@Jeong Sung-jin

Normalement, Min-Kyung rentrait assez tôt de ses weekends à Kilcoy en compagnie de Link. Il essayait d’être chez lui en fin d’après-midi afin d’avoir un peu de temps pour faire une lessive et préparer la semaine à venir. Cette fois fut différente. Disons qu’au moment de partir, Link et lui s’étaient pris la tête pour une bêtise et, ressentant le besoin de se changer les idées, il s’arrêta en chemin pour faire un peu de shopping. Encore là, il serait rentré tout de suite après, mais il tomba sur un nouveau restaurant qu’il décida d’essayer et comme il se situait près d’un cinéma, il conclut la soirée avec un film. Il était donc bien plus tard que d’habitude lorsqu’il passa la porte de son appartement avec ses sacs de shopping et un restant de maïs soufflé qu’il regrettait de ne pas avoir jeté à la sortie du film. Sachant que son cousin devait dormir, Min essaya de ne pas faire de bruit en déposant ses sacs sur la table de la cuisine. Saja y sauta pour l’accueillir en miaulant. « Chut, ne fait pas de bruit, tu vas réveiller Sung. Oui, je sais, je rentre tard. » Il lui caressa la tête avant de la prendre dans ses bras. Saja n’était pas toujours facile à vivre. Min devait constamment faire attention à ne rien laisser de fragile à sa portée, mais il adorait ce chat et ne regrettait aucunement de l’avoir adopté. « Est-ce que tu sais ce que je devrais faire avec Lincoln? Hum? Je sais que tu l’adores et que tu dors sur les t-shirts qu’il laisse trainer, mais les choses deviennent tellement compliquées en ce moment… Peut-être que c’est moi le problème… Peut-être que je devrais juste être plus patient… » Saja commença à s’agiter dans ses bras et il la laissa aller. Malheureusement, aucun chat aussi intelligent soit-il ne pourra répondre à ses interrogations.

Min contemplait l’idée de s’installer sur le sofa avec son ordinateur portable pour regarder un nouvel épisode d’une série commencée récemment, mais sa montre indiquait qu’il serait plus raisonnable d’aller directement au lit s’il ne voulait pas être trop fatigué demain. En ramassant les sacs, il entendit les bruits venant de la chambre de son cousin. Il se figea, les sens en alerte. Au départ, il supposa avoir mal entendu, alors il se rapprocha en faisant attention à ne pas faire de bruit. « J’AI DIS NON. » Cette fois, il entendit très clairement. Avant qu’il n’ait le temps de réagir, Sung sorti de sa chambre le bousculant au passage pour se précipiter dans la salle de bain où il l’entendit vomir. Min s’approcha de la chambre, mais il n’y avait personne. Pendant un moment il a cru qu’une autre personne se trouvait avec lui et le forçait à faire quelque chose qu’il ne voulait pas. Qu’aurait-il fait s’il y avait vraiment quelqu’un avec lui? Min n’était pas très enclin à la confrontation, mais la simple idée que son cousin puisse être abusé avait fait monter en lui un soudain et violent excès d’adrénaline. Min n’avait toujours pas oublié l’incident au bar et le chauffeur fou qui l’avait abandonné en plein milieu de la nuit dans un coin reculé de la ville. C’était le genre de chose qui restait toujours dans notre tête.

À la fois soulagé et inquiet, Min se dirigea vers la salle de bain où il trouva Sung-jin au sol, tremblant de tout son corps. Ne comprenant pas ce qui se passait, il s’approcha de son cousin tout en gardant une certaine distance avant de s’accroupir pour être à sa hauteur. Il était visiblement en détresse et il risquait de le faire paniquer encore plus s’il s’approchait trop rapidement de lui. « Sung-jin… Sung-jin, c’est moi… Min.. Je viens de rentrer. Je suis là maintenant. Tout va bien aller. Dis-moi, qu’est-ce qu’il y a? » Min avait cru percevoir certains signes chez son cousin sans savoir exactement ce qu’il en retournait. Il ne lui avait jamais posé de questions en se disant que Sung finirait par lui parler.

