A l’occasion du mois des fiertés, l’Association Manzili, parmi d’autres initiatives, organisait un grand défilé drag ouvert à tous.tes. De nombreux bénévoles de l’association étaient sur le coup, chargé.e.s de diverses missions. On avait confié à Jesse une mission importante. Il lui incombait l’organisation générale du défilé. La coordination des passages sur scène, la mise en scène ou autres détails qui avaient leur importance.
Jesse avait été tellement content qu’on lui propose ce rôle. Et un peu surpris. Voyez-vous, il ne brillait pas vraiment par sa rigueur. Il s’éparpillait facilement, manquait de concentration, de capacité organisationnelle. Mais d’un autre côté, de tous les bénévoles de Manzili, Jesse apparaissait être l’un des plus qualifiés pour le job. La scène, c’était toute sa vie. Il ne pouvait pas se louper sur ça.

L’organisation de ce défilé comprenait deux séances d’initiation pour aider les participant.es à apprendre les rudiments de cet art et à trouver une persona à montrer sur scène. Bien sûr, Jesse assistait à ces ateliers, à l’écoute des questions et des demandes. Il commençait d’ors et déjà à organiser les passages sur la scène. Le deuxième atelier allait bientôt commencer. Après avoir fini d’installer un petit buffet pour les participant.e.s, Jesse avait commencé à se pencher sur l’ordre des passages qui le laissait indécis. Alors que les autres bénévoles qui animaient les ateliers arrivaient au compte-goutte, il leur demandait leur opinion.
Phenix fut l’un des derniers à arriver – si ce n’était le dernier. Aussitôt Jesse l’interpela.
« Phenix ! » Il s’approcha de lui et lui adressa un grand sourire « Ça va ? T’as une minute à m’accorder ? J’aurais besoin de ton avis sur un truc. » Il ne lui laissa pas le temps de décliner. « Pour l’ordre de passage, tu penses que c’est mieux qu’on organise par style, ou qu’au contraire, on enchaîne à chaque fois des looks très différents ? »
A la façon dont Jesse s’adressait à Phenix, personne n’aurait cru qu’ils ne s’étaient plus parlé depuis des années.

Drag them up
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Phenix Monroe & @Jesse Costello Pride

Août 2024, 20h15.

Je voulais arriver en avance, mais comme souvent, la vie en a décidé autrement. Tiraillé entre les derniers préparatifs, les imprévus à l’hôpital et les conflits familiaux, je viens à peine de débarquer à l'assoc' pour un des ateliers drag en prévision du défilé. Je dépose mes trois sacs, sors quelques affaires, et m’apprête à me présenter aux participants que je n'ai pas encore rencontrés lorsqu'une voix familière m'interrompt. 

J’aurais dû me douter qu’il serait là. Jesse. Un mec cool, pas prise de tête, avec qui je suis sorti pendant quelques semaines, avant qu'on ne se rende tous les deux compte qu’entre nous, c’était plus platonique que passionnel. Alors on a décidé de rester potes d’un commun accord… et tout se passait bien, jusqu’à ce que Jesse ne commence à fréquenter ce type bizarre dont je ne me rappelle plus le nom. J’sais pas exactement ce qui s’est passé entre eux, mais en tout cas, à partir du moment où il a commencé à le fréquenter… j’suis devenu sa bête noire, une sorte d’ennemi, puisqu’il a fini par m’annoncer qu’il ne “fallait plus qu’on se parle.”

Et pourtant, le voilà qui m’adresse la parole comme si de rien n’était. Fidèle à lui-même, débordant d’énergie, comme si ce n’était pas lui qui avait instauré cette distance abrupte entre nous, alors qu'au bout du compte, on s'entendait plutôt bien après la rupture, ce qui est assez rare pour des exes. Il a oublié qu'il a craché sur notre amitié naissante ou il se force à paraître jovial et sympa devant tout le monde pour sauver les apparences ? Je prends une profonde inspiration, cherchant à ne pas laisser transparaître l’agacement qui commence à pointer. Après tout, j'suis là pour l’atelier, pas pour régler nos comptes.

"Salut," je commence, volontairement détendu, même si ma mâchoire se serre légèrement. "Par style - c'est mieux d'avoir un fil conducteur pour que le public puisse s'y retrouver." J'me penche vers son oreille pour ajouter, pince-sans-rire, "Ça va, tu vas survivre le fait qu'on bosse ensemble sur cet atelier ? J'peux leur dire de m'assigner un groupe différent, sinon. Si ça te perturbe trop."

Jesse aurait presque pu l’oublier… mais Phenix et lui étaient brièvement sortis ensemble. Ça avait été une expérience intéressante, aurait-on dit. Jamais Jesse n’avait connu de relation de couple aussi sereine. Aussi plate même, aurait pu-t-on dire. Pas de disputes commençant en cris et finissant en larmes. Pas d’élans de désir incontrôlables non plus. L’impression d’être dans un vieux couple dont la passion s’était éteinte depuis plus d’une décennie et qui restait ensemble par confort l’avait rendu las de cette relation. Ils étaient mieux en amis. Sans rancune.
Et c’était comme si Jesse en était resté là. Ils demeurèrent amis et passèrent beaucoup de soirées platoniques ensemble jusqu’à la fin des temps. Il y en avait un qui n’avait pas oublié, prêt à lui rafraîchir la mémoire d’une façon bien trop subtile.
« Comment ça ? Bah oui que je vais survivre. Pourquoi ça me perturberait ? »
Jesse prit un peu de recul pour dévisager Phenix avec l’expression de la plus honnête des perplexités. Il était vrai que ça faisait près de quatre ans qu’ils ne s’étaient plus parlé ainsi. Il semblait que le costumier n’en sache plus vraiment la raison. Il avait dormi tellement de fois depuis, et tellement de choses s’étaient passées.
L’ancien petit-ami de Jesse avait été la raison de leur éloignement. Des tendances LGBTophobes, une pointe de jalousie et une anecdote en trop, voilà qu’on se retrouvait à couper les ponts avec un ami. A l’époque, Jesse s’était senti comme une horrible personne et un très mauvais ami. Ce n’était sans doute pas étonnant qu’il ait jeté ce souvenir aux oubliettes.
« Tu sais, ce n’est pas la première fois que je bosse avec un ex. Et ce n’est surtout pas avec toi que les choses vont commencer à mal se passer. » assura-t-il avec confiance. « Je serais le premier surpris si ça devait arriver. »
Très peu de ses relations amoureuses s’étaient fini en bon terme pour diverses raisons. Une évidente incompatibilité, des comportements agaçants voire problématiques, des trahisons en tout genre.