans les bras de sa 2ème maman. Mon coeur fond devant ce spectacle alors que j’approche, le sourire aux lèvres. « Salut étrangère…! » Ma main glisse naturellement dans son dos et je viens déposer un tendre baiser sur ses lèvres. Mae étant déjà dans les bras de Lenny, c’est un câlin familial qui opère, je prendrai le temps de fondre dans les bras de ma chérie un peu plus tard quand la petite fille sera couchée. « Ça a été le retour, pas trop fatiguée ? » Je glisse une mèche de cheveux derrière son oreille, et prend le temps de la regarder, tout en prenant conscience d’à quel point elle m’a manqué. « Tu nous as trop manqué ! » avoue Mae de sa petite voix, comme si ma pensée avait pris le chemin de ses lèvres.

Evidemment, Lenny est accaparée par notre fille qui veut lui raconter et lui montrer plein de choses. Nous avions pourtant comme rituel de s’appeler tous les soirs en Visio pour l’histoire du soir, et se raconter nos journées toutes les trois, mais on dirait bien que la petite fille aussi a été perturbée par l’absence de sa 2ème maman. Je finis de ranger la table pendant qu’elles sont dans la chambre, et les rejoins pour l’histoire du soir - qui se transforme en plusieurs histoires vu l’excitation de la petite fille. Elle finit par piquer du nez après une bonne heure de négociation, et je tire Lenny hors de la chambre et une fois la porte fermée, je me jette à son cou pour venir l’embrasser comme si j’avais été privée de ses lèvres pendant plusieurs longues années. « Ne t’avise pas de repartir aussi longtemps… » Je dis ça mais je ne le pense qu’à moitié, parce que je suis sûre que cette semaine de boulot a été très constructive pour elle, et jamais je ne l’empêcherai de vivre sa vie, sa passion, ou n’importe quoi d’autre.


@Lennon Davis

Les doigts tapotent sur sa jambe, trahissent l’impatience. Le regard, à travers la vitre du taxi, suit les lignes d’un paysage familier. Une semaine que Lennon est partie vadrouiller à l’autre bout du pays, opportunité professionnelle nécessitant sa présence dans la ville de Perth. Expédition sans personne pour l’accompagner, la petite famille laissée derrière à contrecœur. La solitude n’est pas dans ses habitudes. Pourtant, les retombées du voyage sont positives, l’esquisse d’un projet apportant un vent de fraîcheur par rapport à ses activités usuelles, un nouveau pan qu’elle cherche à développer depuis quelque temps. Elle apprécie l’aventure, sortir de sa zone de confort, un besoin nécessaire à la motivation, pour que la passion ne se transforme pas un simple gagne-pain dénué de sens. Puis, il faut au moins ça pour palier au sentiment d’absence lové dans un coin de son esprit. L’impression d’avoir déjà passé toute une vie sans être loin l’une de l’autre, capable de provoquer la gêne lorsque l’être aimée n’est aperçue qu’à travers un écran. Le manque décuplé par la distance. Le moment de blues, chaque soir, dans la solitude d’une chambre d’hôtel. L’animation des journées faisant office de distraction, ce qui ne l’a pas empêché de compter les jours jusqu’à son retour, comme une gamine qui attendrait Noël.

Déjà un sourire qui illumine son visage, quand, après un dernier virage, elle peut apercevoir la villa sonnant l’arrivée à destination. Pas question de traîner, le véhicule à peine stoppé le long du trottoir qu’elle s’en échappe. Presque comme une voleuse, réglant ce qui doit l’être à la hâte, récupérant sa valise dans le coffre avant d’emprunter l’allée jusqu’à la porte d’entrée. Cliquetis caractéristique de la poignée, tout juste le temps de poser un pied à l’intérieur de l’habitation qu’elle est accueillie par une petite tornade. « Mommyyyyyyyyyy ! » La valise reste en arrière, toute l’attention portée sur la petite tête blonde. « Hey crevette ! » Lennon s’agenouille pour réceptionner l’enfant dans le creux de ses bras, avant de la faire décoller du sol. Ses petits bras autour du cou, à se demander laquelle des deux sert l’autre le plus fort. Kayna se joint à l’étreinte, accompagnant le contact d’un baiser. « Bonsoir, belle inconnue. » Des retrouvailles qui donnent l’impression que la petite famille a vécu séparée durant des mois, restant toutes les trois dans ce câlin plusieurs dizaines de secondes. Elle pourrait se contenter de ça pendant trop longtemps, Lennon, la scène matérialisant sa vision du bonheur. « Un peu. Mais ça va beaucoup mieux maintenant. » La fatigue de cette semaine se repointera plus tard, pour l’instant, retrouver l’intimité de sa famille lui suffit à trouver un regain d’énergie. La petite voix de Mae cristallise le sentiment partagé. « Vous aussi, vous m’avez manqué. Terriblement. » Un bisou déposé sur la joue de l’enfant. Même pas sûre que le mot soit assez fort pour flirter avec la réalité.

