pretty little lamb don't come down here crédit gif - whtvrgifs raelyn blackwell & @miles hawkins

Un, deux, trois verres. A quel moment exactement ai-je perdu ce contrôle que je ne concède presque jamais et auquel je tiens tant ? Etait-ce bien avant que mes lèvres ne rencontrent le cristal des verres embossés du motif de pieuvre qui orne tous ceux du Casino ? Ce matin, lorsqu’en ouvrant l’un des tiroirs de mon dressing, mes doigts se sont refermés sur une photo prise par Amos avec son polaroïd, témoin de son habitude de les dissimuler un peu partout dans l’appartement qui a certainement survécu à la fouille minutieuse menée par Ruth puisque j’en étais moi-même incapable ? A midi, quand, toujours bouleversée par ma trouvaille du matin, j’ai eu la faiblesse d’écouter ce foutu dernier message laissé sur mon répondeur par Amos, celui que j’abhorre autant qu’il m’est précieux ? Précieux, il l’est assurément puisqu’il s’agit du seul qu’il me reste pour entendre le son de sa voix. Mais il est à double tranchant : il me l’a laissé lorsque Micah est tombée en début d’année, s’ouvrant le front et poussant Amos à rompre les contraintes induites par sa libération conditionnelle et son assignation à résidence. La cicatrice discrète et invisible qu’a gardé ma fille me torture tous les jours, lorsque je pose les yeux sur elle et qu’elle agit comme rappel constant de ma séparation forcée avec son père. Et entendre la voix paniquée d’un Amos surprotecteur et prompt à surréagir lorsqu’il était question de sa princesse m’a tiré une larme, à l'abri derrière la porte verrouillée de mon bureau, avant d’être le déclencheur au premier verre de la journée.

Contrairement à mon âme-soeur, ma consommation parfois abusive, flirtant avec le raisonnable, d’alcool n’a jamais été mon cheval de bataille. Si je suis consciente qu’il m’arrive de trop boire, je n’ai jamais eu le sentiment que c’était abusif et, pour être franche, il s’agit à mes yeux d’un moindre mal s’il m’empêche de replonger et de consommer des drogues dures. L’appel de la cocaïne n’a jamais été si fort, si suave et si tentant, et le grand regard bleu de ma fille agit depuis cinq mois comme une bouée de sauvetage à laquelle je me raccroche pour ne pas foutre en l’air plusieurs années de sobriété.

J’ai eu conscience de franchir la ligne rouge, quelque part entre la fin d’après-midi et le début de soirée, mais pour faire taire ce cœur que je préfèrerais fait entièrement de pierre ou de glace comme la rumeur l’a souvent affirmé, j’ai muselé la petite voix qui m’a soufflé au creux de l’oreille que ce n’était pas une bonne idée en me resservant un verre. Quand mon regard s’est posé sur le bureau et le fauteuil vide à côté du mien, vestige d’une époque où Amos et moi étions une équipe, mon estomac s’est serré si violemment que j’ai bien failli en régurgiter le contenu. Ma propre solitude m’a frappée en pleine face alors qu’en cette fin d’année, j’ai réalisé que je m’endormais seule dans mon trop grand lit froid depuis presque un an. Miles est un bon soldat ainsi qu’un second décent. Seulement, il n’est pas Amos et ne le deviendra jamais et il existe une raison à mon refus de le voir intégrer ce bureau. Il n’a jamais poussé dans ce sens là, certainement conscient qu’il s’agissait d’une limite à ne pas franchir et, s’il m’épaule correctement dans toutes mes responsabilité liées au Club, je n’aurais jamais l’impression d’être une équipe, de ne former qu’un tout avec lui comme j’en formais un avec Amos. Autrefois sujet il est devenu second mais jamais je ne l’envisagerai comme mon égal, jamais je n’envisagerai qui que ce soit d’autre que mon ancien époux comme tel, pour ce que cela vaut.