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Min avait souvent été témoin de la tristesse des autres. Lorsqu’il annonçait une mauvaise nouvelle à un maître déjà inquiet pour son précieux compagnon et qu’il voyait l’expression sur son visage se décomposer à mesure qu’il assimilait ses paroles, les larmes coulaient sans retenue et il se sentait terriblement impuissant. Il se demandait toujours s’il aurait pu faire plus, mais la réponse était souvent négative. Même avec ces connaissances, Min n’était pas invincible et les choses arrivaient parfois sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit. Lorsque son cousin leva son visage vers lui, il ne se souvenait pas d’avoir déjà vu une telle détresse dans le regard de quelqu’un. Il eut à peine le temps d’en mesurer l’ampleur que son cousin se précipitait sur lui pour l’étreindre. Le corps secoué de violents sanglots, il serrait Min avec une force surprenante. En réponse, Min resserra ses bras autour de Sung. Il n’était pas du genre à faire des câlins en dehors de l’intimité, mais il reconnaissait qu’en certaines circonstances, ils étaient plus que nécessaire. Dans ce cas présent, il était même certain que c’était la seule chose qui empêchait Sung de se briser complètement. « Ça va aller, ne t’inquiète pas… Je suis là. » D’une main, il caressait son dos dans l’espoir que le geste l’apaiserait suffisamment pour qu’il puisse parler.

Au bout d’un moment, il sent Sung-jin se détendre dans ses bras et il se redresse enfin pour le regarder dans les yeux. Il y voit la honte d’avoir été découvert comme ça. D’ailleurs, les premiers mots qu’il prononça furent des excuses. « Tu n’as pas à t’excuser… », souffla Min d’une voix douce. Il tendit la main pour prendre celle de Sung qu’il serra doucement. « J’ai appris ces derniers mois que d’essayer de cacher ce que l’on vit n’aide pas vraiment. C’est même le contraire. Tu n’as pas à avoir honte. » Il était bien placé pour comprendre la gêne qu’éprouvait Sung en ce moment. Apparemment, c’était un trait de famille que de vouloir garder sa souffrance pour soi quoique Min soupçonnait que ça allait au-delà de ça. En Asie, de façon générale, la santé mentale était un tabou. Le mot dépression n’en était pas un que l’on entendait souvent et c’était vu comme de la faiblesse. Les choses tendaient à changer peu à peu, surtout à cause des taux de suicide faramineux chez les jeunes, mais dans une société hautement compétitive, ça restait des concepts difficiles à faire accepter. Toutefois, dans le cas de Sung, le chat sortait enfin du sac. Voilà pourquoi le sujet de la danse était si difficile à aborder bien qu’il n’en sache pas encore la raison. Il comprenait cependant que quelque chose de très grave était arrivé et que cette chose rongeait son cousin de l’intérieur.

« Ne restons pas sur le plancher de la salle de bain. Viens, on va aller sur le sofa, ça va être plus confortable. » Il aida son cousin à se remettre sur ses pieds et il l’entraîna jusqu’au salon où ils s’installèrent tous les deux sur le sofa. « Attends-moi, je reviens tout de suite. » Il se leva pour revenir quelques instants plus tard avec un verre d’eau et une boîte de mouchoirs qu’il posa sur la table basse. « Voilà, ça devrait déjà aller mieux avec ça. » Il s’assit sur le sofa de façon à faire face à son cousin. Encore une fois, il savait très bien que parler n’était pas facile. Toutefois, Sung avait lui-même ouvert la porte en mentionnant quelques détails. Des gens lui faisaient peur à un point tel que ça le gardait loin de la chose qu’il aimait le plus au monde : la danse. Qu’est-ce qui lui était arrivé? Quel fardeau portait-il depuis son arrivée en Australie? Il fuyait réellement quelque chose, mais son passé le rattrapait. « Je sais que c’est difficile de parler. Je ne vais pas t’obliger à le faire, mais si tu veux que je t’aide, j’ai besoin de savoir. Sache que je ne laisserai personne te faire du mal, d’accord? » Min-Kyung avait un drôle de sentiment de déjà-vu. Des mois plus tôt, il s’était lui aussi retrouvé sur ce même sofa aux petites heures de la nuit en compagnie de Lincoln. Il avait passé une soirée particulièrement traumatisante et Link était venu à son secours. Il avait fini par lui avouer son homosexualité. C’était la première fois qu’il en parlait à quelqu’un. Il avait eu la peur au ventre du début à la fin, mais cet aveu l’avait libéré d’un poids immense, un premier pas vers l’acceptation de soi. Peu importe les démons qui hantaient son cousin, il espérait pouvoir lui apporter le même réconfort.