Elle a de l’énergie à revendre, Mae, beaucoup trop pour son petit corps, et le retour de Lenny lui en donne encore plus. Une dynamique laissée en pose durant la semaine, malgré les appels chaque soir. Les discussions par écrans interposés n’ont offert qu’une illusion que la gamine compte bien rattraper dans un flot de paroles uniquement interrompu lorsqu’elle a besoin de reprendre son souffle. Un tas d’histoires à raconter, une bonne partie déjà entendue, avec quelques détails supplémentaires, autant de choses à montrer. Tout mène jusqu’à l'heure du coucher, où les rôles s’inversent, la petite fille devenant l’oreille attentive pour le rituel du sommeil. Les bras de Morphée sont difficiles à trouver, Mae bien décidée à s’accrocher au monde réel autant que possible, pour profiter d’avoir ses deux mamans. Mais elles arrivent finalement à endormir la petite au bout d’une heure.

Pas feutrés pour quitter la chambre sans déranger le sommeil, qui viennent trancher avec la fougue une fois la porte refermée. Plus que deux, leurs lèvres se collent avec passion. « Je pourrais me laisser convaincre, avec de tels arguments. » Et elle l’embrasse de nouveau, une main venant lui caresser tendrement la joue. « Ou tu pourrais venir avec moi, la prochaine fois. » Car elle devra retourner à Perth d'ici quelque temps, pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour une excursion en famille ? « Tu m’as vraiment manqué. » Dernier baiser avant de bouger en direction du salon, car elles ne vont pas passer la soirée devant la chambre de Mae. Pas question de rompre le contact pour autant, ses doigts venant s’entremêler à ceux de Kayna. Un besoin, après ces jours de solitude.


@Kayna Anderson

« Bonsoir, belle inconnue. » Tout mon corps réagit à ses quelques mots, et un sourire plus large encore égaye mon visage. M’occuper seule de notre petite tornade n’a pas été une mince affaire, et je dois dire que je suis heureuse que ma compagne soit de retour. Pas seulement pour gérer Mae, je sais m’occuper d’un enfant seule, je l’ai déjà fait pour ma première - même si elle n’était pas aussi turbulente - mais aussi et surtout parce que je n’ai pas été habituée à être en manque de Lennon de cette manière. Je m’enquiert sans tarder de son état, je vois bien qu’elle est fatiguée, malgré son bonheur d’être rentrée à la maison. « Un peu. Mais ça va beaucoup mieux maintenant. » Mae et moi partons dans une attaque de bisous méritée, pour combler le manque de ces derniers jours.

Le reste de la soirée s’articule autour de la petite fille qui est en demande constante d’attention, d’autant plus ce soir étant donné qu’elle n’avais pas vu sa mère depuis plusieurs jours. Un équilibre perturbé pour tout le monde, mais nous voilà enfin de retour dans notre parfaite petite famille. Après le rituel du coucher qui a beaucoup duré, je finis par retrouver pleinement mon amoureuse. « Je pourrais me laisser convaincre, avec de tels arguments. » Mon sourire s’étire de nouveau, cherchant encore plus de proximité. Sur la pointe les pieds, je me hisse pour réduire notre différence de taille et appuyer davantage notre baiser. « Ou tu pourrais venir avec moi, la prochaine fois. » « Pourquoi pas, oui. » Quitter la ville n’est pas évident avec mon travail, il faut que je sois sûre de ne pas avoir d’audience de prévue, parce que nous ne sommes pas nombreux à officier à mon poste, et trouver un remplaçant ou une remplaçante n’est pas une mince affaire. Pas impossible cela dit. « Tu m’as vraiment manqué. » Mon regard plongé dans le sien, je lui souris amoureusement, replaçant sans tarder une mèche de cheveux derrière son oreille. « Toi aussi tu m’as manqué. »