Autrefois séductrice insatiable, je réalise aussi que bientôt sonnera l’anniversaire de la dernière fois qu’un homme m’a touchée et sans que je ne sache pourquoi aujourd’hui plutôt qu’un autre soir, cette pensée là aussi m’horrifie. Je me demande si ce constat me condamne à une vie de solitude, si je ressentirai un jour du désir à nouveau ou si, à l’image de mon cœur, cette facette là de ma personne deviendra elle aussi froide, vide et désertée. Sans que je sache réellement pourquoi, certainement aidée par ma consommation bien plus qu’excessive d’alcool, cette pensée en vient à m’obséder et me rendre folle. Le deuil, la solitude et le manque de mains chaudes qui parcourent mon épiderme se mélangent pour prendre la forme d’une terreur qui se mue en obsession. Combler ce vide que je ressens de tout mon être s’impose comme un impératif, certainement à cause des verres de scotch qui m’empêchent d’avoir les idées claires et embuent mon esprit. Sans trop être consciente de ce que je fais, je fais appeler Miles. Quand je le fais, j’ignore un peu pourquoi mais tandis qu’il frappe à la porte et que je l’enjoins à entrer, je réalise que j’ai cessé de réfléchir ou de me poser la moindre question. « Tu veux quelque chose à boire ? » Sur l’heure, mon ton est plat et ferme, rien qui ne laisse supposer de l’agitation qui est la mienne. Je quitte ma chaise sans attendre sa réponse pour me diriger vers le minibar installé sur un meuble en bois ; quelle que soit sa réponse, j’ai l’intention d’au moins remplir le mien, de verre. Je le fais d’un geste qui détient une maladresse légère, signe d’une ivresse importante pour quelqu’un comme moi à qui il en faut beaucoup pour que l’alcool me handicape réellement. « Tu es sérieux comme une tombe. » Le champ lexical de la mort est mal choisi, mais je suis un peu trop saoule pour laisser échapper autre chose qu’un bref rire sardonique. Mon coeur est déjà en miettes, de toute façon. Cela ne te ferait pas de mal, ajoutent mes yeux scrutateurs posés sur lui.

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Miles ne saurait dire quand sa vie a pris un véritable tournant. Était-ce quand Raelyn est revenue à lui, il y a plusieurs années, pour lui tendre une main salvatrice ? Était-ce quand il a compris qu’il ne serait jamais qu’un pion à ses yeux et qu’il était donc inutile de chercher à devenir plus ? Était-ce quand il a compris qu’il y avait du mouvement dans les lignes directrices du Club et qu’on lui a demandé de rejoindre les rangs ? Était-ce quand Raelyn est venue à lui pour officialiser les choses et faire de lui son bras droit ? Dans toutes ces interrogations, un seul nom ressort : celui de cette petite blonde qu’il ne reconnaît plus. Cette gamine devenue femme, cette boule d’énergie devenue glaciale, son amie devenue sa patronne. S’il pensait la connaître sur le bout des doigts il y a cinq ans, aujourd’hui il n’est sûr d’aucun de ses mouvements. S’il fait un pas de côté, Miles se doit bien d’admettre qu’il l’admire malgré tout ; elle a fait de toutes ses faiblesses une véritable force et n’est pas arrivée au sommet de cet empire par hasard. Quand lui est resté sous l’emprise de son addiction, elle a réussi à s’en sortir et à ne pas la laisser la dominer. Désormais, personne ne peut se mettre au-dessus d’elle et essayer de lui imposer son opinion. Tout le monde est suspendu à ses lèvres, tout le monde est à ses pieds, tout le monde cherche son approbation. Sauf Miles, évidemment. Lui, il ne fait que son travail. C’est ainsi qu’il se le justifie lorsqu’il obéit à ses ordres, lorsqu’il ne lui répond pas comme il aimerait le faire. Sa loyauté aveugle l’empêche d’agir comme n’importe quel homme le ferait face à une femme qui s’est jouée de lui – et à plusieurs reprises. Un jour, peut-être, il réussira à s’imposer et à lui dire que non, il n’a pas envie de faire cela et que non, il ne veut plus être à ses côtés et que oui, il s’en va et compte bien poursuivre sa vie loin du Club et, surtout, loin d’elle. Un jour, mais pas ce soir. Ce soir, il a répondu à l’appel et a dit qu’il serait là dans une vingtaine de minutes. Quand elle l’appelle, il accourt, peu importe ses rêves et ses envies de révolution. Assis sur son canapé, le brun tourne son visage vers Sybil qui s’est endormie devant le film. La soirée est déjà bien entamée, trouver une excuse supplémentaire ne sera pas aisée. Il se lève et replace le plaid sur les épaules de sa bien-aimée. « Je reviens, l’alarme a sonné au boulot. » C’est toujours la même excuse lorsqu’il doit s’absenter le soir ; il fait mine de travailler dans une usine et c’est un problème récurrent des managers de ces endroits-là. Les rats courent entre les rayons et les machines et font sonner l’alarme, ils s’y rendent, vérifient et repartent pour recommencer deux nuits plus tard. Son alarme à lui, elle s’appelle Raelyn et peut faire bien plus de dégâts qu’un simple cambriolage.