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Sung-jin avait du mal à parler comme si les mots restaient accrochés dans sa gorge. Min restait silencieux à ses côtés, lui laissant tout le temps et l’espace nécessaire pour s’exprimer. Pour être passé par là avant lui, il savait trop bien à quel point il était difficile de s’ouvrir aux autres, de révéler sa vulnérabilité même si on avait confiance en la personne en face de nous. Lorsqu’il s’était confié à Lincoln sur ce même sofa, puis bien plus tard lorsqu’il avait accepté de rencontrer un thérapeute, car il perdait complètement le contrôle de sa vie. Les gens n’aimaient pas se sentir faibles et encore moins le montrer. Min tendit la main pour prendre celle de son cousin en espérant lui transmettre un peu de son courage, mais également apaiser sa détresse. « Tu n’as pas à te sentir honteux… Ce n’est pas facile de dire quand ça ne va pas… » À ce point, Min ne savait pas encore exactement quel mal rongeait son cousin. Il imaginait que la pression aurait eu raison de lui et qu’il avait choisi de fuir la Corée du Sud en espérant que ça réglerait tous ses problèmes. Min était né et avait grandi en Australie, mais il avait suffisamment de liens avec le pays de ses parents pour savoir que les jeunes y étaient soumis à une pression incroyable qui faisait des ravages. Encore une fois, Min était bien placé pour savoir que la fuite ne réglait rien du tout. Au contraire, pour le vétérinaire, ça avait accéléré les choses et, apparemment, c’était la même chose pour Sung. Toutefois, il savait aussi qu’après avoir touché le fond, les choses finissaient par s’améliorer. Ce n’était pas facile et ça prenait du temps, mais Sung ira mieux s’il s’en laissait la chance.

« Tu sais, essayer de fuir ses problèmes, ça peut fonctionner pour un temps, mais ça finit toujours par nous rattraper. » Il lui serra doucement la main. « Cela étant dit, je veux que tu comprennes que peu importe ce que c’est, je suis là pour toi et je ne vais pas te laisser tomber. Je te promets que tu iras mieux. » Ça lui brisait quand même le cœur d’entendre son cousin avouer qu’il ne pouvait plus danser, lui qui y avait consacré une grande partie de sa vie. Comme Min et ses problèmes de genoux qui le privait de courir à la différence que c’était un problème de santé contre lequel il ne pouvait rien faire. Sung, c’était autre chose et Min commençait à croire que c’était lié à un événement bien précis, quelque chose qui serait arrivé en décembre 2023.

« Que s’est-il passé en décembre 2023? » Min avait un mauvais pressentiment. Sung était encore dans son service militaire à ce moment-là et ce n’était un secret pour personne que des incidents arrivaient parfois. Il avait entendu des histoires d’amis vivant en Corée, mais également d’autres membres de sa famille, sans que ça soit ouvertement discuté ou décrié, comme si c’était normal que des choses arrivaient. Il fallait faire avec.