Main dans la main, nous quittons l’étage où se trouve la partie nuit, et descendons pour rejoindre le salon, pour nous lover sans tarder dans le canapé. « Alors, raconte-moi, comment c’était ? Tu as fait quoi ? Avec qui ? Je veux tout savoir ! » On a évoqué quelques grandes lignes au téléphone, mais j’avais aussi envie qu’elle puisse garder de quoi me raconter une fois à la maison, pour attiser davantage le manque de sa présence. Complètement calée dans ses bras, ma jambe par dessus la sienne, je la dévore du regard, sans penser au moment où ce sera elle qui va me demander ce que j’ai fait en son absence… Chaque chose en son temps.

Le rappel de combien son contact lui a manqué, lorsque leurs doigts s’entremêlent. Comme une drogue douce insinuant l’addiction dans l’ombre, seule la privation permet d’en prendre conscience. Trop d’années qu’elles sont collées l’une à l’autre, jamais plus de quelques tours de cadran sans proximité. Autant dire qu’une semaine complète donne facilement l’illusion d’une éternité. Le besoin de se retrouver, à la recherche du contact lorsque leurs doigts viennent s’entremêler, un minimum pour apaiser. Elles abandonnent l’étage maintenant que la tempête s’est échouée dans les bras de Morphée, des pas feutrés pour éviter de la réveiller. Ne reste que le calme alors qu’elles viennent se poser dans le canapé, lovées dans une position ne nécessitant pas la moindre réflexion, comme si celle-ci était la plus naturelle possible. Les regards qui se croisent, pas besoin de grand-chose en plus pour apprécier l’instant, sourire béat qui vient immédiatement illuminer son visage.

Mais elles ont l’habitude de tout partager, alors le silence n’a pas l’occasion de traîner dans le coin trop longtemps. « Curieuse. » Car elles n’ont partagé que très peu sur leurs occupations respectives durant cette semaine loin l’une de l’autre. Tout juste de quoi s’imaginer des choses, sans pouvoir en déduire une idée concrète, et pouvoir tout se raconter dans un moment comme celui-ci. « Cette semaine était cool, exception faite d’avoir dû la passer à l’autre bout du pays. » Si l’enthousiasme du retour n’était pas suffisant pour le faire comprendre, les mots, eux, ne laissent aucun doute. « Et d’avoir loupé Halloween. » Rater une occasion de pouvoir se déguiser, toujours une tristesse. « Heureusement que le projet est motivant. » Bien qu’assez différent de ce qu’elle a l’habitude de réaliser. « Ils vont un nouvel hôpital, en agrandir deux autres et tout l’espace sera dédié à l’obstétrique. » Non, il n’est pas question d’une reconversion professionnelle. « Et ils veulent décorer l’ensemble avec des fresques dans les couloirs, les pièces de vie et certaines salles. » C’est pour cette partie précise qu’elle intervient, car elle sait dessiner pour les enfants, même si son expérience se concentre principalement à illustrer des pages plutôt que les parties d’un bâtiment. Mais c’est sûrement cet aspect qui intéresse le plus Lennon, réaliser une tâche capable de la sortir des sentiers battus relatifs à son univers. « Il y a plusieurs artistes de concernés, cette semaine était là pour que tout le monde se rencontre et commence à échanger. Beaucoup de temps autour d’une table pour trouver une ébauche de DA qui conviennent à toutes les personnes impliquées. » Pas la partie la plus appréciée, même pour un sujet aussi motivant, Lennon a souvent du mal à rester assise sur une chaise à parler sans rien faire de ses dix doigts. « On a visité les hôpitaux déjà existants et certains endroits de Perth pour rassembler quelques idées. » Accumuler des images et de l’inspiration afin que les œuvres qui orneront les murs ne dénotent pas avec l’ambiance de la ville.

« J’ai hâte de m’y mettre. Mais plus tard. » Un baiser volé. Elle ne compte pas quitter l’étreinte de Kayna tout de suite, préférant profiter du moment. L’imagination devra attendre avant qu’elle ne lui laisse libre cours. « Pour l’instant, raconte-moi comment tu as réussi à survivre entre ton boulot et une crevette hyperactive. » Car d’elles deux, Kayna devrait être la plus épuisée avec un quotidien aussi rythmé. Son rôle de juge à lui seul demande une implication importante, y ajouter une petite tête blonde capable de remettre le principe de mouvement perpétuel en question sonne comme une équation impossible à résoudre.