C’est pour ça qu’il arrive très vite au Casino, qu’il ne prend pas le temps de saluer qui que ce soit et qu’il fonce directement dans le bureau du boss. Elle semble l’attendre – toujours à sa manière – assise sur cette chaise comme le ferait n’importe quel baron de la drogue dans un mauvais film français. « Tu veux quelque chose à boire ? » Si elle avait une mission importante à lui confier, elle ne lui poserait pas cette question. Les épaules de Miles se détendent légèrement, il comprend qu’il n’y a aucune véritable urgence, qu’il n’y aura qu’une discussion et que très peu d’action, ce soir. « Tu es sérieux comme une tombe. » Il défronce également ses sourcils. Il se met toujours dans un état second lorsqu’on l’appelle pour lui dire que Raelyn veut le voir. Quand il ne faisait que de vendre, il ne se souciait pas des enjeux : il esquivait simplement la police et maniait son réseau avec agilité. Maintenant qu’il n’a plus les cartes en mains et qu’il dépend des décisions d’au-dessus, il part toujours avec la boule au ventre. Il n’a pas peur, non, il n’a juste pas envie de se retrouver dans une situation où il devrait se défendre. C’est pour ça qu’il semble toujours si sérieux lorsqu’il arrive quelque part, et également pour ça qu’il lui est aisé de se détendre lorsqu’il comprend qu’il ne sera pas en danger. « La même chose que toi. » Mais pas la même quantité, ça non. Il sent l’odeur de l’alcool jusque-là, et l’odeur ne provient pas de la bouteille mais bien de Raelyn. « Dis-moi tout. » Pourquoi est-il venu jusqu’ici, que lui veut-elle ? Il s’approche d’elle et attrape le verre qu’elle vient de se servir, qu’importe s’il ne lui était pas destiné à la base. Et pour bien montrer qu’il s’en fout, il en boit déjà une gorgée – lui faire face, c’est sa seule manière de garder le peu de dignité qu’il lui reste quand il est avec elle.

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Je n’ai pas vu Miles pendant des années. Il était là, parfois dans les mêmes pièces que moi, parfois dans les mêmes soirées aussi, mais je ne l’ai plus vu comme je le voyais avant dès l’instant où j’ai disparu du paysage. Il était un poids mort, la silhouette floue d’une page tournée, celle d’une autre vie, même. Aaron était l’explication logique à l’époque, je tournais autour de lui comme s’il était mon soleil, gamine aveuglément énamourée de son sauveur, et tolérait mal que je fasse ne serait-ce que respirer le même air qu’un autre homme. Mitch et Alec étaient épargnés par sa jalousie parce que leur amitié leur conférait un statut à part, mais ils étaient les seuls. Toutefois, ce serait mentir que de prétendre que mon défunt compagnon était le seul à l’origine de notre éloignement. Je n’ai plus trouvé d’intérêt à fréquenter Miles, alors j’ai simplement cessé, la voilà la vraie raison. L’opportuniste a toujours été la pierre angulaire de mon mode de fonctionnement.