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Min se reconnaissait un peu chez son cousin : la peur d’être un poids quand tout allait mal et garder pour soi ses problèmes pour ne pas embêter les autres. Min était toujours là pour les autres, mais lorsqu’il allait mal lui-même, il fallait vraiment qu’il soit dans ses derniers retranchements pour oser l’exprimer. « Tu n’es pas un poids. Tu ne le seras jamais, tu comprends ? » Sung-jin devait le comprendre. Il ne devait pas avoir peur de lui dire. Il serra un peu plus fort sa main, espérant que son message serait clair. « Je sais que c’est difficile à croire, surtout en ce moment, mais les choses vont s’améliorer. Je ne peux pas te promettre que ça sera facile, mais avec du temps et de la patience… Et tu ne seras pas seul. » Des mois furent nécessaires à Min pour se remettre de l’agression de sa mère. Aujourd’hui encore, il consultait un thérapeute qui l’aidait à mettre de l’ordre dans sa tête. Ce n’était pas parfait, il y avait des jours meilleurs que d’autres, mais il sentait qu’il avançait dans la bonne direction.

Sans lâcher sa main, Min l’encouragea à parler. Il restait des choses à révéler et des douleurs à exposer. Sung gardait des choses pour lui depuis un moment et ça pourrissait à l’intérieur de lui. La première révélation le prit au dépourvu. Son visage ne montrait que patience et douceur, mais sa main se referma un peu plus. Il comprenait maintenant pourquoi son cousin avait insisté pour venir ici malgré l’interdiction de ses parents. Au départ, il s’était dit qu’il devait s’en moquer, que, contrairement au reste de la famille, il faisait preuve d’ouverture d’esprit. Là il savait que c’était bien plus que ça. Il était touché par une telle démonstration de confiance, mais en même temps, son cœur se serra, car il savait trop bien ce qu’il traversait. Les révélations s’enchaînèrent et Min le laissa parler sans l’interrompre. Chaque détail lui brisa un peu plus le cœur, mais, lorsqu’il mentionna les abus, le visage de Min se durcit. Il n’était pas du genre à s’énerver et à se mettre en colère, mais là, c’était autre chose. C’était déjà très difficile d’accepter son attirance pour les personnes du même sexe, alors trouver le courage de s’ouvrir à un inconnu, montrer cette vulnérabilité dans un monde où s’était encore difficilement accepté pour finalement être horriblement humilié de la sorte, c'était un véritable cauchemar. « Je suis tellement, tellement désolé… » souffla Min, la voix brisée. L’émotion était trop forte, il avait du mal à la maîtriser. Il ne voulait pas pleurer pour son cousin. Il voulait être fort, mais ce qu’avait vécu Sung-jin était tellement horrible. « Tu ne méritais pas de vivre ça. Ces types sont… sont… monstrueux. » Il était triste, mais également furieux. Sa colère bouillonnait en lui au point que les mots lui manquaient pour vraiment exprimer son indignation. Si ces gars étaient face à lui, il en frapperait probablement un, lui qui désapprouvait normalement toute forme de violence. Min tendit la main pour effleurer la joue de son cousin. « Il a brisé ta confiance… Je sais ce que c’est… Je suis désolé que tu sois tombé sur un gars comme celui-là. Le premier c’est… » Min se tu, perdu dans ses propres souvenirs. Il se souvenait à peine de sa première fois tellement il était ivre. Il se souvenait du gars. Il l’avait revu par la suite régulièrement et toujours en secret. « Il doit être puni pour ce qu’il a fait. » De bien jolis mots, mais, en vérité, il y avait peu de choses possibles à faire. Après tout, il se trouvait en Australie, tandis que l’incident s’était produit en Corée du Sud, où les lois et les mentalités sont radicalement différentes. Cela étant dit, la Corée du Sud était aussi un pays ayant un gros problème de caméras cachées et de vidéos filmés à l’insu des victimes. Le pays luttait furieusement afin d’enrayer cette problématique et le partage de ce genre de matériel entraînait de lourdes conséquences. Puis, une idée lui vint à l’esprit… Une idée qui demanderait énormément de courage à son cousin. « En fait… Il y a peut-être un moyen et je crois… Je crois qu’au fond de toi, tu sais. » Prendre les devants et dévoiler publiquement son orientation sexuelle. Cela créerait des vagues et sans doute un scandale, mais la vidéo n’aurait plus autant de pouvoir. Il doutait cependant que Sung-jin soit rendu à cette étape.