@Kayna Anderson

Désormais dans le canapé, nous trouvons une position confortable qui n’appartient qu’à nous, lovées dans les bras l’une de l’autre, nos jambes enchevêtrées et nous bras enlaçant notre moitié. J’ai envie qu’elle me raconte son périple, qu’elle me parle de ce qu’elle a fait, avec qui, dans quelles circonstances. « Curieuse. » lâche-t-elle alors que je me mets à rire un peu tout en hochant la tête. Oui, lorsque ça la concerne, je suis curieuse, ou disons plutôt que je m’intéresse à elle. C’est ce qu’on est censé faire dans un couple n’est-ce pas ?

« Cette semaine était cool, exception faite d’avoir dû la passer à l’autre bout du pays. Et d’avoir loupé Halloween. » Oh Halloween. A cette évocation, j’ai comme un haut le coeur. J’aimerai pouvoir reléguer cette soirée au second plan, n’en garder qu’un vague souvenir, mais c’est impossible. Je sais que ce n’est pas du tout le moment de lui en parler, et à la place, je choisis de lui offrir un léger sourire, pour masquer mon trouble. Elle me connaît trop bien, et je dois redoubler d’efforts pour qu’elle ne comprenne pas immédiatement que quelque chose cloche. « Tu n’as pas loupé grand chose. » Il vaut mieux le voir comme ça, même si c’est un mensonge. Je ne lui ai jamais menti, sur rien, même quand je suis rentrée de Brisbane après le mariage de Leo, je lui ai tout avoué. Je n’imagine pas comment les choses auraient pu se passer si je n’avais rien dit, lorsque nous nous sommes retrouvées dans le bureau de mon cardiologue à l’époque, qui nous annonçait que j’étais enceinte. L’angoisse. Mais je crois que notre amour surpasse tout, et heureusement pour moi, quand on y pense.

Voilà alors que Lenny commence son récit, et je bois ses paroles, à la vois intéressée, et aussi captivée par les lignes de son visage, sa bouge qui s’anime lorsqu’elle parle, lorsqu’elle sourit. Ses yeux qui brillent en parlant du projet, de ses valeurs qui sont respectées quand il s’agit de travailler pour le bonheur des enfants malades. Je l’admire tellement. Je ne la lâche pas des yeux, ne la coupe pas pour poser des questions, je me contente juste de l’écouter, la regarder et sourire un peu bêtement. Parce que oui, elle m’a manqué, beaucoup. Nous sommes inséparables depuis au moins 25 ans alors imaginer ma vie sans elle, c’est tout bonnement impossible. « J’ai hâte de m’y mettre. Mais plus tard. » Je reçois le baiser qu’elle m’offre, mais il a comme un goût de trop peu. « Pour l’instant, raconte-moi comment tu as réussi à survivre entre ton boulot et une crevette hyperactive. » Cette fois je ris un peu et hausse les épaules. « Ecoute, Olive fait des merveilles. » Olive, c’est notre baby sitter depuis notre arrivée à Brisbane, puisque Jules a préféré rester à Wellington au départ, il a bien fallu trouver un moyen de nous retourner. Ma mère n’était pas vraiment apte à s’en occuper, la jeune Sterling a été une bénédiction. Aujourd’hui encore, lorsque nous avons besoin de prendre du temps juste Lenny et moi, Olive répond présente pour garder la petite Mae. « Je crois que je m’en suis pas trop mal tirée, j’ai eu de la chance, j’avais pas de grosses audiences cette semaine. Mais bon, elle t’a beaucoup réclamé, et je crois que c’était ça le plus dur. » Non seulement le sentiment de ne pas suffire, mais aussi parce que ça remettait sur le tapis l’absence de ma compagne, et le manque associé. « Mais bon tu es là maintenant, tout est rentré dans l’ordre. Et puis… Jules a décidé de venir ici pour de bon. Elle fait une pause dans ses études, elle cherche du boulot. » Le sourire sur mes lèvres traduit le bonheur de voir ma fille aînée de nouveau près de moi. La famille enfin réunie. Qu’est-ce qui pourrait nous arriver hein ? Une main sur la joue de Lennon, je m’approche pour sceller à nouveau nos lèvres d’un baiser à la fois tendre et puissant.