Je ne le vois pas davantage aujourd’hui. A ma décharge, je ne vois plus grand monde depuis le décès de celui qui a été et sera toujours - j’en suis persuadé - ma moitié. Le choisir pour m’épauler après la mort d’Amos était un choix rationnel. Ce soir, ce sont l’égoïsme et l’opportunisme, avec un soupçon de désespoir en plus, qui m’ont poussée à l’appeler à mes côtés. J’ai besoin d’être le soleil de quelqu’un, ce soir. J’ai besoin qu’un homme pose sur mon un regard concupiscent qui me confère la certitude d’être désirée comme si j’étais la femme la plus attirante, la plus fascinante et déroutante qu’il ait jamais rencontrée. J’ai besoin qu’un homme crève de me regarder, de me toucher, qu’il soit prêt à me supplier pour se voir octroyer l’autorisation de poser ses yeux sur mon corps et ses mains sur ma peau. Pour sa défense, Miles a cessé d’envoyer des signaux de ce genre il y a des années. Sauf que l’alcool sédate mes facultés de réflexion. A cause des trop nombreux verres que j’ai bu, l’idée de l’appeler pour me tenir compagnie, pour me sentir moins seule me semble toujours aussi bonne, lorsque la porte s’ouvre et qu’il apparaît dans son cadre. Je ne songe pas que je l’ai peut-être dérangé - pour être honnête, même sobre je n’en aurais eu cure - je ne suis qu’à ma frustration d’avoir attendu qu’il ne me rejoigne plus longtemps que j’estime que je n’aurais dû.

En plus d’être sérieux comme une tombe, il me paraît raide comme un piquet. « La même chose que toi. » Je l’observe un instant, le regard voilé par une ivresse qui se lit dans mes yeux. « Dis-moi tout. » Il attrape le premier verre - le mien, le sien, cela n’a pas la moindre importance - peut-être en signe d’une délicieuse provocation. Un sourire étire mes lèvres et je ne me formalise pas : j’attrape à nouveau la bouteille, et un nouveau verre que je remplis sans modération pour le porter à mes lèvres et avaler une grande lampée. Je pose une main sur l’épaule musclée du brun, fait mine de la masse quelques secondes, avant de détacher mes doigts du tissu de son t-shirt. « Tu devrais te détendre. » Je ne retourne pas m’asseoir sur mon fauteuil. A la place, je m’appuie contre la planche en bois massif du bureau, un bras croisé sous l’autre qui tient toujours mon verre de whisky du bout des doigts, mais de façon assurée. « Si on ajoute le stress à tes mauvaises habitudes - » À savoir l’alcool mais, surtout, les stupéfiants. « Je ne donne pas cher de ta peau. » Et je préfèrerais éviter  de le voir s’effondrer au milieu des clients du Casino un jour ou l’autre. Cela me ferait mauvaise presse.

« Je t’ai dérangé ? Ou j'ai interrompu quelque chose, peut-être ? » Je fronce les sourcils, comme si je peinais réellement à comprendre que me servir ne soit pas son unique priorité. « J’avais besoin de quelqu’un avec qui boire. » Pensant que je vais toucher une corde sensible, j’ajoute. « Comme avant. » Comme quand nous étions des gamins, dans des squats déserts où le monde s’arrêtait pour tourner uniquement autour de nous. Je ne souffre pas des affres de la nostalgie : même ivre, tout chez moi est calculé et cette mention du passé n’est rien d’autre qu’une tentative de l’adoucir, de me frayer un chemin jusqu’à lui en utilisant ses failles. Pourtant, le fond est vrai : je ne l’ai appelé que pour fuir la solitude.